Jean-Henri Fabre
Souvenirs entomologiques - III
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SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES - LIVRE III

CHAPITRE XVIII RÉPARTITION DES SEXES

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CHAPITRE XVIII

RÉPARTITION DES SEXES

 

L’insecte qui amasse des provisions proportionnées aux besoins de l’œuf qu’il va pondre, sait par avance le sexe de cet œuf ; peut-être même la vérité est-elle encore plus paradoxale. Ainsi disions-nous tantôt, guidé par la considération des vivres. C’est ce soupçon qu’il s’agit d’élever au rang de vérité expérimentalement démontrée. Et d’abord informons-nous de la sériation des sexes.

 

À moins de s’adresser à des espèces convenablement choisies, il est impossible de constater l’ordre chronologique d’une ponte. Comment savoir, par la fouille des terriers du Cerceris, du Bembex, du Philanthe et autres giboyeurs, que telle larve précède telle autre dans le temps ; comment décider si tel cocon dans une colonie appartient à la même famille que tel autre ? L’état civil des naissances est ici d’impossibilité absolue. De fortune, quelques espèces permettent de lever cette difficulté : ce sont les hyménoptères qui étagent leurs cellules dans une même galerie. De ce nombre sont les divers habitants de la ronce, notamment l’Osmie tridentée, qui, par sa taille avantageuse, supérieure à celle des autres rubicoles de ma région, et aussi par son abondance, est un excellent sujet d’observation.

 

Rappelons rapidement ses mœurs. Dans le fourré d’une haie, un bout de ronce est choisi, encore sur pied, mais tronqué au bout et desséché ; l’insecte y creuse un canal plus ou moins profond, travail que rend aisé l’abondance d’une moelle tendre. Tout au fond du canal des provisions sont amassées, et un œuf est pondu à la surface des vivres : voilà le premier-né de la famille. À la hauteur d’une douzaine de millimètres, une cloison transversale est établie, formée d’une poussière de moelle de ronce et d’une pâte verte obtenue en mâchant des parcelles de feuilles de quelque végétal non encore déterminé. Ainsi s’établit le second étage, qui reçoit à son tour des vivres et un œuf. Voilà le second dans l’ordre de primogéniture. Cela se poursuit ainsi, étage par étage, jusqu’à ce que le canal soit plein. Alors un épais tampon de la même matière verte dont les cloisons sont formées, clôt le domicile et en défend l’accès aux ravageurs.

 

Pour ce berceau commun, l’ordre chronologique des naissances est d’une clarté qui ne laisse rien à désirer. Le premier-né de la famille est au bas de la série ; le dernier-né est au sommet, au voisinage de la porte close. Les autres se succèdent de bas en haut dans le même ordre qu’ils se sont succédé dans le temps. La ponte se trouve ici numérotée d’elle-même ; par la place qu’il occupe, chaque cocon dit son âge relatif.

 

Pour reconnaître les sexes, il faut attendre le mois de juin. Mais il serait imprudent de ne commencer ses recherches qu’à cette époque. Les nids d’Osmie ne sont pas tellement fréquents qu’on puisse se flatter d’en recueillir chaque fois que l’on sort dans ce but ; et puis, si l’on attend l’époque de l’éclosion pour visiter les ronces, il peut se faire que l’ordre soit troublé entre insectes qui, le cocon rompu, cherchent à se libérer au plus vite ; il peut se faire que des Osmies mâles, plus précoces, soient déjà sorties. Je m’y prends donc longtemps à l’avance, et j’utilise, pour ces recherches, les moments perdus de l’hiver.

 

Les bouts de ronce sont fendus ; les cocons, extraits un à un et méthodiquement transvasés dans des tubes de verre, de même calibre à peu près que la galerie natale. Ces cocons y sont superposés exactement dans le même ordre qu’ils avaient dans la ronce ; ils sont séparés l’un de l’autre par un tampon de coton, obstacle infranchissable pour l’insecte futur. Je n’ai ainsi aucun mélange à craindre, aucune interversion, et je m’affranchis d’une surveillance pénible. Chaque insecte pourra éclore en son temps, en ma présence ou non : je suis sûr de le trouver toujours à sa place, à son rang, maintenu en avant et en arrière par la barricade de coton. Une cloison de liège, de moelle de sorgho, ne remplirait pas le même office : l’insecte la perforerait, et le registre des naissances serait troublé par les interversions. Le lecteur désireux de se livrer à de semblables recherches excusera ces détails pratiques, qui pourront lui faciliter le travail.

