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ACTE DEUXIÈME SCÈNE PREMIÈRE [Une allée sous une charmille.] Entrent VAN BUCK et VALENTIN, qui a le bras en écharpe. |
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[Une allée sous une charmille.]
Entrent VAN BUCK et VALENTIN, qui a le bras en écharpe.
Est-il possible, malheureux garçon, que tu te sois réellement démis le bras ?
Il n’y a rien de plus possible ; c’est même probable, [et, qui pis est, assez douloureusement réel.
Je ne sais lequel, dans cette affaire, est le plus à blâmer de nous deux. Vit-on jamais pareille extravagance !]3
Il fallait bien trouver un prétexte pour m’introduire convenablement. Quelle raison voulez-vous qu’on ait de se présenter ainsi incognito à une famille respectable ? J’avais donné un louis à mon postillon en lui demandant sa parole de me verser devant le château.
C’est un honnête homme, il n’y a rien à lui dire, et son argent est parfaitement gagné : il a mis sa roue dans le fossé avec une constance héroïque. [Je me suis démis le bras, c’est ma faute, mais] j’ai versé, et je ne me plains pas. Au contraire, j’en suis bien aise ; cela donne aux choses un air de vérité qui intéresse en ma faveur.
Que vas-tu faire ? et quel est ton dessein ?
Je ne viens pas du tout ici pour épouser mademoiselle de Mantes, mais uniquement pour vous prouver que j’aurais tort de l’épouser. Mon plan est fait, ma batterie pointée, et jusqu’ici tout va à merveille. Vous avez tenu votre promesse comme Régulus ou Hernani. Vous ne m’avez pas appelé mon neveu, c’est le principal et le plus difficile ; me voilà reçu [, hébergé, couché dans une belle chambre verte, de la fleur d’orange sur ma table, et des rideaux blancs à mon lit]. C’est une justice à rendre à votre baronne, elle m’a aussi bien recueilli que mon postillon m’a versé. Maintenant il s’agit de savoir si tout le reste ira à l’avenant. Je compte d’abord faire ma déclaration, secondement écrire un billet…
C’est inutile ; je ne souffrirai pas que cette mauvaise plaisanterie s’achève.
Vous dédire ! Comme vous voudrez ; je me dédis aussi sur-le-champ.
Mais, mon neveu…
Dites un mot, je reprends la poste et retourne à Paris ; plus de parole, plus de mariage ; vous me déshériterez si vous voulez.
C’est un guêpier incompréhensible, et il est inouï que je sois fourré là. Mais enfin voyons, explique-toi !
Songez, mon oncle, à notre traité. Vous m’avez dit et accordé que, s’il était prouvé que ma future devait me ganter de certains gants, je serais un fou d’en faire ma femme. [Par conséquent, l’épreuve étant admise, vous trouverez bon, juste et convenable qu’elle soit aussi complète que possible. Ce que je dirai sera bien dit ; ce que j’essayerai, bien essayé, et ce que je pourrai faire, bien fait : vous ne me chercherez pas chicane, et j’ai carte blanche en tout cas.]
Mais, monsieur, il y a pourtant de certaines bornes, de certaines choses… – Je vous prie de remarquer que, si vous allez vous prévaloir… – Miséricorde ! comme tu y vas !
Si notre future est telle que vous la croyez et que vous me l’avez représentée, il n’y a pas le moindre danger, et elle ne peut que s’en trouver plus digne. Figurez-vous que je suis le premier venu ; je suis amoureux de mademoiselle de Mantes, vertueuse épouse de Valentin Van Buck ; songez comme la jeunesse du jour est entreprenante et hardie ! que ne fait-on pas, d’ailleurs, quand on aime ? Quelles escalades, quelles lettres de quatre pages, quels torrents de larmes, quels cornets de dragées ! Devant quoi recule un amant ? De quoi peut-on lui demander compte ? Quel mal fait-il, et de quoi s’offenser ? il aime. Ô mon oncle Van Buck ! rappelez-vous le temps où vous aimiez.
De tout temps j’ai été décent, et j’espère que vous le serez, sinon je dis tout à la baronne.
Je ne compte rien faire qui puisse choquer personne. Je compte d’abord faire ma déclaration ; secondement, écrire plusieurs billets ; troisièmement, gagner la fille de chambre ; quatrièmement, rôder dans les petits coins ; cinquièmement, prendre l’empreinte des serrures avec de la cire à cacheter ; sixièmement, faire une échelle de cordes, et couper les vitres avec ma bague ; septièmement, me mettre à genoux par terre en récitant la Nouvelle Héloïse ; et huitièmement, si je ne réussis pas, m’aller noyer dans la pièce d’eau ; mais je vous jure d’être décent, et de ne pas dire un seul gros mot, ni rien qui blesse les convenances.
