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des exemples modernes et récents, plutôt que des faits éloignés et vieillis :
j'oserai prétendre que Marcellus Éprius, dont je parlais tout à l'heure, et
Vibius Crispus, ne sont pas moins connus aux extrémités du monde que dans les
villes de Capoue et de Verceil, où l'on dit qu'ils sont nés. Et ils ne le doivent ni l'un ni l'autre à leurs trois
cents millions de sesterces, qui après tout peuvent être considérés comme une
riche conquête de l'éloquence, mais à l'éloquence elle-même, dont la vertu
puissante et céleste a donné dans tous les siècles tant de preuves de la haute
fortune où l'homme peut s'élever par la seule force du génie. Les faits que je
viens de rappeler sont près de nous, il n'est pas besoin qu'un récit nous les
apprenne, nous pouvons chaque jour les voir de nos yeux : plus l'origine de ces
deux orateurs est basse et abjecte, plus furent profondes l'indigence et la
pauvreté qui entourèrent leur berceau, et plus aussi leur destinée met dans une
lumière éclatante l'utilité de l'éloquence oratoire. En effet, sans naissance
qui les recommandât, sans richesses qui soutinssent leur ambition, tous deux
avec des moeurs qui leur font peu d'honneur, l'un des deux avec un extérieur
qui l'expose au mépris, ils sont depuis un grand nombre d'années les hommes les
plus puissants de l'État : et, après avoir été aussi longtemps qu'ils ont voulu
les premiers du barreau, ils sont aujourd'hui les premiers dans la faveur de
César, disposent à leur gré de toutes choses, et inspirent au prince même des
sentiments où une sorte de respect se mêle à la tendresse. C'est que Vespasien,
ce vieillard vénérable et que la vérité n'offensa jamais, comprend que, si ses
autres amis fondent leur grandeur sur des avantages qu'ils tiennent de lui-même,
et qu'il est si facile d'accumuler pour soi et de prodiguer à autrui, Marcellus
et Crispus ont apporté à son amitié des titres qu'ils n'ont ni reçus ni pu
recevoir du prince. Parmi tant et de si grands biens, les images, les inscriptions, les
statues, occupent sans doute la moindre place ; et cependant il ne faut pas
croire qu'on y renonce, non plus qu'aux richesses et à la fortune, que tant de
gens blâment et que si peu dédaignent. Oui, ces honneurs, ces décorations,
cette opulence, nous les voyons affluer dans les mains de ceux qui dès leur
première jeunesse se sont voués aux exercices du barreau et aux études
oratoires.
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