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À ne tenir compte
que des instincts et des mœurs, caractéristique supérieure à toute autre, non
loin du constructeur dont nous venons d’étudier le nid devraient prendre rang
quelques autres hyménoptères de nos pays, chasseurs d’araignées comme le premier
et comme lui, mieux que lui peut-être, dignes du titre de (Pélopée),
ouvrier en argile, en boue, potier. Ma région possède deux de ces artistes en
poterie : l’Agenia punctum, Panz., et l’Agenia hyalipennis, Zetterstedt.
Avec tout leur talent, ce sont de bien débiles créatures, costumées de noir, à peine supérieures de taille au vulgaire Cousin. Leur céramique étonne quand on songe à la faiblesse de l’ouvrier. Elle surprend davantage par sa régularité, comparable à celle que donne le tour. Fixées largement sur une base plane et adossées l’une à l’autre, les cellules du Pélopée, en leur pleine élégance du début, ne sont que des demi-cylindres dont le circuit rond s’accentue seulement à l’embouchure ; celles des Agénies, presque isolées l’une de l’autre et ne prenant appui que sur un point restreint, conservent d’un bout à l’autre une régulière convexité, pareilles aux petits pots d’une minuscule vaisselle. Si l’appellation spirifex, ouvrier tourneur, est méritée, c’est aux Agénies qu’elle reviendrait de droit, plutôt qu’aux Pélopées ; aucun manipulateur de terre glaise n’a leur dextérité.
Les pots de l’Agenia punctum ont la forme de bocaux ovalaires, moins gros qu’un noyau de cerise. Ceux de l’Agenia hyalipennis affectent la configuration conoïde, plus étroits à la base, plus larges à l’embouchure, comme le gobelet primitif, le cyathus antique. Les uns et les autres ont l’intérieur poli et l’extérieur fortement granulé, le constructeur laissant saillir au dehors la petite bouchée de mortier qu’il vient d’apporter, sans chercher à l’égaliser comme il le fait avec tant de soin sur la paroi interne. Ces granulations sont l’équivalent des bourrelets obliques laissés par le Pélopée. Aucun crépi, aucun badigeon ne vient voiler la gracieuse terraille ; aucune doublure de consolidation n’est surajoutée. Telle elle est quand le potier vient d’en façonner le goulot, telle la pièce reste après avoir reçu son couvercle et sa petite araignée avec un œuf sur le flanc. Disposées bout à bout en série sinueuse ou bien groupées en amas confus, les urnes des Agénies sont donc dépourvues de toute protection, malgré leur fragilité.
La mère néanmoins déploie une précaution ignorée du Pélopée. Déposée à l’intérieur d’une cellule de ce dernier, une goutte d’eau rapidement s’étale et disparaît en imbibant la paroi. À l’intérieur d’une cellule d’Agénie, elle persiste sur le point touché sans pénétrer dans l’épaisseur. L’urne est donc vernie à la face interne comme le sont nos vulgaires pots, devenus imperméables à la faveur du silicate de plomb fourni par l’alquifoux du potier. L’hydrofuge employé ne peut être que la salive de l’Agénie, réactif de peu d’abondance, vu l’exiguïté de taille de l’insecte ; aussi n’est-il appliqué qu’à l’intérieur. Si je dépose, en effet, une cellule debout sur une goutte d’eau, je vois l’humidité gagner promptement de la base au sommet et faire tomber en bouillie le pot, dont il finit par ne rester qu’une mince couche interne, plus résistante.
J’ignore où les Agénies prennent leurs matériaux. Recueillent-elles, suivant les us du Pélopée, de la glaise toute préparée, de la terre humide, de la boue, de l’argile naturellement plastique ; ou bien, imitant la méthode des Chalicodomes, font-elles usage de ciment sec ratissé atome par atome et converti en pâte avec le liquide salivaire ? L’observation directe n’a rien pu m’apprendre encore à cet égard. D’après la couleur des cellules, tantôt rouges comme la terre de nos étendues caillouteuses, tantôt blanchâtres comme la poussière des routes, tantôt grisâtres comme certains lits de marne des environs, je vois fort bien que la matière à pots est cueillie partout indistinctement, sans pouvoir décider si, au moment même de la récolte, elle est en pâte ou en poudre.
