Jean-Henri Fabre
Souvenirs entomologiques - IV
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SOUVENIRS ENTOMOLOGIQUES - LIVRE IV

CHAPITRE VI ÉCONOMIE DE LA FORCE

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CHAPITRE VI

ÉCONOMIE DE LA FORCE

À quel stimulant obéit l’insecte quand il utilise les moyens de réserve sommeillant dans sa race ? À quoi bon ses variations industrielles ? L’Osmie nous livrera son secret sans grande difficulté. Examinons son ouvrage dans un logement cylindrique. J’ai décrit ailleurs, avec amples détails, la structure de ses nids quand la demeure adoptée est un bout de roseau ou tout autre cylindre. Je me borne à résumer ici les traits essentiels de cette nidification.

 

D’abord sont à distinguer trois catégories de roseaux d’après leur calibre : les petits, les moyens et les gros. Je qualifie de petits ceux dont l’étroit diamètre permet tout juste à l’Osmie de vaquer sans gêne aux affaires de son ménage. Il faut qu’elle y puisse se retourner sur place pour se brosser le ventre et en faire tomber la charge de pollen après avoir dégorgé le miel au centre de la farine amassée déjà. Si le canal ne permet pas cette manœuvre, si l’insecte est obligé de sortir pour rentrer ensuite à reculons afin de se mettre dans la posture propice à la décharge du pollen, le roseau est trop étroit, et l’Osmie ne l’adopte pas volontiers. Les roseaux moyens, et à plus forte raison les grands, laissent à l’approvisionneuse pleine liberté d’action ; mais les premiers n’excèdent pas l’ampleur d’une loge, ampleur conforme au volume du cocon futur, tandis que les seconds, avec leur diamètre exagéré, réclament plusieurs chambres dans un même étage.

 

Ayant le choix, l’Osmie s’établit de préférence dans les roseaux petits. Là le travail de maçonnerie est réduit à son expression la plus simple et consiste à diviser le canal en série rectiligne de loges par des cloisons de terre. Contre la cloison limite antérieure de la cellule qui précède, la mère dresse d’abord un monceau de pollen et de miel ; puis, la ration reconnue suffisante, elle dépose un œuf au centre des vivres. Alors, et seulement alors, elle reprend son ouvrage de plâtrier, et délimite en avant la nouvelle loge avec une cloison de boue. Cette cloison, à son tour, sert de base à une autre chambre, d’abord approvisionnée et puis fermée ; ainsi de suite jusqu’à ce que le cylindre, suffisamment peuplé, reçoive, à l’orifice, un épais tampon final. En un mot, ce qui caractérise ce mode de nidification, le plus sommaire de tous, c’est la cloison d’avant, non entreprise tant que l’approvisionnement n’est pas au complet ; c’est le dépôt des vivres et de l’œuf, antérieur au travail du plafond.

 

À première vue, tel détail ne mérite guère attention : avant d’y sceller un couvercle, ne convient-il pas de remplir le pot ? L’Osmie propriétaire d’un roseau moyen n’est pas du tout de cet avis, et d’autres plâtriers partagent là-dessus son opinion, comme nous le reconnaîtrons ailleurs au sujet de l’Odynère nidulateur. Ici se montre en pleine lumière un de ces moyens latents tenus en réserve pour les occasions exceptionnelles et brusquement mis en usage, quoique parfois très éloignés de l’habituelle pratique. Si le roseau, sans excéder outre mesure l’ampleur nécessaire au cocon, est cependant trop spacieux pour donner appui convenable sur sa paroi au moment où se dégorge le miel et se dépose à coups de brosse la poussière pollinique, l’Osmie change de fond en comble l’ordre de son travail : elle dresse d’abord la cloison, et puis elle approvisionne.

