Jean-Henri Fabre
Souvenirs entomologiques - III
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SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES - LIVRE III

CHAPITRE XIII CÉROCOMES, MYLABRES ET ZONITIS

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CHAPITRE XIII

CÉROCOMES, MYLABRES ET ZONITIS

 

Tout n’est pas dit sur les Méloïdes, ces singuliers parasites dont quelques-uns, Sitaris et Méloës, s’attachent, ainsi que des poux minuscules, à la toison de divers apiaires pour se faire transporter dans la cellule où ils doivent détruire l’œuf et se nourrir après de la pâtée de miel. Une trouvaille des plus inattendues, faite à quelques cents pas de ma porte, vient de m’avertir encore une fois combien il est périlleux de généraliser. Admettre, comme semblait nous autoriser à le faire l’ensemble des documents recueillis jusqu’à ce jour, que tous les Méloïdes de nos pays usurpent les provisions en miel amassées par les apiaires, était certes une généralisation des mieux assises et des plus naturelles. Sans hésiter, beaucoup l’ont admise et pour ma part, j’étais du nombre. Sur quoi donc pouvons-nous étayer notre conviction lorsque nous nous imaginons formuler une loi ? Nous croyons nous élever au général et nous sombrons dans l’erreur. Voici que la loi des Méloïdes doit être rayée du code, sort commun à bien d’autres. Ce chapitre va nous le démontrer.

 

Le 16 juillet 1883, je fouillais, avec mon fils Émile, l’amas sablonneux où quelques jours avant j’avais assisté aux travaux et à la chirurgie du Tachyte manticide. Mon but était de recueillir quelques cocons du fouisseur. Ces cocons arrivaient abondants sous ma houlette de poche, lorsque Émile me présenta un objet inconnu. Distrait par mes préoccupations de récolte, je mis la trouvaille dans la boîte sans autre examen qu’un rapide coup d’œil. Nous partîmes. À mi-chemin du retour, l’ardeur pour la fouille calmée, l’idée de l’objet problématique, si négligemment jeté dans la boite parmi les cocons, me traversa l’espritTiens, tiens ! me disais-je ; si c’était cela ? Pourquoi pas. Et mais, oui, c’est cela, justement cela. – Puis brusquement à Émile, assez surpris du monologue : Mon ami, tu viens de faire trouvaille superbe. C’est une pseudo-chrysalide de Méloïde. C’est un document inestimable ; un nouveau filon dans les archives extraordinaires de ces animaux. Voyons de près la chose et tout de suite.

 

L’objet fut extrait de la boîte, épousseté du souffle et attentivement examiné. J’avais réellement sous les yeux la pseudo-chrysalide de quelque Méloïde. Sa forme m’était inconnue. N’importe : vieil habitué, je ne pouvais méconnaître sa provenance. Tout m’affirmait que j’étais sur la voie d’un émule des Sitaris et des Méloés pour la singularité des transformations ; et circonstance de plus de prix encore, l’emplacement au milieu des terriers du sacrificateur de Mantes, m’annonçait des mœurs toutes différentes.

 

– Il fait bien chaud, mon pauvre Émile ; nous sommes harassés l’un et l’autre. C’est égal, revenons à la dune, et fouillons, cherchons encore. Il me faut la larve qui précède la pseudo-chrysalide ; il me faut, s’il se peut, l’insecte qui en provient. Le succès répondit largement à notre zèle. Des pseudo-chrysalides furent trouvées, assez nombreuses. Plus nombreuses encore furent exhumées des larves occupées à consommer les Mantes, provisions du Tachyte. Est-ce bien de ces larves que proviennent les pseudo-chrysalides ? Les probabilités sont grandes pour l’affirmative, cependant il y a matière à doute. L’éducation à domicile dissipera la nuée du probable et la remplacera par la clarté du certain. – Et c’est tout : aucun vestige d’insecte parfait qui puisse me renseigner sur la nature du parasite. L’avenir, espérons-le, comblera cette lacune. Tel fut le résultat de la première tranchée ouverte dans l’amas de sable. Des fouilles ultérieures enrichirent un peu ma récolte sans apporter des documents nouveaux.

 

Procédons maintenant à l’examen de ma double trouvaille. Et d’abord la pseudo-chrysalide, qui m’a donné l’éveil. – C’est un corps inerte, rigide, d’un jaune de cire, lisse, luisant, recourbé en hameçon du côté de la tête, qui est infléchie. À une très forte loupe, la surface apparaît semée de très petits points un peu saillants et plus luisants que le fond. On y compte treize anneaux, la tête comprise. La face dorsale est convexe ; la face ventrale, aplatie. Une arête obtuse de séparation limite les deux faces. Les trois segments thoraciques portent, chacun, une paire de petits mamelons coniques, d’un roux foncé, indices des futures pattes. Les stigmates sont très nets et apparaissent comme des points d’un roux plus foncé que celui du reste des téguments. Il y en a un, le plus grand de tous sur le second segment du thorax, presque sur la ligne de séparation avec le premier segment. Il y en a ensuite huit, un sur chaque segment de l’abdomen moins le dernier. En tout neuf paires de stigmates. La dernière paire, ou celle du huitième segment abdominal, est la moindre de toutes.

 

L’extrémité anale ne présente rien de particulier. Le masque céphalique comprend huit tubercules conoïdes d’un roux foncé, rappelant les tubercules des pattes. Six sont disposés sur deux rangées latérales, les autres sont entre les deux rangées. Pour chaque rangée de trois mamelons, celui du milieu est le plus fort ; il correspond sans doute aux mandibules. La longueur de cet organisme est fort variable et oscille entre 8 et 15 millimètres. Sa largeur est de 3 à 4 millimètres.

 

La configuration générale mise à part, c’est, on le voit, l’aspect si caractéristique des pseudo-chrysalides des Sitaris, Méloés, Zonitis. Mêmes téguments rigides, cornés, d’un roux de jujube ou de cire vierge ; même masque céphalique, où les futures pièces de la bouche se traduisent par de légers tubercules ; mêmes boutons thoraciques, qui sont le vestige des pattes ; même distribution des stigmates. Aussi ma conviction était des plus fermes : le parasite des chasseurs de Mantes ne pouvait être qu’un Méloïde.