J’incline cependant vers cette dernière alternative, à cause de l’imperméabilité des cellules à l’intérieur. Une terre déjà imbibée d’humidité naturelle ne s’imbiberait pas aisément de la salive de l’Agénie et ne pourrait acquérir les qualités hydrofuges que je lui trouve. Cette particularité rend très probable la récolte de ciment sec, ciment que gâche l’insecte pour en faire glaise plastique. Comment s’expliquer alors l’extérieur du pot qui s’éboule au contact d’une goutte d’eau, et l’intérieur qui persiste ? De la manière la plus simple : pour les matériaux de l’extérieur, le potier emploie simplement l’eau dont il s’abreuve de temps en temps ; pour les matériaux de l’intérieur, il emploie la salive pure, réactif précieux qu’il faut dépenser avec économie afin de monter son ménage en suffisante vaisselle. Pour construire ses pots, l’Agénie doit posséder double réservoir à liquides : le jabot, gourde qui s’emplit d’eau aux sources ; la glande, fiole où s’élabore parcimonieusement le produit chimique hydrofuge.
Le Pélopée ignore ces moyens savants. À la boue récoltée toute faite il n’ajoute rien qui développe plus tard de la résistance ; atteintes par l’eau, ses loges rapidement s’imbibent et laissent l’humidité suinter à l’intérieur. De là probablement pour lui la nécessité d’un épais crépi qui sauvegarde la demeure trop perméable. À chaque potier son lot : au géant, le grossier revêtement de glaise ; au nain, la couverte glacée de vernis.
Malgré leur enduit interne, les loges des Agénies sont trop altérables par l’eau et d’ailleurs trop fragiles pour rester impunément exposées à l’air libre. Un abri leur est nécessaire tout autant qu’à celles du Pélopée. Cet abri se rencontre un peu partout ; j’en excepte nos demeures, où le frêle potier bien rarement cherche asile. Une petite cavité sous la souche d’un arbre, un trou dans quelque muraille exposée au soleil, une vieille coquille d’escargot sous un tas de pierres, une ancienne galerie de Capricorne forée dans le chêne, la demeure abandonnée d’une Anthophore, le boyau de mine d’un gros lombric ayant vue sur un talus sec, le puits d’où est remontée la Cigale, tout enfin lui est bon pourvu que le logement soit à l’abri de la pluie. Une seule fois l’Agenia punctum, plus fréquente que l’autre, est venue me visiter. Elle avait établi sa collection de pots dans de petits cornets de papier déposés sur les étagères d’une serre et destinés à la récolte des graines. Cette nidification sur une feuille de papier m’a rappelé le Pélopée confiant ses loges aux registres d’une distillerie, aux rideaux d’une fenêtre. Indifférents sur la nature du support de leurs nids, les deux potiers ont parfois des choix d’emplacement bien étranges.
La jarre aux provisions connue, informons-nous de ce qu’elle contient. Les larves du Pélopée sont alimentées d’araignées, régime également cher aux Agénies, aux Pompiles. La venaison ne manque pas de variété, jusque dans le même nid, la même cellule. Toute aranéide dont le volume n’excède pas l’ampleur de la boîte à conserves peut faire partie de la ration. Mes relevés des vivres mentionnent les genres Épeire, Ségestrie, Clubione, Attus, Theridion, Lycose, dénombrement qui s’enrichirait sans doute encore s’il valait la peine de continuer la carte du menu. Les Épeires dominent. Celles que je vois revenir le plus fréquemment appartiennent aux espèces diadema, scalaris, adianta, pallida, angulata. L’Épeire diadème, à triple croix de points blancs sur le dos, est la pièce qui revient le plus souvent.
