Arthur Bernède
L'homme au masque de fer

LE PRISONNIER DE L’ÎLE SAINTE-MARGUERITE

CHAPITRE V LA RUSE ET LA FORCE

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CHAPITRE V

LA RUSE ET LA FORCE

En quelques enjambées rapides, Castel-Rajac avait rejoint le comte de Laparède qui l’attendait sur la route.

 

Laconiquement, il lui dit :

 

– Notre homme est là, sous la garde de notre ami d’Assignac. Nous ne lui avons rien dit encore, mais il a l’air d’un brave garçon, et je crois que nous allons pouvoir nous entendre avec lui.

 

Prenant son compagnon par le bras, il s’en fut avec lui dans la direction de La Napoule. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à l’entrée du village et pénétrèrent par une petite porte donnant sur une cour obscure et déserte dans une salle basse, enfumée, où une vingtaine d’hommes, qui portaient tous l’uniforme des mousquetaires, étaient rassemblés.

 

À la vue de Castel-Rajac, tous se levèrent, saluant le lieutenant, qui leur répondit avec bienveillance, tout en glissant à l’oreille de Laparède :

 

– On dirait qu’ils sont vrais.

 

– Le fait est, murmura Laparède, que ces braves gens portent aussi bien l’uniforme que s’ils étaient des authentiques mousquetaires.

 

Castel-Rajac, guidé par Laparède, traversa la salle et s’arrêta devant une petite porte que poussa son ami. Il se trouva alors dans une sorte de réduit, occupé par d’Assignac et un second personnage qui n’était autre que Jean Martigues. Celui-ci semblait très troublé et même très effrayé.

 

Lorsqu’il aperçut M. de Castel-Rajac, il devint plus pâle encore et dirigea vers ce dernier un regard qui semblait implorer pitié.

 

– Rassurez-vous, mon ami, s’empressa de déclarer le Gascon, personne ici ne vous veut du mal, au contraire. Si mon ami d’Assignac ne vous a rien dit encore, c’est parce qu’il a préféré me laisser le soin de vous parler.

 

Et, tout en s’asseyant familièrement sur un escabeau en face de l’ancien pêcheur, il lui dit :

 

– Ce n’est pas une raison, parce que, pour vous amener ici, mes amis ont usé envers vous d’un procédé un peu brutal, pour que vous vous figuriez que nous souhaitons votre mort. Nous sommes ici pour assurer votre fortune.

 

– Vous plaisantez, monsieur, articula péniblement Martigues.

 

Le lieutenant aux mousquetaires fronça les sourcils :

 

– Sachez, fit-il d’un ton sévère, que je ne plaisante qu’avec les gens de ma qualité et que je le fais toujours avec esprit.

 

– Excusez-moi, monsieur, supplia le valet de l’homme au masque de fer. Je suis tellement ahuri par ce qui m’arrivePensez donc que, tout à l’heure, profitant d’une permission de la nuit que m’avait donnée M. le gouverneur de l’île Sainte-Marguerite, j’étais venu à terre pour…

 

– Embrasser votre bonne amie

 

– Oui, ouibégaya le pêcheur, pour… pour… c’est cela, monsieur, pour embrasser ma bonne amie, lorsque, tout à coup, dix hommes, que je n’avais point vus, parce qu’ils se cachaient derrière les rochers, se sont précipités sur moi, au moment où je sautais de ma barque, et m’ont amené ici en me menaçant si je poussais seulement un cri, de me faire jaillir les tripes hors du corps. J’en ai encore la chair de poule.

 

– Vous n’êtes donc pas brave ?

 

Naïvement, Martigues répliqua :

 

– Oh ! si, monsieur je suis toujours très brave, quand je sens que je suis le plus fort ! Mais que pouvais-je faire contre dix hommes aussi déterminés et armés de pistolets, d’épées, tandis que, moi, je n’avais que mes poings pour me défendre ?

 

» Ah ! miséricorde, j’ai bien cru que ma dernière heure était venue.

 

– Vous avez eu tort, coupa Castel-Rajac, qui mesurait son interlocuteur d’un regard qui signifiait clairement : « Toi, tu ne vas pas peser lourdement entre mes mains. »

 

Et, tout haut, il reprit :

 

– Maintenant, mon gaillard, à nous deux. J’ai l’habitude d’aller droit au but et de ne pas m’attarder inutilement en détours où l’on risque presque toujours de s’égarer. Voulez-vous gagner cinquante mille livres ?

 

– Cinquante mille livres ! répétait Martigues, en roulant des yeux effarés.

 

Le fond de sa nature honnête et naïve reprenant immédiatement le dessus, il s’écria :

 

– Quel crime allez-vous me demander de commettre contre une pareille somme ?

 

Avec un calme beaucoup plus impressionnant que la menace et la colère, Castel-Rajac se leva et, approchant son visage de celui du pêcheur, il lui dit :

 

– Regarde-moi bien en face et dis-moi, après ça, si j’ai l’air d’un bandit.

 

– Non, répliqua Martigues, vous avez l’air d’un honnête gentilhomme.

 

– Tu as raison de me juger ainsi, car je suis tel.

 

M. d’Assignac qui, avec M. de Laparède, avait assisté à cette scène, se leva à son tour et déclara de sa basse voix chantante :

 

– Et moi, qui le connais depuis toujours, je puis affirmer qu’il est l’officier le plus loyal de France.

 

Le pêcheur, qui n’avait pas besoin de ce témoignage pour accorder toute sa confiance au lieutenant de mousquetaires, reprenait :

 

– Alors, monsieur, si c’est une bonne action que vous me proposez, gardez votre argent pour vous, car, quand on fait le bien, on n’a pas besoin de récompense.

 

– Voilà une réponse qui me plaît, s’écria Gaëtan. Néanmoins, je maintiens mes offres, car, si tu veux bien nous aider à sauver un innocent, à délivrer un malheureux, j’entends que tu n’aies pas à supporter les conséquences d’une bonne action, qui, je ne te le cache pas, pourrait te coûter fort cher. Je veux te donner le moyen d’échapper à ceux qui seraient tentés de te chercher noise et de trouver un abri tranquille et sûr où tu pourras filer le parfait amour avec ta bonne amie.

 

– Ah ! monsieur, je crois deviner, fit le pêcheur. Vous me demandez, n’est-ce pas, que je vous aide à faire évader l’homme au masque de fer ?

 

– Tiens, tiens, s’écria gaiement le Gascon, tu es plus malin que je ne le pensais. Eh bien ! oui, c’est cela ! Sommes-nous d’accord ?

 

– Monsieur, reprit Martigues avec un accent plein de franchise, je ne demanderais pas mieux que de vous aider en cette entreprise, car ce prisonnier, que je suis chargé de servir, m’inspire une profonde pitié, et, chaque fois que je le vois avec ce masque sur la figure, l’envie me prend de le lui arracher ; mais il paraît que c’est impossible et que seul M. de Saint-Mars, le gouverneur, connaît le mécanisme secret qu’il faudrait faire fonctionner pour cela. Et puis, je ne suis qu’un pauvre hère !