 

Enregistrons aussi le signalement de la larve étrangère, trouvée dévorant le monceau de Mantes dans les terriers du Tachyte. – Elle est nue, aveugle, blanche, molle, fortement recourbée. Par son aspect général, elle fait songer à quelque larve de Curculionide. Avec plus de précision encore, je pourrais la comparer à la larve secondaire du Meloë cicatricosus, dont j’ai donné autrefois la figure dans les Annales des Sciences naturelles. Réduisons considérablement cette figure et nous aurons à très peu près le portrait du parasite du Tachyte.

 

Tête robuste, faiblement teintée de roux. Mandibules fortes, recourbées en croc pointu, noires au bout et d’un roux ardent à la base. Antennes très courtes, insérées tout près de l’origine des mandibules. J’y relève trois articles ; le premier gros et globuleux ; les deux autres cylindriques, le dernier brusquement tronqué. Douze segments, outre la tête, séparés par des étranglements assez nets. Premier segment thoracique un peu plus long que les autres, avec plaque dorsale très légèrement teintée de roux, ainsi que le crâne. À partir du dixième segment, le corps s’atténue un peu en arrière. Un faible bourrelet festonné sépare la face dorsale de la face ventrale.

 

Pattes courtes, blanches, hyalines, terminées par un ongle faible. Un stigmate sur le mésothorax, vers la ligne de jointure avec le prothorax ; un stigmate sur chaque flanc des huit premiers segments abdominaux ; en tout neuf paires de stigmates distribués comme ceux de la pseudo-chrysalide. Ces stigmates sont petits, teintés de roux, assez difficiles à voir. Variable de taille comme la pseudo-chrysalide qui paraît en provenir, cette larve mesure en moyenne une douzaine de millimètres de longueur sur trois millimètres de largeur.

 

Les six petites pattes, toutes faibles qu’elles sont, rendent des services qu’on ne soupçonnerait pas d’abord. Elles enlacent la Mante dévorée et la maintiennent sous les mandibules, tandis que le ver, touché sur le flanc, prend sa réfection à son aise. Elles servent aussi à la progression. Sur une surface résistante, le bois de ma table, la larve se déplace fort bien ; elle trottine traînant le ventre, et le corps droit d’un bout à l’autre. Sur le sable fin et mobile, le déplacement devient difficultueux. Le ver alors se courbe en arc ; il s’agite sur le dos, sur le flanc ; il rampe un peu, il fouille et pioche de la mandibule. Mais qu’un appui moins croulant lui vienne en aide, et des pérégrinations un peu longues ne sont pas au-dessus de ses moyens.

 

J’élevais mes pensionnaires dans une boite subdivisée en compartiments par des cloisons de papier. Chaque loge, représentant à peu près la capacité d’une cellule de Tachyte, recevait sa couche de sable, son monceau de Mantes et sa larve. Or plus d’un désordre est survenu dans ce réfectoire, où je me figurais tenir les convives isolés l’un de l’autre, chacun à sa table spéciale. Telle larve qui avait fini sa ration la veille était retrouvée le lendemain dans une autre salle, où elle partageait le repas de sa voisine. Elle avait donc franchi la cloison, peu élevée d’ailleurs, ou bien forcé quelque entre-bâillement. Cela suffit, je crois, pour établir que le ver n’est pas rigoureusement casanier comme le sont les larves des Sitaris et des Méloës, consommant la pâtée de l’Anthophore.

 

Je me figure que, dans les terriers des Tachytes, son monceau de Mantes rongé, il déménage d’une cellule à l’autre jusqu’à ce que son appétit soit satisfait. Ses excursions souterraines ne doivent pas être d’ample rayon, mais elles lui suffisent pour visiter quelques cellules rapprochées. J’ai dit combien étaient variables les provisions en Mantes du Tachyte. Les moindres sont, à coup sûr, la part des mâles, nains chétifs par rapport à leurs compagnes ; les plus copieuses sont la part des femelles. Le ver parasite à qui le sort fait échoir la maigre ration masculine, n’a peut-être pas assez de ce lot ; il lui faut un supplément qu’il peut acquérir en changeant de domicile. Si la chance le sert, il mangera suivant la mesure de sa faim et atteindra tout le développement que sa race comporte ; s’il erre sans rien trouver, il jeûnera et restera petit. Ainsi s’expliqueraient les différences que je constate soit entre les vers soit entre les pseudo-chrysalides, différences qui vont du simple au double et au delà pour les dimensions linéaires. Rares ou abondants suivant les loges rencontrées, les vivres décideraient de la grosseur du parasite.

 

Pendant la période active, la larve éprouve quelques mues ; j’ai du moins assisté à l’une d’elles. Dépouillé de son épiderme, l’animal reparaît tel qu’il était avant, sans aucune modification dans les formes. Tout aussitôt, il reprend son repas, interrompu pendant le rejet de la vieille défroque ; il enlace des pattes une nouvelle Mante du tas et se met à la ronger. Simple ou bien multiple, cette mue n’a rien de commun avec les rénovations de l’hypermétamorphose, qui changent si profondément l’aspect de l’animal.

 

Une dizaine de jours d’éducation dans la boîte à compartiments suffit pour me prouver combien j’avais vu juste en considérant la larve parasite alimentée de Mantes comme l’origine de la pseudo-chrysalide, objet de mes vives préoccupations. L’animal, à qui je servais un supplément de vivres tant qu’il en acceptait, cesse enfin de manger. Il s’immobilise, rentre un peu la tête et s’infléchit en crochet. Puis la peau se fend, en travers sur le crâne, en long sur le thorax. La dépouille chiffonnée recule vers l’arrière, et la pseudo-chrysalide apparaît, totalement à nu. Elle est d’abord blanche, comme l’était la larve ; mais assez rapidement et par degrés, elle tourne au roux de cire vierge, plus ardent à l’extrémité des divers tubercules qui indiquent les futures pattes et les pièces de la bouche. Ce dépouillement, qui laisse à découvert le corps pseudo-chrysalidaire rappelle le mode de transformation des Méloës, et s’éloigne de celui des Sitaris et des Zonitis, dont la pseudo-chrysalide reste enveloppée de partout par la peau de la larve secondaire, sorte de sac tantôt lâche, tantôt étroit, et toujours sans rupture.

