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C’est en moyenne une douzaine de jours que dure la période d’alimentation de la Scolie. La victuaille n’est plus alors qu’un sac chiffonné, une peau vidée jusqu’à la dernière parcelle nutritive. Un peu avant, la teinte feuille morte annonce l’extinction, de l’ultime étincelle de vie dans la bête dévorée. La dépouille est refoulée de côté pour laisser l’espace libre, un peu d’ordre est mis dans la salle à manger, informe cavité à parois croulantes, et la larve de Scolie se met, sans tarder, au travail du cocon.
Les premières assises, échafaudage général prenant appui çà et là sur l’enceinte de terreau, consistent en un tissu grossier d’un rouge de sang. Simplement déposée, ainsi que l’exigeaient mes études, dans une dépression pratiquée du bout du doigt sur le lit d’humus, la larve ne parvient pas à filer son cocon, faute d’une voûte où elle puisse fixer les fils supérieurs de son lacis. Pour travailler à leur coque, toutes les larves filandières ont besoin de s’isoler dans un hamac suspenseur, qui fasse autour d’elles enceinte à claire voie, et leur permette, dans tous les sens, la régulière distribution du tissu. Si le plafond manque, le cocon ne peut se former par le haut, l’ouvrière n’ayant pas les points d’appui nécessaires.
Dans ces conditions, mes larves de Scolies parviennent, tout au plus, à tapisser leur fossette d’un épais molleton de soie rougeâtre. Découragées par de vaines tentatives, quelques-unes périssent. On les dirait tuées par la soie qu’elles négligent de dégorger dans leur impuissance de l’utiliser convenablement. Si l’on n’y veillait, ce serait là, dans les éducations artificielles, une cause très fréquente d’insuccès. Mais le péril reconnu, le remède est facile. Je fais plafond au-dessus de la niche avec une courte bandelette de papier superposée. Si je désire voir comment les choses se passent, je courbe la bandelette en un cintre, en un demi-canal dont les deux extrémités sont ouvertes. Qui voudra essayer à son tour les fonctions d’éducateur, pourra tirer profit de ces menus détails de la pratique.
En vingt-quatre heures, le cocon est achevé, du moins il ne permet plus d’apercevoir la larve, qui sans doute épaissit encore la paroi de sa demeure. Ce cocon est d’abord d’un roux ardent ; plus tard, il tourne au brun marron clair. Sa forme est celle d’un ellipsoïde dont le grand axe mesure 26 millimètres, et le petit axe 11 millimètres.
Ces dimensions, du reste un peu variables, appartiennent aux cocons femelles. Pour l’autre sexe, elles sont moindres et peuvent descendre jusqu’à 17 millimètres de longueur sur 7 millimètres de largeur.
Les deux extrémités de l’ellipsoïde ont même configuration, à tel point qu’on ne peut distinguer le bout céphalique du bout anal qu’à la faveur d’un caractère particulier indépendant de la forme. Le bout céphalique est flexible et cède à la pression des pinces ; le bout anal est dur et ne cède pas. L’enceinte est double, comme pour les cocons des Sphégiens. L’enveloppe externe, composée de soie pure, est mince, flexible, de peu de résistance.
Elle est étroitement superposée à l’enveloppe interne, et de partout aisément séparable, si ce n’est à l’extrémité anale, où elle adhère à la seconde enveloppe. D’une part l’adhésion et d’autre part la non adhésion entre les deux enceintes sont cause des différences que les pinces constatent en prenant les extrémités du cocon.
L’enceinte intérieure est ferme, élastique, rigide, et jusqu’à un certain point cassante. Je n’hésite pas à la regarder comme formée d’un tissu de soie que la larve, sur la fin du travail, a profondément imbibé d’une sorte de laque préparée, non par les glandes sérifiques, mais bien par l’estomac. Les cocons de Sphex nous ont déjà montré une laque pareille. Ce produit du ventricule chylique est d’un brun marron. C’est lui qui, saturant l’épaisseur du tissu, fait disparaître le roux vif du début et le remplace par du brun. C’est lui encore qui, plus abondamment dégorgé au pôle inférieur du cocon, soude en ce point les deux enveloppes.