 

Il n’est pas fréquent de trouver des séries complètes, comprenant la ponte entière, du premier-né au dernier-né. On trouve habituellement des pontes partielles, d’un nombre très variable de cocons, pouvant se réduire à deux, à un seul. La mère n’a pas jugé à propos de confier toute sa famille à un même bout de ronce ; pour rendre la sortie moins laborieuse ou pour des motifs qui m’échappent, elle a quitté le premier domicile ; elle en a élu un second, peut-être un troisième et davantage. On trouve aussi des séries à lacunes. Tantôt, dans des loges réparties au hasard, l’œuf ne s’est pas développé et les provisions sont restées intactes mais moisies ; tantôt la larve est morte avant d’avoir filé son cocon, ou bien après l’avoir filé. Il y a enfin des parasites, le Zonitis mutique et la Sapyge ponctuée, par exemple, qui rompent la série en se substituant à l’hôte primitif. Toutes ces causes de trouble exigent un grand nombre de nids d’Osmie tridentée, si l’on désire un résultat net. Depuis sept ou huit années, j’interroge les habitants de la ronce, et je ne saurais dire le nombre de files de cocons qui m’ont passé entre les mains. L’un de ces derniers hivers, dans le but spécial de la répartition des sexes, j’ai recueilli une quarantaine de nids de cette Osmie ; j’ai transvasé en tubes de verre leur contenu, et j’ai fait le scrupuleux relevé des sexes. Voici quelques-uns de mes résultats Les numéros d’ordre partent du fond du canal creusé dans la ronce, et progressent en remontant vers l’orifice. Le chiffre 1 indique donc le premier-né de la série, le plus vieux en date ; le chiffre le plus fort en indique le dernier-né. La lettre M, placée en dessous du chiffre correspondant, représente le sexe mâle ; et la lettre F, le sexe femelle.

 

1   2  3   4   5   6   7   8   9  10 11 12 13 14 15.

F  F  M  F  M  F  M  M  F  F  F  F  M  F  M.

 

Cette série est la plus longue que j’aie jamais pu me procurer. Elle est en outre complète, en ce sens qu’elle comprend la ponte entière de l’Osmie. Mon affirmation a besoin d’être expliquée, sinon il paraîtrait impossible de savoir qu’une mère dont on n’a pas surveillé les actes, mieux que cela, qu’on n’a jamais vue, a terminé ou non le dépôt de ses œufs. Le bout de ronce actuel, au-dessus de la file continue de cocons, laisse un espace libre de près d’un décimètre. Par delà, à l’orifice même, est la clôture terminale, l’épais tampon qui ferme l’entrée de la galerie. Dans cette portion libre du canal, il y aurait place très convenable pour de nombreux cocons. Si la mère ne l’a pas utilisée, c’est que ses ovaires étaient épuisés ; car il est fort peu probable qu’elle ait abandonné un excellent logis pour aller creuser péniblement ailleurs une nouvelle galerie et y continuer sa ponte.

 

On pourrait dire que, si l’espace inoccupé dénote la fin d’une ponte, rien ne dit qu’au fond du cul-de-sac, à l’autre bout du canal, se trouve en réalité le commencement. On pourrait dire encore que la ponte totale se compose de périodes séparées par des intervalles de repos. L’espace laissé vide dans le canal marquerait la fin de l’une de ces périodes et non l’épuisement des œufs propres à éclore. À ces raisons fort plausibles, j’opposerai que, d’après l’ensemble de mes observations, et elles sont très nombreuses, la ponte intégrale tant des Osmies que d’une foule d’autres hyménoptères, oscille autour d’une quinzaine environ.

 

D’ailleurs, si l’on considère que la vie active de ces insectes ne dure guère qu’un mois ; si l’on ne perd pas de vue que cette période d’activité est troublée par des journées sombres, pluvieuses ou de grand vent, pendant lesquelles le travail est suspendu ; si l’on constate enfin, ce que j’ai fait à satiété pour l’Osmie tricorne, le temps moyen nécessaire à la construction et l’approvisionnement d’une cellule, il saute aux yeux que la ponte intégrale doit être rapidement limitée, et que la mère n’a pas de temps à perdre s’il lui faut, en trois ou quatre semaines, entrecoupées de repos forcés, mener à bien une quinzaine de cellules. Je relaterai plus tard des faits qui dissiperont les doutes, s’il en reste encore. J’admets donc qu’un nombre d’œufs dans le voisinage de la quinzaine représente la famille entière d’une Osmie ainsi que de bien d’autres hyménoptères.

 

Consultons quelques autres séries complètes. En voici deux :

 

1   2   3   4  5   6   7   8  9  10  11  12  13.

F  F  M  F  M  F  M  F  F  F   F   M   F

F  M  F  F  F  M  F   F  M F  M.

 

Dans ces deux cas, la ponte est reconnue intégrale pour les mêmes raisons que ci-dessus.

 

Terminons par quelques séries qui me paraissent incomplètes, vu le petit nombre de cellules et l’absence d’espace libre au-dessus de la pile de cocons.

