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Phaneus splendidulus, le brillant, le splendide ; ainsi dit la nomenclature officielle pour désigner le plus beau coprinaire des pampas. La dénomination n’a rien d’exagéré. Associant le feu des gemmes à l’éclat des métaux, l’insecte, suivant l’incidence de la lumière, rayonne les reflets verts de l’émeraude et les éclairs du cuivre rouge. Le fouilleur d’ordure ferait honneur aux écrins du joaillier.
Du reste, nos bousiers, en général modestes de costume, sont enclins eux aussi aux décorations de haut luxe. Tel Onthophage se pare le corselet de bronze florentin, tel autre se met du grenat sur les élytres. Noir au-dessus, le Géotrupe hypocrite a le dessous en pyrite cuivreuse ; noir également dans toute la partie exposée au grand jour, le Géotrupe stercoraire a la face ventrale d’un superbe violet améthyste.
Bien d’autres séries, de mœurs très diverses, Carabes, Cétoines, Buprestes, Chrysomèles, égalent et même dépassent en bijouterie les magnifiques bousiers. Parfois des splendeurs se rencontrent comme n’oserait s’en figurer l’imagination d’un lapidaire. L’Hoplie azurée, hôte des aulnes et des osiers sur le bord des ruisselets des montagnes, est d’un bleu merveilleux, plus doux au regard, plus tendre que l’azur du ciel. On ne trouverait parure équivalente que sur la gorge de certains colibris et sur l’aile de quelques papillons des pays équatoriaux.
Pour se décorer ainsi, dans quelle Golconde l’insecte trouve-t-il ses gemmes ? dans quels placers puise-t-il ses pépites ? Oh ! le beau problème que celui de l’élytre d’un Bupreste ! La chimie des couleurs aurait là ravissante moisson ; mais la difficulté paraît grande, à tel point que la science ne peut encore dire le pourquoi du plus humble costume. La réponse viendra dans un avenir lointain, si toutefois elle arrive jamais complète, car le laboratoire de la vie pourrait bien se réserver des secrets interdits à nos cornues. Pour le moment, peut-être apporterai-je un grain de sable au futur édifice en relatant le peu que j’ai vu.
L’observation fondamentale date de bien loin. M’occupant alors des hyménoptères déprédateurs, je suivais, de l’œuf au cocon, leur évolution larvaire. Prenons un exemple dans mes notes, qui embrassent la presque totalité des giboyeurs de ma région. Je choisis la larve du Sphex à ailes jaunes, qui, avec sa taille avantageuse, nous instruira aisément.
Sous la peau transparente de la larve, éclose depuis peu et consommant son premier grillon, ne tardent pas à se montrer de fines ponctuations blanches, qui gagnent rapidement en nombre et en volume et finissent par envahir tout le corps, les deux ou trois premiers segments exceptés. En ouvrant le ver, nous reconnaîtrons que ces ponctuations sont une dépendance de la nappe adipeuse, dont elles forment une bonne partie ; car, bien loin d’être semées uniquement à la surface, elles pénètrent dans toute son épaisseur, et en si grand nombre que les pinces ne peuvent saisir une parcelle de ce tissu sans en cueillir quelques-unes.
Parfaitement visibles sans le secours d’une loupe, ces macules énigmatiques réclament le microscope quand on veut les étudier en détail. On reconnaît alors que le tissu adipeux se compose de deux sortes d’utricules : les unes, teintées de jaune clair et transparentes, sont remplies de gouttelettes huileuses ; les autres, opaques et d’un blanc amylacé, sont gonflées d’une pulviscule à grains très fins, qui s’étale en traînée nuageuse lorsque, sur le porte-objet, l’utricule qui le contient vient à être rompue. Groupés pêle-mêle, sans aucun ordre apparent, les deux genres de sachets ont même forme, même volume. Les premiers appartiennent aux réserves nutritives, au tissu gras proprement dit ; les seconds forment les ponctuations blanches dont l’étude va nous occuper un instant.
