IntraText Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText | Recherche |
Link to concordances are always highlighted on mouse hover
Je commencerai par le Chalicodome des galets. – Les vieux nids sont fréquemment utilisés, lorsqu’ils ont conservé la solidité nécessaire. Au début de la saison, les mères se les disputent avec acharnement ; et quand l’une d’elles a pris possession du dôme convoité, elle en chasse toute étrangère. La vieille demeure est loin d’être une masure : seulement elle est perforée d’autant d’ouvertures qu’il en est sorti d’habitants. Le travail de réparation se réduit à peu de chose. L’amas terreux, provenant de la démolition de la clôture par l’apiaire qui est sorti, est extrait de la cellule et rejeté au loin, parcelle à parcelle. Les débris du cocon sont rejetés aussi, mais pas toujours, car la fine enveloppe de soie adhère fortement à la maçonnerie.
Alors commence l’approvisionnement de la cellule appropriée. Vient ensuite la ponte, et les scellés sont mis finalement à l’orifice avec un tampon de mortier. Une seconde cellule est utilisée de même, puis une troisième, et ainsi de suite, l’une après l’autre, tant qu’il y en a de libres et que les ovaires de la mère ne sont pas épuisés. Enfin le dôme reçoit, principalement sur les ouvertures déjà tamponnées, une couche de crépi qui donne au nid l’aspect neuf. Si la ponte n’est pas finie, la mère va à la recherche d’autres vieux nids pour l’achever. Peut-être ne se résout-elle à fonder un établissement nouveau que lorsqu’elle ne trouve pas des demeures anciennes, qui lui vaudraient grande économie de temps et de fatigue. Bref, dans l’innombrable quantité de nids que j’ai recueillis, j’en trouve beaucoup plus de vieux que de récents.
Comment les distinguer les uns des autres ? L’aspect extérieur n’apprend rien, tant la Maçonne a pris soin de restaurer à neuf la surface de l’ancienne demeure. Pour résister aux intempéries de l’hiver, cette surface doit être inattaquable. La mère le sait bien, et elle répare le dôme en conséquence. À l’intérieur, c’est autre chose : le vieux nid se décèle à l’instant. Il y a des cellules dont les provisions, vieilles d’un an au moins, sont intactes, mais desséchées ou moisies, l’œuf ne s’étant pas développé. Il y en a d’autres contenant une larve morte, réduite par le temps à un cylindre courbe de pourriture durcie. Il s’en trouve d’où l’insecte parfait n’a pu sortir ; le Chalicodome s’est exténué pour forer le plafond de sa loge ; les forces lui ont manqué, et il est mort à la peine. Il s’en trouve encore, et très fréquemment, qui sont occupées par des ravageurs, Leucospis et Anthrax, dont la sortie aura lieu bien plus tard, en juillet. En somme, le logis est loin d’avoir toutes ses chambres libres ; il y en a presque toujours une partie très notable occupée soit par des parasites non encore éclos au moment du travail de l’Abeille maçonne, soit par des provisions gâtées, des larves desséchées et des Chalicodomes à l’état parfait, qui sont morts sans pouvoir se libérer. Toutes les chambres seraient-elles disponibles, chose rare, un moyen reste encore de distinguer un vieux nid d’un nid récent. Le cocon, ai-je dit, adhère assez fortement à la paroi, et la mère n’enlève pas toujours cette dépouille, soit qu’elle ne le peuve5, soit qu’elle en juge l’extraction inutile. Alors le cocon récent est enchâssé par la base dans le fond du cocon vieux. Cette double enveloppe affirme nettement deux générations, deux années. Il m’est arrivé de trouver jusqu’à trois cocons emboîtés par la base. Les nids du Chalicodome des galets peuvent donc servir pendant trois ans, si ce n’est davantage. Finalement, ils deviennent de vraies masures, abandonnées aux araignées et à divers petits hyménoptères, qui s’établissent dans les chambres croulantes.
On le voit, un vieux nid presque jamais n’est apte à contenir la ponte intégrale du Chalicodome, ponte qui réclame une quinzaine de cellules. Le nombre des chambres disponibles est fort variable, mais toujours très réduit. C’est beaucoup s’il y en a assez pour recevoir à peu près la moitié de la ponte. Quatre ou cinq cellules, parfois deux et même une seule, voilà ce que d’habitude la Maçonne trouve dans un nid qui n’est pas son travail. Cette réduction si considérable s’explique quand on connaît les nombreux parasites qui exploitent la pauvre abeille.
