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Deux traits surtout sont à retenir dans l’histoire du Copris espagnol : l’éducation de la famille et le talent dans l’art pilulaire.
La fécondité des ovaires est très bornée, et néanmoins la race prospère tout autant que bien d’autres prodigues en germes. Les soins maternels suppléent à la pénurie de la ponte. Les fertiles pondeuses, après quelques dispositions sommaires, abandonnent leur descendance aux chances de la bonne ou de la mauvaise fortune, qui sacrifient souvent mille pour conserver un : elles sont des usines de matière organique servie au banquet général de la vie. À peine éclos ou même avant d’éclore, leurs fils, pour la majeure part, succombent dévorés. L’extermination fauche la surabondance au profit de l’ensemble des vivants. Ce qui était destiné à vivre vit, mais sous une autre forme. Chez ces exagérées en parturition sont inconnues et ne peuvent être connues les tendresses maternelles.
Avec les Copris, autres mœurs, différentes à fond.
Trois, quatre œufs, voilà tout l’avenir. Comment les préserver, dans une large mesure, des accidents qui les attendent ? Pour eux, si peu nombreux, comme pour les autres, qui sont légion, l’existence est inexorable lutte.
La mère le sait, et pour sauver les siens, elle fait abnégation d’elle-même ; elle renonce aux joies du dehors, aux essors nocturnes, aux fouilles d’un récent monceau, paradisiaque exercice des bousiers. Cachée sous terre, à côté de sa nitée, elle ne sort plus de sa nursery. Elle surveille : elle brosse les végétations parasites ; elle mastique les fêlures ; elle écarte tout ravageur qui surviendrait, Acare, menus Staphylins, larve de petits Diptères, Aphodies, Onthophages. En septembre, elle remonte à la surface avec sa famille, qui, n’ayant plus besoin d’elle, s’émancipe et vit désormais à sa guise. L’oiseau n’a pas maternité plus dévouée.
En second lieu, le Copris, expert confectionneur de pilules au moment de la ponte, nous fournit, autant qu’il est en notre pouvoir de sonder la vérité, la démonstration du théorème qui éveillait mes scrupules. Voilà un insecte non outillé pour l’art pilulaire, art d’ailleurs inutile à son individuelle prospérité. Aucune aptitude, aucune propension en lui pour le pétrissage d’une nourriture qu’il enfouit et consomme telle qu’il l’a trouvée ; ignorance totale de la sphère et de ses propriétés relatives à la conservation de vivres frais ; et brusquement, par une inspiration que rien, dans la vie courante, n’a préparée, la mère moule en sphère, en ovoïde, le legs qu’elle fait à son ver.
De sa patte courte, maladroite, elle configure en solide savant le viatique de ses fils. La difficulté est grande. L’application et la patience la surmontent. En deux jours, trois au plus, le berceau rond est parfait. Comment fait-elle, la courtaude, pour régler l’exacte géométrie de sa pièce ? Le Scarabée a ses longues jambes qui enlacent l’ouvrage comme dans les branches d’un compas ; le Gymnopleure a pareils outils. Mais elle, dépourvue de l’envergure nécessaire à l’enlacement, ne trouve dans son outillage aucune ressource favorable à la sphéricité. Juchée sur l’ovoïde, elle le travaille point par point avec une application qui supplée l’outil défectueux ; elle juge de la correction de la courbure par des examens tactiles assidus d’un bout à l’autre de la pièce. Sa persévérance vient à bout de ce que sa gaucherie semblerait devoir lui refuser.
Alors une question naît sur toutes les lèvres : pourquoi ce brusque changement dans les habitudes de l’insecte ? pourquoi cette infatigable patience dans un travail non en rapport avec l’outillage disponible ? à quoi bon cette forme ovoïde dont la perfection est si dispendieuse de temps ?
À ces demandes, je ne vois qu’une réponse possible : la conservation des vivres à l’état de fraîcheur exige la conglobation. Remettons-le en l’esprit : le Copris nidifie en juin ; sa larve se développe pendant la canicule, à quelques pouces de profondeur. Dans la grotte, alors étuve, les vivres deviendraient rapidement immangeables si la mère ne leur donnait la forme la moins exposée à l’évaporation. Très différent du Scarabée par ses mœurs et sa structure, mais exposé aux mêmes périls dans son état larvaire, le Copris, pour conjurer le danger, adopte les principes du grand pilulaire, principes dont nous avons fait ressortir la haute sagesse.
Je livre aux méditations de la philosophie ces cinq fabricants de conserves rondes et les nombreux émules qu’ils ont, à n’en pas douter, sous d’autres climats1. Je leur soumets ces inventeurs de la boîte de plus grand volume et de moindre surface pour des vivres exposés à se dessécher ; et je leur demande comment, dans le ténébreux intellect de la bête, peuvent éclore des inspirations aussi logiques, des prévisions aussi rationnelles.