 

Sur le pourtour du canal, elle élève un anneau de boue qui, par la répétition des voyages au mortier, devient finalement un diaphragme complet, moins un orifice latéral, une sorte de chatière ronde, juste suffisante au passage de l’insecte. La loge ainsi délimitée et presque intégralement close, l’Osmie s’occupe des provisions et de la ponte. Retenue aux bords de la chatière tantôt par les pattes d’arrière, tantôt par les pattes d’avant, elle y trouve sustentation pour se vider le jabot et se brosser le ventre ; elle y prend base d’appui dans les petits efforts de ces diverses manœuvres. La paroi du canal étroit offrait directement cette base, et la cloison de terre était différée jusqu’à complet monceau de vivres surmonté de l’œuf ; le canal actuel, trop large, laisserait l’insecte se démener sans résultat dans le vide, et la cloison avec chatière de service précède les provisions. Le travail présent est un peu plus dispendieux que le premier, en matériaux d’abord, à cause du diamètre du roseau, et puis en temps, ne serait-ce que par rapport à la chatière, œuvre délicate, non utilisable tant qu’elle n’a pas pris quelque consistance par la dessiccation. Aussi l’Osmie, économe de son temps et de ses forces, n’accepte les roseaux moyens qu’à défaut des petits.

 

Pour lui faire accepter les grands, il faut des circonstances bien graves, qu’il me serait impossible de préciser. Peut-être est-ce pressée par la ponte et tout autre abri manquant dans le voisinage, qu’elle se décide a faire usage de ces demeures spacieuses. Si mes ruches à cylindres m’ont fourni en tel nombre que j’ai voulu des roseaux peuplés de la première et de la seconde catégorie, elles ne m’en ont donné de la troisième qu’une demi-douzaine au plus, malgré mes soins de garnir les appareils d’un assortiment varié.

 

La répugnance de l’Osmie pour les gros cylindres a sa raison d’être. Le travail, en effet, est plus long et plus dispendieux avec de larges diamètres. L’examen d’un nid construit dans ces conditions suffit pour nous en convaincre. Il se compose alors, non d’une file de chambres obtenues par de simples cloisons transversales, mais d’un amas confus de loges grossièrement polyédriques, adossées l’une à l’autre, avec tendance à se grouper par étages sans y parvenir, tant la portée des voûtes que réclamerait leur distribution régulière dépasse les moyens d’action du constructeur. L’édifice n’est pas beau de géométrie ; il est encore moins satisfaisant d’économie. Dans les précédentes constructions, la paroi du roseau fournissait la majeure part de l’enceinte, et le travail se bornait à une cloison par cellule. Ici, sauf à la périphérie où le canal donne gratuite base, tout est à maçonner : le plancher, le plafond, les faces de la loge polyédrique, tout se fait avec du mortier. La construction est presque aussi onéreuse en matériaux que celle du Chalicodome et du Pélopée.

 

Elle doit être, en outre, assez difficultueuse, vu son irrégularité. Accommodant par à peu près aux angles rentrants des cellule déjà bâties les angles saillants de la cellule entreprise, l’Osmie élève des murs plus ou moins courbes, normaux ou obliques, qui se coupent suivant des incidences variables et demandent pour chaque loge un plan nouveau, compliqué, fort différent de celui de l’architecture à diaphragmes ronds et parallèles. De plus, dans cet ordre composite, l’étendue des recoins laissés disponibles par le travail antérieur non calculé décide en partie de la répartition des sexes, car, d’après l’ampleur de ces recoins, les murs élevés circonscrivent tantôt une capacité plus grande, demeure d’une femelle, et tantôt une capacité moindre, demeure d’un mâle. Les logements spacieux ont ainsi pour l’Osmie double inconvénient : ils augmentent beaucoup la dépense en matériaux ; ils établissent dans les couches profondes, parmi les femelles, des mâles, dont la place, à cause de leur éclosion précoce, est bien mieux dans le voisinage de l’orifice de sortie. J’en ai la conviction : si l’Osmie refuse les gros roseaux et ne les accepte qu’à la dernière extrémité, quand il n’y en a pas d’autres, c’est qu’un surcroît de travail et un mélange des sexes lui répugnent.

