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"J'ai commencé par ces réflexions, afin que, si la réputation et la gloire
des orateurs que j'ai nommés fait quelque honneur à leur siècle, il soit
reconnu que cet honneur est une propriété commune, où même nous avons plus de
part que Serv. Galba, C. Carbo et d'autres que nous pourrions justement appeler
anciens. Ceux-là sont hérissés, sauvages, rudes et informes ; et plût aux dieux
que votre Calvus, que Célius, que Cicéron lui-même ne les eussent jamais imités
! car je vais m'expliquer tout à l'heure avec plus de force et de hardiesse ;
convenons d'abord que le temps amène en éloquence des formes nouvelles et des
genres différents. Ainsi, comparé au vieux Caton, C. Gracchus est plus riche et
plus abondant ; ainsi Crassus est plus poli et plus orné que Gracchus, Cicéron
plus varié, plus fin, plus élevé que l'un et l'autre, Messala plus doux, plus
gracieux, plus soigné dans le choix des mots que Cicéron. Je ne cherche pas
lequel manie le mieux la parole : il me suffit d'avoir prouvé que l'éloquence a
plus d'une physionomie ; qu'il est, entre ceux mêmes que vous nommez anciens,
des différences sensibles ; qu'un genre n'est pas inférieur parce qu'il est
divers, et que c'est la faute de la malignité humaine si le passé est toujours
loué, le présent toujours dédaigné. Doutons-nous qu'Appius Cécus n'ait eu des
partisans qui l'admiraient au préjudice de Caton ? Cicéron même, on le sait
assez, ne manqua pas de détracteurs, qui le trouvaient bouffi et ampoulé, sans
précision, verbeux et redondant à l'excès, enfin trop peu attique. Vous avez lu
sans doute les lettres de Calvus et de Brutus à cet orateur : on y aperçoit
facilement que Calvus paraissait à Cicéron maigre et décharné, Brutus négligé
et décousu. Et de son côté Cicéron était repris par Calvus comme lâche et sans
nerf, et Brutus l'accusait en propres termes de manquer de vigueur et de reins.
Si vous me demandez mon avis, tous avaient raison : bientôt je viendrai à
chacun en particulier ; maintenant j'ai affaire à tous ensemble.
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