Descendons au terre à terre des faits. La pilule du Copris est un ovoïde plus ou moins prononcé, parfois très peu différent de la sphère. C’est un peu moins gracieux que l’œuvre du Gymnopleure, fort voisine de la poire, ou du moins rappelant l’œuf de l’oiseau, celui du moineau notamment, à cause de la parité des dimensions. L’ouvrage du Copris ressemblerait mieux à l’œuf du rapace nocturne, hibou, chouette, duc, son pôle saillant ayant faible relief.
De ce pôle à l’autre, l’ovoïde mesure en moyenne quarante millimètres, et trente-quatre en travers. Toute la surface en est tassée, durcie par la pression, convertie en une croûte que souille un peu de terre. Au pôle saillant, le regard attentif découvre une aréole hérissée de courts filaments effilochés. Une fois l’œuf déposé dans le godet dont la sphère initiale se creuse, la mère, ai-je dit, rapproche graduellement les bords de la cavité. De là résulte l’extrémité saillante. Pour achever de clore, elle ratisse avec délicatesse l’ovoïde et ramène en haut un peu de matière. Ainsi se forme la voûte de la chambre d’éclosion. Au sommet de cette voûte qui, s’effondrant, ruinerait l’œuf, la pression est très ménagée, ce qui laisse une aréole dépourvue d’écorce, hérissée de brins filamenteux. Immédiatement en arrière de cette aréole, sorte de feutre perméable, se trouve la chambre d’éclosion, la petite loge de l’œuf, aisément visitée par l’air et la chaleur.
Déjà remarquable par ses dimensions, comme celui du Scarabée et des autres bousiers, l’œuf du Copris grossit beaucoup avant d’éclore ; il double, il triple de volume. Dans sa chambre moite, toute saturée des émanations des vivres, il y a pour lui nutrition. À travers la coquille calcaire et poreuse de l’œuf de l’oiseau se fait un échange gazeux, un travail respiratoire qui anime la matière en la consumant. C’est là cause de destruction en même temps que de vie ; la somme du contenu ne s’accroît pas sous l’enveloppe inflexible, elle diminue, au contraire.
Autre chose se passe dans l’œuf du Copris ainsi que des autres bousiers. Il y a toujours, sans doute, le concours vivifiant de l’air ; mais il y a de plus afflux de nouveaux matériaux qui viennent augmenter les réserves fournies par l’ovaire. À travers une très délicate membrane, l’endosmose fait pénétrer les exhalaisons de la chambre, si bien que l’œuf se nourrit, se gonfle, grossit jusqu’à tripler son volume. Si l’on n’a pas suivi avec quelque attention cet accroissement progressif, on est tout surpris de l’extraordinaire grosseur finale, hors de proportion avec la pondeuse.
Cette nutrition est d’assez longue durée, car l’éclosion réclame de quinze à vingt jours. À la faveur du supplément de substance dont l’œuf s’est enrichi, la larve naît déjà grandelette. Ce n’est plus ici le débile vermisseau, le point animé que nous montrent beaucoup d’insectes ; c’est gentille créature, à tendre robusticité, qui, tout heureuse de vivre, frétille, roule dans sa niche en faisant le gros dos.
Elle est d’un blanc satiné, avec un peu de jaune-paille sur la calotte crânienne. Je lui trouve déjà bien accentuée la truelle terminale, c’est-à-dire ce plan oblique avec rebord festonné dont le Scarabée nous a montré l’usage lorsqu’il faut calfeutrer quelque brèche de la cellule. L’outil nous dit le futur métier. Toi aussi, petit ver, si gracieux maintenant, tu seras fienteur à besace, un fervent plâtrier travaillant le stuc fourni par l’intestin. Mais avant, je vais te soumettre à une épreuve.
Quelles sont tes premières bouchées ? D’habitude je vois luire sur les parois de ta niche un enduit verdâtre, demi-fluide, une sorte de purée déposée en mince tartine. Est-ce là un mets spécial destiné à ta faiblesse d’estomac de nouveau-né ? est-ce une friandise du jeune âge dégorgée par la mère ? Je l’ai cru dans mes premières études sur le Scarabée. Aujourd’hui, après avoir vu semblable enduit dans les loges des divers bousiers, y compris les rustiques Géotrupes, je me demande si ce ne serait, pas là plutôt le résultat d’une simple exsudation qui amasserait sur la paroi, en une sorte de rosée, la quintessence fluide filtrant à travers la matière poreuse.
La mère Copris, mieux que toute autre, s’est prêtée à l’observation. Plusieurs fois je l’ai surprise au moment où, hissée sur sa ronde pilule, elle en excave le sommet en forme de tasse, et jamais je n’ai rien aperçu ayant quelque rapport avec un dégorgement. La cavité du bol, aussitôt examinée, ne diffère pas du reste. Peut-être ai-je manqué le moment favorable. D’ailleurs je ne peux donner aux occupations de la mère qu’un bref coup d’œil : tout travail cesse dès que, pour faire le jour, je soulève l’enveloppe de carton. En de telles conditions, le secret pourrait m’échapper indéfiniment. Tournons la difficulté ; informons-nous si quelque laitage spécial, élaboré dans l’estomac de la mère, est nécessaire à la larve naissante.