Tu es un roué et un impudent ; je ne souffrirai rien de pareil.
Mais pensez donc que tout ce que je vous dis là, dans quatre ans d’ici, un autre le fera, si j’épouse mademoiselle de Mantes et comment voulez-vous que je sache de quelle résistance elle est capable, si je ne l’ai d’abord essayé moi-même ? Un autre tentera bien plus encore, et aura devant lui un bien autre délai ; en ne demandant que huit jours, j’ai fait un acte de grande humilité.
C’est un piège que tu m’as tendu ; jamais je n’ai prévu cela.
Et que pensiez-vous donc prévoir quand vous avez accepté la gageure ?
Mais, mon ami, je pensais, je croyais, – je croyais que tu allais faire ta cour, … mais poliment, … à cette jeune personne, comme, par exemple, de lui… de lui dire… Ou si par hasard, … et encore je n’en sais rien… Mais que diable ! tu es effrayant.
Tenez ! voilà la blanche Cécile qui nous arrive à petits pas. [Entendez-vous craquer le bois sec ? La mère tapisse avec son abbé. Vite, fourrez-vous dans la charmille.]4 Vous serez témoin de la première escarmouche, et vous m’en direz votre avis.
Tu l’épouseras si elle te reçoit mal ?
Il se cache [dans la charmille.]5
Laissez-moi faire, et ne bougez pas. Je suis ravi de vous avoir pour spectateur, et l’ennemi détourne l’allée. Puisque vous m’avez appelé fou, je veux vous montrer qu’en fait d’extravagances, les plus fortes sont les meilleures. Vous allez voir, avec un peu d’adresse, ce que rapportent les blessures honorables reçues pour plaire à la beauté. [Considérez cette démarche pensive, et faites-moi la grâce de me dire si ce bras estropié ne me sied pas. Eh ! que voulez-vous ! c’est qu’on est pâle ; il n’y a au monde que cela :
Un jeune malade, à pas lents…]
Surtout pas de bruit ; voici l’instant critique ; respectez la foi des serments. [Je vais m’asseoir au pied d’un arbre, comme un pasteur des temps passés.]
Entre Cécile, un livre à la main.
[Déjà levée, mademoiselle, et seule à cette heure dans le bois ?]
C’est vous, monsieur ? je ne vous reconnaissais pas. Comment se porte votre foulure ?
Foulure ! voilà un vilain mot.
Haut.
C’est trop de grâce que vous me faites, et il y a de certaines blessures qu’on ne sent jamais qu’à demi.
[CÉCILE.
Vous a-t-on servi à déjeuner ?
Vous êtes trop bonne ; de toutes les vertus de votre sexe, l’hospitalité est la moins commune, et on ne la trouve nulle part aussi douce, aussi précieuse que chez vous ; et si l’intérêt qu’on m’y témoigne…]
Je vais dire qu’on vous monte un bouillon.
Elle sort.
Tu l’épouseras ! tu l’épouseras ! Avoue qu’elle a été parfaite. Quelle naïveté ! quelle pudeur divine ! On ne peut pas faire un meilleur choix.
Un moment, mon oncle, un moment ; vous allez bien vite en besogne.
Pourquoi pas ? Il n’en faut pas plus ; tu vois clairement à qui tu as affaire, et ce sera toujours de même. Que tu seras heureux avec cette femme-là ! Allons tout dire à la baronne ; je me charge de l’apaiser.
Bouillon ! Comment une jeune fille peut-elle prononcer ce mot-là ? Elle me déplaît ; elle est laide et sotte. Adieu, mon oncle, je retourne à Paris.
Plaisantez-vous ? où est votre parole ? Est-ce ainsi qu’on se joue de moi ? [Que signifient ces yeux baissés et cette contenance défaite ?] Est-ce à dire que vous me prenez pour un libertin de votre espèce, et que vous vous servez de ma folle complaisance comme d’un manteau pour vos méchants desseins ? N’est-ce donc vraiment qu’une séduction que vous venez tenter ici sous le masque de cette épreuve ? Jour de Dieu ! si je le croyais !…
Elle me déplaît, ce n’est pas ma faute, et je n’en ai pas répondu.