 

» Ah ! tenez, il faut que je vous le dise, puisque vous vous intéressez tant à ce malheureux. Depuis un an qu’il est prisonnier à l’île Sainte-Marguerite, il n’avait pas encore desserré les lèvres ; et puis, aujourdhui seulement, il s’est décidé à me dire quelques mots ! Rien qu’au son de sa voix, j’ai compris qu’il était jeune et qu’il devait être aussi bon que brave. Ah ! oui, il m’a parlé ; il m’a même appelé son ami !… Inutile de vous en dire davantage, tout ce que je pourrais faire pour lui, pour vous, je le ferais ! Mais, malheureusement, je le répète, mon aide ne peut pas vous être très efficace et je crains bien que vous ayez eu tort de compter sur moi.

 

Castel-Rajac, d’un ton bref, s’écria :

 

– Qu’en savez-vous ?

 

Martigues eut un signe évasif, mais déjà le Gascon interrogeait :

 

– De combien d’hommes se compose la garnison ?

 

– De vingt hommes !

 

– Ce sont de bons soldats ?

 

– Pas très. On s’ennuie beaucoup à Sainte-Marguerite, et ils n’attendent qu’une occasion de filer, surtout la nuit, et de gagner la terre afin d’y faire ripaille.

 

– Bien. Le gouverneur est-il sévère ?

 

– Très.

 

– Il ne badine pas avec la discipline ?

 

– Chaque fois qu’il prend un de ses hommes en faute, il le met au cachot pour vingt-quatre heures.

 

– De mieux en mieux, ponctua Gaëtan.

 

L’œil étincelant de malice, il continua :

 

– Je suppose que je pénètre avec quelques-uns de mes amis dans le château de Sainte-Marguerite.

 

– Ça, monsieur, c’est impossible.

 

– Impossible, riposta Castel-Rajac, c’est un mot qui n’est pas français, encore moins gascon.

 

» Je suppose donc que, par force ou par ruse, nous pénétrions dans la citadelle en nombre suffisant pour venir à bout de ceux qui l’occupent et que, fidèle à son devoir ainsi qu’il doit l’être, le gouverneur se refuse à me livrer son prisonnier, seriez-vous prêt à m’ouvrir les portes de son cachot ? »

 

Spontanément, le pêcheur répliqua :

 

– Oui, monsieur, si toutefois j’en avais la clef. Cette clef, je dois la remettre chaque soir à M. le gouverneur et j’ignorecelui-ci la cache.

 

– Il faut que tu la prennes, dans le plus bref délai. Tu vas donc retourner au château de Sainte-Marguerite et tu chercheras, par tous les moyens dont tu disposes, à découvrir l’endroit où M. de Saint-Mars serre cette clef. Ou plutôt, non, il me vient une idée lumineuse ; tout à l’heure, en rentrant, tu iras frapper à la chambre du gouverneur et tu lui diras qu’en rentrant au château tu es allé, comme toujours, écouter à la porte du prisonnier, que tu as entendu celui-ci se plaindre et que tu demandes au gouverneur de te donner le moyen de le secourir. Il te remettra la clef, tu la glisseras dans ta poche et tu la garderas jusqu’à ce que j’arrive, ce qui ne saurait tarder.

 

– Monsieur, je ne demande pas mieux de faire tout ce que vous me dites, mais je vous le répète, la citadelle est imprenable.

 

– Pas pour des Gascons !

 

Martigues, entièrement gagné à la cause de l’homme au masque de fer, s’écria :

 

– Ah ! si je pouvais seulement vous baisser le pont-levis et vous faire ouvrir la porte.

 

– Je te sais gré de tes excellentes intentions, déclara Castel-Rajac, mais, sur ce terrain, je n’ai pas besoin de ton concours. Contente-toi de me donner cette clef quand je te la réclamerai. Tu auras tes cinquante mille livres et tu pourras t’en aller filer en sécurité le parfait amour avec ta bonne amie.

 

» En attendant, voici une bourse qui contient vingt pistoles. Arrange-toi pour faire boire les soldats de la citadelleRaconte-leur que tu as fait un héritage et que tu désires le fêter avec eux. Bref, arrange-toi pour que, vers dix heures, ils soient gris à rouler par terre

 

» Allons, va mon gars. Maintenant, un bon conseil : tu ne me parais pas d’une bravoure excessive.

 

– Ah ! ça, monsieur, quand on n’a que sa peau comme fortune, on y tient.

 

– Évidemment, mais, une fois là-bas, ne t’avise pas de revenir sur la promesse que tu m’as faite et, quoi qu’il arrive, ne te laisse pas intimider et surtout ne me trahis pas.

 

Martigues releva la tête :

 

– Monsieur, fit-il, tout à l’heure, vous m’avez dit : « Regarde-moi en face et, après cela, dis-moi si j’ai l’air d’un bandit ? » Eh bien ! à mon tour, fixez-moi bien dans les yeux et dites-moi si j’ai l’air d’un traître ?

 

– Va, mon ami, fit Castel-Rajac, en lui donnant une tape sur l’épaule. Tu auras tes cinquante mille livres, quand je devrais aller couper les cornes et la queue du diable !

 

D’Assignac fit sortir le pêcheur par une porte dérobée, ce qui lui évita de traverser la salle où tous les hommes que Castel-Rajac avait recrutés dans les environs et costumés en mousquetaires continuaient à fumer et à boire du vin blanc. Resté seul avec son ami, Gaëtan lui dit :

 

– Nous avons eu la chance de tomber sur ce brave garçon. Il n’est certes pas doué d’une intelligence supérieure, mais, en tout cas, je suis certain qu’il nous est tout acquis et qu’il fera l’impossible pour me rendre le service que je lui ai demandé.

 

» Maintenant, mon bon Assignac et mon cher Laparède, prenons toutes les dispositions nécessaires.

 

– Nous t’écoutons.

 

– Parle !

 

Castel-Rajac développa :

 

– J’ai renoncé à ma première idée, qui consistait à prendre d’assaut la citadelle et à nous emparer de vive force du prisonnier. Cela, pour deux raisons. La première, c’est que, si décidés soyons-nous de vaincre, nous pouvons très bien subir une défaite, et la seconde est que nous nous mettrions en rébellion ouverte et à main armée contre l’autorité royale. Or je ne tiens ni à me placer dans un aussi mauvais cas, ni à y mettre mes amis, même pour la cause la plus noble et la plus juste.

 

» Tous ces gens que tu as recrutés, mon cher Laparède, et que tu as revêtus des uniformes de mousquetaires que nous avions apportés avec nous, vont donc nous attendre ici et nous servir tout simplement d’escorte jusqu’à la frontière italienne, où il a été convenu que nous conduirions notre cher Henry dès sa libération.

 

» Vous allez vous embarquer avec moi tous les deux et nous allons nous rendre à l’île Sainte-Marguerite.

 

» Hier, j’ai pu me rendre compte de la façon dont nous avions le plus de chances à pénétrer dans la place et cela nécessitera de la part de nous trois un peu de gymnastique ; mais nous avons bon pied, bon œil, bon muscle, bon nerf et surtout bon cœur. Je suis donc tranquille de ce côté, et si, comme je l’espère, notre homme de tout à l’heure exécute fidèlement mes instructions au cours de cette nuit, nous enlèverons Henry au nez de M. le gouverneur.