Or comment sont distribués les sexes dans ces pontes forcément fractionnées, d’un vieux nid à l’autre ? Ils le sont de manière à renverser de fond en comble l’idée d’une invariable sériation en femelles et puis en mâles, idée née de l’examen des nids récents. Si cette loi était constante, on devrait trouver en effet, dans les vieux dômes, tantôt uniquement des femelles, et tantôt uniquement des mâles, suivant que la ponte en serait à sa première ou bien à sa deuxième période. La présence simultanée des deux sexes correspondrait alors à l’époque de transition d’une période à la suivante et ne devrait se présenter que très rarement. Loin de là : elle est très fréquente ; les vieux nids présentent toujours des femelles et des mâles, si réduit qu’ait été le nombre de cellules libres, à la seule condition que les logos aient la capacité réglementaire, capacité plus grande pour les femelles, moindre pour les mâles, comme nous l’avons vu.
Dans les anciennes cellules de mâles, reconnaissables à leur position périphérique, à leur capacité que mesure en moyenne une colonne de sable de 31 millimètres de hauteur dans un tube de verre de 5 millimètres de diamètre ; dans les vieilles cellules de mâles, dis-je, se trouvent des mâles de seconde, de troisième génération, et rien que des mâles. Dans les anciennes cellules de femelles, cellules centrales, dont la capacité est mesurée par une colonne de sable de 45 millimètres, sont des femelles et rien que des femelles.
Cette présence des deux sexes à la fois, n’y aurait-il que deux cellules disponibles, l’une spacieuse, l’autre étroite, démontre, de la façon la plus évidente, que la répartition régulière, constatée dans les nids complets de production récente, est ici remplacée par une répartition irrégulière, en harmonie avec le nombre et la capacité des chambres qu’il s’agit de peupler. La Maçonne n’a devant elle, je suppose, que cinq loges libres, deux plus grandes, trois plus petites. L’ensemble du logement correspond à peu près au tiers de la ponte. Eh bien, dans les deux cellules grandes, elle met des femelles ; dans les trois cellules petites, elle met des mâles.
Des faits semblables se répétant dans tous les vieux nids, forcément faut-il admettre que la mère connaît le sexe de l’œuf qu’elle va pondre, puisque cet œuf est déposé dans une cellule à capacité convenable. Mieux que cela : il faut admettre que la mère modifie à son gré l’ordre de succession des sexes, puisque ses pontes, d’un vieux nid à l’autre, se fractionnent en petits groupes de mâles et de femelles, comme l’exigent les conditions d’espace dans le nid dont elle a pris fortuitement possession.
Tout à l’heure, dans le nid récent, nous voyions l’Abeille maçonne sérier sa ponte totale en femelles d’abord et puis en mâles ; la voici maintenant qui, propriétaire d’un vieux nid dont elle n’est pas maîtresse de modifier l’aménagement, fractionne sa ponte en périodes mélangées et conformes aux conditions qui lui sont imposées. Elle dispose donc du sexe de l’œuf à sa guise, car sans cette prérogative, elle ne pourrait, dans les chambres du nid que le hasard lui à valu, remettre exactement le sexe pour lequel ces chambres avaient été construites au début ; et cela, si réduit que soit le nombre des chambres à peupler.
Quand le nid est neuf, je crois entrevoir un motif pour le Chalicodome de sérier sa ponte en femelles et puis en mâles. Son nid est une demi-sphère. Celui du Chalicodome des arbustes se rapproche de la sphère. De toutes les formes, la plus résistante est la forme sphérique. Or il faut à ces deux nids une puissance de résistance exceptionnelle. Sans aucun abri, ils doivent braver les intempéries, l’un sur son galet, l’autre sur son rameau. Leur configuration sphéroïdale est donc très logique.
Le nid du Chalicodome des murailles se compose d’un groupe de cellules verticales adossées l’une à l’autre. Pour que l’ensemble prenne la configuration sphérique, il faut que la hauteur des loges diminue du centre du dôme à la circonférence. Leur élévation est le sinus de l’arc de méridien à partir du plan du galet. Ainsi la solidité exige les grandes cellules au centre et les petites cellules au bord. Et comme le travail commence par les chambres centrales et finit par les chambres du pourtour, la ponte des femelles, destinées aux grandes cellules, doit précéder la ponte des mâles, destinés aux petites cellules. Donc, les femelles d’abord ; et pour finir, les mâles.
