XII. 39 Voyons maintenant
le troisième grief dont on charge la vieillesse : il lui faut renoncer aux
plaisirs. Oh ! quel service nous rend
l’âge s’il nous délivre du tort le plus grave qu’ait la jeunesse. Vous, jeunes
hommes, qui êtes parmi les meilleurs, écoutez le langage d’Archytas de Tarente,
un grand homme et qui compte parmi les esprits les plus distingués. Ses paroles
m’ont été rapportées quand, tout jeune encore, j’étais à Tarente avec Fabius
Maximus. Archytas disait que nul présent plus funeste, plus ruineux que le
plaisir n’a été fait aux hommes, le plaisir à la conquête duquel l’appétit se
porte sans mesure et sans réflexion. 40 C’est pour lui
qu’on trahit son pays, qu’on ruine l’État, qu’on engage avec l’ennemi des
entretiens secrets, il n’est pas d’action honteuse ou criminelle où la passion
du plaisir ne puisse engager. Certes, le stupre, l’adultère, toutes les
ignominies de cette sorte, ce sont les seuls attraits du plaisir qui excitent à
les commettre et, s’il est vrai que la nature ou quelque dieu n’a rien donné à
l’homme de meilleur que l’âme pensante, il est vrai aussi que le plaisir est
son pire ennemi : 41 quand l’appétit
sensuel commande, il n’y a plus à parler de tempérance et, d’une manière
générale, sous le règne des plaisirs la vertu n’a de place nulle part. Pour le faire mieux entendre, Archytas voulait qu’on
imaginât un être goûtant le plaisir des sens avec une telle acuité qu’on ne
puisse en éprouver de plus vif. Personne, pensait-il, ne contesterait qu’aussi
longtemps que se prolongera cette jouissance, nulle pensée, nul raisonnement,
nulle opération de l’esprit ne sera possible. Rien donc de plus détestable que
le plaisir puisque son intensité et sa durée ont pour effet d’éteindre la
lumière de l’âme. Néarque le Tarentin, à qui je suis uni par le lien de l’hospitalité,
demeuré fidèle à l’amitié romaine, me disait avoir appris de ses aînés
qu’Archytas tenait ce langage à C. Pontius, un Saumite, le père de celui qui
vainquit Spurius Postumius et Titus Veturius à Caudium. L’Athénien Platon qui,
d’après mes recherches, est venu à Tarente sous le consulat de Camille et
d’Appius Claudius assistait à l’entretien. 42 Où tout cela tend-il? A vous faire
comprendre que, si nous ne pouvons être assez raisonnables et assez sages pour
mépriser le plaisir, nous devons être très reconnaissants à la vieillesse de ne
pas permettre que se déchaîne un appétit que nous ne devrions pas souffrir en
nous. Le plaisir empêche la réflexion, il est l’ennemi de la raison, tient
étroitement fermés, si l’on peut dire, les yeux de l’esprit et ne s’accorde en
rien avec la vertu. C’est à regret que, sept ans après son consulat, j’ai exclu
du sénat Lucius Flamininus, le frère de Titus Flamininus, cet homme d’un si
grand courage, mais j’ai cru devoir flétrir son appétit du plaisir. En Gaule,
alors qu’il était consul, une prostituée avait obtenu de lui qu’il fît
décapiter un individu emprisonné pour un crime capital. Tant que son frère
Titus, mon prédécesseur immédiat a été censeur, il a pu se soustraire aux
conséquences de son acte, mais pareille conduite, effet d’une sensualité sans
remède, salissant l’homme et déshonorant le chef d’armée, ne pouvait trouver
grâce auprès de moi et de Flaccus.
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