Arthur Bernède
L'homme au masque de fer

DEUXIÈME PARTIE L’ÉPOPÉE DE LA HAINE

CHAPITRE III UN ENVOYÉ DU CARDINAL

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CHAPITRE III

UN ENVOYÉ DU CARDINAL

Une fois Durbec fixé sur le gîte où s’étaient réfugiés le gentilhomme gascon et son fils adoptif, il fit demi-tour, n’ayant plus rien à faire dans les Pyrénées.

 

Tout en ruminant ses projets de vengeance, il brûlait les étapes et avalait les lieues, n’accordant à son cheval et à lui-même que le temps strictement indispensable au repos.

 

Un fer perdu par son cheval, et une légère boiterie qui en résulta le retarda un peu. Enfin, un beau matin, il franchit la barrière d’Enfer, et se trouva dans la capitale.

 

Onze heures sonnaient à Saint-Germain-lAuxerrois, lorsqu’il demanda à être introduit auprès du premier ministre.

 

Hélas ! cette entrevue, comme les deux précédentes, ne devait lui réserver que des désillusions. Richelieu accueillit avec une satisfaction évidente les renseignements qu’il lui communiqua, mais ne manifesta en aucune façon l’intention de s’approprier l’enfant de la reine ou même d’intervenir d’une façon quelconque dans les affaires du Gascon.

 

Durbec, dépité, insinua quelques perfidies contre Castel-Rajac, tentant un ultime effort pour dresser contre lui la colère du prélat. Mais ce fut en vain. Bien au contraire, le ministre fronça les sourcils et le congédia sèchement.

 

Le chevalier sortit, en proie à une colère qui, pour être cachée, n’en était pas moins violente, et jura de se venger. Il n’avait que trop tardé à agir par lui-même.

 

Richelieu connaissait trop les hommes et le secret des âmes pour que la haine de celui qu’il employait lui échappât.

 

Dès que la porte se fut refermée sur son espion, le cardinal se plongea dans une profonde méditation.

 

Enfin, au bout d’un moment, il allongea sa main vers un cordon de sonnette. Un officier parut.

 

– Prévenez M. de Navailles que j’ai à lui parler immédiatement ! ordonna-t-il.

 

Quelques instants plus tard, le marquis de Navailles faisait son entrée.

 

C’était un des fidèles de Richelieu. Mais en même temps, c’était un des plus loyaux gentilshommes du royaume de France.

 

Il s’inclina profondément devant le cardinal et attendit ses ordres.

 

– Monsieur de Navailles, dit Richelieu, je connais vos mérites, et je veux aujourdhui vous donner une preuve de confiance en vous chargeant d’une mission délicate entre toutes.

 

Navailles, un grand et fier gaillard, aux moustaches conquérantes et aux yeux gris d’acier, répliqua :

 

– Votre Éminence peut croire que je lui en suis profondément reconnaissant, et que je m’efforcerai d’accomplir de mon mieux ce qu’Elle daignera m’ordonner de faire…

 

– Avant, reprit Richelieu, qui se caressait le menton dans un geste machinal, je dois vous donner quelques mots d’explication préliminaire

 

« Il existe dans les Pyrénées un petit village, du nom de Bidarray. C’est là que vous allez vous rendre… »

 

Navailles réprima un geste de surprise, mais ne dit rien.

 

– Dans ce village, continua le ministre, vit un jeune enfant, avec son père, le chevalier Gaëtan de Castel-Rajac, et deux autres gentilshommes : MM. d’Assignac et de Laparède… J’ai des raisons spéciales et très graves pour m’intéresser à ce bambin, et par contre-coup, au chevalier de Castel-Rajac. Il se pourrait qu’ils soient en butte à des attaques sournoises d’adversaires qu’ils ne soupçonnent pas… Vous allez donc, comme je vous l’ai déjà dit, partir pour ce village. Votre mission consistera à veiller sur la sécurité de ces deux personnes. Je ne veux pas qu’aucun mal leur arrive. Vous m’avez compris ?

 

Le marquis de Navailles s’inclina jusqu’à terre.

 

– J’ai compris, ÉminenceAucun mal ne leur arrivera.

 

– Merci, monsieur. Je sais que je peux compter sur vous.

 

– Jusqu’à la mort, Éminence !

 

– Allez, monsieur… Je vous remercie

 

Le gentilhomme se retira, laissant Richelieu à ses réflexions.

