Cyriel Buysse
C'était ainsi...

Deuxième partie

VII

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VII

M. de Beule savaitIl savait l’histoire de « La Blanche » avec Poeteken ; et il savait aussi l’histoire de son fils avec Sidonie.

 

Il y avait eu des scènes d’une violence extrême, à la maison. Pour le cas de « La Blanche » et Poeteken, M. de Beule s’était montré catégorique : ou bien le mariage, dans le plus bref délai légalement possible, ou bien le renvoi immédiat de la fabrique. M. de Beule ne tolèrerait pas une minute que sa fabrique, tant au point de vue moral que commercial, acquît un fâcheux renom. Sefietje fut expédiée vers la « fosse aux huiliers », avec la mission de ramener incontinent Poeteken ; dès qu’il fut à la maison, sale et graisseux, en tenue de travail, elle l’introduisit dans le petit parloir auprès de Mme de Beule, qui le reçut avec un visage chagrin et ennuyé.

 

Ce n’était pas la première fois que pareil événement se produisait à la fabrique, et, en pareil cas, M. de Beule se faisait toujours remplacer par sa femme, pour régler l’affaire. Non pas qu’il craignît de s’en occuper lui-même, mais il s’emportait trop, disait-il ; il se mettait dans une telle colère qu’il serait capable de faire un malheur si le coupable se rebiffait.

 

Voyons, Poeteken, mon garçon, à quoi avez-vous pensé pour faire des choses pareilles ! lui reprocha la bonne Mme de Beule, en faisant un effort sur elle-même pour se donner un air sévère.

 

– Ah ! oui, à quoi pense-t-on dans ces moments-là ! répondit Poeteken d’un air contrit et niais.

 

– Vous saviez pourtant bien que ça finirait mal, reprit Mme de Beule.

 

La question n’était point directe, Poeteken se dispensa d’y répondre.

 

– Mais comment est-ce arrivé, Poeteken ! Où avez-vous fait cela ? insista Mme de Beule.

 

– Au grenier, quand elle allait faire le lit du garçon d’écurie, confessa Poeteken.

 

Mme de Beule hocha la tête d’un air profondément consterné.

 

– Oh ! Monsieur est si fâché ! répéta-t-elle avec un air de terreur.

 

Poeteken pensa que le patron n’était peut-être pas moins fâché pour l’aventure de M. Triphon avec Sidonie, mais il se garda prudemment d’exprimer cette idée à haute voix. Il regardait Mme de Beule d’un air interrogateur, comme pour lire sur ses traits ce qu’en réalité elle attendait de lui. Mme de Beule le lui apprit : se marier avec « La Blanche » ou quitter tous deux la fabrique. Les yeux de Poeteken se remplirent de larmes.

 

– Moi, je ne demande pas mieux, Madame, mais ma mère ne veut pas. Elle dit que nous crèverions de faim avant trois mois, répondit Poeteken d’un air soumis et triste.

 

– Il faut que votre mère veuille ! dit Mme de Beule d’un ton très décidé. Dites à votre mère, Poeteken, que c’est moi qui l’ai dit et venez m’apporter demain matin sa réponse.

 

– C’est bien, Madame.

 

Et, penaud, Poeteken quitta le parloir. Il retrouva ses sabots qu’il avait quittés sur la natte devant la porte vitrée ; il se regarda un instant dans les carreaux qui miroitaient et lui rendaient son image brouillée, avec les loques graisseuses et luisantes qui le couvraient, comme s’il eût été enduit de savon brun et vert. A travers le jardin dénudé par l’hiver, il rentra en frissonnant à la fabrique.


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