 

1    2    3  4    5    6   7   8

M  M  F  M  M  M  M  M

M  M  F  M   F  M  M  M

F   M  F   F   M M

M  M M  F  M

F   F   F   F

M M  M M

F M

 

Ces exemples largement suffisent. Il est de pleine évidence qu’aucun ordre ne préside à la répartition des sexes. Tout ce que je peux dire en consultant l’ensemble de mes archives, où se trouvent d’assez nombreux exemples de pontes totales, malheureusement pour la plupart entachées de lacunes par la présence de parasites, la mort de la larve, la non éclosion de l’œuf et autres accidents, tout ce que je peux affirmer de général, c’est que la série complète débute par des femelles et presque toujours se termine par des mâles. Les séries incomplètes ne peuvent rien nous apprendre sur ce sujet, car n’étant qu’un tronçon dont le point de départ est inconnu, on ne sait s’il faut les rapporter au commencement, à la fin ou bien à une période intermédiaire de la ponte. Résumons-nous en ceci : Dans la ponte de l’Osmie tridentée aucun ordre ne préside à la succession des sexes ; seulement la série a une tendance marquée à débuter par des femelles et à finir par des mâles.

 

La ronce, dans ma région, abrite deux autres Osmies, de bien moindre taille : l’Osmia detrita, Pérez, et l’Osmia parvula, Duf. La première est fort commune ; la seconde est très rare ; je n’en ai rencontré jusqu’ici qu’un nid, superposé, dans la même ronce, à un nid d’Osmia detrita. Pour ces deux espèces, le désordre que nous venons de constater au point de vue de la répartition des sexes chez l’Osmie tridentée, fait place à un ordre remarquable de constance et de simplicité. J’ai sous les yeux le registre des séries d’Osmia detrita recueillies l’hiver dernier. J’en cite quelques-unes :

 

Série de douze : sept femelles, à partir du fond du canal, et puis cinq mâles.

Série de neuf : trois femelles d’abord et puis six mâles.

Série de huit : cinq femelles suivies de trois mâles.

Série de huit : sept femelles suivies d’un mâle.

Série de huit : une femelle suivie de sept mâles.

Série de sept : six femelles suivies d’un mâle.

 

La première série pourrait bien être complète. La seconde et la cinquième sont apparemment des fins de ponte, dont le début a eu lieu ailleurs, dans un autre bout de ronce. Les mâles, y dominent et terminent la série. Les numéros 3,4 et 6 semblent, au contraire, des commencements de ponte : les femelles y dominent et se trouvent en tête de la série. Si des doutes peuvent planer sur ces interprétations, un résultat du moins est certain : chez l’Osmia detrita, la ponte se divise en deux groupes, sans mélange entre les deux sexes ; le premier groupe pondu donne uniquement des femelles, le second ou le plus récent donne uniquement des mâles.

 

Ce qui n’était qu’une sorte d’ébauche chez l’Osmie tridentée, qui débute bien par des femelles et finit par des mâles, mais brouille l’ordre et mélange au hasard les deux sexes entre les points extrêmes, devient chez sa congénère une loi régulière. La mère s’occupe d’abord du sexe fort, le plus nécessaire, le mieux doué, la femelle ; elle lui consacre le début de sa ponte et le plein épanouissement de son activité ; plus tard, déjà exténuée peut-être, elle donne son reste de préoccupations maternelles au sexe faible, le moins bien doué, presque négligeable, le mâle.

 

L’Osmia parvula, dont je ne possède malheureusement qu’une série, reproduit ce que vient de nous montrer le précédent témoin. Cette série, de neuf, comprend d’abord cinq femelles et puis quatre mâles, sans mélange aucun des deux sexes.

 

Après ces dégorgeurs de miel, ces récolteurs de poussière pollinique, il conviendrait de consulter des hyménoptères livrés à la chasse et empilant leurs cellules en une série linéaire, qui donne l’âge relatif des cocons. La ronce en abrite plusieurs : le Solenius vagus, qui fait provision de diptères ; le Psen atratus, qui sert à ses larves un monceau de pucerons ; le Tripoxylon figulus, qui les nourrit avec des araignées.

 

Le Solenius vagus creuse sa galerie dans un bout de ronce tronqué, mais encore frais et en végétation. Il va donc dans la demeure du chasseur de diptères, surtout dans les étages inférieurs, un suintement de sève défavorable, ce me semble, à une hygiène bien entendue. Pour éviter cette humidité, ou pour d’autres motifs qui m’échappent, le Solenius ne creuse pas bien avant son bout de ronce et de la sorte ne peut y empiler qu’un petit nombre de loges. Une série de cinq cocons me donne d’abord quatre femelles et puis un mâle ; une autre série, également de cinq, contient d’abord trois femelles et par delà deux mâles. C’est ce que j’ai de plus complet pour le moment.

 

Je comptais sur le Psen atratus, dont les séries sont assez longues ; il est fâcheux qu’elles soient presque toujours fortement troublées par un parasite, l’Ephialtes mediator. Je n’ai obtenu sans lacunes que trois séries : une de huit, comprenant uniquement des femelles ; une de six, pareillement composée en entier de femelles ; enfin une de huit, formée exclusivement de mâles. Ces exemples semblent dire que le Psen dispose sa ponte en une suite de femelles et une suite de mâles ; mais ils n’apprennent rien sur l’ordre relatif des deux suites.

