Arthur Bernède
L'homme au masque de fer

DEUXIÈME PARTIE L’ÉPOPÉE DE LA HAINE

CHAPITRE PREMIER UN ORAGE PROVIDENTIEL

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DEUXIÈME PARTIE

L’ÉPOPÉE DE LA HAINE

CHAPITRE PREMIER

UN ORAGE PROVIDENTIEL

Le coup d’épée envoyé par Castel-Rajac à Durbec était magistral, car le blessé dut rester alité plus de trois semaines avant de reprendre une vie normale et obtenir du praticien l’autorisation de se lever.

 

Mais pendant cette retraite forcée, la rancune qu’il éprouvait pour le chevalier gascon ne fit que croître, alimentée qu’elle était par le dépit qu’il éprouvait à s’être laissé vaincre par cet adversaire. Il se jura qu’il aurait sa revanche, sa vie entière devrait-elle y être consacrée.

 

Il lui tardait de pouvoir repartir, afin de mettre lui-même le cardinal de Richelieu au courant. Déjà, le baron de Savières avait lui raconter ce qui s’était passé au château de Montgiron. Mais Durbec connaissait le capitaine des gardes. C’était un rude soldat, qui ne saurait pas présenter l’histoire de façon que le ministre conçoive pour ses adversaires une de ces haines terribles qui ne désarment pas. Tandis que lui, Durbec, saurait y glisser quelques perfidies propres à exciter la colère du grand cardinal.

 

Enfin, ce jour tant attendu arriva. Après avoir visité sa blessure une dernière fois, le médecin qui le soignait lui déclara :

 

– Votre plaie est cicatrisée. Je crois que vous pourrez repartir lorsque vous le désirerez.

 

Il y avait longtemps que l’espion du cardinal attendait cette nouvelle. Aussi poussa-t-il un profond soupir de joie à cette annonce. Mais lorsque le brave Barbier de Pontlevoy apprit que son pensionnaire forcé allait repartir, il leva les bras au ciel :

 

– Je vous regretterai ! affirma-t-il. Avec qui donc vais-je pouvoir faire ma partie de piquet, désormais ?

 

– Bast ! répondit Durbec, qui se moquait bien de la partie de son amphitryon, vous engagerez l’un de vos hommes, ce brave Sans-Plumet, ou bien Passe-Poil, pour vous servir de partenaire !

 

Le lendemain matin, l’homme du cardinal put enfourcher le cheval que le gouverneur lui prêta. Et après un dernier échange de compliments, le cavalier piqua des deux vers la capitale, un peu étourdi par le grand air, mais complètement guéri.

 

Sa monture était excellente ; néanmoins, il lui semblait qu’elle piétinait. Il labourait les flancs de la pauvre bête, penché sur l’encolure. Toute sa vigueur lui était revenue. Le démon de la vengeance le portait en avant.

 

Enfin, après quatre jours de marche forcenée, il distingua les murs de la capitale ! Il poussa un soupir d’aise : dans deux heures, il serait auprès du cardinal-ministre.

 

Celui-ci était dans son cabinet de travail lorsque Durbec se fit annoncer. Il leva sa tête, que la maladie et les soucis creusaient, et répondit simplement, en reposant sa plume d’oie :

 

– Qu’il entre !

 

Quelques secondes plus tard, le personnage était introduit. Il s’avança d’un pas rapide vers Richelieu, puis, à quelques pas, s’immobilisa dans un profond salut, attendant que son maître veuille bien le questionner.

 

Celui-ci le considéra un instant, sans grande bienveillance. Il connaissait le Durbec depuis longtemps, et, s’il l’utilisait, ne pouvait guère concevoir de l’estime pour lui.

 

– Eh bien ! monsieur ! dit-il enfin, en lui faisant signe d’approcher, quelles nouvelles m’apportez-vous ?

 

– Votre Éminence doit les connaître déjà, répondit Durbec. M. de Savières a vous les communiquer

 

– Vous devez vouloir parler de l’attaque, du château de Montgiron ?

 

– Oui, Éminence ! Suivant vos ordres, la duchesse de Chevreuse et l’enfant

 

Richelieu l’interrompit.

 

– Je sais… je suis au courantAvouez, monsieur, que vous n’avez pas eu le beau rôle ?