 

L’escargot n’est alors pour elle qu’un médiocre logis, volontiers abandonné s’il s’en présente un meilleur. Sa cavité, d’ampleur croissante, est un moyen terme entre le petit cylindre adopté de préférence à tout autre, et le gros cylindre accepté seulement en cas de pénurie. La spire, dont les tours initiaux ne sont pas employés comme trop étroits, possède, en sa région moyenne, un diamètre convenable aux cocons rangés sur une file. Là, les choses se passent comme dans un excellent roseau, la courbure hélicoïdale ne modifiant en rien la structure d’usage pour une direction rectiligne. Aux distances voulues, des diaphragmes circulaires sont dressés, avec lucarne de service ou sans lucarne, suivant le diamètre. Ainsi se délimitent, l’une à la file de l’autre, les premières cellules, exclusivement réservées aux femelles. Puis vient le dernier tour, beaucoup trop large pour une rangée unique. Maintenant reparaissent, exactement comme dans un roseau de fort diamètre, le dispendieux excès de maçonnerie, l’agencement désordonné des cellules et le mélange des sexes.

 

Cela dit, revenons à l’Osmie des carrières. Pourquoi lorsque je leur présente à la fois des hélices et des roseaux convenables, les vieilles habituées de l’escargot préfèrent-elles ces derniers, dont leur race très probablement n’a jamais fait usage ? La majeure part dédaigne la case des ancêtres et adopte d’enthousiasme mes tubes. Quelques-unes, il est vrai, se logent dans l’escargot ; et encore, parmi celles-ci, j’en vois d’assez nombreuses revenir à l’habitation natale pour utiliser l’héritage, sans grand travail, au moyen de quelques réparations. D’où provient, dis-je, cette préférence générale pour le cylindre, encore inusité ? La réponse ne saurait être que celle-ci : de deux gîtes disponibles, l’Osmie choisit celui qui donne bonne demeure aux moindres frais. Elle économise ses forces en restaurant un vieux nid ; elle les économise en remplaçant l’hélice par le roseau.

 

L’industrie animale obéirait-elle, comme la nôtre, à la loi d’économie, loi souveraine qui régente notre machine industrielle de même qu’elle régente, tout semble l’affirmer du moins, la sublime machine de l’univers ? Creusons davantage la question, appelons en témoignage d’autres travailleurs, ceux surtout qui, mieux outillés peut-être, dans tous les cas mieux dispos pour le rude labeur, attaquent de front les difficultés de leur métier et dédaignent les établissements étrangers. De ce nombre sont les Chalicodomes.

 

Celui des galets ne se décide à bâtir un dôme tout neuf que lorsque lui manquent les vieux nids non encore ruinés. Les mères, sœurs apparemment et légitimes héritières du domaine, se disputent, en des rixes acharnées, le domicile de famille. La première qui, par le droit du plus fort, en a pris possession, se campe sur le dôme, et là, de longues heures, elle surveille les événements en se lustrant les ailes. Si quelque prétendante survient, de chaudes bourrades à l’instant la délogent. Ainsi sont utilisés les vieux nids tant qu’ils ne sont pas devenus masures inhabitables.

 

Sans être aussi jaloux de l’héritage maternel, le Chalicodome des hangars utilise avec ardeur les cellules d’où sa génération est sortie. Le travail, dans l’énorme cité sous la toiture, commence par là. Les vieilles loges, dont le débonnaire propriétaire cède d’ailleurs une partie à l’Osmie de Latreille ainsi qu’à l’Osmie tricorne, sont d’abord assainies, expurgées de plâtras, puis approvisionnées et closes. Quand toutes les pièces accessibles sont occupées, la construction en plein commence et couvre d’une nouvelle couche de cellules l’édifice antérieur, d’une année à l’autre plus massif.