L’inspection microscopique nous apprend que le contenu des cellules blanches se compose de granulations très fines, opaques, insolubles dans l’eau et plus denses que ce liquide. L’essai des réactifs chimiques sur le porte-objet démontre que l’acide azotique dissout ces granulations avec effervescence et sans le moindre résidu, lors même qu’elles sont encore renfermées dans leurs utricules. Au contraire, les vraies cellules grasses n’éprouvent aucune attaque de la part de cet acide ; elles virent seulement un peu plus au jaune.
Profitons de cette propriété pour opérer plus en grand. Le tissu adipeux extrait de plusieurs larves est traité par l’acide azotique. L’effervescence est aussi vive que si la réaction avait lieu sur un morceau de craie. Quand elle est apaisée, il flotte des grumeaux jaunes, aisément séparables et provenant des matières grasses ainsi que des membranes cellulaires. Il reste un liquide limpide contenant en dissolution les granules blancs.
L’énigme de ces granules se présentait pour la première fois ; aucune donnée de mes prédécesseurs en physiologie et anatomie ne pouvait me guider ; aussi ma joie fut vive d’arriver, après quelques hésitations, au trait caractéristique.
Dans une petite capsule en porcelaine, placée sur les cendres chaudes, la dissolution est évaporée. Sur le résidu, je verse quelques gouttes d’ammoniaque, ou tout simplement de l’eau. Aussitôt apparaît une superbe couleur carminée. Le problème est résolu : la matière colorante qui vient de se former est de la murexide, et par conséquent la substance poudreuse qui gonfle les cellules blanches n’est autre que de l’acide urique, ou plus exactement de l’urate d’ammoniaque.
Un fait physiologique de cette importance ne saurait être isolé. Effectivement, depuis cette expérience fondamentale j’ai reconnu les granulations uriques dans le tissu adipeux des larves de tous les hyménoptères prédateurs de nos contrées, ainsi que chez les apiaires au moment de la nymphose. Je les ai observées en bien d’autres insectes, soit à l’état larvaire, soit à l’état parfait ; mais nul n’égale sous ce rapport le ver de l’hyménoptère giboyeur, tout tigré de points blancs. Je crois en entrevoir le motif.
Considérons deux larves vivant de proie, celle du Sphex et celle de l’Hydrophile. L’acide urique, produit inévitable des transformations vitales, ou bien l’un de ses analogues, doit se former chez l’une et chez l’autre. Cependant la larve de l’Hydrophile n’en montre pas d’accumulé dans sa nappe adipeuse, et celle du Sphex en est encombrée.
Pour cette dernière, la voie des excrétions solides ne fonctionne pas encore ; l’appareil digestif, clos dans sa portion terminale par un étranglement, ne rejette rien du tout. Les produits uriques, ne pouvant s’écouler au dehors à mesure qu’ils se forment, faute d’une issue ouverte, s’accumulent donc dans la masse adipeuse, qui sert ainsi d’entrepôt commun aux résidus du travail organique actuel et aux matériaux plastiques du travail futur. Ici quelque chose se passe d’analogue à ce que nous montrent les animaux supérieurs après l’ablation des reins : l’urée, contenue d’abord en quantité insensible dans le sang, s’y accumule et devient manifeste quand ses voies d’élimination lui sont enlevées.
Dans la larve de l’Hydrophile, au contraire, l’issue des excrétions étant libre dès l’origine, le départ des produits urinaires a lieu à mesure que ces substances se forment, et le tissu adipeux n’en recèle plus en dépôt. Mais pendant le profond travail de la métamorphose, toute excrétion devenant impossible, l’acide urique doit s’amasser et s’amasse en effet dans le corps adipeux des diverses larves.
Il serait hors de propos, malgré son importance, de poursuivre plus loin le problème des résidus uriques. Notre sujet est la coloration. Revenons-y avec les données que nous a fournies le Sphex. Sa larve, presque hyaline, a la teinte neutre de l’albumine non coagulée. Sous sa fine peau translucide, rien de coloré, sauf la longue poche digestive que gonfle et assombrit de vineux la bouillie des grillons consommés. Mais sur ce fond vitreux, indécis, nettement se détachent par myriades les cellules uriques d’un blanc opaque, et de ce pointillé résulte une ébauche de costume non dépourvu d’élégance. C’est très modeste, mais enfin c’est quelque chose.