 

– Très bien, approuva Assignac, qui eût suivi son intrépide ami les yeux fermés jusqu’au bout du monde.

 

– Quand partons-nous ? demanda Laparède, qui professait une égale confiance envers Gaëtan.

 

– Dans une heure, répliqua Castel-Rajac. Il faut donner à notre complice le temps de griser les soldats de la garnison et de se faire remettre la clef du cachot par M. de Saint-Mars.

 

» Maintenant, suivez-moi, j’ai fait préparer par la brave femme qui tient cette auberge un petit souper qui achèvera de nous donner les forces dont nous aurons besoin.

 

– Il pense à tout, s’écria Assignac que la perspective d’une bonne chère, même relative, achevait d’épanouir.

 

Tous trois escaladèrent un escalier en forme d’échelle qui donnait au premier étage et disparurent par une porte qui se referma lourdement sur eux.

 

*

* *

 

Une heure après, une barque, pilotée par Castel-Rajac s’arrêtait dans une petite crique de l’île Sainte-Marguerite, presque au pied du château.

 

Après avoir abattu la voile et jeté l’ancre, il s’élança sur un rocher, suivi par ses deux compagnons habituels, qui avaient peut-être moins le pied marin que lui, mais n’en faisaient pas moins bonne figure sous les défroques de matelot qu’ils avaient endossées, ainsi que leur chef de file.

 

Favorisés par une nuit obscure, ils parvinrent à se faufiler jusqu’au pied du mur d’enceinte de la citadelle.

 

Castel-Rajac avait dresser un plan très net, très défini, car ce fut sans la moindre hésitation qu’il se dirigea vers un des saillants du fort que surplombait une plate-forme supportant un vieux canon de marine.

 

Cette plate-forme, protégée par des créneaux à mâchicoulis, se trouvait située à environ cinq mètres du roc.

 

Une fois en bas, Gaëtan s’empara d’une besace que d’Assignac portait sur le dos ; il l’ouvrit et en retira une corde à nœuds dont il enroula une des extrémités autour de son poignet ; puis il dit, toujours à d’Assignac :

 

– Mets-toi là, contre la muraille, et toi, Laparède, grimpe-lui sur les épaules.

 

Tous deux s’exécutèrent aussitôt. Avec la souplesse et l’agilité d’un acrobate professionnel, Gaëtan parvint à s’installer à son tour sur les épaules de Laparède. Sa tête dépassait le parapet, sur lequel il appuya ses deux mains, et, d’un seul bond, il se trouva sur la plate-forme auprès du canon, à la bouche duquel il assujettit solidement la corde à nœuds qu’il traînait après lui.

 

Tour à tour, Laparède et Assignac firent l’ascension de la corde et rejoignirent leur ami, qui leur dit à voix basse :

 

– Maintenant, il s’agit de s’orienter. Mais n’allons pas trop vite et flairons d’abord le vent. Surtout, imitez-moi dans tous les gestes et mouvements que je vais faire.

 

Il s’agenouilla et se mit à ramper le long du parapet dans la direction de la forteresse, qui élevait sa masse sombre à deux portées de fusil de là.

 

Arrivé au sommet de l’escalier de pierre qui donnait accès dans une première cour défendue par une muraille assez élevée et au milieu de laquelle se dressait la grille d’un portail d’une solidité qui semblait à toute épreuve, Castel-Rajac s’arrêta.

 

Dominant la muraille, il pouvait se rendre compte de tout ce qui se passait à l’intérieur de la cour. Tout d’abord, il ne vit rien, il n’entendit rien. Un calme absolu semblait régner à l’intérieur du château. Aucune lumière n’apparaissait derrière les fenêtres.

 

De même que lors de son équipée de Montgiron, le chevalier Gaëtan eut l’impression qu’il se trouvait aux abords d’un nouveau château de la Belle au bois dormant. Déjà, il songeait au moyen d’escalader ce nouvel obstacle qu’il n’avait pas été sans prévoir. Il n’y en avait qu’un seul, c’était de recommencer la même opération qu’il avait faite pour escalader l’enceinte de la citadelle.

 

Toujours à quatre pattes, et naturellement suivi de ses deux fidèles associés, il se mit à descendre l’escalier qui aboutissait à la grande porte grillée.

 

Comme il atteignait la dernière marche, il s’arrêta subitement. Il avait cru entendre, dans la cour, un léger bruit. Tapi dans l’ombre, il demeura immobile ainsi que ses camarades. Comme le bruit s’élevait de nouveau, plus rapproché, il saisit la poignée d’un coutelas qu’il portait accroché à sa ceinture, se préparant à supprimer, s’il en était besoin, l’indiscret qui avait le singulier aplomb de se mêler de ses affaires et la malencontreuse idée de venir se jeter dans ses jambes, ou plutôt dans ses bras.

 

Le regard tendu, l’oreille aux aguets, il vit bientôt une ombre s’approcher de la grille. Son cœur eut un joyeux battement. Le Gascon venait de reconnaître la silhouette de Jean Martigues. Il le laissa tranquillement ouvrir la porte à l’aide d’une clef énorme avec laquelle on aurait pu aisément assommer un bœuf, et, toujours sur les genoux, il s’avança vers lui, après avoir fait signe à ses amis de demeurer sur place.

 

Martigues, en apercevant cet homme qui rampait dans sa direction, eut un mouvement d’hésitation. Instantanément, Castel-Rajac se releva et lui dit simplement :

 

– Avez-vous la clef du cachot ?

 

Le pêcheur, l’air consterné, baissa la tête en disant :

 

– Non, je ne l’ai pas !

 

D’un geste brusque, Gaëtan le saisit par le revers de son veston.

 

Un mot lui échappa :

 

– Animal !

 

– Ne m’en voulez pas, murmura le pauvre diable, M. le gouverneur a voulu lui-même porter secours à M. l’homme au masque de fer et il est en ce moment avec lui dans son cachot.

 

– Mordious ! grommela le Gascon, en frappant du pied le sol.

 

Tout en dévisageant l’ancien pêcheur d’un air courroucé, il fit :

 

– Et les soldats ?

 

– Ah ! ceux-là, monsieur, ils ne vous gêneront pas beaucoup, car ils sont tous soûls comme des bourriques.

 

– Allons, ça va un peu mieux, respira Gaëtan.

 

Et, après avoir appelé ses amis qui n’avaient pas bougé de place et s’empressèrent de le rejoindre, de l’air décidé d’un homme qui vient de prendre une résolution dont rien ne pourrait le faire démordre, il dit à Martigues, qui n’avait plus un poil de sec :

 

– Maintenant, conduis-moi jusqu’au cachot du prisonnier.

 

– Mais, hésita le brave garçon, je viens de vous dire, monsieur, que M. le gouverneur s’y trouvait.

 

– Eh bien ! tant mieux.

 

– Mon Dieu, mon Dieu, gémit Martigues, pourvu qu’il ne vous arrive pas malheur !

 

– Ton gouverneur est donc si terrible que cela ?