 

Le Chalicodome des arbustes, avec ses nids globuleux, guère plus gros que des noix, m’avait laissé d’abord indécis. Fait-il usage des vieilles constructions ? les abandonne-t-il pour toujours ? Aujourdhui l’indécision fait place à la certitude : il les utilise très bien. Plusieurs fois je l’ai surpris logeant sa famille dans les chambres vides d’un nid où, sans doute, il était lui-même. Il y a pour lui, comme pour son congénère des galets, retour au domicile natal et rixes de prise de possession. De même encore que l’artiste en dômes, c’est un solitaire, désireux d’exploiter seul le maigre héritage. Parfois cependant le nid, d’un volume exceptionnel, se prête à la multiplicité des occupants, qui vivent en paix, chacun à ses affaires, comme cela se passe dans les colossales ruches des hangars. Si la colonie est quelque peu nombreuse et si le patrimoine se transmet deux ou trois années avec nouvelle assise de maçonnerie, la boule habituelle, comparable à une noix, devient boulet de la grosseur des deux poings. J’ai recueilli sur un pin un nid de Chalicodome des arbustes dont le poids atteignait un kilogramme et dont le volume égalait celui d’une tête d’enfant. Un rameau guère plus gros qu’une paille lui servait de support. À la vue fortuite de ce bloc balancé au-dessus du point où je m’étais assis, la mésaventure de Garo me traversa l’esprit. Si de tels nids abondaient sur les arbres, qui chercherait l’ombrage risquerait fort d’être assommé.

 

Après les maçons, les charpentiers. Dans la corporation des travailleurs du bois, le plus robuste est le Xylocope, très grosse abeille, d’aspect peu rassurant, à costume de velours noir et teinte violacée des ailes. Pour demeure la mère donne à ses larves une galerie cylindrique qu’elle creuse dans le bois mort. Les solives de rebut longtemps abandonnées à l’air, les pieux soutenant les treilles, les grosses pièces de combustible vieillies au dehors, en tas devant la porte de la ferme, souches, troncs d’arbre, fortes branches de toute espèce, sont ses chantiers préférés. Solitaire et tenace dans le travail, elle y fore, parcelle à parcelle, des couloirs ronds, du calibre du pouce, aussi nets que s’ils étaient l’ouvrage d’une tarière. Un monceau de sciure s’accumule à terre, témoignage de l’âpre besogne. Ordinairement le même orifice donne accès dans deux ou trois couloirs parallèles. La multiplicité des galeries exige de celles-ci longueur moindre pour contenir la ponte entière ; ainsi s’évitent les longues séries, toujours difficultueuses quand vient le moment de l’éclosion ; les pressés de sortir et les retardataires se gênent moins les uns les autres.

 

La demeure obtenue, le Xylocope se conduit comme l’Osmie en possession d’un roseau. Des provisions sont amassées, l’œuf est pondu, et la chambre est close en avant avec une cloison de sciure de bois. Ainsi se poursuit le travail jusqu’à peuplement complet des deux ou trois couloirs dont le logis se compose. Amasser des vivres et dresser des cloisons ne sont pas œuvre modifiable dans le programme du Xylocope ; aucune circonstance ne peut affranchir la mère de pourvoir elle-même à la nourriture de sa famille et d’isoler ses larves l’une de l’autre pour l’éducation cellulaire. Seul le percement des galeries, partie la plus laborieuse de l’ouvrage, se prête, en d’heureuses occasions, à l’économie. Eh bien, le robuste charpentier, si peu soucieux qu’il soit de la fatigue, sait-il profiter de ces occasions heureuses ? sait-il utiliser des demeures qu’il n’a pas forées lui-même ?