C’est vers le commencement de juillet qu’a lieu l’éclosion de l’insecte parfait. La sortie s’opère sans effraction violente, sans déchirures irrégulières. Une fissure nette et circulaire se déclare à quelque distance du sommet, et le bout céphalique du cocon se détache tout d’une pièce ainsi qu’un opercule simplement juxtaposé. On dirait que le reclus n’a qu’à soulever un couvercle en le cognant du front, tant la ligne de séparation est précise, du moins pour l’enceinte intérieure, la plus solide et la plus importante des deux. Quant à l’enveloppe externe, son peu de résistance lui permet de se rompre sans difficulté lorsque l’autre cède.
Je ne vois pas au juste par quel art l’hyménoptère parvient à détacher avec tant de régularité la calotte de la coque intérieure. Est-ce là travail de tailleur qui découpe l’étoffe avec les mandibules pour ciseaux ? Je n’ose l’admettre, tant est coriace le tissu et net le cercle de section. Les mandibules ne sont pas assez acérées pour trancher sans laisser de bavures ; et puis quelle sûreté géométrique ne leur faudrait-il pas pour la perfection d’un travail qui semble obtenu avec le compas.
Je soupçonne donc que la Scolie confectionne d’abord le sac extérieur suivant la méthode habituelle, c’est-à-dire en distribuant le fil d’une manière uniforme, sans dispositions spéciales pour une région de la paroi plutôt que pour une autre ; et qu’elle change après son mode de tissage pour s’occuper de l’œuvre maîtresse, de la coque intérieure. Alors apparemment elle imite les Bembex, qui tissent d’abord une nasse, dont l’ample ouverture leur permet de cueillir au dehors des grains de sable pour les incruster un à un dans le réseau soyeux ; et qui terminent l’ouvrage par une calotte adaptée à l’embouchure de la nasse. Ainsi est ménagée une ligne circulaire de moindre résistance, suivant laquelle se fait plus tard la rupture du coffret. Si la Scolie travaille, en effet, de la sorte, tout s’explique : la nasse encore ouverte lui permet d’imbiber de laque, à l’extérieur comme à l’intérieur, la coque centrale, qui doit acquérir la consistance du parchemin ; enfin la calotte qui complète et clôture l’édifice, laisse pour l’avenir une ligne circulaire de nette et facile déhiscence.
C’est assez sur la larve de la Scolie. Revenons à ses vivres, dont nous ne connaissons pas encore la remarquable structure. Pour être consommée avec la délicate réserve anatomique qu’impose la nécessité d’avoir des vivres frais jusqu’à la fin, la larve de Cétoine doit être plongée dans une complète immobilité : des tressaillements de sa part, – les expérimentations que j’ai entreprises le prouvent assez, – décourageraient le ver rongeur et troubleraient le dépècement qu’il importe de conduire avec tant de circonspection. Il ne suffit pas que la victime soit impuissante à se déplacer au milieu du terreau, il faut de plus que toute contraction soit abolie dans son robuste organisme musculaire.
En son état normal, cette larve, pour peu qu’elle soit inquiétée, s’enroule sur elle-même, à peu près comme le hérisson ; et les deux moitiés de la face ventrale viennent s’appliquer l’une sur l’autre. On est tout surpris de la puissance déployée par la bête pour se maintenir ainsi contractée. Si l’on cherche à la dérouler, les doigts éprouvent une résistance que la taille de l’animal était loin de faire soupçonner. Pour maîtriser cette espèce de ressort ramassé sur lui-même, il faut le violenter, à tel point que l’on craint, en persistant, de voir se rompre tout à coup, avec projection d’entrailles, l’indomptable volute.
Pareille énergie musculaire se retrouve dans les larves de l’Orycte, de l’Anoxie, du Hanneton. Appesanties par une lourde bedaine et vivant sous terre, où elles se nourrissent soit d’humus, soit de racines, ces larves ont toutes la constitution vigoureuse nécessaire pour traîner leur corpulence dans un milieu résistant. Toutes aussi se bouclent en un crochet qu’on ne maîtrise pas sans effort.
Or, que deviendraient l’œuf et le ver naissant des Scolies, établis sous le ventre, au centre de l’enroulement de la Cétoine, ou bien dans le crochet de l’Orycte et de l’Anoxie ? Ils seraient écrasés entre les mâchoires de l’étau vivant. Il faut que l’arc se débande et que le croc s’ouvre, sans possibilité aucune de retour à l’état de tension. La prospérité des Scolies exige davantage : il faut que ces vigoureuses croupes aient perdu toute aptitude à un simple frémissement, cause de trouble dans une alimentation qui doit être conduite avec tant de prudence.