 

Le ton était sarcastique. Durbec blêmit de colère.

 

– Que votre Éminence daigne nous excuser ! Mais ces endiablés

 

– Oui, oui… Ce fut là un joli coup de force ! Ces hommes sont étonnants

 

– L’un d’eux, appelé Castel-Rajac, m’a pourfendu d’un coup d’épée qui m’a forcé à rester étendu plus de trois semaines, Votre Éminence… C’est pourquoi je n’ai pu venir vous rendre compte plus tôt de ma mission

 

– Savières m’a conté… Je regrette le coup d’épée pour vous, mais il fallait prêter plus d’attention, monsieur de Durbec

 

– Ah ! Monseigneur ! Sans eux, nous obtenions enfin la vérité sur l’enfant ! La duchesse et ses amis vous ont indignement joué. Monseigneur

 

Une ombre de sourire erra l’espace d’une seconde sur les lèvres du grand cardinal.

 

– La poupée mise à la place du bébéJe sais… Ces Gascons ont vraiment une imagination étonnante !

 

Durbec manqua étouffer de rage en voyant Richelieu dans cette disposition d’esprit. Attendre des cris de colère et des sanctions terribles, et ne voir qu’un calme presque indifférent était pour lui une surprise aussi désagréable que consternante.

 

– Que Votre Éminence m’excuse ! parvint-il à balbutier. Mais ne croyez-vous pas qu’en pourchassant sans pitié cette engeance

 

Richelieu leva la main.

 

– Nenni, monsieur ! J’ai déjà eu plusieurs gardes tués dans cette aventure ; j’ai besoin de la vie de mes hommes et ne veux point les exposer inutilement. Vous avez été vaincus, reconnaissez-le loyalement. Tant pis ! Arrangez-vous seulement pour retrouver la piste de ce Castel-Rajac et de l’enfant.

 

– Monseigneur ! s’écria Durbec, tentant un dernier effort. Madame la duchesse s’est moquée de vous, et le signor Capeloni également ! Si vous ne sévissez pas, ils ne mettront plus de bornes à leur audace !

 

Le cardinal-ministre regarda son subordonné sévèrement.

 

– Depuis quand, monsieur, dois-je recevoir vos conseils sur la conduite que je dois tenir ? Allez et ne songez qu’à exécuter mes ordres !

 

Le chevalier sortit fou de rage en pensant au piètre résultat de son entrevue.

 

– Morbleu ! grommela-t-il en descendant les larges degrés de l’escalier du Palais-Royal. Puisque c’est ainsi je ne confierai à personne le soin d’assouvir ma vengeance.

 

Seulement Durbec avait moins d’envergure que le grand cardinal, et si celui-ci avait les bras assez longs pour étreindre à la fois tous ses adversaires, le chevalier ne pouvait songer qu’à Castel-Rajac. Mme de Chevreuse était trop grande dame pour qu’il osât s’attaquer à elle. Quant au signor Capeloni, il avait disparu.

 

Il prit pension dans une auberge qu’il connaissait bien, et décida de s’y établir quelque temps, afin de voir venir les événements.

 

En guise de représailles, le cardinal se contenta de prier la duchesse de s’éloigner de nouveau de la cour, qu’elle s’était empressée de rallier dès son retour de Gascogne, autant pour revoir son illustre amie que pour lui donner des nouvelles de l’enfant confié à sa garde.

 

La reine avait donc appris comment son fils, adopté par un gentilhomme aussi brave que loyal, serait élevé par ses soins et sous son nom.

 

Avant que le ministre ait pris la décision d’exiler une fois de plus Marie de Rohan, elle avait eu le temps de causer longuement avec Anne d’Autriche, et de lui prodiguer les plus judicieux conseils.

 

– Madame, lui dit-elle, alors que les deux femmes, dans le cabinet de la reine, causaient familièrement, tout ce qui s’est passé est bel et bon, mais cet enfant ne pourra régner un jour.

 

– Hélas ! ma mie ! je le sais ! répondit Anne d’Autriche, et c’est bien ce qui me désespère, car mes ennemis disent déjà qu’il serait préférable de me répudier si je ne puis donner d’enfant à la couronne de France.

 

La duchesse s’emporta.