 

Les révélations de Durbec ne faisaient que confirmer le cardinal dans la supposition que Mazarin était bien le père légitime de cet enfant.

 

Richelieu, bien que décidé à faire surveiller attentivement Castel-Rajac et son pupille, avait résolu, en même temps, que cette surveillance serait une protection contre certaines manœuvres occultes qu’il ne soupçonnait que trop.

 

En effet, Durbec, après son entrevue avec le cardinal, n’avait rien eu de plus pressé que de réenfourcher son cheval et de reprendre la route des Pyrénées.

 

Il était persuadé que le grand air lui porterait conseil, et qu’en route, il trouverait un plan pour se venger enfin de celui qu’il haïssait.

 

Un soir, comme il arrivait à l’auberge des Quatre-Frères, non loin de Bordeaux, il remarqua un cavalier d’élégante tournure qui mettait lui-même pied à terre devant l’auberge.

 

Lorsqu’il entra dans la grande salle, le cavalier était déjà installé devant une table, un pichet de vin du Bordelais devant lui, attendant paisiblement son dîner. Il se présentait de telle façon que Durbec ne put que très mal distinguer son visage, mais il lui sembla que cette silhouette lui était familière.

 

Ce voyageur n’était autre que le marquis de Navailles, qui se rendait à son poste, suivant les ordres reçus.

 

Mais si Durbec avait remarqué ce client sans pouvoir définir sa personnalité, Navailles, lui, n’avait pas hésité un instant :

 

– Morbleu ! pensa Navailles, intrigué, que vient-il faire dans ce pays, cet oiseau-là ? Aurait-il reçu une mission similaire ?

 

Mais à peine cette idée lui eut-elle traversé l’esprit qu’il la rejeta.

 

– Non ! non ! C’est impossible. Son Éminence m’a parlé « d’une mission d’honneur »… Il ne peut l’avoir confiée à ce traître !

 

Comme corollaire, une réflexion vint tout de suite se greffer sur sa première idée.

 

– Mais alors, s’il n’est pas en mission pour le cardinal, que vient-il donc faire par ici ?

 

Navailles avait l’esprit prompt. Il ne tarda pas à se souvenir de l’algarade qui avait mis aux prises, au château de Montgiron, les gardes de Richelieu et le chevalier gascon, pendant laquelle Durbec avait été blessé par Castel-Rajac en personne.

 

– Tienstienstiens ! fit lentement le marquis. Ceci m’ouvrirait de nouveaux horizonsPeut-être Son Éminence n’a-t-elle pas eu tort en supposant que la sécurité de ce gentilhomme et de son fils est assez gravement compromise. Car je crois cet individu capable de tout !

 

Lorsque Durbec descendit le lendemain matin, après une excellente nuit, et prêt à reprendre la route, il ne revit point l’inconnu qu’il avait remarqué la veille au soir. D’ailleurs, son souvenir même lui était passé de la tête.

 

Navailles après les soupçons qui l’avaient assailli la veille, n’avait pas attendu le réveil du chevalier pour prendre le large.

 

Aussi, dès l’aube, il avait fait seller son cheval et était parti au galop, espérant gagner une assez grande avance pour arriver à destination sans être rejoint par Durbec.

 

Il se rendait compte qu’il avait sur lui un avantage appréciable : il connaissait sa présence, et peut-être le but de son voyage, tandis que Durbec, lui, ignorait jusqu’à la mission dont Navailles était chargé.

 

Mais le marquis était trop rusé pour se présenter armé de pied en cap dans ce petit village. À la ville voisine, il laissa son cheval, acheta des habits modestes, et, vêtu comme un marchand, arriva à Bidarray.

 

On l’accueillit sans méfiance. Il en passait tellement ! Sans hésiter, Navailles se rendit au presbytère. C’était une vieille maisonvivait un brave curé presque aussi âgé qu’elle.

 

Sous couleur de lui proposer une pièce de drap et des almanachs, il réussit à le voir, et là, il lui révéla sa qualité, et pour quelle raison il était céans.

 

– Monsieur le curé, conclut-il, vous savez tout. Il me faut un gîte. Puis-je compter sur vous pour me l’accorder ?

 

– Mon cher enfant, répondit le vieux prêtre, il y a toujours eu ici une place pour le pauvre et l’errant. À plus forte raison lorsqu’il s’agit du service de Son Éminence le cardinal. Tout ce que j’ai ici est à vous, vous êtes chez vous !