Je ne saurais voir dans cette fréquence l’indice d’une prédilection spéciale du Pélopée pour ce gibier. Dans ses tournées de chasse, l’insecte s’écarte peu de son domicile ; il inspecte les vieilles murailles voisines, les haies, les petits jardins des alentours, et fait capture de ce qui se présente. Or, en de telles conditions, l’Épeire diadème est précisément la plus commune à l’époque des nids. Tout jardinet enclos de roseaux devant la porte de la rustique demeure chère au potier, toute haie d’aubépines entourant un carré de choux, me montrent l’aranéide à croix pontificale ourdissant son filet ou bien attendant la proie au centre de la toile. Si j’ai besoin d’une araignée pour mes études, je suis certain de trouver l’Épeire diadème à quelques pas de mon habitation. Investigateur bien plus perspicace, le Pélopée doit aisément faire semblable capture ; et tel est, ce me semble, le motif qui fait prédominer cette pièce dans l’amas de provisions.
L’Épeire, base habituelle de l’ordinaire, venant à manquer, toute autre aranéide est reconnue suffisante, même quand elle appartient à des groupes fort différents. C’est ici le sage éclectisme des Crabroniens et des Bembex, à qui tout est bon dans la gent diptère, pourvu que la pièce soit proportionnée aux forces du chasseur. On aurait tort cependant d’ériger cette indifférence en principe trop absolu : il est à croire que, pour le Pélopée, il y a des qualités sapides et nutritives différentes d’une aranéide à l’autre. Plus fin connaisseur que Lalande avec sa légendaire passion pour les araignées dodues, à saveur de noisette, il doit apprécier telle espèce mieux que telle autre ; il doit même en dédaigner absolument quelques-unes. De ce nombre est l’araignée domestique, Tegenaria domestica, qui tapisse de ses toiles les recoins de nos habitations.
Au plafond de la cuisine, aux solives du grenier, c’est sa proche voisine ; tout à côté du nid de terre s’étale le repaire de soie. Au lieu d’expéditions dans le voisinage, quelques rondes sur les lieux mêmes de son établissement suffiraient au Pélopée pour opulente chasse : le gibier foisonne devant sa porte. Que n’en profite-t-il ? Ce mets ne lui va pas, et bien difficile serait d’en dire le motif. Toujours est-il qu’en mes nombreux recensements de victuailles, il ne m’est jamais arrivé de trouver la Tégenaire parmi les provisions, bien que la pièce, capturée jeune, paraisse remplir les conditions requises. Pour nous et pour le Pélopée, c’est dommage qu’un tel dédain ; pour nous d’abord, qui posséderions dans nos demeures un inspecteur de plafonds préposé à l’extermination des fileuses de toile, souci des ménagères ; ensuite pour le Pélopée, qui, inscrit au livre d’or des insectes utiles, aurait réputation acquise et serait amicalement accueilli dans la ferme, au lieu d’en être pourchassé quand il est trop prodigue de sa boue.
L’aranéide, armée de crochets à venin, est gibier dangereux ; de belle taille, elle exige de son adversaire une audace et surtout une tactique que le Pélopée ne me paraît pas posséder à fond. D’ailleurs l’étroit diamètre des cellules n’admettrait pas des proies volumineuses, comparables à la Tarentule que chasse le Calicurgue annelé. Celui-ci dépose sa corpulente victime dans un antre obtenu sans travail parmi les plâtras, au pied des murailles ; l’autre met les siennes dans un pot, œuvre laborieuse dont il convient de réduire la capacité autant que le comporte la larve. Le Pélopée chasse donc un gibier de médiocre grosseur, inférieur à ce que pourraient faire supposer tout d’abord les vigoureuses apparences de l’insecte. S’il fait rencontre d’une pièce apte à devenir dodue, il la choisit toujours jeune. C’est le cas de l’Épeire diadème, qui, adulte et le ventre gonflé d’œufs, rivalise presque avec la Tarentule du Calicurgue et n’est admise dans le pot aux vivres qu’avec de mesquines dimensions, fort éloignées de ce que l’âge mûr amènera. Du reste, d’une pièce à l’autre, la grosseur varie du simple au double et au delà. L’essentiel est que la proie puisse être emmagasinée dans l’étroite jarre. Cette variation dans la taille des morceaux servis amène des variations correspondantes dans le nombre. Telle cellule est bourrée d’une douzaine d’aranéides, telle autre n’en contient que cinq ou six. La moyenne est de huit. Le sexe du nourrisson doit certainement intervenir, comme chez les autres hyménoptères, dans la règle des somptuosités de table.