Voilà qui est bien lorsque la mère fonde elle-même l’habitation, qu’elle en jette les premières assises. Mais, si elle est en présence d’un nid ancien, dont elle ne peut modifier en rien la distribution générale, comment utiliser les quelques loges libres, les grandes comme les petites, si le sexe de l’œuf est déjà irrévocablement déterminé ? Elle ne peut y parvenir qu’en abandonnant la sériation à deux groupes et en conformant sa ponte aux exigences si variables du logis. Ou bien, elle est dans l’impossibilité d’utiliser économiquement un vieux nid, ce que l’observation nie ; ou bien elle dispose à son gré du sexe de l’œuf qu’elle va pondre.
Cette dernière alternative, les Osmies, à leur tour, vont nous l’affirmer de la façon la plus formelle. Nous avons vu que ces apiaires ne sont pas en général des ouvrières mineures, forant elles-mêmes l’emplacement de leurs cellules. Elles utilisent les anciens travaux d’autrui, ou bien les réduits naturels, tiges creuses, spirale des coquilles vides, cachettes dans les murailles, la terre, le bois. Leur œuvre se borne à des retouches pour améliorer le logis, à des cloisons, à des clôtures. Pareils réduits ne manquent pas, et l’insecte en trouverait toujours de premier choix s’il s’avisait de les chercher dans un rayon d’exploration de quelque étendue. Mais l’Osmie est casanière, elle revient à son lieu de naissance et s’y maintient avec une assiduité bien difficile à lasser. C’est là, dans un médiocre espace, à elle très familier, qu’elle préfère établir sa famille. Mais alors les logis sont peu nombreux, de toute forme et de toute ampleur. Il y en a de longs et de courts, de spacieux et de rétrécis. À moins de s’expatrier, dure résolution, il convient de les utiliser tous, du premier au dernier, car on n’a pas le choix. Guidé par ces considérations, j’ai entrepris les expériences que je vais rapporter.
J’ai dit comment mon cabinet était devenu, à deux reprises, une ruche populeuse, où l’Osmie tricorne nidifiait dans les divers appareils que je lui avais préparés. Parmi ces appareils dominaient les tubes, en verre ou en roseau. Il y en avait de toute longueur et de tout calibre. Dans les tubes longs ont été déposées les pontes entières ou presque entières, avec série de femelles suivie d’une série de mâles. Ayant déjà parlé de ce résultat, je passe outre. Les tubes courts étaient assez variés de longueur pour loger telle ou telle autre portion de la ponte totale. Me basant sur les longueurs respectives des cocons des deux sexes, sur l’épaisseur des cloisons et du tampon final, j’en avais raccourci quelques-uns aux strictes dimensions nécessitées pour deux cocons seulement et de sexe différent.
Eh bien, ces tubes courts, qu’ils fussent en verre ou en roseau, furent occupés avec le même zèle que les tubes longs, De plus, résultat magnifique, leur contenu, ponte partielle, débutait toujours par des cocons femelles et se terminait par des cocons mâles. Cette succession était invariable ; ce qui variait, c’était le nombre de loges, c’était la proportion entre les deux genres de cocons, ici plus grande dans un sens et là plus grande dans l’autre sens.
Pour préciser les idées, en cette expérience fondamentale, qu’il me suffise de citer un exemple parmi la multitude des cas similaires. Je lui donne la préférence à cause de la fertilité assez exceptionnelle de la ponte. Une Osmie, marquée sur le thorax, est suivie, jour par jour, du commencement à la fin de son travail. Du 1er au 10 mai, elle occupe un premier tube en verre où elle loge sept femelles, et puis un mâle terminant la série. Du 10 au 17 mai, elle peuple un second tube où elle loge trois femelles d’abord et puis trois mâles. Du 17 au 28 mai, troisième tube avec trois femelles et puis deux mâles. Le 26 mai, quatrième tube, qu’elle abandonne, probablement à cause de son trop grand diamètre, après y avoir déposé une femelle. Enfin du 20 au 30 mai, cinquième tube qu’elle peuple de deux femelles et de trois mâles. Total vingt-cinq Osmies, dont dix-sept femelles et huit mâles. Remarquons, ce qui ne sera pas sans utilité, que ces séries partielles ne correspondent pas du tout à des périodes séparées par des intervalles de repos. La ponte est continue, autant que le permet l’état variable de l’atmosphère. Dès qu’un tube est plein et clôturé, un autre sans retard est occupé par l’Osmie.
