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"Anciennement donc, le jeune homme qui se destinait aux travaux du Forum
et à l'art oratoire, formé déjà par l'éducation domestique et nourri des plus
belles études, était conduit par son père ou ses proches à l'orateur qui tenait
alors le rang le plus distingué. Il fréquentait sa maison, accompagnait sa
personne, assistait à tous ses discours, soit devant les juges, soit à la
tribune aux harangues, également témoin de l'attaque et de la réplique, présent
aux luttes animées de la parole, et apprenant, pour ainsi dire, la guerre sur
le champ de bataille. De là résultait pour les jeunes gens une expérience
précoce, beaucoup d'assurance, une grande finesse de tact, étudiant, comme ils faisaient,
à la face du jour et sur un théâtre orageux, où il ne pouvait échapper une
sottise ou une contradiction qui ne fût repoussée par les juges, relevée par
l'adversaire, condamnée même par les amis de l'orateur. Aussi prenaient-ils
de bonne heure le goût d'une éloquence naturelle et vraie ; et, quoiqu'ils ne
suivissent qu'un seul patron, ils faisaient connaissance, dans une foule de
causes et devant des tribunaux divers, avec tous les talents contemporains ; et
ils entendaient encore les jugements si variés de l'opinion publique, qui les
avertissait clairement de ce qu'on trouvait dans chacun à louer ou à reprendre.
Ce n'était donc point un maître qui leur manquait : ils en avaient un
excellent, un maître choisi, qui présentait à leurs regards l'éloquence
elle-même et non sa vaine image ; ils voyaient des adversaires et des rivaux
combattre avec le glaive, au lieu d'escrimer avec la baguette ; ils
fréquentaient une école toujours pleine, toujours renouvelée, où l'envie
prenait place comme la faveur, où les beautés n'étaient pas plus dissimulées
que les fautes. Car, vous le savez, les grandes et durables réputations
oratoires ne s'établissent pas moins sur les bancs opposés que sur les nôtres ;
c'est même là qu'elles s'élèvent avec plus de vigueur, qu'elles poussent de
plus profondes racines. Sous l'influence de tels enseignements, le jeune homme
dont nous parlons, disciple des orateurs, élève du Forum, auditeur des
tribunaux, aguerri et formé par les épreuves d'autrui, connaissant les lois
pour les entendre expliquer chaque jour, familiarisé d'avance avec la figure
des juges, habitué au spectacle des assemblées populaires, ayant remarqué
souvent ce que désirait l'oreille des Romains, pouvait hardiment accuser ou
défendre : seul et sans secours, il suffisait d'abord à la cause la plus
importante. Crassus avait dix-neuf ans, César vingt et un, Asinius Pollio
vingt-deux, Calvus n'en avait pas beaucoup plus, lorsqu'ils attaquèrent, l'un
Carbon, l'autre Dolabella, le troisième C. Caton, le dernier Vatinius, par ces
discours que nous lisons encore aujourd'hui avec admiration.
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