 

Mais oui : tout autant qu’aux divers Chalicodomes, un logis gratuit lui convient. Il connaît aussi bien qu’eux les avantages économiques d’un vieux nid encore en bon état ; il s’établit, autant que possible, dans les galeries des prédécesseurs, après en avoir rafraîchi la paroi par un grattage superficiel. Il fait mieux encore. Il accepte volontiers des logementsjamais n’est intervenu l’outil perforateur de n’importe quel ouvrier. Les gros roseaux entremêlés aux lattes pour le soutien des treilles sont des trouvailles très appréciées, lui donnant sans frais somptueuses galeries. Ici nul travail d’acquisition, ou travail fort réduit. L’insecte, en effet, ne pratique pas d’orifice latéral, qui lui permettrait d’occuper la cavité délimitée par deux nœuds ; il préfère l’orifice du bout tronqué par la serpette de l’homme. Si la cloison qui suit est trop rapprochée et ne donne pas logis de longueur suffisante, le Xylocope la détruit, travail aisé, nullement comparable à ce qu’exigerait une entrée par le flanc, durci de silice. Ainsi s’obtient, avec la moindre dépense de force, une spacieuse galerie faisant suite au court vestibule œuvre de la serpette.

 

Guidé par ce qui se passait sur les treilles, j’ai offert à l’abeille noire l’hospitalité de mes ruches à roseaux. Dès les premiers essais, l’insecte a bien accueilli mes avances ; chaque printemps, je le vois visiter mes séries de cylindres, faire choix des meilleurs et s’y installer. Son ouvrage, réduit au minimum par mon intervention, se borne aux cloisons, dont les matériaux s’obtiennent en raclant un peu la paroi du canal.

 

Comme excellents ouvriers en charpente, après les Xylocopes viennent les Lithurgues, dont ma région possède deux espèces : le Lithurgus cornutus, Fab., et le Lithurgus chrysurus, Boy. Par quelle aberration de nomenclature a-t-on appelé Lithurgues, travailleurs de la pierre, des insectes qui travaillent exclusivement le bois ? J’ai surpris le premier, plus robuste, se creusant des galeries dans une forte pièce de chêne qui servait de cintre à une porte d’écurie ; j’ai toujours vu le second, plus répandu, s’établir dans le bois mort, mûrier, cerisier, amandier, peuplier, encore debout. L’ouvrage de ce dernier est, en petit, exactement l’ouvrage du Xylocope. Un même orifice d’entrée donne accès dans trois ou quatre galeries parallèles, rapprochées en groupe serré ; et ces galeries sont subdivisées en cellules par des cloisons de sciure de bois. À l’exemple de la grosse abeille charpentière, le Lithurgus chrysurus sait éviter le pénible travail du forage lorsque l’occasion s’en présente : je trouve ses cocons presque aussi souvent logés dans de vieux dortoirs que dans des nouveaux. Lui aussi est enclin à faire économie de force en utilisant l’œuvre des prédécesseurs. Je ne désespère pas de lui voir adopter le roseau si quelque jour, riche d’une population suffisante, je m’avise de le soumettre à cette épreuve. Je ne dirai rien du Lithurgus cornutus, surpris une seule fois à sa besogne de charpentier.

 

Les Anthophores, hôtes des nappes terreuses à pic, affirment, dans la corporation des mineurs, la même tendance à l’économie. Trois espèces, A. parietina, personata et pilipes, y creusent de longs corridors conduisant aux cellules, çà et là disséminées une à une. Ces couloirs de service restent ouverts en toute saison. Quand vient le printemps, la population nouvelle les utilise tels quels tant qu’ils sont bien conservés dans la masse argilo-terreuse cuite par le soleil ; elle les prolonge au besoin, les ramifie davantage, mais ne se décide à des forages en terrain neuf que lorsque l’antique cité, semblable à quelque monstrueuse éponge par la multiplicité de ses labyrinthes, devient périlleuse faute de solidité. Les niches ovalaires, les cellules qui débouchent dans ces corridors, sont pareillement mises à profit. L’Anthophore en restaure l’entrée qu’a ruinée la sortie récente de l’insecte ; elle en lisse la paroi avec une nouvelle couche de badigeon ; et, sans autre travail, le logement est apte à recevoir l’amas de miel et l’œuf. Quand sont occupées les vieilles cellules, insuffisantes en nombre et en outre occupées en partie par divers intrus, le forage de cellules nouvelles, sur le prolongement des galeries, achève de loger le reste de la ponte. Ainsi s’obtient, aux moindres frais, l’établissement de l’essaim.

