Cyriel Buysse
C'était ainsi...

Deuxième partie

VIII

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VIII

Pour M. Triphon et la belle Sidonie, l’événement avait pris une tournure bien différente.

 

M. de Beule, au comble de la fureur, avait commencé par faire une scène violente à sa femme. C’était une manie chez lui de rendre sa femme responsable de chaque contrariété que leur causait M. Triphon.

 

– Tout ça, c’est uniquement ta faute ! s’écria-t-il. Si tu l’avais autrement élevé, cela ne serait pas arrivé !

 

Madame de Beule pleurait.

 

– Qu’y puis-je faire ! gémit-elle.

 

M. de Beule eût été bien en peine de le dire. Et parce qu’il ne trouvait pas de réponse plausible à cette question si simple, il eut un nouvel accès de rage et rugit :

 

– Je le flanquerai à la porte, ce voyou, ce vaurien ! Je ne veux plus le voir ici ! Je l’assommerais !

 

Madame de Beule poussa un cri de désespoir.

 

– Oh ! ne fais pas ça, je t’en supplie ! Que dirait le monde ! gémit-elle.

 

Elle touchait là une corde sensible, qu’elle connaissait bien. Ses paroles calmèrent immédiatement la grande colère de M. de Beule. S’il y avait une chose au monde qu’il redoutait par-dessus tout, c’était le qu’en-dira-t-on, l’opinion des gens du village. Pour faire taire les mauvaises langues, il avait imposé le mariage à Poeteken et à « La Blanche » ; dans le même but, il résolut, après une délibération plus calme avec sa femme, non pas que M. Triphon épouserait Sidonie, mais que Sidonie serait éloignée de la fabrique, aussi vite que possible, et sans esclandre. Derechef Sefietje fut expédiée vers la « fosse aux femmes », cette fois, pour faire venir Sidonie ; et, à la nuit tombante, où personne ne la verrait, elle vint à la maison et fut reçue, de même que pour Poeteken, dans le petit parloir, par Mme de Beule.

 

Mme de Beule avait pris une figure de circonstance, sévère et attristée.

 

Sidonie, commença-t-elle froidement, nous avons reçu des plaintes extrêmement graves sur votre compte.

 

La jolie fille, à moitié morte de honte, baissa les yeux et ne trouva rien à répondre.

 

– Vous comprenez bien, n’est-ce pas, Sidonie, continua Mme de Beule sur le même ton, qu’il nous est maintenant impossible de vous garder plus longtemps à la fabrique.

 

Sidonie eut une crise de larmes violentes. Ses épaules étaient secouées par des hoquets.

 

– Comment est-il possible, Sidonie, que vous ayez fait pareille chose ? Vous deviez pourtant savoir qu’un mariage était impossible. Pourquoi n’êtes-vous pas restée avec les gens de votre monde ?

 

Sidonie sanglotaitsanglotait… sans pouvoir rien répondre.

 

– Dès demain, vous resterez chez vous, Sidonie, conclut Mme de Beule. Mais, par pitié, nous nous occuperons de vous. Voici déjà quelque chose pour commencer.

 

Et Mme de Beule lui glissa dans la main un billet de vingt francs.

 

Merci, Madame, dit Sidonie d’une voix éteinte, en faisant un mouvement vers la porte.

 

Sidonieajouta Mme de Beule à voix basse, vous ne ferez pas d’esclandre, n’est-ce pas ? Vous n’ennuierez pas M. Triphon… Vous ne l’accosterez pas dans la rue… ni rien de semblable ?

 

Muette, Sidonie secoua la tête.

 

Voici, ajouta plus doucement Mme de Beule, il ne faut pas que vous retourniez par la fabrique, sortez par ici, par la porte de la maison.

 

Bonsoir, Madame, murmura Sidonie.

 

Bonsoir, Sidonie, répondit Mme de Beule, après qu’elle eut regardé avec précaution de chaque côté de la rue sombre et déserte.

 

Dans l’obscurité les sabots légers de la jeune fille clapotèrent un instant sur les pavés raboteux. Puis le bruit s’éteignit peu à peu et la silhouette indécise se fondit dans la nuit. M. de Beule qui, pendant la séance, s’était tenu enfermé dans son bureau, parut dans le couloir et demanda à mi-voix à sa femme comment l’entrevue s’était passée.


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