 

Le bruit courut au village que le marchand était un vague neveu au curé de Bidarray. Il était naturel qu’il réside chez son parent quelque temps, après avoir pris la peine de monter jusqu’en ce pays perdu !

 

Tandis que ce petit complot s’arrangeait au presbytère, là-haut, à la gentilhommière, les trois Gascons et leur pupille filaient des jours sans histoire.

 

Marie de Chevreuse avait été s’établir dans le village voisin, et partageait son temps entre cette résidence champêtre et le logis où des amis fidèles l’hébergeaient, à Pau. Dès qu’elle était à la montagne, un petit berger partait vers Bidarray et remettait un message au chevalier gascon… Alors, le soir, à la brune, celui-ci se glissait jusqu’à l’humble demeure où la grande dame consentait à demeurer quelques jours pour l’amour de lui…

 

Puis, après trois ou quatre rencontres, et pour ne pas éveiller les soupçons, la duchesse retournait à Pau.

 

De la sorte, chacun était parfaitement heureux, et leur vie n’aurait été marquée par aucun événement, si la haine n’avait entrepris de démolir ce bonheur tranquille.

 

Durbec était arrivé lui aussi à Bidarray. Il n’avait pas eu besoin de se travestir pour donner le change, son allure le rendait semblable aux petits bourgeois des environs.

 

D’ailleurs, il menait la vie la plus discrète qui fût, ne sortant qu’à la nuit de la maison isolée où il avait trouvé gîte, afin de rôder autour de la gentilhommièrevivait son ennemi.

 

Ce fut ainsi qu’il surprit le manège du courrier, et vit, à différentes reprises, arriver, à toutes jambes, un petit berger, qui entra au château.

 

Il le fila, et ne fut pas long à se convaincre que chaque fois que le petit pâtre venait à Bidarray, Castel-Rajac, à la nuit, enveloppé d’un grand manteau, enfourchait son cheval et partait rejoindre sa bien-aimée à travers les défilés de la montagne.

 

Voilà qui pouvait être d’une grande utilité… Un accident est si vite arrivé, la nuit, dans ces parages !

 

Mais le triste personnage ne pensait point à exécuter lui-même sa sombre besogne. Il savait qu’en cas d’échec, il aurait risqué trop gros, et il entendait bien obtenir satisfaction avec le minimum de risques.

 

Durbec n’était pas un novice dans ces sortes d’expéditions. Il descendit un jour jusqu’à Pau

 

*

* *

 

– Castel-Rajac ! On te demande, mon ami

 

Le gros d’Assignac entra dans la bibliothèque où le Gascon lisait. Celui-ci se leva d’un bond et jeta son livre.

 

– Le berger ?

 

– Oui… fit Hector en clignant malicieusement de l’œil, car les deux compères savaient fort bien ce que signifiait pour leur compagnon l’arrivée du gamin.

 

Gaëtan n’avait même pas entendu la réponse. Il s’était élancé dans le vestibule, où l’enfant l’attendait.

 

– Monseigneur, dit-il, voici une missive pour vous…

 

– Merci ! Tiens ! attrape !

 

Le jeune homme lui lança sa bourse en voltige, que l’autre fit disparaître dans sa veste.

 

Le Gascon fit sauter le cachet, ne remarquant pas, dans sa hâte amoureuse, que celui-ci ne portait pas le sceau habituel de la duchesse

 

La lettre ne contenait que ces mots :

 

« Ce soir ! »

 

Il ne songea pas non plus à s’étonner de la brièveté du message. Il était obsédé par l’idée qu’il allait enfin revoir sa belle maîtresse. Les périodes où elle était absente lui semblaient désespérément longues

 

Lorsque la nuit tomba, Castel-Rajac, après avoir hâtivement avalé quelques bouchées, fit seller son cheval et se dirigea vers le petit bourg de Saint-Martin d’Arrossa, où était descendue Marie de Rohan.

 

Le chemin était assez difficile, car le sentier côtoyait par instants de profonds précipices.

 

Il en aurait fallu davantage pour faire reculer l’intrépide chevalier ! Il en avait suffisamment vu pour ne point redouter les embûches que pouvait réserver la montagne nocturne.