 

Pour terminer ces sommaires aperçus, changeons de cadre zoologique ; et puisque nous avons déjà parlé du moineau, consultons-le sur son talent de constructeur. Son nid primordial est la grosse boule de pailles, de feuilles mortes, de plumes, dans l’enfourchure de quelques rameaux. C’est coûteux en matériaux, mais pratiquable partout lorsque manquent le trou de la muraille et le couvert de la tuile. Quels motifs ont décidé l’abandon de l’édifice globuleux ? Suivant toute apparence, les mêmes motifs qui portent l’Osmie à quitter, pour l’économique cylindre du roseau, la spirale de l’escargot, où se fait plus laborieuse consommation de glaise. En prenant domicile dans le trou de la muraille, le moineau s’affranchit de la majeure part de son travail. Ici ne sont plus nécessaires le dôme qui garantira de la pluie et les parois épaisses qui résisteront au vent. Un simple matelas suffit ; la cavité du mur fournit tout le reste. L’économie est grande, et le moineau, pas plus que l’Osmie, ne s’y montre indifférent.

 

Ce n’est pas à dire que l’art primitif ait disparu, mis à néant par l’oubli ; c’est un trait indélébile de l’espèce, toujours prêt à s’affirmer si les circonstances le demandent. Les couvées d’aujourdhui en sont douées aussi bien que les couvées d’autrefois ; sans apprentissage, sans l’exemple d’autrui, elles ont en elles, à l’état virtuel, l’aptitude industrielle des ancêtres. Que le stimulant de la nécessité l’éveille, et cette aptitude passera brusquement de l’inaction à l’action, comme nous l’a montré le couple laissant le toit pour le platane. Lors donc que le moineau se livre, de temps en temps encore, à la construction globulaire, ce n’est pas progrès de sa part, ainsi qu’on le prétend parfois ; c’est recul, au contraire, c’est retour aux antiques usages, onéreux en travail. Il ne se comporte pas autrement que l’Osmie qui, faute d’un roseau, s’accommode d’une hélice, d’emploi plus difficultueux, mais de rencontre plus aisée. Le cylindre et le trou de la muraille, voilà le progrès ; la spirale de l’escargot et le nid en boule, voilà le début.

 

C’est assez, je pense, pour mettre en lumière la conclusionconduit l’ensemble des faits analogues à ceux que je viens de rapporter. Dans l’industrie animale se manifeste une tendance vers la réalisation du nécessaire avec les moindres frais ; l’insecte nous affirme à sa manière l’économie de la force. D’une part, l’instinct lui impose un art immuable dans ses traits fondamentaux ; d’autre part, une certaine latitude lui est laissée dans les détails pour profiter des circonstances favorables et parvenir au but requis avec la moindre dépense en temps, en matériaux, en fatigue, les trois éléments du travail mécanique. Le problème de haute géométrie résolu par l’abeille domestique n’est qu’un cas particulier, superbe il est vrai, de cette loi générale d’économie qui paraît régir l’animalité entière. Les cellules de cire à maximum de capacité pour un minimum d’enceinte sont, avec une merveilleuse science en plus, l’équivalent des loges de l’Osmie réduites au minimum de maçonnerie par le choix d’un roseau. L’artisan en boue et l’artisan en cire obéissent à la même tendance : ils économisent. Savent-ils ce qu’ils font ? Qui donc oserait l’avancer pour l’abeille, aux prises avec son problème transcendant ? Les autres, dans la rusticité de leur art, n’en savent pas davantage. Chez eux, nul calcul, nulle préméditation, mais obéissance aveugle à la loi de l’harmonie générale.

 


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