 

– Ce n’est pas un méchant homme… mais…

 

– Allons, conduis-moi, ordonna le Gascon sur un ton qui n’admettait pas de réplique.

 

L’ancien pêcheur ne se le fit pas répéter une troisième fois.

 

– Suivez-moi, messieurs, fit-il.

 

Les trois Gascons emboîtèrent aussitôt le pas au valet, qui, après les avoir fait pénétrer à l’intérieur de la citadelle, les fit entrer dans un couloir obscur et désert où s’amorçait l’escalier qui conduisait aux cachots.

 

Castel-Rajac et ses amis aperçurent bien, dans la pénombre, ça et là, quelques corps étendus à terre. Ils ne s’en inquiétèrent point, car c’étaient ceux des soldats que leur guide avait copieusement grisés. Derrière lui, ils gravirent les marches et arrivèrent dans un autre couloir sur lequel donnaient plusieurs cachots.

 

Sans s’être donné le mot, ils se mirent à marcher sur la pointe des pieds, jusqu’au momentMartigues s’arrêta devant la porte de la cellule où était enfermé le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche.

 

Un rai de lumière filtrait sous le vantail inférieur. Éclairé par le falot suspendu au centre du corridor, Martigues se retourna vers Gaëtan, lui demandant, d’un coup d’œil expressif, ce que maintenant il fallait faire.

 

Castel-Rajac, que rien ne semblait embarrasser, frappa lui-même un coup contre la porte.

 

– Qui va là ? fit la voix du gouverneur.

 

– Service du roi, répondit imperturbablement le lieutenant aux mousquetaires.

 

M. de Saint-Mars eut un sursaut de surprise. Comme il ne pouvait supposer un seul instant la vérité, d’autant plus qu’à plusieurs reprises il lui était arrivé d’être alerté en pleine nuit par des courriers chargés de venir inspecter la forteresse, M. de Saint-Mars s’en fut aussitôt ouvrir la porte. Un cri lui échappa.

 

Sous une poussée formidable, il se sentit projeté jusqu’au fond de la pièce.

 

C’était Castel-Rajac qui avait bondi sur lui et lui disait :

 

– Monsieur le gouverneur, je vous avertis qu’il est inutile de chercher à vous défendre et d’appeler vos hommes à votre secours. Pas un seul ne vous répondrait. Ils sont tous gris comme des Polonais

 

Tandis que Laparède tenait en respect le gouverneur et que d’Assignac, telle une statue vivante, bouchait littéralement la porte de sa haute stature, Castel-Rajac se précipitait vers Henry qui, frémissant sous son masque d’acier, tendait vers lui ses bras, en criant :

 

– Mon père, mon père !

 

– Oui, mon fils, c’est moi, fit simplement le héros gascon.

 

Et il ajouta, avec sa verve habituelle :

 

– J’espère que je vais pouvoir te débarrasser promptement de ce saladier qui te cache la figure et que je vais pouvoir t’embrasser sur les deux joues. Mais, auparavant, j’ai quelques mots à dire à M. le gouverneur.

 

– Et moi, monsieur, répliqua M. de Saint-Mars avec dignité, je n’en ai qu’un seul. Je vous prie seulement d’ordonner à votre ami, qui me tient sous la menace de son pistolet, de me remettre immédiatement son arme, afin que je puisse immédiatement me brûler la cervelle.

 

– Qu’est-ce à dire, monsieur le gouverneur ? s’exclama Gaëtan.

 

– Monsieur, répliqua M. de Saint-Mars, vous venez m’enlever un prisonnier que j’avais juré sur l’honneur de garder toujours devers moi. Je suis gentilhomme, un gentilhomme n’a pas le droit de forfaire au serment qu’il a fait à son roi.

 

Cette vigoureuse apostrophe parut produire sur l’être chevaleresque entre tous qu’était Castel-Rajac une impression profonde.

 

– Monsieur le gouverneur, fit-il, je ne vous cacherai pas que le langage que vous venez de me tenir n’est pas sans me troubler. Et croyez que je serais désolé d’avoir votre mort sur la conscience. Mais, moi aussi, j’ai fait un serment, pas au roi, mais presque… oui… le serment de défendre ce jeune homme, victime de la plus effroyable des injustices. Ce serment, je l’ai toujours tenu et j’entends le tenir jusqu’au bout ! Mais peut-être existe-t-il un moyen d’arranger les choses ? Je vous assure que je ne demanderais pas mieux, mon cher gouverneur.

 

– Non, c’est impossible !

 

– Veuillez me suivre jusqu’auprès de cette fenêtre, insista le Gascon, car ce que j’ai à vous dire ne peut être entendu que de nous deux.

 

M. de Saint-Mars répondit :

 

– Soit !

 

Et il s’en fut rejoindre Castel-Rajac qui lui fit à l’oreille :

 

– Vous connaissez, monsieur le gouverneur, les raisons pour lesquelles le jeune homme a été condamné à la détention perpétuelle et à porter jusqu’à la fin de ses jours ce masque sur son visage.

 

– Oui, monsieur, répondit sans hésiter M. de Saint-Mars.

 

– Ne trouvez-vous pas que les gens qui ont ordonné un pareil supplice ont commis une infamie et que ceux qui s’en sont faits les complices se sont rendus coupables d’une lâcheté ?

 

– Monsieur, blêmit le gouverneur.

 

– Rentrez en vous-même, interrogez votre conscience, elle vous répondra que j’ai raison, et ne me parlez plus de serment que vous avez fait au roi, car cet argument, pour moi, n’est pas valable.

 

» Le roi, je crois le connaître assez, puisque je suis lieutenant à son régiment de mousquetaires, le roi est incapable d’avoir donné un pareil ordre. C’est son nouveau ministre, ce Colbert qui, pour faire du zèle, a consommé ce véritable crime et bien à tort, monsieur le gouverneur, car si je crois bien connaître le roi Louis XIV, je connais encore mieux son frère, puisque j’ai eu l’honneur et le bonheur d’être son père adoptif et que je l’ai élevé à l’ombre de mon honneur et de ma tendresse.

 

» Eh bien ! questionnez-le vous-même. Demandez-lui s’il a l’intention de conspirer contre Sa Majesté et de profiter d’une ressemblance voulue par un caprice de la nature pour semer le trouble et la discorde dans le royaume, oui, questionnez-le, et vous verrez ce qu’il vous répondra ! »

 

M. de Saint-Mars se taisait. Il était facile de deviner, au trouble de son visage, qu’un violent combat se livrait en lui et que le véritable gentilhomme qu’il était ne pouvait être que bouleversé par les paroles que venait de lui adresser le lieutenant aux mousquetaires.

 

Désireux d’en finir, Castel-Rajac appelait à haute voix :

 

– Henry !

 

L’homme au masque de fer s’approcha.

 

– Mon fils, reprit le Gascon avec un accent de grandeur incomparable, dis à M. le gouverneur ce que tu comptes faire dès que tu seras libre.