En quoi peut-elle vous déplaire ? elle est jolie, ou je ne m’y connais pas. Elle a les yeux longs et bien fendus, des cheveux superbes, une taille passable. Elle est parfaitement bien élevée ; elle sait l’anglais et l’italien ; elle aura trente mille livres de rente, et en attendant une très belle dot. Quel reproche pouvez-vous lui faire, et pour quelle raison n’en voulez-vous pas ?
Il n’y a jamais de raison à donner pourquoi les gens plaisent ou déplaisent. Il est certain qu’elle me déplaît, elle, sa foulure et son bouillon.
C’est votre amour-propre qui souffre. Si je n’avais pas été là, vous seriez venu me faire cent contes sur votre premier entretien, et vous targuer de belles espérances. Vous vous étiez imaginé faire sa conquête en un clin d’œil, et c’est là où le bât vous blesse. [Elle vous plaisait hier au soir, quand vous ne l’aviez encore qu’entrevue, et qu’elle s’empressait avec sa mère à vous soigner de votre sot accident. Maintenant] vous la trouvez laide, parce qu’elle fait à peine attention à vous. Je vous connais mieux que vous ne pensez, et je ne céderai pas si vite. Je vous défends de vous en aller.
Comme vous voudrez. Je ne veux pas d’elle ; je vous répète que je la trouve laide ; elle a un air niais qui est révoltant. Ses yeux sont grands, c’est vrai, mais ils ne veulent rien dire ; [ses cheveux sont beaux, mais elle a le front plat ;] quant à la taille, c’est peut-être ce qu’elle a de mieux, quoique vous ne la trouviez que passable. Je la félicite de savoir l’italien, elle y a peut-être plus d’esprit qu’en français ; pour ce qui est de sa dot, qu’elle la garde, je n’en veux pas plus que de son bouillon.
A-t-on idée d’une pareille tête, et peut-on s’attendre à rien de semblable ? Va, va ! ce que je disais hier n’est que la pure vérité. Tu n’es capable que de rêver de balivernes, et je ne veux plus m’occuper de toi. Épouse une blanchisseuse si tu veux. Puisque tu refuses ta fortune, lorsque tu l’as entre les mains, que le hasard décide du reste ; cherche-le au fond de tes cornets. Dieu m’est témoin que ma patience a été telle depuis trois ans, que nul autre peut-être à ma place…
Est-ce que je me trompe ? Regardez donc, mon oncle, il me semble qu’elle revient par ici. Oui, je l’aperçois entre les arbres ; elle va repasser dans le taillis.
Où donc ? quoi ? qu’est-ce que tu dis ?
Ne voyez-vous pas une robe blanche derrière ces touffes de lilas ? Je ne me trompe pas, c’est bien elle. Vite, mon oncle, rentrez [dans la charmille], qu’on ne nous surprenne pas ensemble.
À quoi bon, puisqu’elle te déplaît ?
Il n’importe, je veux l’aborder, pour que vous ne puissiez pas dire que je l’ai jugée trop légèrement.
Tu l’épouseras si elle persévère ?
Chut ! pas de bruit ; la voici qui arrive.
Monsieur, ma mère m’a chargée de vous demander si vous comptiez partir aujourd’hui.
Oui, mademoiselle, c’est mon intention, et j’ai demandé des chevaux.
C’est qu’on fait un whist au salon, et que ma mère vous serait bien obligée si vous vouliez faire le quatrième.
J’en suis fâché, mais je ne sais pas jouer.
Et si vous vouliez rester à dîner, nous avons un faisan truffé.
Je vous remercie ; je n’en mange pas.
Après dîner, il nous vient du monde, et nous danserons la mazourke.
Excusez-moi, je ne danse jamais.
C’est bien dommage. Adieu, monsieur.
Elle sort.
Ah çà ! voyons, l’épouseras-tu ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? Tu dis que tu as demandé des chevaux : est-ce que c’est vrai ? ou si2[1] tu te moques de moi ?
Vous aviez raison, elle est agréable ; je la trouve mieux que la première fois ; elle a un petit signe au coin de la bouche que je n’avais pas remarqué.
Où vas-tu ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Veux-tu me répondre sérieusement ?
Je ne vais nulle part, je me promène avec vous. Est-ce que vous la trouvez mal faite ?
Moi ? Dieu m’en garde ! je la trouve complète en tout.
Il me semble qu’il est bien matin pour jouer au whist ; y jouez-vous, mon oncle ? Vous devriez [rentrer au château.
Certainement, je devrais y rentrer ;]6 j’attends que vous daigniez me répondre. Restez-vous ici, oui ou non ?
Si je reste, c’est pour notre gageure ; je n’en voudrais pas avoir le démenti ; mais ne comptez sur rien jusqu’à tantôt ; [mon bras malade me met au supplice.