 

Le nuage du début est dissipé. Voici bien un méloïde, un véritable méloïde, anomalie des plus singulières parmi les parasites de sa tribu. Au lieu de se nourrir du miel d’un apiaire, il s’alimente avec la brochette de Mantiens d’un Tachyte. Les naturalistes de l’Amérique du Nord nous ont appris récemment que le miel n’est pas toujours le régime des vésicants : quelques méloïdes des États-Unis dévorent les paquets d’œufs des Sauterelles. C’est de leur part acquisition légitime et non usurpation des vivres d’autrui. Nul, que je sache, ne soupçonnait encore le vrai parasitisme d’un Méloïde carnivore. Il n’est pas moins fort remarquable de retrouver, des deux côtés de l’Atlantique, ce goût du Criquet chez les vésicants : l’un dévore ses œufs ; l’autre, un représentant de son ordre, la Mante religieuse et ses congénères.

 

Qui m’expliquera cette prédilection pour l’Orthoptère dans une tribu dont le chef de file, le Méloë, n’accepte que la pâtée de miel ? Pourquoi des animaux que toutes nos classifications rapprochent, ont-ils des goûts si opposés ? S’ils proviennent d’une origine commune, comment à la consommation du miel a-t-il succédé la consommation de la chair ? Comment l’agneau s’est-il fait loup ? C’est le gros problème que nous proposait naguère, sous une forme inverse, la Sapyge ponctuée, parente mellivore de la Scolie carnivore. Je soumets la question à qui de droit.

 

L’année suivante, au commencement de juin, quelques-unes de mes pseudo-chrysalides se fendent en travers derrière la tête, et en long sur toute la ligne médiane du dos, sauf les deux ou trois derniers segments. Il en sort la troisième larve qui d’après un simple examen à la loupe, me paraît, dans ses traits généraux identiques avec la seconde, celle qui mange les provisions du Tachyte. Elle est nue, d’un jaune pâle, rappelant la couleur du beurre. Elle est active et s’agite en des mouvements pénibles ; Ordinairement elle est couchée sur le flanc, mais elle peut aussi se tenir dans la station normale. L’animal cherche alors à se servir de ses pattes, sans y trouver des appuis suffisants pour progresser. Peu de jours après, elle retombe dans un complet repos.

 

Treize anneaux, y compris la tête ; celle-ci large, avec le crâne quadrilatère, arrondi sur les côtés. Antennes courtes, de trois articles noueux. Mandibules robustes, courbes, avec deux ou trois denticules au bout d’un roux assez vif. Palpes labiaux assez volumineux, courts et de trois articles comme les antennes. Les pièces de la bouche, labre, mandibules et palpes sont mobiles et s’agitent un peu, comme pour chercher de la nourriture. Un petit point brun vers la base des antennes, sur l’emplacement des yeux futurs. Prothorax plus large que les anneaux suivants. Ceux-ci de même largeur et nettement séparés l’un de l’autre par un sillon et un faible bourrelet latéral. Pattes courtes, hyalines, sans ongle terminal. Ce sont des moignons à trois articles. Stigmates pâles, au nombre de huit, placés comme dans la pseudo-chrysalide, c’est-à-dire le premier et le plus grand sur la ligne de séparation des deux premiers segments du thorax, les sept autres sur les sept premiers segments abdominaux. La larve secondaire et la pseudo-chrysalide possèdent en outre un stigmate très petit sur l’avant-dernier segment de l’abdomen. Ce stigmate a disparu chez la troisième larve, du moins je ne parviens pas à le voir en m’aidant d’une bonne loupe.

 

En somme, mêmes fortes mandibules que pour la seconde larve, mêmes débiles pattes, même physionomie de ver de Charançon. Les mouvements reparaissent moins accusés cependant que sous la première forme. Le passage par l’état de pseudo-chrysalide n’a pas amené de modification qui vaille vraiment la peine d’être signalée. L’animal est après cette singulière étape ce qu’il était avant. Ainsi se comportent du reste les Méloës et les Sitaris.

 

Quelle signification peut donc avoir cette étape pseudo-chrysalidaire, qui, franchie, ramène juste au point de départ ? Le méloïde semble tourner dans un cercle : il défait ce qu’il vient de faire, il recule après avoir avancé. L’idée me vient parfois de considérer la pseudo-chrysalide comme une sorte d’œuf d’organisation supérieure, à partir duquel l’insecte suit l’ordinaire loi des morphoses entomologiques, et passe par les états successifs de larve, de nymphe et d’insecte parfait. La première éclosion, celle de l’œuf normal, fait passer le méloïde par le dimorphisme larvaire des Anthrax et des Leucospis. La larve primaire parvient aux vivres, la larve secondaire les consomme. La seconde éclosion, celle de la pseudo-chrysalide, rentre dans le courant habituel et fait évoluer l’insecte suivant les trois formes réglementaires : larve, nymphe, adulte.

 

La troisième larve est de courte durée, une paire de semaines environ. Elle se dépouille alors par une déchirure longitudinale sur le dos, comme l’a fait la larve secondaire, et laisse à découvert la nymphe, où se reconnaît le coléoptère, de genre et d’espèce presque déterminables d’après les antennes.

 

Cette évolution de la seconde année a tourné à mal. Des quelques nymphes que j’ai obtenues vers le milieu de juin se sont desséchées sans parvenir à la forme parfaite. Des pseudo-chrysalides me restaient sans aucun indice d’une prochaine transformation. J’ai attribué ce retard à un défaut de chaleur. Je les tenais, en effet, à l’ombre, sur une étagère de mon cabinet ; et dans les conditions naturelles, elles sont exposées au soleil le plus ardent, sous une couche de sable de quelques pouces d’épaisseur. Pour imiter ces conditions, sans ensevelir mes élèves, dont je désirais suivre aisément les progrès, j’ai installé les pseudo-chrysalides restantes sur une couche de sable frais au fond d’un récipient. L’insolation directe était impraticable : elle eût été fatale dans une période où la vie est souterraine. Pour l’éviter, j’ai ficelé sur l’embouchure du récipient quelques doubles de drap noir, qui devait représenter l’écran naturel de sable ; et l’appareil ainsi préparé a été exposé, pendant quelques semaines, au soleil le plus vif, sur ma fenêtre. Sous le couvert du tissu, si favorable, par sa teinte, à l’absorption de la chaleur, la température devenait pendant le jour celle d’une étuve ; et cependant les pseudo-chrysalides ont persisté à se maintenir stationnaires. Juillet touchait à sa fin, et rien n’indiquait l’approche d’une éclosion. Convaincu que mes essais de chauffage n’aboutiraient pas, j’ai remis les pseudo-chrysalides à l’ombre, sur l’étagère, dans des tubes de verre. Là elles ont passé une seconde année, toujours dans le même état.