La biographie de tout prédateur a pour trait culminant la méthode d’attaque ; aussi me suis-je efforcé de voir le Pélopée aux prises avec son gibier. Mes patientes stations devant les lieux de chasse, vieux murs et fourrés de broussailles, n’ont pas obtenu grand succès. J’ai vu le Pélopée fondre soudain sur l’aranéide fuyant éperdue, l’enlacer et l’emporter sans presque suspendre son essor. Les autres giboyeurs mettent pied à terre, prennent posément leurs méticuleux dispositifs et distribuent les coups de lancette avec la calme lenteur que réclame une délicate opération. Lui s’élance, saisit et part, à peu près comme le font les Bembex. Il est à croire, tant le rapt est prompt, que le Pélopée ne travaille du dard et des mandibules qu’au vol, pendant le trajet. Cette fougueuse méthode, incompatible avec une savante chirurgie, nous explique, encore mieux que l’étroitesse des cellules, la prédilection pour les araignées de faible taille. Une proie robuste, armée de son double croc venimeux, serait danger mortel pour le ravisseur dédaigneux de précautions. Le défaut d’art impose victime débile. Il nous fait soupçonner aussi la mort de l’aranéide, si prestement mise à mal.
Et, en effet, à bien des reprises, le regard armé de la loupe, j’ai scruté le contenu de loges dont l’œuf n’était pas encore éclos, preuve de provisions récentes ; jamais de frémissements, soit des palpes, soit des tarses, dans les victimes emmagasinées. Difficilement je parviens à les conserver ; en une dizaine de jours, plus ou moins, je les vois se moisir et se putréfier. Telles que les met en pot le Pélopée, les aranéides sont donc mortes ou peu s’en faut. La savante opération de paralysie pratiquée par le Calicurgue sur la Tarentule, qui se conserve fraîche pendant sept semaines, serait-elle inconnue du Pélopée, serait-elle impraticable dans la fougue de l’attaque ? Aurions-nous affaire, avec lui, non plus à un délicat praticien qui sait abolir les mouvements sans détruire la vie, mais bien à un brutal sacrificateur qui pour immobiliser tue ? Tout le dit dans l’aspect flétri et dans la rapide altération des victimes.
Ce témoignage ne me surprend pas : nous verrons plus tard d’autres victimaires donner à l’instant la mort d’un coup de stylet, avec une science de tueurs non moins étonnante que celle des paralyseurs. Nous verrons les motifs exigeant ces meurtres à fond et nous reconnaîtrons, sous d’autres aspects, les profondes connaissances anatomiques et physiologiques qu’exigerait un acte rationnel pour rivaliser avec l’acte inconscient de l’instinct. Quant à la nécessité où se trouve le Pélopée de tuer ses aranéides, il m’est impossible d’en soupçonner même la cause.
Ce que je vois très bien, et sans longues investigations, c’est la logique méthode du Pélopée pour tirer parti de cadavres menacés d’une prochaine putréfaction. D’abord la proie est multiple dans chaque loge. La pièce actuellement attaquée par la larve, broyée sous les mandibules, abandonnée, reprise en un autre point, est bientôt masse informe, désorganisée, plus apte que jamais à la pourriture. Mais elle est petite, et par conséquent consommée en une séance, avant que la décomposition la gagne ; car une fois qu’elle a mordu sur une araignée, la larve ne cherche pas ailleurs. Les autres restent donc intactes, ce qui suffit pour les maintenir en état de fraîcheur convenable pendant la courte période de l’alimentation. Consommées par ordre, une à une, les nombreuses pièces dont se compose la ration se conservent ainsi quelques jours, malgré leur état de cadavres.