La larve de Cétoine sur laquelle est fixé l’œuf de la Scolie à deux bandes, remplit à merveille les conditions voulues. Elle gît sur le dos, au sein du terreau, le ventre étalé en plein. Vieil habitué que je suis du spectacle de proies paralysées par le dard de l’hyménoptère déprédateur, je ne peux réprimer ma surprise devant la profonde immobilité de la victime que j’ai sous les yeux. Chez les autres proies à téguments flexibles, chenilles, grillons, mantes, criquets, éphippigères, je constatais au moins quelques pulsations de l’abdomen, quelques faibles contorsions sous le stimulant de la pointe d’une aiguille. Ici rien. Inertie absolue, sauf dans la tête, où je vois, de loin en loin, les pièces de la bouche s’ouvrir et se fermer, les palpes frémir, les courtes antennes osciller. Une piqûre avec la pointe d’une aiguille n’amène aucune contraction, n’importe le point piqué. Lardé de part en part avec un poinçon, l’animal ne bouge, si peu que ce soit. Un cadavre n’est pas plus inerte. Jamais, depuis mes plus lointaines recherches, je n’ai été témoin d’une paralysie aussi profonde. J’ai vu bien des merveilles dues au talent chirurgical de l’hyménoptère ; mais celle d’aujourd’hui les dépasse toutes.
Mon étonnement redouble si je considère dans quelles conditions défavorables opère la Scolie. Les autres paralyseurs travaillent à l’air libre, en plein jour. Rien ne les gêne. Ils ont pleine liberté d’action pour happer la proie, la maintenir, la sacrifier ; ils voient le patient et peuvent déjouer ses moyens de défense, éviter ces tenailles, ces harpons. Le point où les points qu’il s’agit d’atteindre sont à leur portée ; ils y plongent le stylet sans entraves.
Pour la Scolie, au contraire, que de difficultés ! Elle chasse sous terre, dans l’obscurité la plus noire. Ses mouvements sont rendus pénibles et mal assurés par le terreau qui s’éboule continuellement autour d’elle ; elle ne peut, du regard, surveiller les terribles mandibules qui, d’un seul coup, lui trancheraient le corps en deux. De plus, la Cétoine, sentant l’ennemi venir, prend sa posture de défense, s’enroule et fait cuirasse, avec la convexité du dos, à la seule partie vulnérable, la face ventrale. Non, ce ne doit pas être opération aisée que de dompter la robuste larve dans sa retraite souterraine, et de la poignarder avec la précision qu’exige une paralysie immédiate.
Assister à la lutte des deux adversaires et reconnaître directement comment les choses se passent, on le souhaite mais sans espoir d’y parvenir. Les événements se déroulent dans les mystères du terreau ; au grand jour l’attaque ne se ferait pas, car la victime doit rester sur place et recevoir aussitôt l’œuf, dont l’évolution ne peut prospérer que sous le chaud couvert de l’humus. Si l’observation directe est impraticable, on peut du moins entrevoir les traits principaux du drame en se laissant guider par les manœuvres de guerre des autres fouisseurs.
Je me figure donc les choses ainsi. Fouillant et refouillant l’amas de terreau, peut-être guidée par cette singulière sensibilité des antennes qui permet à l’Ammophile hérissée de reconnaître sous terre le Ver gris, la Scolie finit par trouver une larve de Cétoine, dodue, faite à point, parvenue à sa pleine croissance, telle qu’il la faut au ver qu’elle doit alimenter. Aussitôt l’assaillie fait la boule, désespérément se contracte. L’autre la happe par la peau de la nuque. La dérouler lui est impossible, lorsque moi-même je peine pour y réussir. Un seul point est accessible au dard : le dessous de la tête, ou plutôt des premiers segments, placés à l’extérieur de la volute pour que le dur crâne de l’animal fasse rempart à l’extrémité d’arrière, moins bien défendue. Là plonge, et là seulement peut plonger dans une région très circonscrite, le dard de l’hyménoptère. Un seul coup de lancette est donné en ce point, un seul puisqu’il n’y a pas place pour d’autres ; et cela suffit : la larve est paralysée à fond.
À l’instant sont abolies les fonctions nerveuses, les contractions musculaires cessent, et l’animal se déroule comme un ressort cassé. Désormais inerte, il gît sur le dos, la face ventrale étalée en plein d’un bout à l’autre. Sur la ligne médiane de cette face, vers l’arrière, à proximité de la tache brune due à la bouillie alimentaire contenue dans l’intestin, la Scolie dépose son œuf, et sans plus, abandonne le tout sur les lieux mêmes du meurtre, pour se mettre en recherche d’une autre victime.
