Victor Hugo
Les Burgraves

PREMIÈRE PARTIE L’AÏEUL

SCÈNE IV.

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SCÈNE IV.

Les Mêmes, L’EMPEREUR, puis GUANHUMARA, puis RÉGINA.

 

L’EMPEREUR.

 

C’était moi !

 

Otbert laisse tomber le poignard. Job se lève et considère l’empereur. Guanhumara avance la tête derrière le pilier à gauche et regarde.

 

JOB, à l’empereur.

 

Vous !

 

OTBERT.

 

L’empereur !

 

L’EMPEREUR, à Job.

 

Le duc, notre père et ton roi,

M’avait caché chez toi. Dans quel but ? Je l’ignore.

 

JOB.

 

Vous, mon frère !

 

L’EMPEREUR.

 

Sanglant, mais respirant encore,

Tu me tins suspendu hors des barreaux de fer,

Et tu me dis : À toi la tombe ! à moi l’enfer !

Seul, j’entendis ces mots prononcés sur l’abîme.

Puis je tombai.

 

JOB, joignant les mains.

 

C’est vrai ! le ciel trompa mon crime !

 

L’EMPEREUR.

 

Des pâtres m’ont sauvé.

 

JOB, tombant aux pieds de l’empereur.

 

Je suis à tes genoux !

Punis-moi ! venge-toi !

 

L’EMPEREUR.

 

Mon frère ! embrassons-nous !

Qu’a-t-on de mieux à faire aux portes de la tombe ?

Je te pardonne !

 

Il le relève et l’embrasse.

 

JOB.

 

Ô Dieu puissant !

 

GUANHUMARA, faisant un pas.

 

Le poignard tombe ;

Donato vit ! Je puis expirer à ses pieds.

Reprenez tous ici tout ce que vous aimiez,

Tout ce qu’avait saisi ma main froide et jalouse.

 

À Job.

 

Toi, ton fils George !

 

À Otbert.

 

Et toi, Régina, ton épouse !

 

Elle fait un signe. Régina, vêtue de blanc, apparaît au fond de la galerie à gauche, chancelante, soutenue par les deux hommes masqués et comme éblouie. Elle aperçoit Otbert et vient tomber dans ses bras avec un grand cri.

 

RÉGINA.

 

Ciel !

 

Otbert, Régina et Job se tiennent éperdument embrassés.

 

OTBERT.

 

Régina ! mon père !

 

JOB, les yeux au ciel.

 

Ô Dieu !

 

GUANHUMARA, au fond du théâtre.

 

Moi, je mourrai !

Sépulcre, reprends-moi !

 

Elle porte une fiole à ses lèvres. L’empereur va vivement à elle.

 

L’EMPEREUR.

 

Que fais-tu ?

 

GUANHUMARA.

 

J’ai juré

Que ce cercueil d’ici ne sortirait pas vide.

 

L’EMPEREUR.

 

Ginevra !

 

GUANHUMARA, tombant aux pieds de l’empereur.

 

Donato ! ce poison est rapide

Adieu !5

 

Elle meurt.

 

L’EMPEREUR, se relevant.

 

Je pars aussi ! – Job, règne sur le Rhin !

 

JOB.

 

Restez, sire.

 

L’EMPEREUR.

 

Je lègue au monde un souverain.

Tout à l’heure là-haut le héraut de l’empire

Vient d’ qu’enfin les princes ont à Spire

Élu mon petit-fils Frédéric, empereur.

C’est un vrai sage, pur de haine, exempt d’erreur.

Je lui laisse le trône et rentre aux solitudes.

Adieu ! Vivez, régnez, souffrez. Les temps sont rudes.

Job, avant de mourir, courbé devant la croix,

J’ai voulu seulement, une dernière fois,

Étendre cette main suprême et tutélaire

Comme roi sur mon peuple, et sur toi comme frère,

Quel qu’ait été le sort, quand l’heure va sonner,

Heureux qui peut bénir !

 

Tous tombent à genoux sous la bénédiction de l’empereur.

 

JOB, lui prenant la main et la baisant.

 

Grand qui sait pardonner !

 

FIN DES BURGRAVES

 

LE POÈTE

Suis Barberousse, ô Job ! Frères, allez tout seuls.

De vos manteaux de rois faites-vous deux linceuls.

Ensemble, l’un sur l’autre appuyant votre marche,

De la vieille Allemagne emportez tous deux l’arche !

Ô colosses ! le monde est trop petit pour vous.

Toi, solitude, aux bruits profonds, tristes et doux,

Laisse les deux géants s’enfoncer dans ton ombre !

Et que toute la terre, en ta nuit calme et sombre,

Regarde avec respect, et presque avec terreur,

Entrer le grand burgrave et le grand empereur !

 





5 Voir note B en fin de volume.



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