Cyriel Buysse
C'était ainsi...

Deuxième partie

XX

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XX

M. de Beule n’apprit la chose que trois jours plus tard. Comment, et par qui, M. Triphon ne savait ; mais il s’en aperçut tout de suite, pendant le repas, rien qu’à voir le visage congestionné et féroce de son père, qui soufflait littéralement de fureur concentrée. Les traits consternés de sa mère disaient d’ailleurs abondamment qu’une scène avait déjà eu lieu et qu’elle ne devait pas avoir été tendre. A table, M. de Beule ne prononça pas le moindre mot et n’eut pas même un regard pour son fils ; mais à la fin du dîner, au moment où il se levait de table, sur une question de Mme de Beule, sans rapport d’ailleurs avec l’histoire, il fit une réponse oblique : il faudrait tordre le cou, déclara-t-il d’une façon sommaire, aux gens qui se conduisent comme des crapules et qui sont la honte de leur famille. M. Triphon comprit aisément l’allusion, mais ne fit semblant de rien ; et, comme d’habitude, Mme de Beule rentra dans sa coquille, sans souffler mot.

 

M. Triphon estimait ce courroux paternel tout à fait illogique et exagéré. Qu’il n’y eût pas lieu de se réjouir, il le comprenait fort bien ; mais, puisqu’il était entendu qu’un enfant devait naître, rien de plus naturel qu’il vînt au monde. M. Triphon se demandait en quoi ce résultat prévu, inévitable pouvait aggraver sa culpabilité. Ou bien, la rage de M. de Beule venait-elle de ce qu’il avait appris la visite de son fils chez Sidonie ? Il sonda sa mère à ce sujet, car il lui parlait désormais plus librement de l’histoire. Non, son père l’ignorait encore.

 

Tout ce qu’il savait, c’était que l’enfant était et qu’il portait le prénom de Triphon. De là sa grande colère.

 

M. Triphon aurait presque mieux aimé que son père en sût d’avantage.

 

Comme il ne manquerait pas de l’apprendre un jour, que serait-ce alors ?

 

Le jetterait-il à la rue, comme il l’en avait menacé ? M. Triphon était prêt à tout ; il s’attendait au pire. Mais, quoiqu’il arrivât, jamais il ne quitterait Sidonie, parce qu’il bien, maintenant, qu’il n’était plus capable de la quitter. Il avait froidement envisagé et arrangé son avenir. Après bien des combats intérieurs et des larmes il avait enfin promis à sa mère qu’il n’épouserait pas Sidonie, mais, par contre, il s’était réservé le droit d’aller la voir de temps en temps ; la faible et malheureuse Mme de Beule s’y était résignée. Désormais il y allait régulièrement trois fois par semaine, le soir. Il était redevenu l’habitué fidèle, presque un membre de la famille. Sa place l’y attendait, comme dans un cercle ou au café. Il y trouvait un repos et une sorte de bien-être, qui lui manquaient extrêmement à la maison. Sous le manteau de la cheminée sa longue pipe pendait entre deux clous, son pot à tabac se trouvait dans une armoire, tenu bien au frais par Sidonie et sa mère. Sidonie était complètement remise ; elle nourrissait son enfant et devenait fraîche comme une rose. L’enfant en lui-même n’intéressait plus autant M. Triphon. Il était rare qu’il ressentît cet émoi paternel de la première fois. Un petit être uniquement occupé à téter et à dormir, cela l’effarait comme quelque chose de monstrueux.

 

Par contre, toutes ces femmes empressées autour du petit animal qu’était son fils l’amusaient et l’animaient. Sidonie montrait à le choyer la tendresse protectrice d’une mère poule, Lisatje et Marie étaient jalouses l’une de l’autre et se querellaient parfois à qui le dorloterait. Seule, la mère gardait son sang-froid. Elle surveillait de très près M. Triphon et sa fille en répétant à toute occasion : « Faites bien attention au moins qu’il n’en vienne pas un second ». Mais M. Triphon et Sidonie en avaient aussi peur qu’elle. On y veille, mère Neirynck.


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