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"Qui pourrait aujourd'hui souffrir un orateur accusant dans son début la
faiblesse de sa santé ? Or tels sont presque tous les exordes de Corvinus. Qui
aurait la patience d'écouter cinq livres contre Verrès ? Qui supporterait, sur
une formule et une exception, ces immenses volumes que nous lisons sous le
titre de plaidoyers pour Tullius ou pour Cécina ? Le juge devance maintenant
l'orateur ; et, si la marche
rapide des arguments, l'élégance et la richesse des descriptions, ne
l'attachent et ne le séduisent, son esprit se rebute aussitôt. La foule même
des curieux, et tout ce fortuit et mobile auditoire, a pris l'habitude d'exiger
les fleurs et la beauté du langage, et tolère aussi peu les formes tristes et
agrestes d'une éloquence surannée ; que le jeu d'un acteur qui sur la scène
irait copier Roscius ou turpion ? Il y a plus : les jeunes gens dont le talent
novice est encore pour ainsi dire sur l'enclume, et qui suivent les orateurs
pour se former à leur école, sont jaloux d'entendre et d'emporter chez eux
quelques traits saillants et dignes de mémoire. Ils se redisent l'un à l'autre,
et souvent ils écrivent dans leurs villes et leurs provinces, ce qui les a frappés,
soit qu'une pensée courte et ingénieuse ait brillé comme un éclair, soit que la
poésie ait embelli quelque morceau de ses riches couleurs. Car on veut de la poésie même dans un discours, non de
celle que ternit la rouille d'Accius ou de Pacuvius, mais une poésie qui sorte
brillante et fraîche du sanctuaire d'Horace, de Virgile ou de Lucain. C'est donc pour
complaire au goût de ses auditeurs que l'éloquence de notre âge se montre plus
belle et plus ornée. Et nos paroles n'en sont pas moins puissantes, parce
qu'elles arrivent à l'oreille des juges accompagnées de plaisir : dira-t-on que
les temples de nos jours soient moins solidement construits, parce que, au lieu
de pierres brutes et de tuiles informes, on y voit resplendir le marbre et
rayonner l'or ?
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