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En ce temps, Zonzon Pépette faisait le truc à Paris. Elle n’avait pas de petit homme, elle essayait de vivre sans, depuis son dernier, qui était un salaud. Elle habitait en face d’un cimetière, juste devant la grille où l’on entre les morts. Il y avait, alentour, un mur en briques, avec, au-dessus, de grosses pierres plates pour faire le faîte. Elle connaissait ce mur ; depuis des mois elle passait tout du long chaque nuit. Elle s’en moquait d’ailleurs. Elle n’était pas froussarde.
Une nuit, elle rentrait. Il n’y avait pas de lune et peu de réverbères. On y voyait cependant. Le mur était là comme toujours. Elle ne pensait à rien. Et voilà que, le temps de cligner, quelque chose qui, tout à l’heure, ne s’y trouvait pas, s’y trouvait maintenant. On aurait dit une boule. C’était un peu blanc, avec deux trous plus noirs. Zut ! c’était une tête de mort !
On ne pose pas des têtes de mort sur un mur.
– Si que j’aurais bu, pensa Zonzon, je serais saoule. Ce que je vois… je ne le vois pas.
Mais, tout aussitôt, à côté de la première tête, elle en reconnut une deuxième, puis une troisième, puis d’autres, une longue rangée aussi loin qu’allait le mur. Et, comme pour la première, tantôt elles n’y étaient pas et maintenant elles y étaient.
– Si que j’aurais bu, recommença Zonzon, je serais saoule. Ce que je vois… je ne le vois pas.
Et pourtant si. Elle dut même s’avouer autre chose : c’est que toutes ces têtes n’avaient pas d’yeux et, pourtant, la regardaient. Il y en avait de grosses, de plus petites, puis de migonnes, comme des crânes de moutards. Il y en avait bien mille.
– C’est-y, se demanda Zonzon, que tout le cimetière s’a découché pour me voir ? Ce n’est d’ailleurs pas vrai.
Elle voulut rire, et comme elle riait, elle observa que toutes ces têtes riaient aussi, en montrant leurs dents.
Évidemment, puisqu’elles n’avaient pas de lèvres.
Elle rit encore et, presque aussitôt, sans qu’elle les eût vu bouger, ces crânes, qui étaient posés sur le mur, se trouvèrent plus haut, avec, en dessous, un buste de squelette. Ils s’appuyaient sur les bras et la regardaient, comme on regarde par-dessus un mur.
Elle se dit de nouveau :
– Ce n’est pas vrai ! Ce que je vois, je ne le…
Et pourtant si… Elle constata même qu’à mesure qu’elle avançait, ces squelettes s’arrangeaient pour continuer à la voir. Ainsi : quand elle regarda en arrière, ceux qui, tantôt, se tournaient à droite pour la voir venir, s’étaient tournés à gauche pour la voir s’éloigner : ceux d’en face la regardaient de face et, tout là-bas, à l’autre bout, les derniers se penchaient, comme quand on veut voir plus vite quelque chose qui approche.
Tout de même, elle se mit à courir ; elle arriva à hauteur de la grille, et, derrière, il y en avait d’autres, de tout entiers, massés jusqu’au fond de l’avenue. Les premiers s’accrochaient aux barreaux, avec leurs doigts en os.
Elle se disait :
– Non, je ne les vois pas.
Et pourtant, si qu’elle les voyait. Elle se répétait :
– Non que je ne les vois pas.
Et encore, si.
Elle atteignit sa porte, et, lorsqu’avec sa clef, elle chercha la serrure, il est vrai, elle ne les vit plus, mais elle les sentit dans son dos. Ils étaient comme des types qui attendent qu’on ouvre, ils la poussaient au coude, ils la poussaient si fort que sa main tremblait et qu’elle se dit :
– S’ils entrent, le pipelet, ce qu’il en fera du chambard !
À la longue, elle trouva la serrure et leur claqua la porte. Mais, quand elle se boucla dans sa chambre, ils étaient là avant elle. Il en arrivait par la fenêtre ; ceux qui entraient, en appelaient d’autres ; et ils s’amenaient tous de la même manière : les doigts qui s’accrochaient à l’appui, leur crâne se montrait, leurs pattes qui se levaient pour enjamber. Seulement, quand ils sautaient, cela ne faisait pas de bruit.
Elle aurait voulu se dire encore… mais il en venait toujours. Ils se tassaient autour d’elle ; ils formaient un cercle, un plus grand cercle, puis d’autres, de plus en plus grands et de plus en plus loin. Elle se trouvait au milieu, et tous, montrant les dents, la regardaient.
Et pourquoi eût-elle pensé encore à son pipelet ? Sa chambre n’était plus une chambre. Il n’y avait plus de meubles. Il n’y avait plus de murs. Il n’y avait plus que des squelettes, plein comme sur une grand’place, et, au milieu, elle, qu’ils regardaient.
Et, nom de Dieu, non qu’elle ne les voyait pas ! Et pourtant si. Ils la bousculaient. Ils la poussaient aux reins, ils lui touchaient les fesses, pendant qu’un grand la travaillait, avec un os.
Les autres attendaient leur tour. Ils la serraient comme on vous serre dans une foule. Elle se disait encore :
– Ce n’est pas vrai…
Et pourtant si… Même qu’à un moment, elle pensa :
– J’en ai assez, je vas me fiche par terre.
Et, serrée comme elle l’était, elle ne parvint pas à tomber par terre…