 

– Voilà une plaisante histoire ! Si Sa Majesté voulait bien montrer plus… d’empressement… S’il y a un coupable, ce n’est certainement pas vous !

 

Les deux femmes ne purent retenir un éclat de rire en pensant au poupon resté en Gascogne.

 

– Richelieu me hait, reprit la reine, et serait heureux de me voir en disgrâce

 

Marie de Rohan avait aussi de bonnes raisons pour ne point porter dans son cœur celui qu’on nommait « l’homme rouge. »

 

– C’est un être de ténèbres et d’intrigues…, reprit-elle pensivement. Madame, il faut absolument que vous donniez un héritier au roi

 

– Mais comment, ma chère ? Tu sais que mon époux se targue d’être appelé « le Chaste »…

 

La duchesse eut un petit clin d’œil malicieux.

 

– Bah ! laissez-moi faire… Il faudra bien qu’il cède à la raison d’État !

 

Elle pencha sa jolie tête vers son amie, et, longtemps, les deux jeunes femmes complotèrent

 

*

* *

 

À quelques jours de là, une grande chasse fut décidée dans la forêt de Saint-Germain.

 

Louis XIII était un passionné de ce divertissement. Toute la cour s’y rendit, et bien entendu, Anne d’Autriche, accompagnée de Mme de Chevreuse.

 

Toutes les deux montaient merveilleusement à cheval. La chasse déroula ses péripéties habituelles jusqu’au soir. Louis XIII, habituellement triste et perpétuellement ennuyé, se dérida et fut d’une humeur charmante toute la journée.

 

Lorsque le soir tomba, il se trouva isolé du gros de la troupe, dans un sentier écarté, avec M. de Senlis comme seul compagnon.

 

– Ma foi ! Monsieur, dit le roi en piquant des deux, j’ai l’impression que nous voici égarés.

 

– Et la nuit tombe, ce qui ne facilitera pas notre chemin, reprit M. de Senlis.

 

– Entendez-vous des sonneries de trompe ?

 

– Nullement, Majesté. Mais ce que je vois fort bien, ce sont de gros nuages noirs qui nous font présager un orage.

 

– Vous avez raison, palsambleu ! Pressons le pas, sinon, nous risquons d’être pris dans la tempête.

 

M. de Senlis jeta un regard vers les nuées qui accouraient de toutes parts, formant un épais rideau sombre, et un sourire malicieux souleva sa fine moustache.

 

– Par la barbe du Père Éternel ! murmura-t-il, si nous étions de connivence avec le Ciel, celui-ci ne pourrait se montrer plus propice !

 

Ils galopèrent un moment en silence. Mais toujours les arbres, les buissons… et le grand silence forestier.

 

– Allons ! fit le roi avec découragement, je crois qu’il nous faudra coucher ici !

 

– Attendez donc, Majesté… fit tout à coup Senlis, feignant de se reconnaître soudain. Il me semble que… mais oui

 

– Que voulez-vous dire, Monsieur ?

 

– Si mes souvenirs sont exacts. Sire, nous nous trouvons tout près d’un pavillon de chasse, où du moins, nous pourrons nous reposer un peu et laisser passer l’orage

 

– Ce serait parfait ! s’écria Louis. Où est donc ce bienheureux pavillon ?

 

La nuit était venue, complètement, et noire comme de l’encre.

 

– Il me semble que nous devons suivre ce chemin, Sire, et aussitôt passé le tournant, nous l’apercevrons, si toutefois le diable ne nous jette pas de la poix dans les yeux.

 

– Allons !

 

Ils se remirent en route. Dès le tournant franchi, une masse sombre se profila. Une lueur brillait à travers les vitres d’une fenêtre.

 

– Tiens ! s’écria Sentis, feignant l’étonnement. Je crois que quelqu’un s’est trouvé dans notre cas !

 

– Espérons que le premier occupant voudra bien nous donner l’hospitalité.

 

Senlis sauta à bas de son cheval et heurta l’huis du pommeau de son épée.

 

– Qui est là ? dit une voix de femme.

 

– Le Roi !

 

La porte s’ouvrit aussitôt, et la figure spirituelle de Marie de Rohan parut.

 

– Quoi, Madame la duchesse, c’est vous qui aviez choisi ce refuge ? s’écria Senlis.