 

Cependant, cette fois-ci, il devait être à deux doigts d’y laisser sa vie

 

Il venait de perdre Bidarray de vue, et il suivait l’étroit chemin qui reliait les deux villages, sifflotant avec insouciance, laissant flotter les brides du cheval, tout à son rêve que berçait encore une nuit idéale de pleine lune.

 

Soudain, d’une anfractuosité de roc, des hommes jaillirent.

 

Ce fut tellement inattendu que la monture du chevalier fit un brusque écart, et sans la poigne solide de celui qui le montait, ils roulaient tous les deux dans le gouffre.

 

– Capédédiou, mes drôles ! cria Castel-Rajac, mettant flamberge au poing, voilà une façon peu civile de souhaiter le bonsoir au voyageur !

 

Mais sans lui répondre, un grand escogriffe, qui semblait avoir pris la tête de l’attaque, s’écria, tourné vers les aigrefins :

 

– Sus ! Sus ! Jetez-le dans le vallon !

 

– Ouais ! ricana Gaëtan, faisant faire une demi-volte à son cheval, et s’adossant à la muraille rocheuse pour éviter d’être cerné. Vous pouvez toujours essayer, mais je doute que vous réussissiez !

 

– Malepeste ! hurla le grand diable, par mon nom de La Rapière, je veux le perdre si je n’ai pas tes os !

 

– Ho ! ho ! riposta le Gascon sans s’émouvoir. Voilà une outrecuidante prétention, mon ami ! J’ai grand peur que tu ne perdes ton élégant sobriquet, et peut-être même quelque chose de beaucoup plus précieux !

 

Ce disant, il allongea prestement le bras, et son épée alla trouer l’épaule du truand, qui poussa un hurlement de douleur et de rage.

 

Ce fut le signal de l’attaque.

 

Gaëtan, arc-bouté contre la paroi montagneuse, fit face à ses adversaires. Par deux fois, son épée rencontra un obstacle humain. Un des vide-goussets alla rouler dans l’abîme avec un grand cri. Un autre s’affaissa, la gorge traversée.

 

Ces deux disparitions, loin de ralentir l’audace des autres, les jetèrent en vociférant vers leur adversaire.

 

L’éclair bleu des lames rayait la nuit de rayons fulgurants, et le cliquetis de l’acier se répercutait au loin dans la vallée, éveillant d’étranges échos

 

– En avant ! hurlait La Rapière, qui, bien que blessé, payait de sa personne.

 

– Mordiou ! grommela le Gascon en parant un coup d’épée et en attaquant aussitôt un adversaire plus entreprenant. Il faut que la récompense soit de taille pour leur inspirer un tel courage ! Serait-ce à Monsieur le Cardinal que je suis redevable de cette gracieuse attention ?

 

Il aurait pu le croire, car la qualité des ferrailleurs et leur nombre pouvaient en effet donner à penser que le prix payé était rondelet.

 

Castel-Rajac était un escrimeur hors ligne. Cependant, il devenait impossible de faire face à toute cette racaille. Ils étaient au moins douze contre lui.

 

– Sangdiou ! s’écria-t-il en éclatant de rire, je vois que Son Éminence ne mésestime pas mon courage ! Douze hommes pour me mettre à la raison ! Bravo !

 

– N’accusez pas Son Éminence ! répondit une voix forte, qui semblait jaillir des ténèbres. Ce n’est pas Monsieur de Richelieu qui vous a fait tomber dans ce lâche guet-apens, chevalier ! En garde, toi, là, sacripant, ou je te transperce !

 

Et, rapide comme la pensée, l’épée du marquis de Navailles, car c’était lui, pourfendait le premier misérable rencontré sur son chemin.

 

– Et d’un ! Courage, monsieur de Castel-Rajac ! Nous aurons raison de ces coquins !

 

– Sangdiou ! monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, mais ce dont je suis sûr c’est que j’ai affaire à un brave gentilhomme !

 

– Vous ne vous trompez pas, monsieur, répondit le nouveau venu en ferraillant comme un enragé. Je me nomme le marquis Gustave de Navailles.

 

– Capédédiou ! monsieur ! riposta le Gascon sans cesser de parer et d’attaquer furieusement. Voici un nom dont je me souviendrai, et j’espère pouvoir vous prouver ma reconnaissance, si cette graine de galère nous en donne loisir !

 

– Je m’en voudrais de laisser périr un aussi brave cavalier que vous ! Nous mourrons ensemble ou nous vaincrons ensemble, chevalier !