 

Le chasseur d’araignées, le Tripoxylon figulus, ne m’a rien appris de décisif. Il me paraît vagabonder d’un bout de ronce à l’autre, utilisant des galeries qu’il n’a pas lui-même creusées. Peu économe d’un logis dont l’acquisition ne lui a rien coûté, il y maçonne négligemment quelques cloisons à des hauteurs très inégales ; il bourre d’araignées trois ou quatre chambres et passe à un autre bout de ronce, sans motif, que je sache, d’abandonner le premier. Ses loges sont donc en séries trop courtes pour donner d’utiles renseignements.

 

Les habitants de la ronce n’ont, plus rien à nous apprendre : je viens de passer en revue les principaux d’entre eux dans ma région. Interrogeons maintenant d’autres hyménoptères à cocons disposés en files linéaires : les Mégachiles, qui découpent des feuilles et en assemblent les rondelles en récipients de la forme d’un à coudre ; les Anthidies, qui ourdissent leurs sachets à miel avec de la bourre cotonneuse, et disposent leurs cellules à la suite l’une de l’autre dans quelque galerie cylindrique. Pour la majorité du travail, le logis n’est l’œuvre ni des unes ni des autres. Un couloir dans les talus terreux et verticaux, vieil ouvrage de quelque Anthophore, est l’habituelle demeure. La profondeur de pareilles retraites est peu considérable ; et toutes mes recherches, continuées avec ardeur pendant plusieurs hivers, n’aboutissent qu’a me procurer des séries d’un petit nombre de cocons, quatre ou cinq au plus, fréquemment un seul. Chose non moins grave : presque toutes ces séries sont troublées par des parasites et ne me permettent aucune déduction fondée.

 

Le souvenir m’est venu d’avoir rencontré, à de longs intervalles, des nids soit d’Anthidie, soit de Mégachile, dans le canal de roseaux coupés. J’ai alors établi, contre les murailles les mieux ensoleillées de mon enclos, des ruches d’un nouveau genre. Ce sont des tronçons du grand roseau du Midi, ouverts à un bout, fermés à l’autre par le nœud naturel, et assemblés en une sorte d’énorme flûte de Pan comme pouvait en employer Polyphème. L’invitation a été entendue : Osmies, Anthidies, Mégachiles, sont venues en assez grand nombre, les premières surtout, profiter de l’originale installation.

 

J’ai obtenu de la sorte, pour les Anthidies et les Mégachiles, de superbes séries, allant jusqu’à la douzaine. Ce succès avait son triste revers de médaille. Toutes mes séries, sans une seule exception, étaient ravagées par des parasites. Celles du Mégachile (Megachile sericans, Fonscol), qui façonne ses godets avec des feuilles de robinia, d’yeuse, de térébinthe, étaient habitées par le Cœlionys 8-dentata ; celles de l’Anthidie (Anthidium florentinum, Latr.), étaient occupées par un Leucospis. Dans les unes et les autres grouillait une population de parasites pygmées, sur le nom desquels je ne suis pas encore édifié. Bref, mes ruches en flûte de Pan, si elles m’ont été fort utiles à d’autres point de vue, ne m’ont rien appris sur l’ordre des sexes chez les coupeuses de feuilles et les ourdisseuses de colonnades.

 

J’ai été plus heureux avec trois Osmies (Osmia tricornix, Latr., Osmia cornuta, Latr. et Osmia Latreillii, Spin.) qui m’ont fourni de superbes résultats, toutes les trois, avec des bouts de roseau disposés soit contre les murs de mon jardin, comme je viens de le dire, soit au voisinage de leur habituelle demeure, les nids prodigieux du Chalicodome des hangars. L’une d’elles, l’Osmie tricorne, a fait mieux : comme je l’ai raconté, elle a nidifié dans mon cabinet, en telle abondance que j’ai voulu, utilisant pour galerie des roseaux, des tubes de verre et autres retraites de mon choix.

 

Consultons cette dernière, qui m’a fourni des documents supérieurs en nombre à tout ce que je pouvais désirer ; et demandons-lui d’abord de combien d’œufs se compose en moyenne sa ponte. De tout le monceau de tubes peuplés dans mon cabinet, ou bien au dehors, dans les canisses et les appareils en flûte de Pan, le mieux garni renferme quinze cellules, avec espace libre au-dessus de la série, espace annonçant que la ponte est finie, car, si elle avait eu encore des œufs disponibles, la mère aurait utilisé, pour les loger, l’intervalle qu’elle a laissé inoccupé. Cette file de quinze me paraît rare : je n’en ai pas trouvé d’autre. Mes éducations en domesticité, poursuivies pendant deux ans avec des tubes de verre ou des roseaux, m’ont appris que l’Osmie tricorne n’aime guère les longues séries. Comme pour amoindrir les difficultés de la future libération, elle préfère les galeries courtes, où ne s’empile qu’une partie de la ponte. Il faut alors suivre la même mère dans ses migrations d’une demeure à l’autre pour obtenir l’état civil complet de la famille. Un point coloré, déposé au pinceau sur le thorax pendant que l’abeille est profondément absorbée dans son travail de clôture à l’embouchure du canal, permet de reconnaître l’Osmie en ses divers domiciles.