 

Juin est revenu et avec lui l’apparition de la troisième larve, puis de la nymphe. Pour la seconde fois, ce point d’évolution n’a pu être dépassé : l’unique nymphe obtenue s’est desséchée comme celles de l’année précédente. Ce double échec, provenant sans doute de l’atmosphère trop aride de mes récipients, nous cachera-t-il le genre et l’espèce du Méloïde consommateur de Mantes ? Heureusement, non. Par la déduction et la comparaison, il est aisé de résoudre l’énigme. Les seuls Méloïdes de ma région qui, inconnus encore dans leurs mœurs, peuvent convenir par leur taille soit à la larve soit à la pseudo-chrysalide en litige, sont le Mylabre à douze points et le Cérocome de Schaeffer. Je trouve le premier en juillet sur les fleurs de la scabieuse maritime ; je trouve le second en fin mai et juin sur les capitules de l’immortelle des îles d’Hyères. Cette dernière date convient mieux pour expliquer la présence de la larve parasite et sa pseudo-chrysalide dans les terriers du Tachyte dès le mois de juillet. De plus, le Cérocome est très abondant aux alentours des amas sablonneux hantés par le Tachyte, tandis que le Mylabre ne s’y rencontre pas. Ce n’est pas tout : les quelques nymphes que j’ai obtenues ont des antennes bizarres, terminées par une touffe irrégulière et volumineuse dont l’équivalent ne se trouve que dans les antennes du Cérocome mâle. Ainsi, le Mylabre doit être écarté : les antennes doivent être, chez la nymphe, régulièrement moniliformes comme elles le sont chez l’insecte parfait. Reste le Cérocome.

 

Les doutes, s’il en reste, peuvent être dissipés. De fortune, un de mes amis, M. le docteur Beauregard, qui nous prépare un travail magistral sur les vésicants, avait en sa possession des pseudo-chrysalides du Cérocome de Schreber. Venu à Sérignan en vue de savantes recherches, il avait fouillé en ma compagnie les sables du Tachyte et emporté à Paris quelques pseudo-chrysalides nourries de Mantes pour en suivre l’évolution. Ses essais avaient échoué comme les miens ; mais en comparant les pseudo-chrysalides sérignanaises avec celles du Cérocome de Schreber, provenant d’Aramon, dans le voisinage d’Avignon, il a pu constater entre les deux organismes la plus étroite similitude. Tout l’affirme donc : ma trouvaille ne peut se rapporter qu’au Cérocome de Schaeffer. Quant à l’autre, il doit être exclu ; son extrême rareté dans mon voisinage le dit assez.

 

Il est fâcheux que le régime du Méloïde d’Aramon ne soit pas connu. Me laissant guider par l’analogie, je ferais volontiers du Cérocome de Schreber un parasite du Tachyte tarsier, qui enfouit ses amas de jeunes Criquets dans les hauts talus sablonneux. Les deux Cérocomes auraient ainsi régime similaire. Mais je laisse à M. Beauregard le soin d’élucider cet important trait de mœurs.

 

L’énigme est déchiffrée : le Méloïde consommateur de Mantes religieuses est le Cérocome de Schaeffer, que je rencontre en abondance, au printemps, sur les fleurs de l’immortelle. Chaque fois, une particularité peu commune attire mon attention : c’est la grande différence de taille qu’il peut y avoir d’un individu à l’autre quoique de même sexe. Je vois des avortons, tant femelles que mâles, n’ayant guère en longueur que le tiers de leurs compagnons les mieux développés. Le Mylabre à douze points et le Mylabre à quatre points présentent, sous ce rapport, des différences tout aussi prononcées. La cause qui, d’un même insecte, n’importe le sexe, fait un nain ou un géant, ne peut être que la quantité de nourriture, plus faible ou plus forte. Si la larve, comme je le soupçonne, est obligée de trouver elle-même l’entrepôt à gibier du Tachyte, et d’en visiter un second, un troisième, lorsque le premier est trop frugalement garni, on conçoit que le hasard des rencontres ne les favorise pas tous de la même manière, et fasse échoir l’abondance à l’une, la pénurie à l’autre. Qui ne mange pas à sa faim reste petit, qui se rassasie devient gros. Ces différences de taille, à elles seules, trahissent le parasitisme. Si les soins d’une mère avaient amassé des vivres, ou bien si la famille avait l’industrie de se les procurer directement au lieu de dévaliser autrui, la ration serait à peu près égale pour toutes, et les inégalités de volume se réduiraient à celles qu’il y a souvent entre les deux sexes.

 

Elles annoncent de plus un parasitisme précaire, chanceux, où le Méloïde n’est pas certain de trouver sa réfection, ce que trouve si adroitement le Sitaris, qui se fait voiturer par l’Anthophore, en naissant à l’entrée même des galeries de l’Abeille et ne quittant sa retraite que pour se glisser dans la toison de son amphitryon. Vagabond obligé de trouver lui-même, la table à sa convenance, le Cérocome est exposé à maigre chère.

 

Pour compléter l’histoire du Cérocome de Schaeffer, un paragraphe manque : celui des origines, la ponte, l’œuf, la larve primaire. Tout en surveillant l’évolution du parasite mangeur de Mantes, je pris mes précautions pour connaître la première année son point de départ. Si j’éliminais ce qui m’était connu et si je cherchais parmi les Méloïdes de mon voisinage les espèces qui pour la taille correspondaient aux pseudo-chrysalides exhumées des terriers du Tachyte, je ne trouvais, je viens de le dire, que le Cérocome de Schaeffer et le Mylabre à douze points. J’entrepris de les élever pour obtenir leur ponte.