Ainsi doit se passer l’action ; les résultats hautement le témoignent. Mais alors la larve de Cétoine doit présenter une structure bien exceptionnelle dans son appareil nerveux.
La violente contraction de la tête ne laisse à l’aiguillon qu’un seul point d’attaque, le dessous du col, mis sans doute à découvert lorsque l’assaillie cherche à se défendre avec les mandibules ; et d’un coup de dard en ce point unique résulte cependant une paralysie comme je n’en ai jamais vu d’aussi complète. Il est de règle que les larves ont un centre d’innervation pour chaque segment. Tel est, en particulier, le cas du Ver gris sacrifié par l’Ammophile hérissée. Celle-ci est versée dans le secret anatomique : elle poignarde la chenille à nombreuses reprises, d’un bout à l’autre, segment par segment, ganglion par ganglion. Avec pareille organisation, la larve de Cétoine, invinciblement roulée sur elle-même, braverait la chirurgie du paralyseur.
Si le premier ganglion était atteint, les autres resteraient indemnes ; et la puissante croupe, animée par ceux-ci, ne perdrait rien de ses contractions. Malheur alors à l’œuf, au jeune ver comprimé dans son étreinte ! Et puis quelles difficultés insurmontables si la Scolie devait, au milieu des éboulis du sol, dans une obscurité profonde, en face de redoutables mandibules, piquer du dard tour à tour chaque segment, avec la sûreté de méthode que déploie l’Ammophile ! La délicate opération est praticable à l’air libre, où rien ne gêne, au grand jour, où le regard guide le scalpel, et sur un patient qu’il est toujours possible de lâcher s’il devient dangereux. Mais dans l’obscurité, sous terre, au milieu des décombres d’un plafond que la lutte fait crouler, côte à côte avec un adversaire bien supérieur en force, sans retraite possible lorsque le danger presse, comment diriger le dard avec la précision requise si les coups doivent se répéter ?
Paralysie si profonde, difficulté de la vivisection sous-terre, enroulement désespéré de la victime, tout me l’affirme : la larve de Cétoine, sous le rapport de l’appareil nerveux, doit posséder une structure à part. Dans les premiers segments, à peu près sous le col, doit se concentrer, en une masse de peu d’étendue, l’ensemble des ganglions. Je le vois clairement comme si déjà l’autopsie me le montrait.
Jamais prévision anatomique ne s’est mieux confirmée par l’examen direct. Après quarante-huit heures de séjour dans la benzine, qui dissout la graisse et rend plus visible le système nerveux, la larve de Cétoine est soumise à la dissection. Qui n’est pas étranger à de pareilles études comprendra ma joie. Quelle école savante que celle de la Scolie ! C’est bien cela ; parfait ! Les ganglions thoraciques et abdominaux sont réunis en une seule masse nerveuse située dans le quadrilatère que délimitent les quatre pattes postérieures, pattes très rapprochées de la tête. C’est un petit cylindre d’un blanc mat, de 3 millimètres environ de longueur sur un demi-millimètre de largeur. Voilà l’organe que doit atteindre le dard de la Scolie pour obtenir la paralysie de tout le corps, sauf la tête pourvue de ganglions spéciaux. Il en part de nombreux filaments qui animent les pattes et la puissante couche musculaire, organe moteur par excellence de l’animal. À la simple loupe, ce cylindre apparaît légèrement sillonné en travers, preuve de sa structure complexe.
Sous le microscope, il se montre formé par la juxtaposition intime, par la soudure bout à bout de dix ganglions, qui se distinguent l’un de l’autre par un léger étranglement. Les plus volumineux sont le premier, le quatrième et le dixième ou dernier ; tous les trois à peu près égaux entre eux. Les autres, pour le volume, ne sont guère, chacun, que la moitié ou même le tiers des précédents.
