Joie d'avoir le Saint-Sacrement à Grenelle. Qualités
exigées pour un jeune employé. Importance d'un recrutement solide.
Duclair, 5 septembre 1849
Mon bien cher frère,
Permettez-moi, avant toutes choses, de vous faire
partager la joie que j'éprouve en ce moment. Venu ici pour quelques jours, à
cause de la santé de ma sœur et de celle de sa fille, l'une et l'autre très
fatiguées, je viens de recevoir de mes frères une lettre par laquelle ils
m'annoncent que Mgr l'Archevêque accorde à notre petite Communauté,
non seulement la permission de faire dire la Sainte Messe comme
nous l'espérions, mais la faveur insigne de garder le Très Saint-Sacrement. Une
pareille grâce nous comble de joie et de confusion; je me sens le besoin, très
cher ami, de l'épancher avec vous et surtout de vous conjurer de rendre grâces
au Seigneur de tant de condescendance et de miséricorde pour ses indignes
serviteurs; s'il ne vous est pas impossible de nous accorder une messe d'action
de grâces à cette intention, vous me causerez une vive satisfaction; nous avons
prié beaucoup pour obtenir cette faveur; je désire que notre reconnaissance
soit aussi fervente que nos demandes.
Mon éloignement de Paris en cet instant ne me permet pas
de vous dire par qui sera donnée la retraite ecclésiastique à Paris; mais, si
vous désirez le savoir, vous pouvez écrire à M. Myionnet qui le remplace et qui
s'enquerra de cette intéressante affaire; je n'ai pas besoin de vous dire, très
cher ami, que si vous vous décidez à venir et que notre pauvre refuge de
Grenelle soit à votre gré, malgré son éloignement, vous en pourrez disposer;
vous trouveriez au besoin une chambre rue du Regard, 16, mais une chambre
seulement, aucun vestige de ménage ne nous restant de ce côté et le bonhomme
portier étant absolument impropre au service intérieur.
Le livre de méditation dont nous faisons usage en ce
moment est d'Avancin, Jésuite flamand, je crois, qui a écrit ce livre en latin;
la traduction que nous avons est abrégée et bien inférieure à l'original. Pour
l'accommoder aux besoins des gens du monde, on y a retranché tout ce qui
concerne les prêtres et les religieux; l'original, que vous préférerez sans
doute, se vend chez Périsse, rue Petit-Bourbon, 18; la traduction s'y trouve
également - 2 volumes in-18.
Je vous remercie infiniment, très cher frère, du
soin que vous avez pris de nous assurer un jeune frère servant; votre réponse
ayant tardé à venir, j'avais pensé que vous aviez perdu la chose de vue et
j'avais arrangé d'autres dispositions; un jeune apprenti de notre patronage,
âgé de 17 ans, sortant de la condition commune par son éducation comme par sa
piété et ses sentiments, nous a paru pouvoir nous convenir à beaucoup d'égards
et nous l'avons admis parmi nous; toutefois, comme il est infirme et peu propre
aux soins domestiques, il nous sera plus utile pour les détails de nos œuvres
que pour la maison; je ne serais donc pas éloigné d'en prendre un autre, s'il
s'en présentait un qui eût les aptitudes convenables. Croyez-vous, cher frère,
que votre enfant soit dans ce cas et qu'il soit, par exemple, assez rassis,
assez persévérant surtout pour faire, après un peu d'apprentissage, notre
cuisine, simple entre toutes, mais cuisine pourtant, cuisine de tous les jours,
et pour un temps que je ne puis préciser, puisqu'une fois dans un emploi, on
n'en sort que pour de bonnes raisons et pour le plus grand bien de nos œuvres.
Cela n'est-il pas bien sérieux pour un homme de 16 ans? Il lui
resterait sans doute beaucoup de temps et une partie serait employée à étudier
et à le former à la piété; mais une fois encore, le plaisir de la nouveauté
passé, trouverait-on dans ce cher enfant, traité d'ailleurs avec toute la
douceur et toute l'indulgence possibles, la persévérance et la bonne volonté
désirables? Je vous fais juge de ces questions, très cher ami; prenez en main
la cause de notre œuvre naissante qui a besoin de se recruter solidement, dans
ses commencements surtout, voyez devant Dieu si on pourrait espérer, avec de la
culture et du temps, faire de votre bon petit enfant un frère pieux, capable en
un office quelconque, dévoué, persévérant, et ayez la bonté de me dire votre
avis définitif; alors je prendrais, en m'entendant avec vous, les mesures que
le cas exigerait; rien n'est de petite importance pour une œuvre si humble que
la nôtre; je prierai donc le Seigneur de nous diriger pour le plus grand bien
de cette chère âme et aussi pour celui de notre Communauté; je vous demande,
très cher frère, de prier à la même intention.
Votre dévoué frère et ami en N.S.
Le Prevost
P.S.
Je resterai encore une douzaine de jours, chez Mme Salva, à Duclair
(Seine Inférieure).
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