 

Comme terme de comparaison, le Mylabre à quatre points, de taille plus avantageuse, fut adjoint aux deux premiers. Un quatrième, le Zonitis mutique, que je n’avais pas à consulter en cette affaire où je le savais étranger, sa pseudo-chrysalide m’étant connue, vint compléter mon école de pondeuses. Je me proposais, si possible, d’obtenir sa larve primaire. Enfin j’avais autrefois élevé des Cantharides dans le but d’assister à leur ponte. En somme, cinq espèces de vésicants, élevés en volière, ont laissé quelques lignes de notes dans mes registres.

 

La méthode d’éducation est des plus simples. Chaque espèce est mise sous une ample cloche en toile métallique reposant sur un bassin rempli de terreau. Au milieu de l’enceinte est un flacon plein d’eau, où trempe et se maintient fraîche la nourriture. Pour la Cantharide, c’est un faisceau de ramuscules de frêne ; pour le Mylabre à quatre points, un bouquet de liseron des champs (Convolvulus arvensis) ou de psoralier (Psoralea bituminosa) dont l’insecte broute uniquement les corolles. Au Mylabre à douze points, je sers les fleurs de la scabieuse (Scabiosa maritima) ; au Zonitis, les capitules épanouis du panicaut (Eryngium campestre) ; au Cérocome de Schaeffer, les capitules de l’immortelle des îles d’Hyères (Helichrysum stœchas). Ces trois derniers rongent surtout les anthères, plus rarement les pétales, jamais le feuillage.

 

Pauvre intellect et pauvres mœurs, qui ne dédommagent guère des soins minutieux de l’éducation. Brouter, faire l’amour, creuser un trou dans la terre et négligemment y ensevelir ses œufs, c’est toute la vie du Méloïde adulte La bête obtuse n’acquiert un peu d’intérêt qu’au moment où le mâle lutine sa compagne. Chaque espèce a son rituel pour déclarer sa flamme ; et il n’est pas indigne de l’observateur d’assister aux manifestations, quelquefois si étranges, de l’Éros universel, qui régente le monde et fait tressaillir jusqu’à la dernière des brutes. C’est le but final de l’insecte, qui se transfigure pour cette solennité, et meurt après, n’ayant plus rien à faire.

 

Il y aurait un curieux livre à faire : l’Amour chez les bêtes. Jadis, le sujet m’avait tenté. Depuis un quart de siècle, mes notes dorment, poudreuses, dans un recoin de mes archives. J’en extrais ce qui suit sur les Cantharides. Je ne suis pas le premier, je le sais, à décrire les préludes amoureux du Méloïde du frêne ; mais le narrateur changeant, la narration peut encore avoir sa valeur ; elle confirme ce qui a été déjà dit, elle met en lumière quelques points restés inaperçus peut-être.

 

Une Cantharide femelle ronge paisiblement sa feuille. Un amoureux survient, s’en approche par derrière, brusquement lui monte sur le dos et l’enlace de ses deux paires de pattes postérieures. Alors de son abdomen, qu’il allonge autant que possible, il fouette vivement celui de la femelle, à droite et à gauche tour à tour. Ce sont des coups de battoir distribués avec une frénétique prestesse. De ses antennes et de ses pattes antérieures, toujours libres, il flagelle en furieux la nuque de la patiente. Tandis que les tapes pleuvent dru comme grêle, à l’arrière et à l’avant, la tête et le corselet de l’énamouré sont dans une trépidation oscillatoire désordonnée. On dirait l’animal pris d’une attaque d’épilepsie. Cependant la belle se fait petite, entrouvre un peu les élytres, cache la tête et replie en dessous l’abdomen comme pour se soustraire à l’orage érotique qui lui éclate sur le dos. Mais l’accès se calme. Le mâle étend en croix les pattes antérieures, animées d’un tremblement nerveux ; et dans cette posture d’extase, semble prendre le ciel à témoin de l’ardeur de ses désirs. Les antennes et le ventre sont immobiles, tendus en ligne droite ; la tête et le corselet seuls continuent à osciller vivement de haut en bas. Ce temps de repos dure peu. Si court qu’il soit, la femelle, dont les chaudes protestations du prétendant ne troublent pas l’appétit, se remet à brouter imperturbablement sa feuille.

 

Un autre accès éclate. Les coups pleuvent de nouveau sur la nuque de l’enlacée, qui se hâte de fléchir la tête sous la poitrine. Mais lui n’entend pas que la belle se dérobe. De ses pattes antérieures, à l’aide d’une échancrure spéciale placée à la jointure de la jambe et du tarse, il lui saisit l’une et l’autre antenne. Le tarse se replie et l’antenne est prise comme dans une pince. Le soupirant tire à lui, et l’indifférente est forcée de relever la tête. Dans cette posture, le mâle rappelle à l’esprit un cavalier fièrement cambré sur sa monture et tenant les rênes des deux mains. Ainsi maître de sa haquenée, tantôt il se tient immobile, tantôt il se démène avec frénésie. Puis, de son long abdomen, il fouette en arrière, sur un flanc et sur l’autre ; en avant il fustige, il cogne, il tape dur, à coups d’antennes, à coups de poings, à coups de tête. La convoitée sera bien insensible si elle ne se rend pas à une déclaration aussi chaleureuse.

 

Elle continue néanmoins à se faire prier. Le passionné reprend son immobilité d’extase, les bras en croix et frémissants. À de courts intervalles recommencent aussi, tour à tour, les orages amoureux, avec tapes consciencieusement assénées, et les repos pendant lesquels le mâle étend les pattes antérieures en croix ou bien maîtrise la femelle par la bride des antennes. Enfin la battue se laisse toucher par le charme des horions.

 

Elle cède. L’accouplement a lieu et dure une vingtaine d’heures. Le beau rôle du mâle est fini. Traîné à reculons, à l’arrière de la femelle, le malheureux s’efforce de dissoudre le couple. Sa compagne le charrie de feuille en feuille, où bon lui semble, pour choisir le morceau de verdure à son goût. Parfois, il prend lui aussi son parti vaillamment et se met à brouter comme la femelle. Fortunées bêtes qui, pour ne pas perdre un instant de votre vie de quatre à cinq semaines, menez de front les appétits de l’amour et de l’estomac, votre devise est : courte et bonne.