Dans mes volières, je dérobe à un Scarabée sa pilule ronde, façonnée depuis peu et allègrement roulée. Je la décortique en un point pour enlever la couche terreuse, et en ce point net je plonge le bout obtus d’un crayon. L’empreinte laissée est un puits d’un centimètre de profondeur. J’y installe un vermisseau de Copris venant d’éclore. Le nouveau-né n’a pas encore pris la moindre réfection. Il est logé dans un réduit dont la paroi ne diffère en rien du reste de la masse. Aucun enduit crémeux, dégorgé par la mère ou simplement suinté. Que résultera-t-il de ce changement ?
Rien de fâcheux. La larve se développe et prospère tout aussi bien que dans sa loge natale. Donc, en mes débuts, j’ai été dupe d’une illusion. Le fin enduit qui presque toujours tapisse la chambre de l’œuf dans les ouvrages des bousiers est une simple exsudation. Le vermisseau, dans ses premières bouchées, peut y trouver avantage, mais ce n’est pas indispensable. L’expérience d’aujourd’hui l’affirme.
Le vermisseau soumis à cette épreuve a été plongé dans un puits librement ouvert. Les choses ne peuvent rester en l’état. Ce défaut de toiture est désagréable à la jeune larve, amie des ténèbres et du recueillement. De quelle manière s’y prendra-t-elle pour voiler son ciel ouvert ? La truelle à mortier ne peut fonctionner encore, les matériaux manquant dans la besace à mastic qui n’a pas encore digéré.
Tout novice qu’il est, le petit ver a ses ressources. Ne pouvant être plâtrier, il devient constructeur en moellons. De la patte et de la mandibule, il détache des parois de sa loge des parcelles qu’il vient déposer une à une sur la margelle du puits. Le travail de défense marche vite, et les atomes assemblés forment une voûte. C’est de résistance nulle, il est vrai ; la coupole croule rien que sous mon souffle. Mais bientôt les premières bouchées seront prises, l’intestin s’emplira ; et, muni à point, le ver viendra consolider l’ouvrage en injectant du mortier dans les interstices. Bien cimentée, la soupente fragile deviendra ferme plafond.
Laissons en paix le vermisseau, et consultons d’autres larves parvenues à demi-grosseur. De la pointe du canif, je perce la pilule au pôle supérieur ; j’ouvre une lucarne de quelques millimètres carrés. À la fenêtre, le ver apparaît aussitôt, inquiet, s’informant du désastre. Il roule sur lui-même dans la loge, il revient à l’ouverture, mais cette fois en présentant sa large truelle à bourrelet. Un jet de mortier est épanché sur la brèche. Le produit, un peu trop délayé, est de qualité inférieure. Cela difflue, s’écoule, ne fait pas rapide prise. Nouvelle éjaculation, puis une autre, une autre encore ; coup sur coup.
Peine inutile. En vain le plâtrier recommence, en vain il se démène, recueillant des pattes et des mandibules la matière qui fuit, le pertuis ne se bouche pas. Le mortier est toujours trop coulant.
Imite donc ta jeune sœur, pauvre ver désespéré ; fais comme la petite larve de tantôt : construis une soupente avec des parcelles arrachées à la muraille du logis, et sur cet échafaudage spongieux ton fluide mastic fera très bien. Le gros ver, confiant dans sa truelle, ne songe pas à cette méthode. Il s’exténue, sans résultat appréciable, pour une clôture dont le vermisseau est venu à bout de façon ingénieuse. Ce que le très jeune savait faire, le grandelet ne le sait plus.
Il y a, comme cela, dans l’industrie de l’insecte, des recettes de métier utilisées en certaines périodes, puis délaissées, oubliées à fond. Quelques jours en plus ou en moins modifient le talent. Le vermisseau, dépourvu de ciment, a la ressource du moellon ; le ver, riche en mastic, dédaigne de construire, ou plutôt ne le sait plus, bien que doué, encore mieux que le jeune, des outils nécessaires. Le vigoureux ne se rappelle plus ce que, débile, il savait si bien faire quelques jours avant. Pauvre mémoire, si toutefois il y a une mémoire sous ce crâne aplati ! À la longue cependant, grâce à l’évaporation des matériaux rejetés, l’oublieuse des promptes méthodes finit par clore la lucarne. Une demi-journée presque se dépense en efforts de truelle.
L’idée me vient d’essayer si la mère, en telle occasion, viendrait en aide au désespéré. Nous l’avons vue réparer diligemment le plafond que j’avais crevé au-dessus de l’œuf. Fera-t-elle pour le ver déjà grand ce qu’elle faisait en faveur du germe ? Restaurera-t-elle la pilule éventrée où s’agite l’impuissant plâtrier ?