 

Henry répliqua d’une voix ferme et harmonieuse :

 

– Pendant les heures déjà si longues de ma captivité, j’ai longuement réfléchi à mon sort futur, au cas où les portes de ma prison viendraient à s’ouvrir. Ayant pénétré la raison pour laquelle j’ai été jeté dans ce cachot, j’ai pris envers moi-même l’engagement, si je retrouvais ma liberté, de m’en aller loin, très loin, et de ne jamais reparaître. Car, sachez-le, monsieur, je n’ai pas d’autre ambition que d’être un bon gentilhomme, et si, hélas ! par la volonté du destin, je ne puis l’être dans mon pays, il ne m’est pas impossible de m’y conduire comme tel dans un autre.

 

» Je vous donne donc ma parole d’honneur de ne jamais rien entreprendre ni contre le roi, que je respecte et que j’aime, mais encore contre tous ceux qui m’ont infligé un supplice auquel je n’ai résisté que parce que j’avais la foi, la certitude que l’homme admirable que vous voyez devant vous viendrait un jour, avec ses deux amis, ses deux frères, ses deux compagnons d’armes, m’arracher à ceux qui m’avaient volé à lui.

 

– Vous venez de l’entendre, monsieur le gouverneur, reprit Castel-Rajac, tandis qu’Assignac qui, décidément, avait la larme facile, se tamponnait les yeux avec la manche de sa chemise, et que Laparède tortillait nerveusement sa fine moustache.

 

M. de Saint-Mars déclara :

 

– Je vous crois tous les deux. Mais comment expliquer cette évasion ?

 

D’un ton fort conciliant, Castel-Rajac continua :

 

– Je comprends que vous songiez, mon cher gouverneur, à mettre à couvert votre responsabilité et à éviter les conséquences fâcheuses que pourrait avoir pour vous la disparition de votre captif. Mais je crois que j’ai trouvé le moyen de concilier vos intérêts avec les nôtres. Vous avez d’autres prisonniers, ici ?

 

– Deux seulement. L’un est un Espagnol fanatique qui avait tenté d’assassiner le cardinal de Mazarin.

 

– De celui-là, n’en parlons pas, coupa le Gascon. Voyons l’autre.

 

– C’est un gentilhomme, le comte de Marleffe.

 

– Le faux-monnayeur ! s’exclama Castel-Rajac.

 

– Lui-même !

 

– Quel âge ?

 

– Vingt-trois ans.

 

– Parfait !

 

– Mais ?…

 

– C’est bien simple. Après l’avoir fait passer pour mort, vous collerez sur la figure de ce bandit le masque de fer que vous avez mis à mon fils !

 

– Lieutenant, c’est impossible.

 

– Ah ! que je n’aime pas ce mot !

 

– Je vous assure que vous me demandez-la une chose que je ne puis exécuter.

 

– Pourquoi ?

 

– Si un envoyé de M. Colbert venait visiter le prisonnier et s’il l’interrogeait, M. de Marleffe ne manquerait pas de dire qui il est et de protester contre le traitement dont il est l’objet !

 

Castel-Rajac, qui ne s’embarrassait jamais de rien, répliqua avec une magnifique assurance :

 

– Qu’à cela ne tienne, monsieur le gouverneur. Vous direz au représentant de M. Colbert que votre prisonnier est devenu fou, ce qui, somme toute, n’aura rien d’invraisemblable et d’extraordinaire.

 

– Mais si cet envoyé exige que j’enlève le masque ?

 

– Et après ?

 

– Il s’apercevra tout de suite de la substitution.

 

– Mais non, mais non…

 

– Mais si.

 

– D’abord, mon cher gouverneur, vous n’enlèverez pas le masque.

 

– Pourquoi ?

 

– Parce que vous expliquerez à votre interlocuteur que l’artisan qui l’avait fabriqué est mort en emportant dans la tombe le secret du mécanisme qui permet de l’enlever. Mordious ! vous voyez que ce n’est pas bien difficile !

 

Entraîné par la verve du Gascon autant que par son désir de mettre fin à une situation dont le chevalier de Castel-Rajac venait de lui démontrer si éloquemment et si irréfutablement l’iniquité, M. de Saint-Mars avoua :

 

– Décidément, lieutenant, vous avez réponse à tout. Vous venez de me donner d’autant mieux le moyen de m’associer à une œuvre de réparation et de justice d’autant plus que j’ai confiance en votre discrétion, ainsi qu’en celle de celui que vous appelez votre fils et des deux témoins qui ont assisté à cette scène.

 

Laparède intervint :

 

– Vous pouvez, monsieur le gouverneur, compter sur mon silence.

 

– Et sur le mien, aussi, dit en écho le bon gros Assignac.

 

Et il ajouta avec bonhomie :

 

– Cela me sera d’autant plus facile que je vous avouerai franchement que je n’ai rien compris à cette équipée.

 

D’un air grave, M. de Saint-Mars continua :

 

– Lieutenant, tout sera fait selon votre désir. Je n’y mets qu’une condition et cela encore plus pour la sauvegarde de votre fils que pour la mienne. Je vous demande qu’il conserve sur son visage ce masque de fer jusqu’à ce qu’il ait franchi la frontière, car il se pourrait fort bien que des espions rôdassent sur la côte.

 

Tout en souriant, Castel-Rajac reprit :

 

– Mieux que personne, j’en suis certain, et voilà pourquoi je trouve votre précaution excellente. Deux objections, cependant.

 

– Dites !

 

– Si nous emportons le masque, comment ferez-vous pour le mettre ensuite sur la figure de votre faux monnayeur ?

 

– J’en ai un de rechange.

 

– Ah ! très bien. Mais ce n’est pas tout. Comment m’y prendrai-je pour débarrasser mon fils de celui-ci ?

 

– Je vais vous l’expliquer, répliqua M. de Saint-Mars.

 

Et, s’approchant d’Henry, il montra à Castel-Rajac, en dessous de la mentonnière, un trou pas plus grand que celui par lequel on réglait à cette époque les aiguilles d’une montre. Et, tirant de l’une des poches de son habit une petite clef, il l’introduisit dans l’ouverture.

 

Instantanément, le masque se sépara en deux et le visage pâle, amaigri, mais toujours plein de beauté juvénile du prisonnier, apparut aux yeux des assistants. Aussitôt, Gaëtan se précipita sur son fils d’adoption et fit claquer sur ses joues les deux baisers sonores qu’il lui avait promis.

 

M. de Saint-Mars donna au chevalier la clef avec laquelle il avait fait fonctionner le mécanisme secret du masque qu’il remit lui-même en place, tout en disant :

 

– Ne m’en voulez pas, monsieur, de prolonger encore un peu votre si cruelle épreuve, mais ce ne sont plus que quelques instants de patience ; et maintenant, adieu, monsieur, et que Dieu vous garde.

 

– Monsieur le gouverneur, répliqua l’homme au masque de fer avec un accent et une allure d’une dignité magnifique, je voudrais vous serrer la main.

 

Le gouverneur, très ému, tendit sa dextre au fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche, qui, tout en l’étreignant, lui dit :

 

– Puisse, monsieur, l’acte d’humanité que vous venez d’accomplir vous valoir le bonheur dans ce monde et dans l’autre.