La Scolie interrompue éprouve les mêmes difficultés de chasse et de chirurgie quand elle attaque, dans le sol croulant et sablonneux, la larve soit de l’Anoxie velue, soit de l’Anoxie matutinale suivant la région ; et ces difficultés, pour être surmontées, exigent dans la victime un système nerveux condensé comme celui de la Cétoine. Telle est ma logique conviction avant tout examen, tel est aussi le résultat de l’observation directe. Soumise au scalpel, la larve de l’Anoxie matutinale me montre ses centres d’innervation pour le thorax et l’abdomen, réunis en un court cylindre qui, situé très avant, presque immédiatement après la tête, ne dépasse pas en arrière le niveau de la seconde paire de pattes. Le point vulnérable est de la sorte aisément accessible au dard, malgré la posture de défense de l’animal, qui se contracte et se boucle. Dans ce cylindre, je reconnais onze ganglions, un de plus que pour la Cétoine. Les trois premiers ou thoraciques sont nettement distincts l’un de l’autre, quoique très rapprochés ; les suivants sont tous contigus. Les plus gros sont les trois thoraciques et le onzième.
Ces faits reconnus, le souvenir me vint d’un travail de Swammerdam sur le ver du Monocéros, notre Orycte nasicorne. De fortune, j’avais par extraits le Biblia naturæ, l’œuvre magistrale du père de l’anatomie de l’insecte.
Le vénérable bouquin fut consulté. Il m’apprit que le savant Hollandais avait été frappé, bien avant moi, d’une particularité anatomique semblable à celle que les larves des Cétoines et des Anoxies venaient de me montrer dans leurs centres d’innervation. Après avoir constaté dans le Ver-à-soie un appareil nerveux formé de ganglions distincts l’un de l’autre, il est tout surpris de trouver dans la larve de l’Orycte le même appareil concentré en une courte chaîne de ganglions juxtaposés. Sa surprise était celle de l’anatomiste qui, étudiant l’organe pour l’organe, voit pour la première fois une conformation insolite.
La mienne était d’un autre ordre : j’étais émerveillé de la précision avec laquelle la paralysie de la victime sacrifiée par la Scolie, paralysie si profonde malgré les difficultés d’une opération pratiquée sous terre, avait conduit mes prévisions de structure lorsque, devançant l’autopsie, j’affirmais une concentration exceptionnelle du système nerveux. La physiologie voyait ce que l’anatomie ne montrait pas encore, du moins à mes yeux, car depuis, en feuilletant mes livres, j’ai appris que ses particularités anatomiques, alors si nouvelles pour moi, sont maintenant du domaine de la science courante. On sait que, chez les Scarabéiens, la larve ainsi que l’insecte parfait sont doués d’un appareil nerveux concentré.
La Scolie des jardins attaque l’Orycte nasicorne ; la Scolie à deux bandes, la Cétoine ; la Scolie interrompue, l’Anoxie. Toutes les trois opèrent sous terre, dans les conditions les plus défavorables ; et toutes les trois ont pour victime une larve de Scarabéien, qui, par l’exceptionnelle disposition de ses centres nerveux, seule entre toutes les larves, se prête aux succès de l’hyménoptère. Devant ce gibier souterrain, si varié de grosseur et de forme, et malgré cela si judicieusement choisi pour une paralysie facile, je n’hésite pas à généraliser, et j’admets pour ration des autres Scolies des larves de lamellicornes dont les observations futures détermineront l’espèce.
Peut-être que l’une d’elles sera reconnue comme donnant la chasse au redoutable ennemi de mes cultures, le vorace Ver blanc, larve du Hanneton ; peut-être que la Scolie hémorrhoïdale, rivalisant de grosseur avec la Scolie des jardins et comme elle, sans doute, exigeant copieuse victuaille, sera inscrite dans le livre d’or des insectes utiles comme destructeur du Hanneton foulon, ce superbe coléoptère moucheté de blanc sur fond noir ou marron, qui, le soir, au solstice d’été, broute le feuillage des pins. J’entrevois, sans pouvoir préciser, de vaillants auxiliaires agricoles dans ces consommateurs de vers de Scarabées.
La larve de Cétoine n’a figuré jusqu’ici qu’à titre de proie paralysée ; considérons-la maintenant dans son état normal. Avec son dos convexe et sa face ventrale presque plane, l’animal a la forme d’un demi-cylindre, plus renflé dans la partie d’arrière. Sur le dos, chacun des anneaux, sauf le dernier ou anal, se plisse en trois gros bourrelets, hérissés de cils fauves et raides. L’anneau anal, beaucoup plus ample que les autres, est arrondi au bout et fortement rembruni par le contenu de l’intestin, contenu que laisse entrevoir la peau translucide ; il est hérissé de cils comme les autres, mais lisse, sans bourrelets. À la face ventrale, les anneaux sont dépourvus de plis ; et les cils, quoique abondants, le sont un peu moins que sur le dos. Les pattes, bien conformées du reste, sont courtes et débiles par rapport à l’animal. La tête a pour crâne une solide calotte cornée. Les mandibules sont robustes, coupées en biseau, avec trois ou quatre dents noires sur la troncature.