Les tubes réduits à la stricte longueur de deux cellules, pour la grande majorité répondirent à mes prévisions : la cellule inférieure était occupée par une femelle, et la cellule supérieure par un mâle. Quelques-uns faisaient exception. Plus clairvoyante que moi dans l’évaluation du strict nécessaire, mieux versée dans l’économie de l’espace, l’Osmie avait trouvé le moyen de loger deux femelles là où je n’avais vu place que pour une femelle et un mâle.
En somme, le résultat de l’expérimentation est d’une pleine évidence. En face de tubes insuffisants pour recevoir toute sa famille, l’Osmie est dans le même cas que l’Abeille maçonne en présence d’un vieux nid. Elle agit alors exactement comme le Chalicodome. Elle fractionne sa ponte, elle la détaille par séries aussi courtes que l’exige le logis disponible, et chaque série commence par des femelles et finit par des mâles. Ce fractionnement en parties où les deux sexes sont représentés, et cette autre division de la ponte intégrale seulement en deux groupes, l’un femelle, l’autre mâle, lorsque la longueur du canal le permet, ne mettent-ils pas en pleine lumière la faculté que possède l’insecte de disposer du sexe de L’œuf conformément aux conditions du logis ?
Aux conditions de l’espace serait-il téméraire d’en adjoindre d’autres relatives à la précocité des mâles ? Ceux-ci rompent leurs cocons une paire de semaines et plus avant les femelles ; ils sont des premiers accourus aux fleurs de l’amandier. Pour se libérer et venir aux joies du soleil sans troubler la file de cocons où dorment encore leurs sœurs, ils doivent occuper l’extrémité supérieure de la série ; et tel est, sans doute, le motif qui décide l’Osmie à terminer par des mâles chacune de ses pontes partielles. Rapprochés de la porte, ces impatients quitteront la demeure sans bouleverser les coques à éclosion plus tardive.
Les bouts de roseaux courts, très courts même, ont été expérimentés avec l’Osmie de Latreille. Il me suffisait de les déposer tout à côté des nids du Chalicodome des hangars, affectionnés de cette Osmie. Les vieilles canisses exposées à l’air m’en ont fourni, de toute longueur, habités par l’Osmie cornue. De part et d’autre mêmes résultats et mêmes conséquences que pour l’Osmie tricorne.
Je reviens à cette dernière, nidifiant chez moi dans de vieux nids du Chalicodome des murailles, que j’avais disposés à sa portée, pêle-mêle avec les tubes. En dehors de mon cabinet, je n’ai encore jamais vu l’Osmie tricorne adopter pareil domicile. Cela tient peut-être à ce que ces nids sont isolés, un à un, dans la campagne ; et l’Osmie, qui aime le voisinage de ses pareilles, le travail en nombreuse compagnie, ne les adopte pas à cause de leur isolement. Mais sur ma table, les trouvant tout à côté des tubes où les autres travaillent, elle les adopte sans hésitation.
Les chambres que ces vieux nids présentent sont plus ou moins spacieuses suivant l’épaisseur du revêtement de mortier que le Chalicodome a déposé sur l’ensemble des cellules. Pour sortir de sa loge, la Maçonne doit perforer, non seulement le tampon, le couvercle construit à l’embouchure de la cellule, mais encore l’épais crépi dont le dôme est fortifié à la fin du travail. De cette perforation résulte un vestibule qui donne accès dans la chambre proprement dite. C’est ce vestibule qui peut être plus long ou plus court, tandis que la chambre correspondante a des dimensions à peu près constantes, pour un même sexe bien entendu.
Supposons d’abord le vestibule court, au plus suffisant pour recevoir le tampon de terre avec lequel l’Osmie fermera le logis. Il n’y a de disponible alors que la cellule proprement dite, logement spacieux où sera largement à l’aise une femelle de l’Osmie, elle qui est beaucoup plus petite que le premier habitant de la chambre, n’importe le sexe de cet habitant ; mais il n’y a pas place pour deux cocons à la fois, vu surtout l’intervalle qu’occuperait la cloison intermédiaire. Eh bien, dans ces solides et vastes chambres, d’abord domiciles du Chalicodome, l’Osmie établit des femelles, exclusivement des femelles.
Supposons maintenant le vestibule long. Alors une cloison est construite, empiétant un peu sur la cellule proprement dite, et le logis est divisé en deux étages inégaux. En bas, vaste salle, où est établie une femelle ; en haut, étroit réduit, où est enserré un mâle.
Si la longueur du vestibule le permet, déduction faite de la place nécessaire au tampon final, un troisième étage est établi, moindre que le second ; et dans ce recoin parcimonieux, un autre mâle est logé. Ainsi est peuplé par une seule mère, une cellule après l’autre, le vieux nid du Chalicodome des galets.