Oui,] j’ai envie de prendre ce bouillon qui est là-haut ; il faut que j’écrive ; je vous reverrai à dîner.
Écrire ! j’espère que ce n’est pas à elle que tu écriras.
Si je lui écris, c’est pour notre gageure. Vous savez que c’est convenu.
Je m’y oppose formellement, à moins que tu ne me montres ta lettre.
Tant que vous voudrez. Je vous dis et je vous répète qu’elle me plaît médiocrement.
Quelle nécessité de lui écrire ? Pourquoi ne lui as-tu pas fait tout à l’heure ta déclaration de vive voix, comme tu te l’étais promis ?
Pourquoi ?
Sans doute ; qu’est-ce qui t’en empêchait ? Tu avais le plus beau courage du monde.
[C’est que mon bras me faisait souffrir.] Tenez ! la voilà qui repasse une troisième fois ; la voyez-vous là-bas dans l’allée ?
Elle tourne autour de la plate-bande, et la charmille est circulaire. Il n’y a rien là que de très convenable.
Ah ! coquette fille ! c’est autour du feu qu’elle tourne, comme un papillon ébloui. Je veux jeter cette pièce à pile ou face pour savoir si je l’aimerai.
Tâche donc qu’elle t’aime auparavant ; le reste est le moins difficile.
Soit. Regardons-la bien tous les deux. Elle va passer entre ces deux touffes d’arbres. Si elle tourne la tête de notre côté, je l’aime ; sinon, je m’en vais à Paris.
Gageons qu’elle ne se retourne pas.
Oh, que si ! Ne la perdons pas de vue.
Tu as raison. – Non, pas encore ; elle paraît lire attentivement.
Je suis sûr qu’elle va se retourner.
Non, elle avance ; la touffe d’arbres approche. Je suis convaincu qu’elle n’en fera rien.
Elle doit pourtant nous voir, rien ne nous cache ; je vous dis qu’elle se retournera.
Je vais lui écrire, ou que le ciel m’écrase ! Il faut que je sache à quoi m’en tenir. C’est incroyable qu’une petite fille traite les gens aussi légèrement. Pure hypocrisie ! pur manège ! Je vais lui dépêcher un billet en règle ; je lui dirai que je meurs d’amour pour elle, que je me suis cassé le bras pour la voir, que si elle me repousse je me brûle la cervelle, et que si elle veut de moi je l’enlève demain matin. [Venez, rentrons, je veux écrire devant vous.]
Tout beau, mon neveu ! quelle mouche vous pique ? Vous nous ferez quelque mauvais tour ici.
Croyez-vous donc que deux mots en l’air puissent signifier quelque chose ? Que lui ai-je dit que d’indifférent, et que m’a-t-elle dit elle-même ? Il est tout simple qu’elle ne se retourne pas. Elle ne sait rien, et je n’ai rien su lui dire. Je ne suis qu’un sot, si vous voulez ; il est possible que je me pique d’orgueil et que mon amour-propre soit en jeu. Belle ou laide, peu m’importe ; je veux voir clair dans son âme. Il y a là-dessous quelque ruse, quelque parti pris que nous ignorons ; laissez-moi faire, tout s’éclaircira.
Le diable m’emporte ! tu parles en amoureux. Est-ce que tu le serais par hasard ?
Non ; je vous ai dit qu’elle me déplaît. Faut-il vous rebattre cent fois la même chose ? Dépêchons-nous [, rentrons au château].
Je vous ai dit que je ne veux pas de lettre, et surtout de celle dont vous parlez.
Venez toujours, nous nous déciderons.
Ils sortent.
Comment ! encore une mauvaise plaisanterie !
Ils sortent.
Un mort, grand Dieu ! quel événement horrible ! je voudrais voir, et je n’ose regarder. – Ah ! ciel ! c’est ce jeune homme que j’ai vu l’hiver passé au bal. – C’est le neveu de M Van Buck. Serait-ce de lui que ma mère vient de me parler ? Mais il n’est pas mort du tout. – Le voilà qui parle à maman, et qui vient par ici. – C’est bien étrange. Je ne me trompe pas ; je le reconnais bien. Quel motif peut-il donc avoir pour ne pas vouloir qu’on le reconnaisse ? Oh ! je le saurai.
LA BARONNE.
Venez, Cécile, il est inutile que vous restiez ici.
LA BARONNE.
Qu’est-ce que cela vous fait ? Venez, venez, mademoiselle.
Elles sortent.
Certainement, je le devrais ;