 

Par de tels moyens, l’essaim établi dans mon cabinet m’a fourni, la première année, une moyenne de douze cellules. La seconde année, la saison étant plus favorable paraît-il, cette moyenne s’est un peu élevée, et a atteint la quinzaine. La plus nombreuse ponte opérée sous mes yeux, non dans un tube mais dans une série d’hélices, s’est élevée au chiffre de vingt-six. D’autre part, des pontes de huit à dix ne sont pas rares. Enfin de l’ensemble de mes relevés, il résulte que la famille de l’Osmie oscille autour de la quinzaine.

 

J’ai déjà mentionné les profondes différences que présentent les loges d’une même série au point de vue du volume. Les cloisons, d’abord largement distantes, se rapprochent davantage entre elles à mesure qu’elles sont plus voisines de l’orifice, ce qui détermine d’amples cellules en arrière et d’étroites cellules en avant. Le contenu de ces chambres n’est pas moins inégal d’une région à l’autre de la série. Sans exception que je connaisse, les loges spacieuses, celles par lesquelles la série débute, ont des provisions plus abondantes que les loges étroites, par lesquelles la série finit. Le monceau de miel et de pollen des premières est le double, le triple de celui des secondes. Pour les dernières loges, les plus récentes, les vivres ne sont qu’une pincée de pollen, si parcimonieuse, qu’on se demande ce que deviendra la larve avec cette maigre ration.

 

On dirait que l’Osmie, sur la fin de sa ponte, juge sans importance ses derniers-nés, pour lesquels elle mesure avarement et l’espace et la nourriture. Aux premiers-nés, le zèle ardent d’un travail qui débute, la table somptueuse et l’ampleur du logis ; aux derniers-nés, la lassitude d’un travail prolongé, la ration mesquine et l’étroit recoin.

 

Les différences s’accusent sous un autre aspect lorsque les cocons sont filés. Aux grandes loges, celles d’arrière, les cocons volumineux ; aux petites loges, celles d’avant, les cocons de deux à trois fois moindres. Pour les ouvrir et constater le sexe de l’Osmie incluse, attendons la transformation en insecte parfait, qui se fera vers la fin de l’été. Si l’impatience nous gagne, ouvrons-les en fin juillet et août. Alors l’insecte est à l’état de nymphe, et l’on peut très bien, sous cette forme, distinguer les deux sexes à la longueur des antennes, plus grandes chez les mâles, et aux tubercules cristallins du front, indice de la future armure des femelles. Eh bien, les petite cocons, ceux des loges d’avant, les plus étroites et les moins bien approvisionnées, appartiennent tous à des mâles ; les gros cocons, ceux des loges derrière, les plus spacieuses et les mieux approvisionnées, appartiennent tous à des femelles.

 

La conclusion est formelle : la ponte de l’Osmie tricorne comprend deux groupes sans mélange, d’abord un groupe de femelles et puis un groupe de mâles.

 

Avec mes appareils en flûte de Pan exposés contre les murs de mon enclos, avec les vieilles canisses laissées au dehors suivant l’horizontale, j’ai obtenu l’Osmie cornue en nombre suffisant. J’ai décidé l’Osmie de Latreille à nidifier dans des roseaux, ce qu’elle a fait avec un entrain que j’étais loin d’attendre. Il m’a suffi de disposer à sa portée et suivant l’horizontale, des bouts de roseau dans le voisinage immédiat des lieux qu’elle fréquente d’habitude, savoir les nids du Chalicodome des hangars. Enfin je suis parvenu sans difficulté à la faire nidifier dans l’intimité de mon cabinet de travail, avec des tubes de verre pour domicile. Le résultat a dépassé mes désirs.

 

Pour les deux Osmies, l’aménagement du canal est le même que pour l’Osmie tricorne. En arrière, amples cellules aux provisions abondantes et cloisons largement espacées ; en avant, cellules étroites, aux provisions réduites et cloisons rapprochées. Enfin les grandes cellules m’ont fourni de gros cocons et des femelles ; les cellules moindres m’ont donné, de petits cocons et des mâles. Pour les trois Osmies, la conclusion est donc exactement la même.

 

Avant d’en finir avec les Osmies, donnons un instant à leurs cocons, dont la comparaison, sous le rapport du volume, nous fournira des documents assez exacts sur la taille relative des deux sexes, le contenu, l’insecte parfait, étant évidemment proportionnel à l’enveloppe de soie qui l’enserre. Ces cocons sont ovalaires et peuvent être considérés comme des ellipsoïdes de révolution autour du grand axe. Pareil solide a pour expression de son volume :

 

4/3 π ab2,

formule dans laquelle 2a est le grand axe, et 2b le petit axe.