L’Osmie, on le voit, est très économe du logement qui lui est échu ; elle l’utilise de son mieux, donnant aux femelles les amples chambres du Chalicodome, aux mâles les étroits vestibules, subdivisés en étages s’il y a possibilité. L’économie de l’espace est pour elle une condition majeure, ses goûts casaniers ne lui permettant pas des recherches lointaines. Elle doit employer tel quel, tantôt pour, l’un, tantôt pour l’autre sexe, l’emplacement que le hasard a mis à sa disposition. Ici se montre, plus claire que jamais, son aptitude à disposer du sexe de l’œuf, pour l’accommoder si judicieusement aux conditions du logis disponible.
J’avais offert en même temps aux Osmies de mon cabinet de vieux nids du Chalicodome des arbustes, sphéroïdes de terre creusés de cavités cylindriques. Ces cavités sont formées, comme pour les vieux nids du Chalicodome des galets, de la cellule proprement dite et du vestibule de sortie, que l’insecte parfait, au moment de sa libération, a creusé à travers l’enduit général. Leur diamètre est de 7 millimètres environ ; leur profondeur, au centre de l’amas, est de 23 millimètres ; et sur le bord seulement de 14 millimètres en moyenne.
Les profondes cellules centrales reçoivent uniquement les femelles de l’Osmie ; parfois même les deux sexes ensemble au moyen d’une cloison intermédiaire. La femelle occupe l’étage inférieur et le mâle l’étage supérieur. Il est vrai qu’alors l’économie de l’espace est poussée à ses dernières limites, les appartements fournis par le Chalicodome des arbustes étant déjà d’eux-mêmes bien petits malgré leur vestibule. Enfin les cavités périphériques les plus profondes sont accordées à des femelles, les moins profondes à des mâles.
J’ajoute qu’une seule mère peuple chaque nid ; j’ajoute encore qu’elle procède d’une cellule à l’autre sans s’inquiéter de la profondeur reconnue. Elle va du centre aux bords, des bords au centre, d’une cavité profonde à une cavité courte et réciproquement, ce qu’elle ne ferait pas si les sexes devaient se succéder dans un ordre déterminé. Pour plus de certitude, j’ai numéroté les cellules d’un même nid à mesure qu’elles étaient closes. En les ouvrant plus tard, j’ai reconnu que les sexes n’étaient pas assujettis à une coordination chronologique. À des femelles succédaient des mâles, puis à des mâles succédaient des femelles, sans qu’il me fût possible de démêler une sériation régulière. Seulement, et c’est là le point essentiel, les cavités profondes étaient le partage des femelles ; et les cavités de peu de profondeur, le partage des mâles.
Nous savons que l’Osmie tricorne hante de préférence les habitations des apiaires qui nidifient en populeuses colonies, comme le Chalicodome des hangars et l’Anthophore à pieds velus. J’ai brisé, avec de minutieuses précautions, et scrupuleusement visité dans les loisirs du cabinet, de volumineux blocs de terre extraits des talus habités par l’Anthophore et envoyés de Carpentras par mon cher élève et ami H. Devillario. Les cocons de l’Osmie s’y trouvaient rangés par séries peu nombreuses, dans des couloirs très irréguliers, dont le travail initial est dû à l’Anthophore, et qui retouchés plus tard, agrandis ou rétrécis, prolongés ou raccourcis, croisés et recroisés par les générations nombreuses qui se sont succédé dans la même cité, formaient un labyrinthe inextricable.
Tantôt ces corridors ne communiquaient avec aucune attenance, tantôt ils donnaient accès dans la spacieuse chambre de l’Anthophore, reconnaissable, malgré son âge, à sa forme ovalaire et à son enduit de stuc poli. Dans ce dernier cas, la loge du fond, comprenant à elle seule l’antique chambre de l’Anthophore, était toujours occupée par une femelle d’Osmie. Au delà, dans l’étroit corridor, était logé un mâle, assez souvent deux, et même trois. Des cloisons de terre, travail de l’Osmie, séparaient, bien entendu, les divers habitants : à chacun son étage, sa loge close.