Avec la bouillie urinaire dont ne peut se débarrasser son intestin, la larve trouve le moyen de s’embellir un peu. Les Anthidies nous ont appris comment, dans leurs sachets d’ouate, ils font de la bijouterie avec leurs immondices. La robe constellée de granules d’albâtre est invention non moins ingénieuse.
Se faire beau à peu de frais, en utilisant ses propres ruines, est une méthode fort usitée même chez les insectes doués cependant de tout ce qu’il faut pour évacuer les décombres. Si les larves des hyménoptères prédateurs se tigrent d’acide urique, ne pouvant faire autrement, il ne manque pas d’industrieux qui savent se créer superbe costume en conservant leurs déchets, malgré leurs égouts libres. En vue d’embellissement, ils amassent, ils thésaurisent les scories que les autres se hâtent d’expulser. De l’abjection ils font parure.
De ce nombre est le Dectique à front blanc (Decticus albifrons, Fab.), le plus gros porteur de sabre de la faune provençale. Magnifique insecte que ce locustien, à large face éburnéenne, à ventre replet d’un blanc crémeux, à longues ailes mouchetées de brun. En juillet, époque du costume nuptial, ouvrons-le sous l’eau.
Le tissu adipeux, abondant et d’un blanc jaunâtre, est formé de dentelles à mailles irrégulières, largement anastomosées. C’est un réseau tubulaire gonflé de matière poudreuse qui se condense en macules punctiformes d’un blanc crayeux et se détache très nettement sur un fond hyalin. Écrasée dans une goutte d’eau, une parcelle de cette toile donne un nuage laiteux où le microscope voit flotter une infinité d’atomes opaques sans y découvrir le moindre orbe huileux, indice de matières grasses.
Nous voici encore en présence de l’urate d’ammoniaque. Traité par l’acide azotique, le tissu adipeux du Dectique fait une effervescence comparable à celle de la craie et donne assez de murexide pour colorer en carmin un plein verre d’eau. Étrange corps adipeux que cet amas de dentelles gorgées d’acide urique sans vestige de matières grasses ! Que ferait l’insecte de réserves nutritives, lui qui touche à sa fin, l’époque des noces venue ? Affranchi des économies pour l’avenir, il n’a qu’à dépenser allègrement le peu de jours qui lui restent, il n’a qu’à se faire beau pour la suprême fête.
Il convertit donc en usine de peinture ce qui d’abord était magasin d’épargnes nutritives ; et de sa bouillie urique, semblable à de la craie, il se badigeonne largement le ventre, qui devient d’un blanc crémeux ; il s’enduit le front, la face, les joues, qui prennent l’aspect du vieil ivoire. Toutes ces parties, en effet, immédiatement sous le derme translucide, sont revêtues d’une couche de pigment convertible en murexide et identique de nature avec la poussière blanche de la dentelle adipeuse.
La chimie biologique n’a guère d’expérience aussi simple et aussi frappante que cette analyse des atours du Dectique. À qui n’aurait pas sous la main le curieux locustien, ami des régions chaudes, je recommanderai l’Éphippigère des vignes, beaucoup plus répandue. Sa face ventrale, elle aussi d’un blanc crémeux, doit pareillement sa couleur à un badigeon urique. Dans la série des sauterelles, bien d’autres espèces de moindre taille et d’expertise plus délicate nous présenteraient, à des degrés divers, les mêmes résultats.
Du blanc un peu lavé de jaune, c’est tout ce que nous montre la palette urinaire des locustiens. Une chenille, celle du Sphinx des euphorbes, nous acheminera plus loin. Bariolée de rouge, de noir, de blanc et de jaune, elle est la plus remarquable de nos pays sous le rapport de la livrée. Aussi Réaumur la dénomme-t-il la Belle. L’élogieuse appellation est méritée. Sur le fond noir de la bête, le rouge de cinabre, le jaune de chrome, le blanc de craie, se juxtaposent en orbes, points, lentilles, galons, aussi nettement délimités que les pièces criardes d’un habit d’arlequin.