 

Castel-Rajac, tout frémissant de joie, s’écria :

 

– Monsieur le gouverneur, laissez-moi joindre mes remerciements à ceux de ce cher enfant. Désormais, vous êtes mon ami et, quand on est mon ami, on l’est bien, et je vous en donnerai d’ici peu la preuveAttendez-vous à recevoir un avancement digne de vos mérites. Je ne serais pas surpris que, dans quelque temps, vous fussiez nommé gouverneur de la Bastille ! Je ne vous dis donc pas adieu, mais au revoir !

 

Après avoir échangé une chaleureuse poignée de main avec M. de Saint-Mars, Castel-Rajac, Henry et ses deux amis s’empressèrent de gagner le couloir où les attendait Martigues qui, dans l’ombre, avait assisté à toute cette scène à laquelle, d’ailleurs, pas plus qu’Assignac, il n’avait compris le moindre mot.

 

Le gouverneur, qui les avait accompagnés jusque dans la cour, leur dit :

 

– Mes soldats, ainsi que vous me l’aviez dit et que je l’ai constaté moi-même, sont abominablement ivres. Malgré cela, je crois qu’il serait imprudent de vous faire sortir par le corps de garde.

 

– Ne vous inquiétez pas de ceci, mon cher gouverneur, déclara Castel-Rajac, qui se sentait un cœur et des jarrets de vingt ans. Le chemin que nous avons pris pour monter ici nous servira également pour descendre.

 

M. de Saint-Mars rentra dans le château. Henry et les trois Gascons gravirent l’escalier de pierre, suivi par Jean Martigues, qui les rejoignit sur la plate-forme.

 

D’un ton humble et craintif, celui-ci demanda à Castel-Rajac :

 

– Bien que je n’aie pas tenu ma parole, vous n’allez tout de même pas m’abandonner, mon bon lieutenant.

 

– Non seulement nous ne t’abandonnerons pas s’écria le Gascon, en lui donnant une bourrade, mais tes cinquante mille livres que nous t’avons promises, tu les toucheras dès que nous serons revenus de conduire mon fils à la frontière !

 

Transporté d’allégresse et de reconnaissance, l’ancien pêcheur allait s’effondrer aux genoux du chevalier ; mais celui-ci, l’empoignant par le bras, lui disait avec toute la belle humeur dont il débordait :

 

– L’instant n’est pas propice aux effusions. Décampons !

 

Le premier, il descendit par la corde à nœuds, qui était restée attachée à la bouche du canon. Henry lui succéda ; puis ce furent, tour à tour, M. d’Assignac, Laparède et Jean Martigues, qui, dans son émoi, lâchant la corde avant d’arriver en bas, évita une chute qui aurait pu être dangereuse grâce au véritable matelas que lui présentait le bon gros Assignac en se renversant en arrière et en bombant sa poitrine.

 

Tous s’empressèrent de regagner la barque, de mettre la voile et, favorisés par un excellent vent du large, ils arrivèrent sans encombre à l’auberge où, fidèles à la consigne que leur avait donnée Castel-Rajac, les indigènes déguisés en mousquetaires attendaient son retour en continuant de vider la cave de la tenancière.

 

Tous ces gens avaient été racolés dans le pays par Assignac et Laparède qui, non seulement leur avaient versé d’avance une certaine somme, mais leur avaient encore promis une prime importante.

 

C’étaient tous des contrebandiers de la côte, entraînés aux plus périlleuses aventures et qui ne s’occupaient jamais de la mission dont ils étaient chargés que pour l’exécuter aveuglément, sans autre souci que celui des bénéfices qu’ils pouvaient en retirer.

 

Aussi ne s’étaient-ils nullement fait tirer l’oreille pour se laisser enrôler par les deux Gascons et manifestaient-ils pour la cause inconnue qu’ils étaient appelés à servir un enthousiasme qui progressait au fur et à mesure que le vin coulait dans leur gosier.

 

Lorsqu’ils virent reparaître celui qu’ils appelaient déjà leur grand chef, c’est-à-dire le chevalier de Castel-Rajac, ils se levèrent tous d’un même mouvement pour l’acclamer. Sans doute supportaient-ils mieux la boisson que les soldats de M. de Saint-Mars, car Gaëtan, qui n’était pas sans avoir quelque inquiétude à ce sujet, constata avec satisfaction qu’ils tenaient fort bien en équilibre sur leurs jambes.

 

Tout de suite, de sa belle voix, il lança :

 

– En selle !

 

Suivi par sa troupe de faux mousquetaires, il s’en fut dans une cour intérieure où une vingtaine de chevaux étaient attachés. Dans un coin, l’homme au masque de fer, enveloppé d’un long manteau, conversait avec les deux amis de son père adoptif.

 

Lestement, le lieutenant aux mousquetaires grimpa sur un joli cheval blanc qui piaffait d’impatience. Henry s’installa en croupe derrière lui et tous les autres personnages, y compris Jean Martigues, qui revenait en courant et tout essoufflé d’embrasser encore une fois sa bonne amie, sautèrent sur les autres montures et la cavalcade s’enfonça dans la nuit.

 

Lorsque Castel-Rajac et ses amis arrivèrent à la frontière italienne, il faisait grand jour. Le chevalier commença par faire régler sa troupe par Assignac et Laparède, promus aux fonctions d’officiers payeurs généraux. Il y ajouta même une gratification supplémentaire, ce qui lui valut des hourras qui menaçaient de se prolonger outre mesure ; mais Gaëtan, qui avait hâte de délivrer Henry de son masque de fer, se hâta de les interrompre d’un geste énergique et d’engager ses mousquetaires d’occasion à rallier Cannes dans le plus bref délai.

 

Ceux-ci ne se le firent pas dire deux fois, et, commandés par Assignac et Laparède, qui étaient chargés de récupérer leurs costumes et leurs armes, ils piquèrent des deux et s’en furent dans une sorte de galop d’allégresse.

 

Demeuré seul avec Henry, Castel-Rajac, qui semblait très ému, fit manœuvrer, avec la petite clef que lui avait remise M. de Saint-Mars le mécanisme secret du masque, qui s’entrouvrit aussitôt pour se diviser en deux parties et retomber lourdement sur le sol.

 

Sans prononcer un mot, les deux hommes s’étreignirent longuement.

 

Puis, Castel-Rajac dit :

 

– Mon fils… car, tu me permets bien de t’appeler encore ainsi ?

 

– Oui, mon père, et je vous le demande même en grâce.

 

– Je vais maintenant te dire la vérité sur ta naissance.

 

– Je la connais.

 

– Qui te l’a révélée ?

 

– Personne ! C’est de moi-même qu’a jailli la lumière. Mais mon père véritable, ce sera vous, toujours !

 

Et avec une nuance de mélancolie, dans laquelle n’entrait aucune amertume, il ajouta :

 

– Quant à ma mère, si vous la voyez, vous lui direz que je ne veux emporter d’elle que le souvenir des baisers qu’elle m’a donnés quand j’étais enfant. De même, que je suis trop respectueux des droits de mon frère le roi pour jamais me dresser contre lui, j’ai trop souci de l’honneur de la reine, notre mère, pour revendiquer auprès d’elle la place même obscure d’un enfant illégitime.