Pour rendre l’épreuve plus concluante, je fais choix de pilules étrangères à la mère qui sera chargée de la restauration. Je les ai cueillies dans la campagne. Elles ne sont pas régulières, toutes bosselées à cause du terrain pierreux où elles gisaient, terrain peu favorable au vaste atelier et par suite à l’exacte géométrie. Elles sont en outre encroûtées d’une écorce rougeâtre, due au sable ferrugineux dans lequel je les avais noyées afin d’éviter des heurts compromettants pendant le trajet. Bref, elles diffèrent considérablement de celles qui, élaborées dans un bocal, bien au large et sur un appui peu salissant, sont des ovoïdes parfaits, nets de souillures terreuses. Sur deux d’entre elles je pratique au sommet une ouverture que le ver, fidèle à sa méthode, s’efforce aussitôt de boucher, mais sans succès. L’une, entreposée sous une cloche, me servira de témoin. L’autre est introduite dans un bocal où la mère surveille sa nichée, deux superbes ovoïdes.
L’attente n’est pas longue. Une demi-heure plus, tard, je soulève l’écran de carton. L’insecte est sur la pilule étrangère, fort affairé et si préoccupé qu’il ne tient nul compte de l’accès du jour. En d’autres circonstances, moins urgentes, il se serait laissé aussitôt choir pour se blottir à l’abri de la lumière importune ; maintenant il ne bouge pas, il continue, imperturbable, son œuvre, Sous mes yeux, il ratisse pour enlever la croûte rouge, et, aux dépens de la surface expurgée, il prélève des raclures, qu’il étale, qu’il soude sur la brèche. Fort rapidement clôture hermétique est obtenue. Je suis émerveillé de l’habileté de cet apposeur de scellés.
Or, pendant que le Copris restaure une pilule qui n’est pas la sienne, que fait, sous cloche, le ver propriétaire de la seconde ? Il continue à se démener sans résultat, il prodigue en vain un ciment incapable de faire prise. Soumis à l’épreuve dans la matinée, il n’est parvenu à clore que dans l’après-midi, et encore assez mal. De son côté, la mère d’emprunt n’a pas mis vingt minutes pour réparer excellemment le désastre.
Elle fait mieux. Le plus pressé accompli, l’affligé secouru, elle stationne tout le jour, toute la nuit et le lendemain sur la pilule refermée. Elle la passe délicatement à la brosse des tarses pour en faire disparaître la couche terreuse ; elle efface les bosselures, elle lisse les endroits rugueux, elle régularise la courbure, si bien que la pilule difforme et souillée au début devient un ovoïde rivalisant de précision avec ceux qu’elle avait déjà confectionnés dans le bocal.
De tels soins pour un ver étranger méritent attention. Il faut continuer. Je confie au bocal une seconde pilule pareille à la précédente, et fractionnée au sommet, avec une ouverture plus grande que la première fois, le quart d’un centimètre carré environ. La difficulté augmentant, la restauration n’en sera que plus méritoire.
C’est difficile à fermer, en effet. Le ver, gros poupard, éperdument gesticule et fiente par la fenêtre. Penchée sur le trou, la mère adoptive semble le consoler. C’est la nourrice penchée sur le berceau. Les pattes secourables travaillent cependant, et ferme ; elles grattent autour du béant pertuis pour amasser de quoi boucher. Mais, à demi desséchée cette fois, la matière est dure, sans plasticité. Elle vient mal et en trop petite quantité pour pareille brèche. N’importe : le ver éjaculant toujours son mastic, l’autre le mélangeant avec ses propres raclures qui lui donnent consistance, et l’étalant après, l’ouverture se clôt.
L’ingrate besogne a nécessité toute une après-midi. Bonne leçon pour moi. Je serai désormais plus circonspect. Je choisirai des pilules plus molles, et, au lieu de les ouvrir en enlevant de la matière, je soulèverai seulement la paroi par lambeaux jusqu’à mise à nu du ver. La mère n’aura qu’à rabattre ces lambeaux, à les ressouder entre eux.
Ainsi est fait avec une troisième pilule, qui, dans un bref délai, se trouve très bien restaurée. Aucune trace ne reste des ravages de mon canif. Je continue de la sorte avec une quatrième, une cinquième, etc., à des intervalles assez longs pour laisser à la mère quelque repos. Je m’arrête quand le récipient est plein, semblable à un bocal de pruneaux. Total du contenu, douze pièces, dont dix étrangères, toutes les dix violées par mon canif, toutes les dix remises en bon état par la mère adoptive.
Quelques aperçus intéressants se dégagent de cette singulière expérience, qu’il m’eût été possible de continuer si la capacité du bocal l’avait permis. Le zèle du Copris, non amoindri après tant de ruines réparées ; sa diligence, la même à la fin qu’au début, me disent que je n’avais pas épuisé la sollicitude maternelle. Tenons-nous-en là, c’est largement assez.