Ouvrons la chenille et portons la loupe sur sa mosaïque. À la face interne du derme, sauf dans les parties teintées de noir, nous constaterons une couche pigmentaire, un enduit ici rouge, là jaune ou bien blanc. Détachons un lambeau de cette tunique polychrome après l’avoir dépouillé de ses lanières musculaires, et soumettons-le à l’action de l’acide azotique. Le pigment, n’importe sa coloration, se dissout avec effervescence et donne après de la murexide. C’est donc encore à de l’acide urique, présent d’ailleurs en petite quantité dans le tissu adipeux, qu’est due la riche livrée de la chenille.
Les régions noires font exception. Inattaquables par l’eau-forte, elles gardent après comme avant leur teinte sombre, tandis que les parties dépouillées de leur pigment par le réactif deviennent transparentes presque autant que le verre. Le derme de la belle chenille a, de la sorte, deux genres de pièces sous le rapport de la coloration.
Celles d’un noir intense sont assimilables aux produits de teinture : la matière colorante les imprègne entièrement, fait corps avec leurs molécules et n’est pas isolable par le dissolvant nitrique. Les autres, rouges, blanches ou jaunes, sont de vraies peintures : sur une lame translucide, elles possèdent un badigeon urinaire, que leur déversent des canalicules issus de la nappe adipeuse. Quand l’action de l’acide azotique est terminée, sur le fond noir mat des premières se dessinent les orbes transparents des secondes.
Encore un exemple puisé dans un ordre différent. Comme élégance de costume, l’Épeire fasciée est la mieux partagée de nos aranéides. À la face supérieure de son gros ventre alternent, en bandes transversales, le noir intense, le jaune vif pareil à celui de l’œuf, et le blanc éclatant de la neige. En dessous, le noir et le jaune se montrent aussi, mais disposés d’une autre manière. Le jaune, en particulier, y forme deux rubans longitudinaux qui se terminent par du rouge orangé à côté des filières. Sur les flancs, un amaranthe pâle se diffuse, indécis.
Examinées extérieurement à la loupe, les parties noires ne laissent rien voir de spécial. C’est homogène, partout d’égale intensité. Dans les régions autrement colorées se voient, au contraire, de petits amas polygonaux, granuleux, formant réseau à mailles serrées. En cernant avec des ciseaux le contour de l’abdomen, on enlève aisément, tout d’une pièce, le tégument corné de la face dorsale, sans lambeaux des organes qu’il protégeait. Cette grande lame dermique est diaphane sur les zones correspondant aux bandes blanches en l’état naturel ; elle est jaune ou noire sur les bandes jaunes ou noires. Ces dernières, en effet, doivent leur coloration à une peinture pigmentaire que la pointe d’un pinceau détache et balaye sans difficulté.
Quant aux bandes blanches, voici leur origine. Une fois le derme enlevé, la face dorsale de l’abdomen, dont rien n’a troublé la gracieuse mosaïque, montre une couche de points blancs polygonaux, distribués en ceintures, ici plus denses et là moins. Aux ceintures denses correspondent les zones blanches. Ce sont leurs granulations, d’un superbe blanc opaque, qui, vues par transparence à travers le derme, formaient à la bête vivante des galons de neige.
Traitées par l’acide azotique sur le porte-objet du microscope, elles ne se dissolvent pas, ne font pas effervescence. L’acide urique est donc ici hors de cause, et la matière doit être de la guanine, alcaloïde reconnu comme le produit urinaire des aranéides. Autant faut-il en dire du pigment jaune, noir, amaranthe ou orangé qui forme enduit sous le derme. Bref, en utilisant, sous une autre combinaison, les déchets de l’oxydation animale, la magnifique araignée va de pair avec la magnifique chenille ; elle s’embellit de sa guanine comme l’autre de son acide urique.
Abrégeons l’aride sujet ; tenons-nous-en à ces quelques données, que tant d’autres viendraient corroborer au besoin. Que nous dit le peu que nous venons d’apprendre ? Il nous affirme que les décombres de l’organisme, guanine, acide urique et autres scories de l’affinage vital, ont un rôle important dans la coloration de l’insecte.
Deux cas sont à distinguer, suivant qu’il y a teinture ou simplement peinture. Un enduit coloré, que peut enlever le coup de balai d’un pinceau, enlumine par places le derme, lui-même incolore et diaphane. Voilà la peinture, résultat de la composition urinaire déposée à la face interne de l’enveloppe comme le sont sur nos vitraux les ingrédients chromatiques de l’artiste verrier.