 

» Fort et fier des principes dans lesquels vous m’avez élevé, j’entends faire ma vie suivant les lignes que vous m’avez tracées, non pas en aventurier, mais en gentilhomme, et tout en m’engageant à ne jamais porter les armes contre mon pays, je veux consacrer tout ce que vous avez mis de bon en moi au service des nobles causes. Il n’en manque point sur cette terre. »

 

Et, ployant les genoux, il ajouta :

 

– Maintenant, bénissez-moi, mon père !

 

Castel-Rajac posa sa main robuste sur l’épaule d’Henry. Puis, il lui dit :

 

– Tu viens, mon enfant, de reconnaître au-delà de ce qu’il valait le bien que j’ai pu te faire. Oui, je te bénis de tout mon cœur affectueux, de toute mon âme dans laquelle tu ne cesseras de vivre et je te dis : sois le chevalier sans peur et sans reproche que tu m’annonces et Dieu, j’en suis sûr, t’en récompensera.

 

Le fils de Mazarin et d’Anne d’Autriche se releva et, d’un élan il se jeta entre les bras du valeureux Gascon. Ce fut une nouvelle étreinte, après laquelle Castel-Rajac dit à Henry :

 

– Voici une bourse bien garnie, qui va te permettre de gagner la ville de Gênes. Là, tu te rendras via Macelli, tu demanderas le signor Humberto Joffredi ; c’est lui qui est chargé de procéder à ton établissement qui doit être et sera celui d’un jeune gentilhomme riche et de bonne race.

 

– Père, je n’ai aucun désir d’argent.

 

– C’est la volonté de ceux qui t’aiment et tu n’as pas le droit de t’y soustraire. Tu choisiras toi-même le nom que tu veux porter.

 

– Ce sera le vôtre, père. Il n’en est pas un autre pour moi qui soit plus noble et plus sacré. J’espère que je m’en montrerai digne.

 

– Allons, au revoir, mon cher Henry.

 

– Oui, au revoir et à bientôt, n’est-ce pas ?

 

– Sois tranquille, je ferai tout pour me retrouver souvent avec toi !

 

Ils se serrèrent les mains vigoureusement. Henry se dirigea à pied vers un village dont on voyait les toits rouges se profiler sous le ciel bleu à travers les arbres. Castel-Rajac le regarda jusqu’à ce qu’il eût disparu. Comme un soupir douloureux lui échappait, il fit :

 

– Mordious, est-ce que, par hasard, je manquerais de courage ? Ce serait la première fois de ma vie.

 

Et, remontant en selle, il éperonna son cheval, tout en disant :

 

– Je crois que j’ai bien tenu mon serment ! Ma chère Marie va être contente !…

 

*

* *

 

Au milieu de sa joie, Castel-Rajac conservait cependant une certaine inquiétude. En effet, il était sans nouvelles de M. de Durbec et il se demandait ce que celui-ci avait bien pu devenir. Comme il se doutait qu’il manigançait dans l’ombre quelques sombres intrigues, et bien qu’il fût tout à fait tranquille au sujet d’Henry, il se demandait si cet oiseau de malheur n’allait pas s’apercevoir de la substitution du prisonnier et chercher noise à cet excellent gouverneur que le Gascon avait entraîné un peu malgré lui dans cette aventure.

 

Gaëtan était d’un tempérament trop généreux et trop chevaleresque, pour ne pas se préoccuper du mal qui pouvait arriver par sa faute à un homme qui lui avait rendu un aussi grand service.

 

Aussi, dès son arrivée à Cannes, après avoir été rendre compte à la duchesse de Chevreuse et à sa charmante nièce, Mme de Lussey, du succès de son entreprise et délivrer lui-même le mouchard qu’il avait enfermé dans la cave, Castel-Rajac s’était embarqué pour l’île Sainte-Marguerite, et, après avoir parlementé avec le sous-officier de garde qui, les yeux troubles et la bouche pâteuse, ne semblait pas entièrement remis de ses libations de la veille, il avait réussi à se faire introduire auprès de M. de Saint-Mars.

 

Ainsi que nous allons le voir, les pressentiments de Castel-Rajac étaient fondés. En effet, dès que le gouverneur l’aperçut, il s’écria :

 

– Vous, chevalier, c’est la Providence qui vous envoie ! Depuis votre départ, il s’est passé ici deux graves événements, qui vous placent, vous et moi, dans la posture la plus fâcheuse.

 

– Pas possible ? fit le Gascon avec toutes les apparences de la plus parfaite sécurité.

 

– Tout d’abord, M. de Marleffe s’est énergiquement refusé à se laisser adapter le masque de fer. Comme je ne pouvais mettre personne dans la confidence, il m’a donc été impossible à moi seul de le contraindre.

 

– N’ayez aucun souci à ce sujet, déclara Castel-Rajac. Laissez-moi faire et je vous garantis que, dans un quart d’heure, l’opération sera terminée.

 

– Il y a plus grave encore !

 

– Quoi donc ?

 

– Un émissaire de Colbert vient d’arriver.

 

– Est-ce que, par hasard, ce ne serait pas un certain M. de Durbec ?

 

– Lui-même !… Muni de pleins pouvoirs du ministre, il m’a déclaré qu’il voulait voir l’homme au masque de fer en secret et hors de toute présence. J’ai pu gagner du temps, en prétextant que mon prisonnier était gravement malade et qu’à la suite d’une nuit d’insomnie, j’avais lui administrer un narcotique sous l’action duquel il était encore plongé. Mais, déjà par trois fois, M. de Durbec m’a fait demander si l’homme au masque de fer était réveillé et je crains qu’il ne finisse par exiger que je lui ouvre la porte de son cachot.

 

Castel-Rajac eut un sourire plein de finesse et d’ironie. Puis, il demanda :

 

– Où se trouve M. de Durbec ?

 

– Dans la chambre dite du prince, qui est réservée aux visiteurs de marque.

 

– Voulez-vous m’y conduire, mon cher gouverneur ? Je vous assure que c’est indispensable.

 

– Cependant…

 

– Je vais vous rassurer d’un mot. Je vous donne ma parole que, lorsque j’en sortirai, M. de Durbec aura renoncé à son projet de visiter l’homme au masque de fer et se gardera même de vous poser aucune question au sujet de votre prisonnier.

 

Si formidable que lui apparût cette double assertion, M. de Saint-Mars n’adressa aucune objection à son interlocuteur, tant celui-ci, qu’il avait vu à l’œuvre, lui inspirait une confiance illimitée. Aussi s’empressa-t-il de le conduire dans la pièce que M. de Durbec, qui commençait à soupçonner que quelque chose de louche se passait dans le château, s’était mis à arpenter nerveusement.

 

Pour la quatrième fois, Durbec allait mander le gouverneur, lorsque la porte s’ouvrit toute grande. Le chef de la police secrète de M. Colbert reconnut, sous sa défroque de pêcheur, M. de Castel-Rajac qui, les mains derrière le dos, la figure resplendissante de bonne humeur, s’avançait vers lui, en disant :

 

– Ce cher monsieur de Durbec !…

 

La porte s’était refermée et le Gascon, qui continuait toujours à s’avancer vers son adversaire, les mains toujours derrière le dos, lui lançait :

 

– Comme on se retrouve ! C’était d’ailleurs fatal, car, mon cher de Durbec, depuis vingt-trois ans, nous avions un compte à régler. Avouez que je ne vous ai pas beaucoup tracassé. J’ai attendu mon heure, elle a sonné, allons-y !

