29 "Aujourd'hui,
le nouveau-né est remis aux mains d'une misérable esclave grecque, à laquelle
on adjoint un ou deux de ses compagnons de servitude, les plus vils d'ordinaire,
et les plus incapables d'aucun emploi sérieux. Leurs contes et leurs préjugés
sont les premiers enseignements que reçoivent des âmes neuves et ouvertes à
toutes les impressions. Nul dans la maison ne prend garde à ce qu'il dit ni à
ce qu'il fait en présence du jeune maître. Faut-il s'en étonner ? les parents
même n'accoutument les enfants ni à la sagesse ni à la modestie, mais à une
dissipation, à une licence qui engendrent bientôt l'effronterie et le mépris de
soi-même et des autres. Mais Rome a des vices propres et particuliers, qui
saisissent en quelque sorte, dés le sein maternel, l'enfant à peine conçu : je
veux dire l'enthousiasme pour les histrions, le goût effréné des gladiateurs et
des chevaux. Quelle place une âme obsédée, envahie par ces viles passions,
a-t-elle encore pour les arts honnêtes ? Combien trouvez-vous de jeunes gens
qui à la maison parlent d'autre chose ? et quelles autres conversations
frappent nos oreilles, si nous entrons dans une école ? Les maîtres même n'ont
pas avec leurs auditeurs de plus ordinaire entretien. Car ce n'est point une
discipline sévère ni un talent éprouvé, ce sont les manèges de l'intrigue et
les séductions de la flatterie qui peuplent leurs auditoires. Je passe sur les
premiers éléments de l'instruction, qui sont eux-mêmes beaucoup trop négligés ;
on ne s'occupe point assez de lire les auteurs, ni d'étudier l'antiquité, ni de
faire connaissance avec les choses, les hommes ou les temps. On se hâte de
courir à ceux qu'on appelle rhéteurs, dont la profession fut introduite à Rome,
à quelle époque et avec combien peu de succès auprès de nos ancêtres, je le
dirai tout à l'heure.
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