Son mode de locomotion en fait un être à part, exceptionnel, bizarre, comme il n’y en a pas d’autre exemple, à ma connaissance, dans le monde des insectes. Bien que doué de pattes, un peu courtes il est vrai, mais après tout aussi valides que celles d’une foule d’autres larves, l’animal n’en fait jamais usage pour la marche. C’est sur le dos qu’il progresse, toujours sur le dos, jamais autrement. À l’aide de mouvements vermiculaires, les cils dorsaux donnant appui, il chemine le ventre en l’air, les pattes gigottant1 dans le vide. Qui voit pour la première fois cette gymnastique à rebours, croit d’abord à quelque effarement de la bête qui se démène, dans le danger, comme elle peut. On la remet sur le ventre, on la couche sur le flanc. Rien n’y fait : obstinément elle se renverse et revient à la progression dorsale. C’est sa manière de cheminer sur une surface plane ; elle n’en a pas d’autre.
Ce renversement du mode ambulatoire lui est tellement particulier, qu’il suffit à lui seul, aux yeux les plus inexperts, pour reconnaître aussitôt la larve de Cétoine. Fouillez l’humus que forme le bois décomposé dans les troncs caverneux des vieux saules, cherchez au pied des souches pourries ou dans les amas de terreau, s’il vous tombe sous la main quelque ver grassouillet qui marche sur le dos, l’affaire est sûre : votre trouvaille est une larve de Cétoine.
Cette progression à l’envers est assez rapide et ne le cède pas en vitesse à celle d’une larve de même obésité cheminant sur des pattes. Elle lui serait même supérieure sur une surface polie, où la marche pédestre est entravée par de continuels glissements, tandis que les nombreux cils des bourrelets dorsaux y trouvent l’appui nécessaire en multipliant les points de contact. Sur le bois raboté, sur une feuille de papier et jusque sur une lame de verre, je vois mes larves se déplacer avec la même aisance que sur une nappe de terreau. En une minute, sur le bois de ma table, elles parcourent une longueur de deux décimètres. Sur une feuille de papier cloche, deux décimètres encore. La vitesse n’est pas plus grande sur un lit horizontal de terreau tamisé. Avec une lame de verre, la distance parcourue se réduit de moitié. La glissante surface ne paralyse qu’à demi l’étrange locomotion.
Mettons en parallèle la larve de la Cétoine avec celle de l’Anoxie matutinale, gibier de la Scolie interrompue. C’est à peu de chose près la larve du vulgaire Hanneton. Ver replet, lourdement ventru, casqué d’une épaisse calotte rousse et armé de mandibules fortes et noires, vigoureux outils de fouille et de dépècement des racines. Pattes robustes, que termine un ongle crochu. Lourde et longue bedaine rembrunie. Mis sur la table, l’animal se couche sur le flanc ; il se démène sans possibilité d’avancer et même de se maintenir soit sur le ventre soit sur le dos. Dans sa posture habituelle, il est fortement recourbé en crochet. Je ne le vois jamais se rectifier en entier ; le volumineux abdomen s’y oppose. Mis sur une nappe de sable frais, l’animal ventripotent ne parvient pas à se déplacer davantage : courbé en hameçon, il gît sur le flanc.
Pour creuser la terre et s’enfouir, il fait usage du bord antérieur de la tête, sorte de houe dont les pointes sont les deux mandibules. Les pattes interviennent dans ce travail, mais avec bien moins d’efficacité. Il parvient ainsi à se creuser un puits de peu de profondeur. Alors, prenant appui contre la paroi, à l’aide de mouvements vermiculaires que favorisent les cils courts et raides dont tout le corps est hérissé, le ver se déplace et plonge dans le sable, mais toujours péniblement.
À quelques détails près, ici sans importance, répétons ce croquis de la larve de l’Anoxie, et nous aurons, la grosseur étant pour le moins quadruple, le croquis de la larve de l’Orycte nasicorne, le monstrueux gibier de la Scolie des jardins. Même aspect général, même exagération du ventre, même flexion en croc, même impossibilité de la station sur les pattes. Autant faut-il en dire de la larve du Scarabée Pentodon, commensal de l’Orycte et de la Cétoine.