 

Or les cocons de l’Osmie tricorne ont en moyenne les dimensions suivantes :

 

2a = 13mm ; 2b = 7mm pour les femelles.

2a = 9mm ; 2b = 5mm pour les mâles.

 

Le rapport de 13x7x7 = 637 et de 7x5x5= 225 sera donc à très peu près le rapport en volume des deux sexes. Or ce rapport est compris entre 2 et 3. Les femelles sont donc de deux à trois fois plus grosses que les mâles, proportion où nous avait déjà conduit la comparaison de la masse des vivres, évaluée à simple vue.

 

L’Osmie cornue nous fournit en moyenne :

 

2a = 15mm ; 2b = 9mm pour les femelles.

2a = 12mm ; 2b = 7mm pour les mâles.

 

Le rapport 15 X 9 X 9 = 1215 et 12x7x7 = 588 est encore compris entre 2 et 3.

 

Outre les hyménoptères qui disposent leur ponte en série linéaire, j’en ai consulté d’autres qui, par le groupement de leurs cellules, permettent de constater, avec moins de rigueur il est vrai, l’ordre relatif des deux sexes. De ce nombre est le Chalicodome des murailles, dont le nid, en forme de coupole, bâti sur un galet, nous est suffisamment connu pour qu’il soit inutile d’y revenir. Chaque mère choisit son galet et y travaille solitaire.

 

Propriétaire intolérante de l’emplacement, elle surveille son caillou avec un soin jaloux, et en chasse toute maçonne qui fait mine seulement de vouloir s’y poser. Les habitants d’un même nid sont donc toujours frères et sœurs ; ils sont la famille d’une même mère.

 

Si d’autre part, condition facile à remplir, le galet présente une surface d’appui assez grande, la Maçonne n’a aucun motif de quitter le support où elle a commencé sa ponte pour s’en aller ailleurs en quête d’un autre et y continuer le dépôt de ses œufs. Elle est trop économe de son temps et de son mortier pour se laisser entraîner, sans motif grave, à de telles dépenses. Par conséquent chaque nid, du moins quand il est neuf, quand l’Abeille en a jeté elle-même les premiers fondements, renferme la ponte intégrale. Il n’en est plus de même quand un vieux nid est restauré pour servir au dépôt des œufs. Je reviendrai plus tard sur ces demeures non bâties par la propriétaire actuelle. Un nid de fondation nouvelle renferme donc, à part de rares exceptions, la ponte entière d’une seule femelle. Comptons les cellules, et nous aurons le dénombrement total de la famille. Leur nombre maximum oscille autour de la quinzaine. Les groupes les plus riches, groupes fort rares, m’en ont montré jusqu’à dix-huit.

 

Si la surface du galet est régulière tout autour du point où est assise la première cellule construite, si la Maçonne peut étendre son édifice avec la même facilité dans tous les sens, il est visible que le groupe, une fois terminé, aura, dans la région centrale, les cellules de date plus ancienne, et dans la région périphérique, les cellules de date plus récente. À cause de la juxtaposition des cellules, qui servent partiellement de paroi à celles qui les suivent, les nids du Chalicodome se prêtent donc, dans une certaine mesure, à l’évaluation chronologique ; ce qui nous permet de reconnaître dans quel ordre se succèdent les sexes.

 

En hiver, alors que l’apiaire est depuis longtemps à l’état parfait, je fais récolte de nids de Chalicodome, que je détache tout d’une pièce de leur support par quelques brusques coups de marteau donnés latéralement sur le galet. À la base du dôme de mortier, les cellules sont largement béantes et montrent leur contenu. Je retire le cocon de sa loge, je l’ouvre et je constate le sexe de l’insecte inclus.

 

Ce que j’ai recueilli de nids, ce que j’ai visité de cellules par cette méthode depuis six à sept ans que je poursuis la présente étude, semblerait hyperbolique si je m’avisais de citer le nombre total. Qu’il me suffise de dire que la récolte d’une seule matinée consistait parfois en une soixantaine de nids de la Maçonne. Le transport de pareil butin exige un aide, bien que les nids soient détachés sur place de leurs galets.

 

L’ensemble énorme des nids examinés me donne cette conclusion : Quand le groupe est régulier, les cellules femelles occupent la partie centrale, et les cellules mâles occupent les bords. Si l’irrégularité du galet n’a pas permis une distribution égale autour du point initial, la loi n’est pas moins évidente. Jamais une cellule mâle n’est enveloppée de tous côtés par des cellules femelles ; ou bien elle occupe les bords du nid, ou bien elle est contiguë, au moins par certains côtés, à d’autres cellules mâles, dont les dernières font partie de l’extérieur du groupe. Comme les cellules enveloppantes sont évidemment postérieures aux cellules enveloppées, on voit que l’Abeille maçonne se comporte comme les Osmies : elle commence sa ponte par des femelles, elle la finit par des mâles, chacun des sexes formant une série sans mélange avec l’autre.