Remarquons d’abord l’arrangement des pilules. Trois suffisent pour occuper le plancher de l’enceinte. Les autres sont donc superposées à mesure par couches, ce qui donne à la fin une pile de quatre étages. Le tout forme amas de peu d’ordre, vrai labyrinthe à ruelles sinueuses, très étroites, où l’insecte se glisse non sans peine. Quand le ménage est en ordre, la mère se tient en bas, sous la pile, au contact du sable. C’est en ce moment qu’une nouvelle cellule rompue est introduite, tout en haut de la pile, au troisième, au quatrième étage. L’écran remis, patientons quelques minutes et revenons au bocal.
La mère est là, hissée sur la pilule éventrée et travaillant à la clôture. Comment au rez-de-chaussée a-t-elle été avertie de ce qui se passait dans les combles ? Comment a-t-elle su qu’une larve là-haut demandait assistance ? Le poupard en détresse clame, et la nourrice accourt. Le ver ne dit rien, c’est un silencieux. Ses gesticulations de désespéré ne sont accompagnées d’aucun bruit. Et la surveillante entend ce muet. Elle perçoit le silence, elle voit l’invisible. Je me perds, chacun se perdrait dans le mystère de ces perceptions si étrangères à notre nature et qui tourneboulent l’entendement, comme aurait dit Montaigne. Passons outre.
J’ai dit ailleurs avec quelle brutalité l’hyménoptère, ce mieux doué des insectes, traite l’œuf d’autrui. Osmies, Chalicodomes et autres parfois perpètrent des atrocités. En un moment de vengeance ou de cette inexplicable aberration qui survient à la fin de la ponte, l’œuf de la voisine, férocement extrait de la cellule par les tenailles mandibulaires, est jeté à la voirie. Cela s’écrase sans pitié, s’éventre, se mange même. Que nous sommes loin du débonnaire Copris !
Attribuerons-nous au bousier la solidarité entre familles ? lui ferons-nous l’insigne honneur d’admettre qu’il pratique l’assistance aux enfants trouvés ? Ce serait insensé. La mère qui, si diligemment, donne secours aux fils d’autrui, croit, la chose est certaine, travailler pour les siens. Mon expérimentée avait deux pilules à elle ; mon intervention lui en a valu dix de plus. Et dans le bocal aux pruneaux, plein jusqu’au sommet, ses soins ne font aucune différence entre la réelle maisonnée et la famille fortuite. Son intellect ne sait donc pas distinguer ce que la quantité numérique a de plus sommaire, le simple et le multiple, le peu et le beaucoup.
Serait-ce à cause de l’obscurité ? Non, car mes fréquentes visites donnent au Copris, lorsque l’écran opaque est enlevé, l’occasion de s’enquérir et de reconnaître l’étrange amoncellement, si la lumière est en vérité le guide qui lui manque. N’a-t-il pas d’ailleurs un autre moyen d’information ? Dans le terrier naturel, les pilules, trois, quatre au plus, reposant toutes sur le sol, forment un groupe d’une seule rangée. Avec mes appoints, elles s’amoncellent en quatre étages.
Pour grimper là-haut, pour se hisser à travers un labyrinthe comme jamais manoir de Copris n’en a présenté de semblable, l’insecte coudoie, touche les pièces de l’amas. Le dénombrement n’y gagne rien. Tout cela est la nichée pour l’insecte, tout cela est la famille, digne des mêmes soins au sommet qu’à la base. Les douze de mes artifices et les deux de la ponte réelle sont même chose en son arithmétique.
Je livre cet étrange calculateur à qui viendrait me parler d’une lueur de raison chez l’insecte, comme le voulait Darwin. Des deux choses l’une : ou bien cette lueur est nulle, ou bien le Copris divinement raisonne et devient un saint Vincent de Paul des insectes, apitoyé sur les misères des enfants trouvés. Choisissez.
Pour sauver le principe, peut-être ne reculera-t-on pas devant l’insensé, et le Copris compatissant figurera un jour dans la Morale en action des transformistes. Pourquoi non ? N’y a-t-on pas déjà mis, en vue de la même cause, certain boa au cœur sensible qui, perdant son maître, se laissa périr de chagrin ? Ah ! le tendre reptile ! Ces histoires édifiantes, compilées dans l’intention de ramener l’homme au gorille, me valent, quand je les rencontre, quelques moments de douce hilarité. N’insistons pas.
À nous deux maintenant, Copris mon ami, parlons de choses qui ne suscitent pas des tempêtes. Voudrais-tu bien me dire la cause de ta réputation dans les anciens jours ? L’antique Égypte te glorifiait sur le granit rose et le porphyre ; elle le vénérait, ô mon beau cornu, te décernait des honneurs comme au Scarabée. Tu occupais le second rang dans l’entomologie hiératique.