 

– Je ne suis pas seule, monsieur le comte ! Sa Majesté est avec moi…

 

Anne d’Autriche parut à son tour.

 

– Madame, dit Senlis en s’inclinant profondément, Sa Majesté s’est égarée dans le bois avec moi, et fuyant l’orage, nous sommes venus jusqu’ici…

 

– Soyez les bienvenus ! dit gracieusement la reine. Nous allions précisément souper. Marie et moi… Voulez-vous partager notre modeste repas ?

 

Le dîner était délicat, la chère abondante et choisie, les vins généreux. Louis XIII, affamé par la longue course fournie, but et mangea avec l’entrain d’un vieux routier. Senlis et Mme de Chevreuse furent étincelants d’esprit. Anne d’Autriche leur donna la réplique. Ce fut un souper fin comme le roi n’en avait pas encore connu. Lui-même se sentait tout autre, dans cette atmosphère légère et pétillante comme le vin qu’on lui servait généreusement. Un grand feu de bois flambait dans la cheminée. Dehors, de larges gouttes de pluie claquaient sur le toit moussu

 

Cependant, l’heure s’avançait. Au loin, les grondements de l’orage s’éloignaient. Senlis se leva.

 

– Sire, dit-il en s’inclinant, permettez-moi maintenant de prendre congé.

 

–  ! quoi ! Senlis, vous ne restez pas ? Vous allez vous perdre, mon pauvre ami !

 

Un imperceptible sourire erra sur ses lèvres.

 

– Ma bonne étoile me guidera. Sire ! Mais je dois avertir au château que vous avez trouvé refuge ici, avec Sa Majesté, sinon, on s’inquiétera

 

Marie de Rohan s’inclina à son tour.

 

– Que Vos Majestés me donnent le même congéJe regagne aussi Saint-Germain

 

– Madame, dit le roi, je ne peux autoriser ce départ, la nuit, par ce temps exécrableAttendez le jour ici…

 

Une lueur espiègle fit briller les yeux de la belle duchesse.

 

– Que Votre Majesté me pardonne ! Mais comme il n’y a céans qu’une seule couche

 

Une rougeur soudaine parut sur les joues de Louis XIII tandis qu’un vif embarras se peignait sur son visage. Mais Marie ne lui laissa pas le temps de réfléchir.

 

– Je suis infiniment reconnaissante à Votre Majesté de sa sollicitudeMais sous la protection de M. de Senlis, je ne risquerai rien…

 

– Allez donc, et que Dieu vous garde ! soupira le roi, peut-être moins fâché qu’il voulait le laisser paraître de ce tête-à-tête forcé.

 

La duchesse et le comte de Senlis remontèrent à cheval. Puis la porte du pavillon se referma sur le couple royal

 

Les deux cavaliers piquèrent des deux malgré l’obscurité. Ce fut sans une hésitation que le gentilhomme s’orienta et se dirigea vers le château où la Cour avait élu domicile.

 

Lorsqu’ils furent en vue de la splendide terrasse qui domine toute la vallée de la Seine, ils ralentirent le train. La duchesse de Chevreuse se tourna vers son compagnon.

 

– Monsieur de Senlis, dit-elle, vous avez accompli votre rôle à la perfection. La reconnaissance de la reine et la mienne vous sont acquises

 

– Ah ! Madame ! fit-il en se rapprochant de la jeune femme, serez-vous cette nuit plus cruelle que Sa Majesté pour notre Roi ?

 

Marie éclata de rire.

 

– Doucement, monsieur le comte ! La question de la postérité royale n’est pas en jeu entre nous, que je sache ! Nous en reparlerons

 

Mais l’ordre du cardinal-ministre parvint à la duchesse de Chevreuse avant qu’elle ait eu le temps d’entamer un autre entretien à ce sujet avec son galant complice. Elle dut regagner ses terres, maudissant une fois de plus l’omnipotence de Richelieu.

 

Neuf mois plus tard, le héraut royal annonçait la naissance d’un enfant du sexe masculin du nom de Louis, et surnommé « Dieudonné » tant l’impatience et le désir de sa venue furent grands.

 

Depuis quelque temps déjà, M. de Senlis avait obtenu un brevet de colonel dans la garde royale, à l’instigation de la reine Anne d’Autriche


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