 

Quelques autres circonstances adjoignent leur témoignage à celui des cellules enveloppées ou enveloppantes. Si, par un brusque ressaut, le galet forme une sorte d’angle, dièdre dont l’une des faces est à peu près verticale et l’autre horizontale, cet angle est un emplacement de prédilection pour la Maçonne, qui trouve ainsi, dans le double plan lui donnant appui, stabilité plus grande pour son édifice. Ces emplacements me paraissent très recherchés du Chalicodome, vu le nombre de nids que je trouve ainsi doublement appuyés. Dans de pareils nids, toutes les cellules, comme à l’ordinaire, reposent par leur base sur le plan horizontal ; mais le premier rang, celui des cellules construites les premières, s’adosse au plan vertical.

 

Eh bien, ces cellules les plus anciennes, occupant l’arête même de l’angle dièdre, sont toujours femelles, exception faite de celles de l’une et de l’autre extrémités de la file, qui, appartenant à l’extérieur, peuvent être des cellules mâles. Devant cette première rangée en viennent d’autres. Les femelles en occupent la partie moyenne et les mâles les extrémités. Enfin la dernière rangée, formant enveloppe, ne comprend que des mâles.

 

La marche du travail est ici très visible : la Maçonne s’est d’abord occupée de l’amas central de cellules femelles, dont la première rangée occupe l’angle dièdre elle a terminé son œuvre en distribuant les cellules mâles à la périphérie.

 

Si la face verticale de l’angle dièdre est assez élevée, il arrive parfois que sur la première rangée de cellules adossées à ce plan, une seconde rangée est superposée, plus rarement une troisième. Le nid est alors à plusieurs étages. Ses étages inférieurs, les plus vieux, ne contiennent que des femelles ; son étage supérieur, le plus récent, ne contient que des mâles. Il reste bien entendu que la couche superficielle, même des étages inférieurs, peut contenir des mâles sans infirmer la loi, car cette couche peut être toujours regardée comme le dernier travail du Chalicodome.

 

Tout concourt donc à démontrer que chez l’Abeille maçonne, les femelles sont en tête pour l’ordre de primogéniture. À elles la partie centrale et la mieux protégée de la forteresse de terre ; aux mâles la partie extérieure, la plus exposée aux intempéries, aux accidents.

 

Les cellules des mâles ne diffèrent pas seulement des cellules des femelles par leur situation à l’extérieur du groupe ; elles en différent aussi par leur capacité, bien moindre. Pour évaluer les capacités relatives des deux genres de cellules, j’opère comme il suit. Je remplis de sable très fin la cellule vidée, et je transvase ce sable dans un tube de verre de 5 millimètres de diamètre. La hauteur de la colonne de sable est en rapport avec la capacité de la cellule. Parmi mes nombreux exemples de nids ainsi jaugés, j’en prends un au hasard.

 

Il comprend treize cellules et occupe un angle dièdre. Les cellules femelles me donnent pour longueur de la colonne de sable, les nombres suivants en millimètres :

 

40, 44, 43, 48, 48, 46, 47,

 

dont la moyenne est 45.

 

Les cellules mâles me donnent :

 

32, 35, 28, 30, 30, 31,

 

dont la moyenne est 31.

 

Le rapport des capacités des loges pour les deux sexes est ainsi le rapport de 4 à 3 environ. Le contenu étant proportionnel au contenant, ce doit être aussi à peu près le rapport des provisions et le rapport des tailles entre femelles et mâles. Ces nombres nous serviront tout à l’heure pour reconnaître si une vieille cellule, occupée pour la seconde ou troisième fois, appartenait d’abord à une femelle ou bien à un mâle.

 

Le Chalicodome des hangars ne peut fournir des données dans le présent ordre d’idées. Il nidifie, sous la même toiture, en populations excessivement nombreuses, et il est impossible de suivre le travail d’une seule maçonne, dont les cellules, distribuées d’ici et de là, sont bientôt recouvertes par le travail des voisines. Tout est mélange et confusion dans l’œuvre individuelle du tumultueux essaim.

 

Je n’ai pas assisté assez assidûment au travail du Chalicodome des arbustes pour pouvoir affirmer que cet apiaire bâtit isolément son nid, boule de terre appendue à un rameau. Tantôt ce nid est de la grosseur d’une forte noix et paraît alors l’œuvre d’un seul ; tantôt il est de la grosseur du poing, et dans ce cas je ne mets pas en doute qu’il soit l’œuvre de plusieurs. Ces nids volumineux, comprenant au delà d’une cinquantaine de cellules, ne peuvent rien nous apprendre de précis puisque plusieurs ouvrières y ont certainement collaboré.

 

Les nids du volume d’une noix sont plus dignes de confiance, car tout semble indiquer qu’une seule abeille les a édifiés. On y trouve des femelles au centre du groupe, et des mâles à la circonférence, dans des cellules un peu moindres. Ainsi se répète ce que vient de nous apprendre le Chalicodome des galets.