 

– Ah çà ! monsieur, s’exclama Durbec, je ne comprends pas.

 

Castel-Rajac continua :

 

– Je sais bien qu’au bout de vingt-trois ans il est permis d’avoir des défaillances de mémoire. Eh bien, moi, je vais la rafraîchir, votre mémoire. L’affaire du château de Montgiron, vous vous rappelez ?…

 

– Oui, je me souviens… en effet, de cette nuit où, après avoir failli me tuer, vous avez massacré, vous et vos amis, une dizaine des gardes du cardinal.

 

Et, tout en plongeant ses yeux dans ceux de son interlocuteur, M. de Castel-Rajac martela :

 

– Et vous avez voulu faire assassiner lâchement la duchesse de Chevreuse !

 

Instinctivement, Durbec recula d’un pas. Castel-Rajac fit :

 

– Si je ne vous ai pas demandé raison plus tôt de cette infamie, c’est parce que, pour des raisons que vous n’avez pas à connaître, cela m’était interdit. Mais je m’étais bien promis que, tôt ou tard, vous me paieriez cette canaillerie et plusieurs autres sur lesquelles je n’ai besoin d’insister. Comme par exemple celle de vous acharner après un malheureux enfant qui n’a commis qu’un crime, celui de naître. Vous saisissez, n’est-ce pas, monsieur de Durbec ?

 

D’un geste brusque, l’ancien espion de Richelieu tirait son épée du fourreau. Mais Castel-Rajac, qui prévoyait ce mouvement, d’un bond se jeta de côté et, brandissant un couteau de chasse assez long qu’il cachait derrière lui, il s’écria :

 

– À nous deux, monsieur l’assassin !

 

Et, tout en fonçant sur son adversaire, il lui dit :

 

– Tu me croyais sans arme, bandit, mais tu vas voir si mon couteau ne vaut pas ton épée.

 

Après avoir paré le premier coup que Durbec cherchait à lui porter, Castel-Rajac, d’un coup sec d’une force irrésistible, le désarma. Et, d’une voix retentissante, il lui cria :

 

– Papillon de malheur, je vais te clouer à la muraille !

 

Mais, au moment où il allait transpercer la poitrine de l’espion, celui-ci s’écroula comme une masse sur le sol, où il demeura inanimé. Gaëtan se pencha vers lui et, constatant qu’il était mort, grommela :

 

– Mordious, le diable me l’a pris avant que j’aie eu le temps de l’occire !

 

Courant à la porte, il appela le gouverneur, qui était resté derrière la porte.

 

– Ce n’est pas moi, fit-il, qui l’ai mis à mal, c’est lui qui vient de mourir tout seul et probablement de peur. Voilà comment nous sommes, en GascogneTandis qu’il refroidit, allons nous occuper de notre faux monnayeur !

 

Malgré le trouble dans lequel l’avaient plongé les nouveaux événements, M. de Saint-Mars, incapable de résister à la véritable tornade que créait autour de lui le bouillant Gascon, conduisit ce dernier jusqu’au cachot de M. de Marleffe. C’était une pièce humide, froide, obscure et véritablement infecte. Tout de suite, Castel-Rajac dit au prisonnier, qui était affalé sur un banc de pierre :

 

– Vous vous plaisez donc ici, monsieur ?

 

– Non ! protesta Marleffe. Je m’y déplais fort, au contraire.

 

– Vous trouvez donc la chère excellente ?

 

– Elle est exécrable.

 

– Les vins délicieux ?

 

– Je ne bois que de l’eau et encore est-elle saumâtre !

 

– Que diriez-vous si, tout à coup, on vous transportait dans une chambre confortable avec vue sur la mer, si on vous servait trois fois par jour un repas délectable et si M. le gouverneur du château de l’île Sainte-Marguerite mettait à votre disposition les meilleurs crus de sa cave ?

 

– Monsieur, répliqua le prisonnier, j’ignore qui vous êtes, mais je vous prie de ne pas vous moquer de moi. Je suis un malfaiteur, c’est vrai, mais j’expie cruellement mes crimes et vous devriez avoir pitié de moi.

 

Castel-Rajac reprit :

 

– Je ne me moque nullement de vous et je vous parle en toute sincérité. Il ne tient qu’à vous de passer de ce régime si dur auquel vous êtes assujetti à celui que je viens de vous décrire.

 

– Que dois-je faire pour cela ?

 

– Accepter qu’on vous applique sur le visage ce masque de fer que vous avez refusé de porter.

 

Et, s’adressant au gouverneur, qui était resté sur le seuil, il fit :

 

– Nous sommes bien d’accord, n’est-ce pas, mon cher gouverneur ?

 

– Entièrement d’accord.

 

– Et si je refuse ? dit Mariette.

 

Gaëtan, qui sentait la partie gagnée, insista :

 

– Vous êtes condamné à la détention perpétuelle. Eh bien, vous resterez toute votre existence dans ce cachot.

 

– Alors, j’accepte, se décida le prisonnier.

 

– J’ajouterai simplement, fit Gaëtan, que, lorsque vous recevrez la visite de personnes venues pour vous interroger, vous refuserez obstinément de leur répondre, quelles que soient ces personnes et les questions qu’elles pourront vous poser. Sinon, vous serez immédiatement renvoyé dans cet endroit d’où je me suis efforcé de vous faire sortir.

 

– C’est entendu, je me tairai, affirma le faux-monnayeur qui, maintenant, était prêt à tout pour reconquérir, à défaut de liberté, le bien-être qui allait lui rendre moins dure une captivité qui ne devait finir qu’avec lui-même.

 

Cinq minutes après, affublé du masque de fer qu’il devait garder jusqu’à sa dernière demeure, le faux-monnayeur était conduit par M. de Saint-Mars dans la chambre qu’occupait Henry et où il devait rester jusqu’au jour où M. de Saint-Mars, nommé gouverneur de la Bastille, ainsi que le lui avait prédit Castel-Rajac, emmena avec lui son prisonnier qui ne devait mourir qu’en 1706, dans cette prison d’État, emportant avec lui le secret de l’homme au masque de fer.

 

Nous ajouterons simplement que les deux Castel-Rajac se couvrirent l’un et l’autre de gloire, le père, en prenant part à toutes les grandes victoires de la première partie du règne de Louis XIV, et le fils en allant combattre les infidèles, nouveau croisé qui ajouta au nom de Castel-Rajac un lustre d’honneur et de gloire. Il revint en France en 1694, et Louis XIV auquel, après la mort d’Anne d’Autriche, Castel-Rajac, devenu maréchal de France, avait révélé toute la vérité, le nomma gouverneur de la province du Languedoc où il mourut très âgé, entouré de ses enfants et de ses petits-enfants, dont pas un seul ne se douta jamais qu’ils avaient du sang d’Anne d’Autriche dans les veines et que le Roi Soleil était leur oncle

 

FIN


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