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Le bruit courait, – et les bonnes gens craignaient bien que ce ne fût vrai : Fikandouss, suicidé, mort en état de péché mortel, allait être enterré, avec les réprouvés, dans le coin du cimetière qu’on appelait le « trou aux chiens ».
Heureusement, il n’en fut rien. On raconta ensuite que M. le curé, seul au grenier en présence du cadavre, y avait encore surpris un atome de vie et avait pu lui donner l’absolution. Pierken eut un ricanement de mépris devant une aussi flagrante imposture ; mais, tout de même, Fikandouss fut enseveli comme un bon chrétien, en terre consacrée.
Tous les ouvriers de la fabrique assistèrent aux obsèques. M. de Beule et M. Triphon se montrèrent un instant à l’église et, le cierge à la main, firent le tour du catafalque. Sidonie était également présente.
Elle se tenait discrètement derrière un pilier, non loin des autres ouvrières. Dans un coin se trouvaient Justin-la-Craque et Komèl. Le service fut rapidement bâclé. La cloche se dépêcha de sonner le glas ; et les porteurs, Pierken, Léo, Free, Berzeel s’avancèrent lentement avec la bière devant la tombe, où déjà attendaient le curé et ses acolytes, avec la croix et les bannières.
En un petit groupe serré, les camarades entouraient la fosse. Ils étaient pâles et, dans leurs habits du dimanche, ils paraissaient plus hâves, plus minables que dans leur tenue de travail. Le cercueil était recouvert d’un drap de velours noir avec une grande croix jaune. Ce drap décoloré avait pris un ton roussâtre qui semblait la nuance assortie à la mort des pauvres. Le sacristain l’enleva et apparut le simple bois blanc. Le prêtre psalmodiait ; les gens s’agenouillèrent. Lentement, avec un son creux sur les cordes, le cercueil descendait. Les hommes regardaient fixement, la face contractée. On aurait dit qu’ils se voyaient eux-mêmes descendre dans la fosse. Dans les yeux vitreux de Justin il y avait des larmes. Komèl avait l’air de mâchonner quelque chose. Les sœurs du défunt et quelques-unes des ouvrières pleuraient doucement, la tête cachée sous le lourd capuchon de leur longue mante noire. M. le curé aspergea d’eau bénite les fidèles agenouillés et rentra dans l’église avec ses aides. En chocs sourds les premières mottes de terre tombèrent sur les planches sonores. On eût dit de brefs coups de tambour voilés. Ou des pilons qui s’enfoncent. Très vite le bois fut recouvert en entier. Il ne restait plus qu’un tout petit coin qui s’obstinait à apparaître, comme un bout de papier blanc qu’on aurait jeté là.
Alors, les camarades partirent…. C’était une douce et radieuse matinée de septembre, avec des parfums dans l’air. Les maisons du village reluisaient et riaient, comme lavées et repeintes à neuf au tiède soleil. Le coq de cuivre au haut du clocher semblait d’or. Tout doucement, les derniers oiseaux de l’été chantaient….