 

Le Cérocome, d’un vert doré comme la Cantharide, semble avoir adopté en partie les rites amoureux de sa rivale en costume. Le mâle, toujours le sexe élégant chez l’insecte, a des atours spéciaux. Les cornes ou antennes, somptueusement compliquées, lui forment comme deux houpes d’une chevelure touffue. C’est ce que rappelle le nom de Cérocome : l’animal coiffé de ses cornes. Quand un soleil vif donne dans la volière, des couples ne tardent pas à se former sur le bouquet d’immortelles. Hissé sur la femelle, qu’il enlace et maintient de ses deux paires de pattes postérieures, le mâle balance tout d’une pièce, de haut en bas, la tête et le corselet. Ce mouvement oscillatoire n’a pas l’ardente précipitation de celui de la Cantharide ; il est plus calme et comme rythmé. L’abdomen d’ailleurs reste immobile, inexpert dans ces coups de battoir que distribue, avec tant de vigueur, le ventre de l’amoureux hôte du frêne.

 

Tandis que la moitié antérieure du corps oscille, les pattes d’avant exécutent sur chaque flanc de l’enlacée des passes magnétiques, sorte de moulinet si rapide, qu’à peine peut-on le suivre du regard. La femelle paraît insensible à ce moulinet flagellatoire. Tout innocemment, elle se frise les antennes. Le soupirant rebuté l’abandonne et passe à une autre. Ses passes en vertigineux moulinet, ses protestations sont partout refusées. Le moment n’est pas encore venu, où plutôt le lieu n’est pas propice. La captivité paraît peser aux futures mères. Pour écouter leurs poursuivants, il leur faut l’espace libre, le joyeux et prompt essor de touffe en touffe, sur la pente ensoleillée, toute dorée d’immortelles. Hors de l’idylle à moulinets, forme adoucie des coups de poings de la Cantharide, le Cérocome s’est refusé à se livrer, sous mes yeux, à l’acte final des noces.

 

Entre mâles fréquemment se pratiquent les mêmes oscillations du corps, les mêmes flagellations latérales. Tandis que celui de dessus se démène et fait un vif moulinet, celui de dessous reste coi. Parfois survient un troisième étourdi et même un quatrième, qui monte sur la pile de ses prédécesseurs. Le plus élevé oscille et rame vivement des pattes antérieures ; les autres se tiennent immobiles. Ainsi se trompent un moment les chagrins des refusés.

 

Les Zonitis, gent grossière pâturant les capitules du féroce panicaut, dédaignent les tendres préambules. Quelques vibrations rapides des antennes de la part des mâles, et c’est tout. La déclaration ne pourrait être plus sommaire. Le couple, placé bout à bout, persiste près d’une heure.

 

Les Mylabres, eux aussi, doivent être fort expéditifs en préliminaires, à tel point que mes volières, tenues bien peuplées pendant deux saisons, m’ont fourni de nombreuses pontes, sans m’offrir une seule fois l’occasion de surprendre les mâles faisant un brin de cour. Parlons alors de la ponte.

 

Elle a lieu au mois d’août pour nos deux espèces de Mylabres. Dans le terreau servant de plancher au dôme de toile métallique, la mère creuse un puits d’une paire de centimètres de profondeur et d’un diamètre égal à celui de son corps. C’est le gîte aux œufs. La ponte dure une demi-heure à peine. Je l’ai vue durer trente-six heures chez les Sitaris. Cette promptitude du Mylabre dénote une famille incomparablement moins nombreuse. Puis la cachette est close. La mère balaie les déblais avec les pattes antérieures, les rassemble avec le râteau des mandibules et les repousse dans le puits, où elle descend alors pour piétiner la couche pulvérulente et la tasser avec les pattes postérieures, que je vois dans une rapide trépidation. Cette couche bien foulée, elle se remet à ratisser de nouveaux matériaux pour achever de combler la fosse, assise par assise soigneusement piétinée.

 

Tandis qu’elle se livre à ce travail de remblai, j’éloigne une mère de son puits. Délicatement, de la pointe d’un pinceau, je l’écarte d’une paire de pouces. L’insecte ne revient pas à sa ponte, ne la recherche même pas. Il grimpe à la toile métallique et va, parmi ses compagnons, pâturer le liseron ou la scabieuse, sans plus se préoccuper de ses œufs, dont le gîte n’est qu’à demi comblé. Une seconde mère, écartée d’un pouce seulement, ne sait plus revenir à son œuvre, ou plutôt n’y songe plus. Une troisième, tout aussi légèrement détournée, est ramenée par moi au puits tandis que l’oublieuse grimpe au treillis. Je la reconduis au gîte, la tête à l’embouchure. La mère est immobile, comme profondément perplexe. Elle balance la tête, elle se passe les tarses antérieurs entre les mandibules, puis s’éloigne et grimpe au haut du dôme sans avoir rien entrepris. Je dois moi-même, dans les trois cas, achever de combler la fosse. Que sont donc et cette maternité dont l’attouchement d’un pinceau fait oublier les devoirs, et cette mémoire perdue à un pouce de distance des lieux ? De ces défaillances de l’adulte rapprochons les hautes machinations de la larve primaire, qui sait où sont les vivres et pour son coup d’essai s’introduit chez qui doit la nourrir. En quoi le temps et l’expérience peuvent-ils être facteurs de l’instinct ? L’animalcule naissant nous émerveille de sa clairvoyance ; la bête adulte nous étonne de sa stupidité.

 

Pour les deux Mylabres, la ponte se compose d’une quarantaine d’œufs, nombre bien modique comparé à celui du Méloë et du Sitaris. Cette famille restreinte était déjà prévue d’après le peu de temps que la pondeuse séjourne dans le gîte sous terre. Les œufs du Mylabre à douze points sont blancs, cylindriques, arrondis aux deux bouts et mesurent 1 millimètre et demi de longueur sur un demi-millimètre de largeur. Ceux du Mylabre à quatre points sont d’un jaune paille, en ovoïde allongé, légèrement plus renflé à un bout qu’à l’autre. Longueur, 2 millimètres ; largeur, un peu moins de 1 millimètre.

 

De toutes les pontes recueillies, une seule est parvenue à l’éclosion. Les autres étaient probablement stériles, soupçon corroboré par le défaut d’accouplement en volière. Pondus en fin juillet, les œufs du Mylabre à douze points ont commencé d’éclore le 5 septembre. La larve primaire de ce Méloïde n’étant pas, que je sache, encore connue, je vais la décrire et en donner un croquis. Ce sera le point de départ d’un chapitre qui nous réserve peut-être des aperçus nouveaux dans l’histoire de l’hypermétamorphose.