 

– Voilà qui est parlé !  ! toi ! Ton compte est réglé !

 

Tout en parlant, il avait transpercé un autre coquin. Mais lui-même venait de recevoir un coup d’épée dans le bras gauche.

 

– Peuh ! ricana-t-il. Une égratignure ! Canailles, nous allons vous découper en lanières !

 

Sur cette hardie gasconnade, il se lança plus audacieusement que jamais au milieu de la mêlée. Son compagnon faisait merveille de son côté, tant et si bien que, malgré les promesses reçues et le coquet acompte déjà touché, les tire-laine finirent par s’enfuir sans demander leur reste, trouvant la besogne trop ardue.

 

Ils s’évanouirent dans les ténèbres tandis que les deux hommes se serraient énergiquement la main.

 

– Monsieur le marquis ! s’écria Castel-Rajac, sans vous, je ne sais trop comment cette aventure-là aurait tourné ! Ils avaient le nombre pour eux !

 

– Oui, sourit Navailles, mais nous avions la valeur pour nous !

 

Ils éclatèrent de rire, et se séparèrent. Navailles retournant à Bidarray, et Gaëtan continuant sa route vers Saint-Martin d’Arrossa.

 

Là, une étrange surprise l’attendait. Les volets étaient clos, les lumières éteintes, et à la fenêtre de la chambre qu’occupait ordinairement sa belle, le chevalier ne distingua nulle lueur.

 

Il allait mélancoliquement tourner bride, lorsqu’il vit surgir en courant sur le chemin le petit berger qui regagnait son gîte en galopant à perdre haleine. Il s’arrêta net en reconnaissant le chevalier et voulut faire demi-tour. Mais Castel-Rajac, sautant à bas de son cheval, eut tôt fait de le cueillir par le fond de sa culotte.

 

–  ! toi ! s’écria-t-il, viens donc ici, mon gars, que nous ayons deux mots d’explication !

 

Le gamin baissait le nez.

 

– Madame la duchesse n’est pas ici, n’est-ce pas ?

 

Pas de réponse.

 

Le Gascon tira une pièce d’or de sa bourse, lentement, et la fit miroiter sous les yeux du gamin ébloui.

 

– Tu l’auras si tu réponds ! Dans le cas contraire, tu recevras une volée de bois vert comme jamais tu n’en reçus !

 

Cette menace acheva de décider le berger.

 

– Non, Monseigneur ! pleurnicha-t-il.

 

– En ce cas, qui t’a chargé de porter ce mot ?

 

– Un cavalier. Monseigneur… un cavalier que je ne connais pas… Il m’a offert un écu pour la commissionJ’ai accepté… Je ne savais pas…

 

– Hum ! Je ne suis pas si sûr que cela que ta conscience ne te reproche rien… Enfin ! Voilà ta pièce. Maintenant, ne t’avise plus de me jouer des tours pareils, sinon, je te transforme en pâté !

 

Le garçon se hâta de disparaître derrière un éboulis de rochers. Castel-Rajac, riant encore de son effroi, entendit le bruit des sabots claquant précipitamment sur le sol. Puis tout s’éteignit.

 

Le chevalier remonta à cheval et reprit le chemin de Bidarray, tout songeur. Il était clair que l’agression avait été voulue, préparée… Mais par qui ?

 

– Veillons ! conclut-il.

 

S’il avait été moins préoccupé de combattre et de se défendre, il aurait aperçu, précautionneusement abrité par une roche, un homme drapé dans une ample cape brune. Il vit l’intervention de Navailles, dont le visage était éclairé en plein par la lune. Il l’entendit se nommer au Gascon.

 

– Malédiction ! gronda-t-il, les dents serrées. L’homme de l’auberge ! L’envoyé du cardinal !

 

C’était pour lui la preuve tangible que Richelieu, loin de vouloir poursuivre le père adoptif et l’enfant de sa haine, cherchait au contraire à les protéger.

 

Durbec, malgré la rage qui l’étouffait, comprit qu’il avait tout à perdre et rien à gagner dans une lutte, même occulte, contre le premier ministre. Il regagna Pau par des chemins détournés.

 

Le lendemain matin, il reprenait la route de la capitale, abandonnant ses projets pour l’instant.

 

– Patiencemurmura-t-il. Mon heure sonnera ! Alors…


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