Si le logis se réduisait à un simple canal, sans appartement d’honneur au fond, appartement toujours réservé à une femelle, le contenu variait avec le diamètre de ce canal. Les séries, dont les plus longues étaient de quatre, comprenaient, avec un diamètre plus ample une, deux femelles d’abord, puis un, deux mâles Il arrivait aussi, mais rarement, que la série était renversée, c’est-à-dire qu’elle débutait par des mâles et finissait par des femelles. Enfin il se trouvait d’assez nombreux cocons isolés, de l’un et de l’autre sexe. S’il était seul et qu’il occupât la cellule de l’Anthophore, le cocon était invariablement celui d’une femelle.
Dans les nids du Chalicodome des hangars, j’ai constaté, mais plus difficilement, des faits semblables. Les séries y sont plus courtes parce que le Chalicodome ne fore pas des galeries, mais bâtit cellule sur cellule. Ainsi se forme, par le travail de tout l’essaim, une couche de loges d’année en année plus épaisse. Les corridors qu’exploite l’Osmie sont les trous que le Chalicodome a creusés pour venir des couches profondes au jour. Dans ces courtes séries, les deux sexes sont habituellement présents ; et, si la chambre de la Maçonne termine le couloir, elle est occupée par une femelle de l’Osmie.
Nous revenons à ce que nous ont appris les tubes courts et les vieux nids du Chalicodome des galets. L’Osmie qui, dans des canaux de longueur suffisante, répartit sa ponte intégrale en suite continue de femelles et suite continue de mâles, la fractionne maintenant en courtes séries où les deux sexes sont présents. Elle accommode ses pontes partielles aux exigences, d’un logement fortuit ; elle met toujours une femelle dans la chambre somptueuse que l’Abeille maçonne ou l’Anthophore occupait en principe.
Des faits encore plus frappants nous sont fournis par les vieux nids de l’Anthophore à masque (Anthophora personata, Illig.), vieux nids que j’ai vu exploiter à la fois par l’Osmie cornue et l’Osmie tricorne. Plus rarement, les mêmes nids servent à l’Osmie de Latreille. Disons d’abord en quoi consistent les nids de l’Anthophore à masque.
Dans un talus vertical, argilo-sablonneux, s’ouvrent côte à côte des orifices ronds, béants, de 1 centimètre 1/2 environ de diamètre, et peu nombreux en général. Ce sont les portes d’entrée de la demeure de l’Anthophore, portes qui restent toujours ouvertes alors même que les travaux sont finis. Ils donnent accès chacun dans un vestibule peu profond, droit ou sinueux, à peu près horizontal, poli avec un soin minutieux et verni d’une sorte d’enduit blanc. On le dirait passé à un faible lait de chaux.
À la face inférieure de ce vestibule sont creusées, dans l’épaisseur du banc terreux, d’amples niches ovalaires, communiquant avec le couloir par un goulot rétréci, que ferme, le travail fini, un solide bouchon de mortier. L’Anthophore polit si bien l’extérieur de cette clôture, elle en égalise si exactement la surface, qu’elle met au même niveau que celle du vestibule, elle lui donne avec tant de soin la teinte blanche du reste de la paroi, qu’il est absolument impossible de distinguer, lorsque l’œuvre est terminée, la porte d’entrée correspondant à chaque cellule.
Celle-ci est une cavité ovalaire creusée dans la masse terreuse. Sa paroi a le même poli, la même blancheur au lait de chaux que le vestibule général. Mais l’Anthophore ne se borne pas à creuser des niches ovalaires : pour consolider son travail, elle déverse sur la muraille de la chambre quelque liqueur salivaire qui, non seulement vernit et blanchit, mais encore pénètre à quelques millimètres dans l’épaisseur de la terre sablonneuse et convertit celle-ci en dur ciment. Pareille précaution est prise pour le vestibule ; aussi le tout est ouvrage solide qui, des années entières, peut se maintenir en excellent état.
De plus, grâce à la muraille durcie par le liquide salivaire, l’ouvrage peut être dégagé de sa gangue au moyen d’une érosion ménagée. On obtient ainsi, au moins par fragments, un tube sinueux, d’où pendent, en une guirlande simple ou double, des nodules ovalaires semblables à de forts grains de raisin allongés. Chacun de ces nodules est une loge, dont l’entrée, minutieusement dissimulée, débouche dans le tube ou vestibule Au printemps, pour sortir de sa cellule, l’Anthophore détruit la rondelle de mortier qui bouche l’ampoule et arrive ainsi dans le corridor commun, librement ouvert à l’extérieur. Le nid abandonné présente une suite de cavités en forme de poire, dont la partie renflée est l’ancienne cellule, et dont la partie rétrécie est le goulot de sortie débarrassé de son bouchon.