 

Cette larve mesure près de 2 millimètres de longueur. Issue d’un œuf volumineux, elle est mieux avantagée en vigueur que celle des Sitaris et des Méloës. Tête forte, à contour arrondi, légèrement plus large que le prothorax, d’un roux assez vif. Mandibules puissantes, acérées, courbées, se croisant à l’extrémité, de la même couleur que la tête et rembrunies au bout. Yeux noirs, saillants, globuleux, très distincts. Antennes assez longues, de trois articles, le dernier plus effilé et pointu. Palpes bien prononcées. Le premier anneau thoracique, d’un diamètre peu inférieur à celui de la tête, est beaucoup plus long que les suivants. Il forme une sorte de cuirasse équivalant en longueur à près de trois segments abdominaux. Il est tronqué en ligne droite en avant, arrondi sur les côtés et en arrière. Sa couleur est d’un roux vif. Le second anneau ne représente guère que le tiers du premier. Il est roux aussi, mais un peu rembruni. Le troisième est d’un brun foncé, tournant au verdâtre. Cette teinte se répète pour tout l’abdomen de sorte que, sous le rapport de la coloration, l’animalcule est divisé en deux régions ; l’antérieure, d’un roux assez vif, comprend la tête et les deux premiers segments thoraciques ; la seconde, d’un brun verdâtre, comprend le troisième anneau thoracique et les neuf segments abdominaux.

 

Trois paires de pattes d’un roux clair, fortes et longues eu égard à l’exiguïté de la bête. Elles se terminent par un ongle simple, long et acéré.

 

Abdomen à neuf segments, tous d’un brun olivâtre. Les intervalles membraneux qui les relient sont blancs, de sorte qu’à partir du second anneau thoracique, l’animalcule est alternativement annelé de blanc et de brun olivâtre. Tous les anneaux bruns sont hérissés de cils courts et clair-semés. Le segment anal, plus rétréci que les autres, porte au bout deux longs cirrhes, très fins, un peu flexueux et dont la longueur équivaut presque à celle de l’abdomen.

 

Complétée par un croquis, cette description nous montre une robuste bestiole, apte à fortement happer de la mandibule, explorer le pays de ses gros yeux et circuler avec six harpons solides pour appui. Ce n’est plus ici le débile pou des Méloës, qui s’embusque sur une fleur de chicoracée pour s’insinuer dans la toison d’un apiaire en récolte ; ce n’est plus l’atome noir du. Sitaris dont l’amas grouille au point même de réclusion, aux portes de l’Anthophore. Je vois le jeune Mylabre arpenter âprement le tube de verre où il vient de naître. Que cherche-t-il ? Que lui faut-il ? Je lui présente un apiaire, un Halicte, pour voir s’il s’établira sur l’insecte, ce que ne manqueraient pas de faire les Sitaris et les Méloës. Mon offre est dédaignée. Ce n’est pas un véhicule ailé que demandent mes prisonniers.

 

La larve primaire du Mylabre n’imite donc pas celles du Sitaris et du Méloë ; elle ne s’établit pas dans la toison de son amphitryon pour se faire transporter dans la loge bourrée de vivres. Le soin lui revient de rechercher et de trouver elle-même l’amas de nourriture. Le petit nombre d’œufs composant une ponte conduit, à son tour, au même résultat. Rappelons-nous que la larve primaire du Méloë, par exemple, s’établit sur tout insecte qui vient un moment visiter la fleur où l’animalcule est aux aguets. Que ce visiteur soit velu ou glabre, fabricant de miel, préparateur de conserves animales ou sans métier déterminé, qu’il soit araignée, papillon, apiaire, diptère ou porteur d’élytres, peu importe : dès qu’il aperçoit l’arrivant, le petit pou jaune se campe sur son dos et part avec lui. Et maintenant, à la bonne fortune ! Combien ne doit-il pas en périr de ces fourvoyés, qui ne seront jamais conduits dans un magasin à miel, leur nourriture exclusive ! Aussi, pour remédier à cette énorme déperdition, la mère produit famille innombrable. La ponte des Méloës est prodigieuse. Prodigieuse est aussi celle des Sitaris, exposée à des mésaventures semblables.

 

Si avec ses trente à quarante œufs, le Mylabre avait à subir les mêmes hasards, pas une larve peut-être n’atteindrait le but désiré. Pour une famille si limitée, la méthode doit être plus sûre. La jeune larve ne doit pas se faire véhiculer jusqu’à la bourriche de gibier, ou le pot à miel plus probablement, au risque de ne jamais y parvenir ; elle doit s’y rendre elle-même. Me laissant guider par la logique des choses, je compléterai donc ainsi l’histoire du Mylabre à douze points.

 

La mère dépose ses œufs sous terre à proximité des lieux hantés par les nourriciers. Les jeunes larves récemment écloses quittent leur retraite en septembre, et vont, dans un étroit voisinage, à la recherche des terriers approvisionnés. Les robustes pattes de l’animalcule permettent ces investigations sous terre. Les mandibules, tout aussi robustes, ont nécessairement leur rôle. Le parasite, pénétrant dans le silo à provisions, se trouve en présence soit de l’œuf soit de la jeune larve de l’hyménoptère. Ce sont là des concurrents dont il importe de se débarrasser au plus vite, Alors jouent les crocs mandibulaires, qui déchirent l’œuf ou le vermisseau sans défense. Après ce brigandage, comparable à celui de la larve primaire du Sitaris éventrant et buvant l’œuf de l’Anthophore, le Méloïde, unique possesseur des victuailles, dépouille son costume de bataille et devient le ver pansu, consommateur du bien si brutalement acquis. Ce ne sont là, de ma part, que des soupçons, rien de plus. L’observation directe les confirmera, je le crois, tant leur connexion est étroite avec les faits connus.