Horus Apollo nous parle de deux bousiers sacrés doués de cornes. L’un en avait une seule sur la tête, l’autre en portait deux. Le premier, c’est toi, hôte de mes bocaux, ou du moins quelqu’un qui te ressemble de très près. Si l’Égypte avait connu ce que tu viens de m’apprendre, certainement elle t’aurait mis au-dessus du Scarabée, pilulaire vagabond, déserteur du domicile, qui laisse sa famille, une fois dotée, se tirer d’affaire comme elle le peut. Ne sachant rien de tes mœurs merveilleuses, que l’histoire note pour la première fois, elle n’est que plus louable d’avoir pressenti tes mérites.
Le second, celui à deux cornes, serait, d’après les maîtres, l’insecte que les naturalistes nomment Copris d’Isis. Je ne le connais qu’en effigie, mais son image est si frappante que je me prends à rêver, sur le tard, comme dans mon jeune âge, de m’en aller par là-bas, en Nubie, courir les bord du Nil afin d’interroger, sous quelque bouse de chameau, l’insecte emblème d’Isis, la divine couveuse, la nature que féconde Osiris, le soleil.
Ah ! naïf ! soigne tes choux, sème tes raves, et tu ne t’en trouveras pas plus mal ; arrose tes laitues ; comprends, une fois pour toutes, combien vaines sont nos interrogations quand il s’agit de sonder simplement la sapience d’un fouilleur d’ordure. Sois moins ambitieux, borne-toi au rôle d’enregistreur de faits.
Ainsi soit. Rien de saillant à dire de la larve, qui répète celle du Scarabée, à part les détails intimes d’intérêt nul ici. Même gibbosité vers le milieu du dos, même troncature oblique du dernier segment, qui se dilate en truelle à la face supérieure. Prompte fienteuse, elle connaît, mais à un moindre degré que l’autre, l’art de boucher les brèches pour se garantir des vents coulis. Sa durée est d’un mois à un mois et demi.
Vers la fin juillet apparaît la nymphe, d’abord en entier d’un jaune ambré, puis d’un rouge-groseille sur la tête, la corne, le corselet, la poitrine, les pattes, tandis que les élytres ont la teinte pâle de la gomme arabique. Un mois plus tard, en fin août, l’insecte parfait se dégage de ses enveloppes de momie. Son costume, alors travaillé par de délicates modifications chimiques, est tout aussi étrange que celui du Scarabée naissant. Tête, corselet, poitrine, pattes, d’un rouge marron. La corne, l’épistome, les dentelures des pattes antérieures avec des nuages bruns. Élytres d’un blanc un peu jaunâtre. Abdomen blanc, sauf le segment anal, qui est d’un rouge plus vif encore que celui du thorax. Chez les Scarabées, les Gymnopleures, les Onthophages, les Géotrupes, les Cétoines et bien d’autres, je constate cette précocité de coloration du segment anal lorsque le reste de l’abdomen est encore tout pâle. Pourquoi cette précocité ? Encore un point d’interrogation qui se dressera longtemps devant la réponse attendue.
Une quinzaine se passe. Le costume devient noir d’ébène, la cuirasse durcit. L’insecte est prêt pour la sortie. Nous sommes en fin septembre ; la terre a bu quelques ondées qui ramollissent l’indomptable coque et permettent aisée délivrance. C’est le moment, mes prisonniers. Si je vous ai molestés quelque peu, je vous ai tenus du moins dans l’abondance. Vos coques ont durci dans vos appareils et sont devenues des coffrets que vos efforts ne parviendraient jamais à forcer. Je vous viens en aide. Disons par le détail comment les choses se passent.
Une fois le terrier muni du pain volumineux où doivent se tailler trois ou quatre rations pilulaires, la mère ne reparaît plus dehors. D’ailleurs, pour elle aucune provision. L’amas descendu en magasin est le gâteau de la famille, le patrimoine exclusif des vers, qui recevront part égale. Pendant quatre mois la recluse est donc sans nourriture aucune.
Privation volontaire. Des vivres, en effet, sont là, sous la patte, copieux et de qualité supérieure ; mais ils sont destinés aux larves, et la mère se gardera bien d’y toucher : ce qu’elle prélèverait pour son usage manquerait aux vers. À la gloutonnerie du début, quand il n’y avait pas charge de famille, succède une sobriété capable de très longue abstinence. La poule sur ses œufs oublie le manger pendant quelques semaines ; la mère Copris surveillant sa nitée l’oublie pendant le tiers de l’année. Le bousier l’emporte sur l’oiseau en abnégation maternelle.
Or que fait-elle sous terre, cette mère si oublieuse de soi-même ? À quels soins de ménage peut-elle dépenser le temps d’un jeûne si prolongé ? Mes appareils donnent satisfaisante réponse. J’en possède, je l’ai déjà dit, de deux sortes. Les uns consistent en bocaux avec mince couche de sable et enveloppe de carton qui fait obscurité ; les autres sont de grands pots pleins de terre et clos d’un carreau de vitre.