Ces cavités piriformes sont des logements splendides, des châteaux forts inexpugnables, où les Osmies trouvent sûre et commode retraite pour leur famille. L’Osmie cornue et l’Osmie tricorne s’y établissent concurremment. Bien que ce soit un peu spacieux pour elle, l’Osmie de Latreille en paraît aussi très satisfaite.
J’ai examiné une quarantaine de ces superbes cellules utilisées par l’une et par l’autre des deux premières Osmies. La très grande majorité est divisée en deux étages au moyen d’une cloison transversale. L’étage inférieur comprend la majeure partie de la chambre de l’Anthophore ; l’étage supérieur comprend le reste de la chambre et un peu du goulot qui la surmonte. La demeure à double appartement est clôturée, dans le vestibule, par un informe et volumineux amas de boue desséchée. Quel artiste maladroit que l’Osmie en comparaison de l’Anthophore ! Son travail, cloison et tampon, jure avec l’œuvre exquise de l’Anthophore, comme une pelote d’ordure sur un marbre poli.
Les deux appartements obtenus de la sorte sont d’une capacité très inégale, qui frappe aussitôt l’observateur. Je les ai jaugés avec mon tube de 5 millimètres de diamètre. En moyenne, celui du fond est mesuré par une colonne de sable de 50 millimètres de hauteur, et celui d’en haut, par une colonne de 15 millimètres. La capacité de l’un est donc triple environ de celle de l’autre. Les cocons inclus présentent la même disparate. Celui d’en bas est gros, celui d’en haut est petit. Enfin celui d’en bas appartient à une Osmie femelle, et celui d’en haut à une Osmie mâle.
Plus rarement, la longueur du goulot permet une disposition nouvelle, et la cavité est partagée en trois étages. Celui d’en bas, toujours le plus spacieux, contient une femelle ; les deux d’en haut, de plus en plus réduits, contiennent des mâles.
Tenons-nous-en au premier cas, le plus fréquent de tous. L’Osmie est en présence de l’une de ces cavités en forme de poire. C’est là trouvaille qu’il faut utiliser du mieux possible : pareil lot est rare et n’échoit qu’aux mieux favorisées du sort. Y loger deux femelles à la fois est impossible, l’espace est insuffisant. Y loger deux mâles, ce serait trop accordé à un sexe n’ayant droit qu’aux moindres égards. Et puis faut-il que les deux sexes soient à peu près également représentés en nombre. L’Osmie se décide pour une femelle, dont le partage sera la meilleure chambre, celle d’en bas, la plus ample, la mieux défendue, la mieux polie ; et pour un mâle, dont le partage sera l’étage d’en haut, la mansarde étroite, inégale, raboteuse dans la partie qui empiète sur le goulot. Cette décision, les faits l’attestent, nombreux, irréfutables. Les deux Osmies disposent donc du sexe de l’œuf qui va être pondu, puisque les voici maintenant qui fractionnent la ponte par groupes binaires, femelle et mâle, ainsi que l’exigent les conditions du logement.
Je n’ai trouvé qu’une seule fois l’Osmie de Latreille établie dans le nid de l’Anthophore à masque. Elle n’avait occupé qu’un petit nombre de cellules, les autres n’étant pas disponibles, habitées qu’elles étaient par l’Anthophore. Ces cellules étaient partagées en trois étages, par des cloisons en mortier vert : l’étage inférieur occupé par une femelle, les deux autres par des mâles, à cocon moindre.
J’arrive à un exemple peut-être encore plus remarquable. Deux Anthidies de ma région, l’Anthidium septem-dentatum, Latr. et l’Anthidium bellicosum, Lep. adoptent, pour demeure de leur famille, les coquilles vides de diverses hélices : Hélix aspersa, algira, nemoralis, cæspitum. La première, le vulgaire escargot, est la plus fréquemment utilisée, sous les tas de pierres et dans les interstices des vieilles murailles. Les deux Anthidies ne peuplent que le second tour de spire. La partie centrale, trop étroite, n’est pas occupée. Il en est de même du tour antérieur, le plus ample, laissé complètement vide, si bien qu’en regardant par l’embouchure, il est impossible de savoir si la coquille contient ou ne contient pas le nid de l’apiaire. Il faut casser ce dernier tour pour apercevoir le curieux nid, reculé dans la spire.