Supposons, au contraire, une pièce unique, de corpulence suffisante pour le repas complet, et les conditions vont devenir détestables. Çà et là mordillé, le copieux morceau deviendra sanie mortelle, sous ses nombreuses plaies, bien avant d’être achevé ; il empoisonnera le ver de ces putridités activées par les meurtrissures. Pareille pièce, unique et somptueuse, exige au préalable le maintien de la vie organique avec l’abolition des mouvements, en un mot la paralysie ; elle exige aussi, de la part du consommateur, un art spécial de manger, respectant le plus nécessaire pour attaquer progressivement le moins nécessaire, ainsi que nous l’ont appris les Scolies et les Sphex. Étranger, pour des motifs qui m’échappent, à l’art des paralyseurs, et sa larve ignorant elle-même comment se consomme sans péril une pièce volumineuse, le Pélopée est donc très bien inspiré de servir à sa famille gibier petit et nombreux. L’étroitesse des magasins n’est pas le motif dominant qui lui dicte son choix : rien n’empêcherait le potier de faire des jarres à conserves plus grandes, s’il y avait avantage. La conservation de victuailles mortes importe avant tout ; et pour l’obtenir, dans les courtes limites de la période de nutrition, le chasseur d’araignées ne prélève butin que sur les petites.
Il y a mieux encore. Si j’ouvre des cellules récemment closes, je trouve toujours l’œuf, non à la surface du tas, sur la dernière araignée apportée, mais tout au fond, sur la pièce la première en date, la première emmagasinée. Toutes les fois que j’assiste au début de l’approvisionnement, je vois l’œuf déposé sur l’unique araignée dont la cellule est alors garnie. La règle ne souffre pas d’exception : sur le premier morceau servi le Pélopée fixe immédiatement son œuf, avant de se remettre en chasse pour compléter la ration. Ainsi se comportent les Bembex avec leurs diptères morts : la première pièce mise en cave reçoit l’œuf.
Mais la conformité d’usages ne se maintient pas plus loin. Les Bembex continuent au jour le jour l’apport des vivres, à mesure que la larve grandit, méthode aisément praticable dans un terrier clôturé par un simple rideau de sable mobile que la mère franchit sans difficulté dans un sens comme dans l’autre. Le Pélopée n’a pas les mêmes aises de circulation : une fois les scellés mis au pot de terre, il faudrait, pour rentrer en cellule, rompre le couvercle, qui, sec maintenant, opposerait une résistance disproportionnée avec les moyens dont dispose le manipulateur de boue fraîche. D’ailleurs chacune de ces pénibles effractions devrait être suivie d’une reconstruction, œuvre laborieuse aussi.
L’alimentation au jour le jour n’est donc pas pratiquée par le Pélopée ; l’amas de vivres se complète aussi rapidement que possible. Si le gibier n’abonde pas, si les conditions atmosphériques sont fâcheuses, plusieurs journées sont nécessaires pour bourrer la cellule à point. En des temps favorables, une après-midi suffit. N’importe la durée de la chasse, longue ou abrégée suivant les circonstances, le dépôt de l’œuf au fond de la loge, sur la première pièce servie, est une combinaison heureuse dont j’ai déjà fait ressortir le mérite dans mon histoire de l’Odynère réniforme. Les vivres d’une cellule l’emplissent jusqu’au bord et sont empilés d’après l’ordre d’acquisition, les araignées les plus vieilles en date au fond, les plus récentes à la surface. Aucun éboulement, qui amènerait un mélange du frais et du faisandé, n’est possible, à cause des longues pattes du gibier, qui, de leurs âpres cils, raclent pour la plupart les parois de la loge. La larve, à la base du monceau et assidue d’ailleurs à la pièce entamée, procède ainsi du plus vieux au moins vieux, et trouve toujours sous la dent, jusqu’à la fin du repas, des vivres que la décomposition n’a pas eu le temps d’altérer.