À quelque moment que je soulève le manchon ténébreux des premiers, je trouve la mère tantôt huchée sur le dôme de ses jarres, tantôt à terre, à demi redressée et lissant de la patte la panse ventrue. Plus rarement elle sommeille au milieu du tas.
L’emploi de son temps est manifeste. Elle surveille son trésor de pilules ; elle ausculte des antennes ce qui se passe là dedans ; elle écoute la croissance des nourrissons ; elle retouche les points défectueux ; elle polit et repolit les surfaces pour ralentir la dessiccation à l’intérieur jusqu’à complet développement des inclus.
Ces soins minutieux, soins de tous les instants, ont des résultats qui frapperaient l’attention de l’observateur le moins expérimenté. Les jarres ovoïdes, disons mieux, les berceaux de la nursery sont superbes de régulière courbure et de netteté. Ici aucune de ces crevasses par où fait saillie un bourrelet de mastic, aucune de ces fêlures, de ces écailles soulevées, enfin aucun de ces accidents qui presque toujours déparent, sur le tard, les poires du Scarabée, si belles au début.
Travaillés au stuc par un modeleur, les coffrets du bousier cornu n’auraient pas meilleure façon, même lorsque la dessiccation les a gagnés en plein. Oh ! les beaux œufs d’un bronze obscur, rivalisant de volume et de forme avec ceux de la chouette ! Cette perfection, maintenue irréprochable jusqu’à la rupture de la coque pour la délivrance, ne s’obtient que par des retouches incessantes, entrecoupées de loin en loin de repos pendant lesquels la mère se recueille et sommeille à la base du tas.
Les bocaux laissent place au doute. Captif dans une enceinte infranchissable, l’insecte, pourrait-on dire, stationne au milieu de ses pilules par la raison qu’il ne peut aller ailleurs. D’accord, mais il reste ce travail de polissage et de continuelle inspection dont la mère n’aurait nullement à se préoccuper si de tels soins n’entraient dans ses mœurs. Uniquement soucieuse de recouvrer la liberté, elle devrait, inquiète, errer à l’aventure dans l’enceinte. Je la vois au contraire fort tranquille et recueillie.
Toute marque de son émoi, lorsque se fait brusquement le jour au moyen du cylindre de carton soulevé, se borne à se laisser couler du haut d’une pilule et à se blottir dans le tas. Si je modère l’éclairage, le calme revient bientôt, et l’insecte reprend sa position sur le dôme, pour y continuer le travail que ma visite avait interrompu.
Du reste, les appareils toujours obscurs complètent la démonstration. En juin, la mère s’est ensevelie dans le sable de mes pots avec provisions copieuses, bientôt converties en un certain nombre de pilules. Il lui est loisible de remonter à la surface quand elle voudra. Elle y trouvera le grand jour sous l’ample lame de verre qui m’assure contre son évasion ; elle y trouvera des vivres que je renouvelle de temps en temps afin de l’allécher.
Eh bien, ni le grand jour, ni les vivres, si désirables, ce semble, après un jeûne de telle durée, ne peuvent la tenter. Rien ne bouge dans mes pots, rien ne remonte à la surface tant que les pluies ne sont pas venues.
Il est très probable qu’il se passe sous terre exactement ce qui se passe dans les bocaux. Pour m’en assurer, je visite, à diverses époques, quelques-uns de mes appareils. Je trouve toujours la mère à côté de ses pilules, dans un antre spacieux qui laisse pleine liberté aux évolutions de la surveillante. Elle pourrait descendre plus avant dans le sable, se blottir à sa guise en n’importe quel point, si c’est le repos qu’elle demande ; elle pourrait remonter au dehors, s’attabler à des vivres frais, si le besoin de se restaurer l’exige. Ni le repos dans une crypte plus profonde, ni les joies du soleil et des petits pains mollets ne lui font quitter sa famille. Jusqu’à ce que tous ses fils aient éventré leur coque, elle n’abandonnera pas la chambre natale.
Nous sommes en octobre. Si désirées des gens comme des bêtes, les pluies sont enfin venues, imbibant le sol à quelque profondeur. Après les torrides et poudreuses journées de l’été qui suspendent la vie, voici la fraîcheur qui la ramène, voici l’ultime fête de l’année. Au milieu des bruyères épanouissant leurs premiers grelots roses, l’oronge crève sa bourse blanche et apparaît, semblable au jaune d’un œuf à demi dépouillé de son albumen ; le massif bolet pourpre bleuit sous le pied du passant qui l’écrase ; la scille automnale dresse sa petite quenouille de fleurs lilas ; l’arbousier ramollit ses billes de corail.
Ce renouveau tardif a des échos sous terre. Les générations du printemps, Scarabées et Gymnopleures, Onthophages et Copris, se hâtent de rompre leurs coques assouplies par l’humidité, et viennent à la surface participer aux liesses des derniers beaux jours.