 

Deux Zonitis, hôtes l’un et l’autre des capitules du panicaut pendant les chaleurs de l’été, font partie des Méloïdes de ma région. Ce sont le Zonitis mutica et le Zonitis præsta. J’ai parlé du premier dans mon précédent volume, j’ai fait connaître sa pseudo-chrysalide trouvée dans les cellules de deux Osmies, savoir : l’Osmie tridentée, qui empile ses loges dans une tige sèche de ronce, et l’Osmie tricorne ou bien l’Osmie de Latreille, qui exploitent toutes les deux les nids du Chalicodome des hangars. Le second Zonitis apporte aujourdhui sa contribution de documents à une histoire très incomplète encore. J’ai obtenu le Zonitis præusta d’abord des sachets en coton de l’Anthidium scapulare, qui nidifie dans la ronce comme l’Osmie tridentée ; en second lieu, des outres du Megachile sericans, construites avec des rondelles de feuilles du vulgaire acacia ; en troisième lieu, des loges que l’Anthidium bellicosum édifie avec des cloisons de résine dans la spire d’un escargot mort. Ce dernier Anthidie est aussi la victime du Zonitis mutique. Deux exploiteurs congénères pour le même exploité.

 

Dans la dernière quinzaine de juillet, j’assiste à la sortie du Zonitis brûlé hors de la pseudo-chrysalide. Celle-ci est cylindrique, un peu courbe, arrondie aux deux bouts. Elle est étroitement enveloppée de la dépouille de la seconde larve, dépouille consistant en un sac diaphane, sans aucune issue, où court, de chaque côté, un cordon trachéen blanc qui relie les divers orifices stigmatiques. Je reconnais aisément les sept stigmates abdominaux, qui sont arrondis et vont en diminuant un peu d’ampleur d’avant en arrière. Je constate aussi le stigmate thoracique. Enfin je reconnais les pattes, toutes petites, avec ongle faible, incapables de soutenir l’animal. Des pièces de la bouche, je ne vois bien que les mandibules, qui sont courtes, faibles et brunes. En somme, la seconde larve était molle, blanche, ventrue, aveugle, à pattes rudimentaires. Des résultats semblables m’avaient été fournis par la défroque de la seconde larve du Zonitis mutica, consistant, comme l’autre, en un sac sans ouverture étroitement appliqué sur la pseudo-chrysalide.

 

Poursuivons l’examen des reliques du Zonitis brûlé. La pseudo-chrysalide est d’un roux jujube. À l’éclosion, elle se conserve entière, sauf en avant par où l’insecte adulte est sorti. En l’état, elle forme un sac cylindrique, à parois fermes, élastiques. La segmentation est bien visible. La loupe constate la fine ponctuation étoilée déjà remarquée chez le Zonitis mutique. Les orifices stigmatiques sont à péritrême saillant et d’un roux foncé. Ils sont tous, même le dernier, nettement accusés. Les indices des pattes sont des boutons un peu foncés, à peine saillants. Le masque céphalique se réduit à quelques reliefs difficilement appréciables.

 

Au fond de cet étui pseudo-chrysalidaire, je trouve un petit tampon blanc qui, mis dans l’eau, ramolli, puis développé patiemment avec la pointe d’un pinceau, me fournit une matière blanche, pulvérulente, qui est de l’acide urique, produit habituel du travail de la nymphose, et une membrane chiffonnée, où je reconnais la dépouille de la nymphe. Il resterait la troisième larve, dont je ne vois aucun vestige. Mais en brisant peu à peu, avec la pointe d’une aiguille, l’enveloppe pseudo-chrysalidaire quelque temps maintenue dans l’eau, je la vois se dédoubler en deux couches, l’une extérieure, cassante, d’aspect corné, d’un roux jujube ; l’autre intérieure, consistant en une pellicule transparente et flexible. Cette couche interne représente, à ne pas en douter, la troisième larve, dont la peau reste adhérente à l’enveloppe pseudo-chrysalidaire. Elle est assez épaisse et résistante, mais je ne parviens à l’isoler que par lambeaux, tant elle adhère étroitement à l’étui corné et friable.

 

En possession d’assez nombreuses pseudo-chrysalides, j’en ai sacrifié quelques-unes afin de me rendre compte de leur contenu à l’approche des transformations finales. Eh bien, je n’y ai jamais rien trouvé d’isolable ; jamais je n’ai pu en extraire une larve sous sa troisième forme, larve si facile à obtenir des outres ambrées du Sitaris et qui, chez les Méloës et les Cérocomes, sort d’elle-même de l’enveloppe pseudo-chrysalidaire fendue. Lorsque, pour la première fois, la coque rigide renferme un corps sans adhérence avec le reste, ce corps est une nymphe et rien autre. La paroi qui l’enclôt est d’un blanc mat à l’intérieur. J’attribue cette coloration à la dépouille de la troisième larve, dépouille indissolublement appliquée contre la coque pseudo-chrysalidaire.

 

Il y a donc chez les Zonitis une particularité que ne présentent pas les autres Méloïdes, savoir : une série d’intimes emboîtements. La pseudo-chrysalide est renfermée dans la peau de la seconde larve, peau qui forme une outre sans ouverture, très étroitement appliquée contre son contenu. Plus étroitement encore, la dépouille de la troisième larve est appliquée à l’intérieur de l’étui pseudo-chrysalidaire. Seule, la nymphe n’est pas adhérente à son enveloppe. Chez les Cérocomes et les Méloës, chaque forme de l’hypermétamorphose s’isole de la dépouille précédente par une énucléation complète ; le contenu se dégage du contenant fendu et n’a plus de rapport avec lui. Chez les Sitaris, les dépouilles successives n’éprouvent pas de rupture et restent emboîtées l’une dans l’autre, mais à distance, si bien que la troisième larve peut se mouvoir et se retourner au besoin dans son enceinte multiple. Chez les Zonitis, l’emboîtement est pareil, avec cette différence que, d’une défroque à la suivante, il n’y a pas d’intervalle vide jusqu’à ce que la nymphe apparaisse. La troisième larve ne peut se mouvoir. Elle n’est pas libre ; c’est ce que témoigne sa dépouille si exactement appliquée contre l’enveloppe pseudo-chrysalidaire. Cette forme passerait donc inaperçue si elle ne s’affirmait par la membrane qui double à l’intérieur le sac pseudo-chrysalidaire.

 

Pour compléter l’histoire des Zonitis, il manque la larve primaire, que je ne connais pas encore, mes éducations sous cloche en toile métallique ne m’ayant pas donné de ponte.

 


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