L’œuf est pondu sur une grosse ou sur une petite pièce indifféremment, suivant les éventualités de la première capture. Il est blanc, cylindrique, un peu courbe et mesure trois millimètres de longueur sur un peu moins d’un millimètre de largeur. Le point qui le reçoit sur l’araignée ne varie guère et se trouve à la naissance de l’abdomen, vers le flanc. La larve naissante, d’après l’usage général des hyménoptères déprédateurs, donne son premier coup de dent au point même où était fixé le pôle céphalique de l’œuf. Elle trouve ainsi, pour ses bouchées du début, la partie la plus riche de sucs, la plus tendre : le ventre dodu de l’aranéide. Viennent ensuite le thorax, abondant en muscles ; et, enfin, les pattes, arides morceaux non dédaignés. Tout y passe, du meilleur au plus grossier ; et quand le repas est terminé, de tout le monceau d’araignées il ne reste à peu près rien. Cette vie de gloutonnerie dure de huit à dix jours.
La larve travaille alors au cocon, qui consiste d’abord en un sac de soie pure, d’une blancheur parfaite, sac très délicat, protégeant mal la recluse. Ce n’est là qu’une trame destinée à devenir meilleure étoffe, non par un supplément de tissage, mais par l’application d’une laque spéciale. La fileuse est ouvrière en taffetas verni. Dans les filatures des hyménoptères à régime animal, deux modes de fabrication sont usités pour donner au tissu de soie plus grande résistance. D’une part, le tissu est incrusté de nombreux grains de sable, ce qui donne une coque presque minérale où la soie n’a d’autre rôle que de servir de ciment aux matériaux pierreux. Ainsi travaillent les Bembex, les Stizes, les Tachytes, les Palares. D’autre part, la larve élabore dans son estomac, son ventricule chylifique, un vernis liquide qu’elle dégorge dans les mailles d’un rudimentaire tissu de soie. Aussitôt infiltré dans la trame, ce vernis durcit et devient laque d’une exquise finesse. La larve rejette ensuite, à la base du cocon, sous forme d’un tampon stercoral dur et noirâtre, le résidu du travail chimique accompli dans l’estomac pour l’élaboration du vernis. Ainsi travaillent les Sphex, les Ammophiles, les Scolies, qui vernissent l’enveloppe interne de leurs cocons à couches multiples ; ainsi travaillent les Crabroniens, les Cerceris, les Philanthes, dont le cocon délicat se réduit à une seule couche.
Le Pélopée suit ce dernier procédé. Une fois parachevée, son œuvre est un tissu ambré rappelant une pellicule extérieure d’oignon par sa finesse, sa coloration, sa transparence, ses frou-frou sous les doigts qui le manient. Relativement long par rapport à la largeur, comme le réclament la capacité de la loge et la forme svelte de l’insecte futur, le cocon s’arrondit dans le haut et se tronque brusquement dans le bas, que durcit et rend opaque le noir tampon stercoral, scorie du laboratoire à laque.
L’époque de l’éclosion est variable suivant la température, bien entendu, et en outre suivant certaines conditions que je ne suis pas encore en mesure de préciser. Tel cocon tissé en juillet donne issue à l’insecte parfait dans le courant d’août, deux ou trois semaines après la période active de la larve ; tel autre datant du mois d’août s’ouvre le mois suivant, en septembre ; tel autre enfin, n’importe son point de départ dans le trimestre estival, passe l’hiver et n’est rompu qu’en fin juin. En combinant les extraits de naissance enregistrés, je crois démêler trois générations dans l’année, générations réalisées fréquemment, mais non toujours. En fin juin apparaît la première, celle dont les cocons ont passé l’hiver ; en août se montre la seconde, et en septembre la troisième. Tant que durent les fortes chaleurs, l’évolution est rapide : trois ou quatre semaines suffisent au cycle du Pélopée. Septembre arrivé, l’abaissement de température met fin aux nitées hâtives ; et les dernières larves attendent, pour se transformer, le retour des chaleurs.