Mes captifs sont privés de l’ondée secourable. Le ciment de leurs coffrets, cuits par la canicule, est trop dur pour céder. La lime du chaperon et des pattes ne saurait l’entamer. Je viens en aide aux misérables. Un arrosage convenablement gradué remplace la pluie naturelle dans mes flacons et dans mes pots. Pour me rendre compte, encore une fois, des effets de l’eau sur la délivrance des bousiers, je laisse quelques appareils dans l’état d’aridité que leur ont valu les chaleurs de la canicule.
Le résultat de mes aspersions ne se fait pas attendre. Au bout de quelques jours, tantôt dans un bocal et tantôt dans un autre, les pilules, ramollies à point, s’ouvrent, tombent en pièces sous les poussées des prisonniers. Le Copris nouveau-né apparaît et s’attable, avec la mère, aux vivres que j’ai mis à sa disposition.
Au moment où, raidissant les pattes et faisant le gros dos, le reclus cherche à faire éclater la voûte qui l’enserre, la mère lui vient-elle en aide en attaquant le dehors ? C’est fort possible. La surveillante, jusqu’à ce moment si soigneuse de sa nichée, si attentive à ce qui se passe dans les pilules, ne peut manquer de percevoir les bruits du captif, se démenant pour sortir.
Nous l’avons vue infatigable à boucher les brèches, œuvre de mon indiscrétion ; nous l’avons surprise, à satiété, restaurant, pour la sécurité du ver, la pilule ouverte de la pointe du canif. Apte, de par son instinct, à réparer, à construire, pourquoi ne serait-elle pas apte à démolir ? Cependant je n’affirmerai rien, n’ayant pas vu. Les circonstances favorables ont toujours déjoué mes tentatives : ou j’arrivais trop tôt, ou j’arrivais trop tard. Et puis, ne l’oublions pas, l’accès de la lumière d’habitude suspend le travail.
Dans le mystère des pots remplis de sable, la délivrance ne doit pas s’opérer d’autre façon. Je ne peux assister qu’à la sortie de terre. Attirée par le fumet des vivres frais que j’ai servis sur le seuil du terrier, la famille nouvellement libérée sort peu à peu, en compagnie de la mère, circule quelque temps sous la lame de verre, puis attaque le monceau.
Ils sont trois, quatre, cinq au plus. Les fils, plus longuement encornés, sont aisément reconnaissables ; mais rien ne distingue les filles de la mère. Entre eux d’ailleurs même confusion. Par un brusque revirement, la mère, tantôt si dévouée, est devenue d’une parfaite indifférence à l’égard de sa famille émancipée. Désormais chacun chez soi, chacun pour soi. On ne se connaît plus.
Dans les appareils non humectés par l’ondée artificielle, les choses finissent misérablement. La coque aride, presque aussi dure que le noyau de l’abricot et de la pêche, résiste, indomptable. La râpe des pattes en détache à peine une pincée de poussière. J’entends grincer les outils contre l’invincible muraille ; puis le silence se fait : du premier au dernier, les prisonniers périssent. Périt aussi la mère, dans ce milieu dont l’aridité se prolonge hors de saison. Aux Copris comme aux Scarabées, il faut la pluie qui ramollit la coque aussi dure que pierre.
Revenons aux libérés. La sortie faite, la mère, disons-nous, méconnaît sa famille, cesse de s’en préoccuper. Que son indifférence actuelle ne nous fasse pas oublier ses soins merveilleux, prodigués pendant quatre mois.
En dehors des hyménoptères sociaux, abeilles, guêpes, fourmis et autres, qui nourrissent leurs petits à la becquée et les élèvent avec les soins d’une délicate hygiène, où trouver dans le monde entomologique un autre exemple de telle abnégation maternelle, de telle sollicitude éducatrice ? Je n’en connais pas.
Comment le Copris a-t-il acquis cette haute qualité, que j’appellerais volontiers morale, s’il était permis de mettre de la moralité dans l’inconscient ? Comment a-t-il appris à dépasser en tendresse l’abeille et la fourmi, de si grand renom ? Je dis dépasser. L’abeille mère, en effet, est simplement une usine à germes, usine de prodigieuse fécondité, il est vrai. Elle pond, et c’est tout. D’autres, vraies sœurs de charité vouées au célibat, élèvent la famille.
La mère Copris fait mieux dans son humble ménage. Seule, sans aide aucune, elle pourvoit chacun des siens d’un gâteau dont la croûte durcie et constamment remise à neuf sous la truelle maternelle devient inviolable berceau. Dans sa tendresse, elle s’oublie jusqu’à perdre le besoin de manger. Au fond d’un terrier, quatre mois durant, elle veille sur sa nichée, attentive aux besoins du germe, du ver, de la nymphe et de l’insecte parfait. Elle ne remontera aux fêtes du dehors que lorsque toute sa famille sera émancipée. Ainsi éclate, chez un humble consommateur de bouse, une des plus belles manifestations de l’instinct maternel. L’esprit souffle où il veut.