 

De l’ensemble de ces faits, une loi se dégage, simple et lucide. Étant mise à part l’exception singulière de, l’Osmie tridentée, qui mélange les sexes sans aucun ordre, les hyménoptères que j’ai étudiés, et très probablement une foule d’autres, produisent d’abord une série continue de femelles, et puis une série continue de mâles, cette dernière avec des provisions moindres et des cellules plus étroites. Cette répartition des sexes est conforme à ce que l’on sait depuis longtemps sur l’Abeille domestique, qui commence sa ponte par une longue suite d’ouvrières ou femelles stériles, et la termine par une longue suite de mâles. Le parallélisme se poursuit jusque dans la capacité des cellules et les quantités de vivres. Les vraies femelles, les reines Abeilles, ont des loges de cire incomparablement plus spacieuses que les cellules des mâles ; elles reçoivent une nourriture bien plus abondante. Tout affirme donc que nous sommes en présence d’une loi générale.

 

Mais cette loi est-elle bien l’expression de la vérité entière ? N’y a-t-il plus rien au delà d’une ponte bisériée ? Les Osmies, les Chalicodomes et les autres sont-ils fatalement assujettis à la répartition des sexes en deux groupes distincts, le groupe des mâles succédant au groupe des femelles, sans mélange entre les deux ? Si les circonstances l’exigent, y a-t-il chez la mère impuissance absolue de rien changer à cette coordination ? Déjà l’Osmie tridentée nous montre que le problème est loin d’être résolu. Dans un bout de ronce, les deux sexes se succèdent très irrégulièrement, comme au hasard. Pourquoi ce mélange dans la série de cocons d’un hyménoptère congénère de l’Osmie cornue et de l’Osmie tricorne, qui méthodiquement, par sexes séparés, empilent les leurs dans le canal d’un roseau ? Ce que fait l’apiaire de la ronce, ses analogues du roseau ne peuvent-ils le faire ? Rien que je sache ne peut expliquer cette différence si profonde dans un acte physiologique de premier ordre. Les trois hyménoptères appartiennent au même genre ; ils se ressemblent pour la forme générale, la structure interne, les mœurs ; et avec cette étroite similitude, voici tout à coup une dissimilitude étrange.

 

Un point, un seul, est entrevu qui puisse faire naître quelques soupçons sur la cause du défaut d’ordre dans la ponte de l’Osmie tridentée. Si j’ouvre un bout de ronce pendant l’hiver pour examiner le nid de l’Osmie, il m’est impossible, dans la grande majorité des cas, de distinguer sûrement un cocon femelle d’un cocon mâle, tant les grosseurs en diffèrent peu. Les cellules d’ailleurs ont même capacité : le canal de la ronce est partout d’égal diamètre et les cloisons conservent un écart mutuel à peu près constant. Si je l’ouvre en juillet, époque de l’approvisionnement, il m’est impossible de distinguer les vivres destinés aux mâles des vivres destinés aux femelles. Le jaugeage de la colonne de miel donne, dans toutes les cellules, sensiblement la même hauteur. Même quantité d’espace et même nourriture pour les deux sexes.

 

Ce résultat nous fait prévoir ce que répond l’examen direct des deux sexes sous la forme adulte. Pour la taille, le mâle ne diffère pas sensiblement de la femelle. S’il lui est un peu inférieur, c’est à peine notable ; tandis que chez l’Osmie cornue et chez l’Osmie tricorne, le mâle est de deux à trois fois moindre que la femelle, ainsi que nous l’a démontré l’ampleur des cocons respectifs. Chez le Chalicodome des murailles, la différence se maintient dans le même sens, quoique moins prononcée.

 

L’Osmie tridentée n’a donc pas à se préoccuper de proportionner l’ampleur du logis et la quantité des vivres au sexe de l’œuf qu’elle va pondre : d’un bout à l’autre de la série, la mesure est commune. Peu importe que les sexes alternent sans ordre ; chacun trouvera ce qui lui est nécessaire, quel que soit son rang dans la série.

 

Avec leur profonde disparité de taille entre les deux sexes, les deux autres Osmies ont à veiller à la double condition de l’espace et de la ration. Et voilà pourquoi, ce me semble, elles débutent par des cellules spacieuses et largement approvisionnées, demeures des femelles, et finissent par des cellules étroites, maigrement pourvues, demeures des mâles. Avec cette succession, nettement délimitée pour les deux sexes, sont moins à craindre des méprises qui donneraient à l’un ce qui doit revenir à l’autre. Si ce n’est pas là vraiment la cause des faits, je n’en vois pas d’autre que je puisse invoquer.

 

Plus je réfléchissais sur la curieuse question, plus il me devenait probable que la période irrégulière de l’Osmie tridentée et la période régulière des autres Osmies, des Chalicodomes et des hyménoptères en général, devaient se ramener à une loi commune. Il me semblait que la sériation par femelles d’abord et puis par mâles, n’était pas l’entière vérité. Il devait y avoir plus. Et j’avais raison : cette sériation n’est qu’un tout petit coin de la réalité, bien autrement remarquable. C’est ce que je vais établir expérimentalement.

 


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