On trouve alors d’abord une cloison transversale, formée de menus graviers que cimente un mastic de résine, recueillie en larmes récentes sur l’oxycèdre et le pin d’Alep. Par delà s’étend une épaisse barricade de débris de toute nature : graviers, parcelles de terre, aiguilles de genévrier, chatons de conifère, petites coquilles, déjections sèches d’escargot. Suivent une cloison de résine pure, un volumineux cocon dans une chambre spacieuse, une seconde cloison de résine pure, et enfin un cocon moindre dans une chambre rétrécie. L’inégalité des deux loges, est la conséquence forcée de la configuration de la coquille, dont la cavité gagne rapidement en diamètre à mesure que la spirale se rapproche de l’orifice. Ainsi, par la seule disposition générale du réduit, et sans autre travail de l’apiaire que de minces cloisons, sont déterminées en avant une ample chambre et en arrière une autre chambre de bien moindre capacité.
Par une exception bien remarquable, que j’ai déjà signalée en passant, le genre Anthidie a ses mâles en général supérieurs de taille à ses femelles. Les deux espèces cloisonnant en résine la spire de l’escargot sont précisément dans ce cas. J’ai recueilli quelques douzaines de nids de l’une et de l’autre espèce. Dans la moitié des cas au moins, les deux sexes étaient présents à la fois ; la femelle, plus petite, occupait la loge d’arrière ; le mâle, plus gros, occupait la loge d’avant. D’autres coquilles, plus petites ou trop obstruées au fond par les restes desséchés du mollusque, ne contenaient qu’une seule loge, occupée tantôt par une femelle et tantôt par un mâle. Quelques-unes enfin avaient leurs deux loges peuplées l’une et l’autre ici par des mâles et là par des femelles. Ce qui dominait, c’était la présence simultanée des deux sexes, la femelle en arrière et le mâle en avant. Les Anthidies pétrisseurs de résine et locataires de l’escargot peuvent donc régulièrement alterner les sexes pour satisfaire aux exigences du logis spiral.
Encore un fait et j’ai fini. Mes appareils en roseau installés contre les murs du jardin m’ont fourni un nid remarquable d’Osmie cornue. Ce nid est établi dans un bout de roseau de 11 millimètres de diamètre intérieur. Il comprend treize cellules, et n’occupe que la moitié du canal, bien qu’il y ait à l’orifice le tampon obturateur. La ponte semble donc ici complète.
Or, voici de quelle façon singulière est disposée cette ponte. D’abord à une distance convenable du fond ou nœud du roseau, est une cloison transversale, perpendiculaire à l’axe du tube. Ainsi est déterminée une loge d’ampleur inusitée, où se trouve logée une femelle. L’Osmie paraît alors se raviser sur le diamètre excessif du canal. C’est trop grand pour une série sur un seul rang. Elle élève donc une cloison perpendiculaire à la cloison transversale qu’elle vient de construire et divise ainsi le second étage, en deux chambres, l’une plus grande où est logée une femelle, et une plus petite où est logé un mâle. Puis sont maçonnées une deuxième cloison transversale et une deuxième cloison longitudinale, perpendiculaire à la précédente. De là résultent encore deux chambres inégales, peuplées pareillement, la grande d’une femelle, la petite d’un mâle.
À partir de ce troisième étage, l’Osmie abandonne l’exactitude géométrique, l’architecte semble se perdre un peu dans son devis. Les cloisons transversales deviennent de plus en plus obliques, et le travail se fait irrégulier, mais toujours avec mélange de grandes chambres pour les femelles et de petites chambres pour les mâles. Ainsi sont casés trois femelles et deux mâles, avec alternance des sexes.
À la base de la onzième cellule, la cloison transversale se trouve de nouveau à peu près perpendiculaire à l’axe. Ici se renouvelle ce qui s’est fait au fond. Il n’y a pas de cloison longitudinale, et l’ample cellule, embrassant le diamètre entier du canal, reçoit une femelle.
L’édifice se termine par deux cloisons transversales et une cloison longitudinale qui déterminent, au même niveau, les chambres douze et treize, où sont établis des mâles.
Rien de plus curieux que ce mélange des deux sexes lorsqu’on sait avec quelle précision l’Osmie les sépare dans une série linéaire, alors que le petit diamètre du canal exige que les cellules se superposent une à une. Ici l’apiaire exploite un canal dont le diamètre, est disproportionné avec le travail habituel ; il construit un édifice compliqué, difficile, qui n’aurait peut-être pas la solidité nécessaire avec des voûtes de trop longue portée. L’Osmie soutient donc ces voûtes par des cloisons longitudinales ; et les chambres inégales qui résultent de l’interposition de ces cloisons, reçoivent, suivant leur capacité, ici des femelles et là des mâles.