En d’autres points, le derme est coloré dans sa masse intime ; il est combiné avec la matière colorante que ne peut plus balayer le frottement d’un pinceau. Voilà la teinture, représentée dans nos vitraux par les verres que le creuset de fusion décore uniformément de telle ou telle autre nuance avec des oxydes métalliques incorporés.
Si, dans les deux cas, la différence est profonde sous le rapport de la distribution des matériaux chromatiques, en est-il de même sous le rapport de la nature chimique ? Ce n’est guère admissible. Le verrier teint ou peint avec les mêmes oxydes. La vie, artiste incomparable, doit obtenir encore mieux l’infinie variété des résultats avec l’uniformité des moyens.
Elle nous montre, sur le dos de la chenille des euphorbes, des taches noires pêle-mêle avec d’autres blanches, jaunes ou rouges. La peinture y côtoie la teinture. En deçà de la ligne de démarcation y a-t-il matière picturale, et en delà matière tinctoriale, de nature absolument différente ? Si la chimie n’est pas encore en état de démontrer, avec ses réactifs, l’origine commune des deux substances, du moins les plus pressantes analogies l’affirment.
Dans ce délicat problème de la teinture de l’insecte, un seul point est jusqu’ici du domaine des faits observés : c’est la marche progressive de l’évolution chromatique. L’escarboucle du bousier des pampas a suscité la question. Interrogeons alors ses proches voisins, qui nous permettront, peut-être, de faire un pas de plus.
Récemment dépouillé de sa défroque de nymphe, le Scarabée sacré possède un costume étrange, sans rapport aucun avec le noir d’ébène qui sera l’apanage de l’insecte mûr. La tête, les pattes et le thorax sont d’un vif rouge ferrugineux ; les élytres et l’abdomen sont blancs. En tant que nuance, le rouge est à peu près celui de la chenille des euphorbes, mais il résulte d’une teinture sur laquelle l’acide azotique n’a pas de prise comme révélateur des urates. Le même principe chromatique doit certainement se trouver à l’état d’élaboration sous un autre arrangement moléculaire, dans le derme de l’abdomen et des élytres qui vont bientôt remplacer le blanc par le rouge.
En deux ou trois jours, l’incolore devient le coloré, travail qui par sa promptitude signifie nouvelle structure moléculaire bien mieux que changement de composition. Le moellon reste le même, mais il s’arrange dans un autre ordre, et l’édifice est modifié d’aspect.
Le Scarabée est maintenant tout rouge. Les premières nébulosités brunes se montrent sur les dentelures du chaperon et des pattes antérieures, signe de maturité plus précoce dans les outils de travail, qui doivent acquérir dureté hors ligne. La teinte enfumée s’étale un peu partout, succède au rouge, se rembrunit et finalement devient le noir réglementaire. En moins d’une semaine, l’incolore passe au rouge ferrugineux, puis au brun de suie, puis au noir d’ébène. C’est fini, l’insecte possède sa coloration normale.
Ainsi se comportent les Copris, les Gymnopleures, les Onitis, les Onthophages et tant d’autres ; ainsi doit procéder le bijou des pampas, le Phanée splendide. Avec la même certitude que si je l’avais sous les yeux au moment où il se dépouille de ses langes de nymphe, je le vois d’un rouge mat, ferrugineux ou groseille, moins l’abdomen et les élytres, incolores d’abord et bientôt de la même teinte que le reste. À ce rouge initial, le Scarabée fait succéder le noir ; le Phanée le remplace par les rutilances du cuivre et les reflets de l’émeraude. L’ébène, le métal, la gemme, ont-ils donc ici même origine ? Évidemment oui.
L’éclat métallique n’exige pas changement de nature ; un rien suffit à le donner. Très divisé par les moyens dont la chimie dispose, l’argent est une poussière d’aussi pauvre aspect que la suie. Comprimée entre deux corps durs, cette sordide poudre, semblable à de la boue, acquiert aussitôt le brillant métallique et reconstitue l’argent, tel qu’il nous est familier. Un simple rapprochement moléculaire a fait la merveille.
Dissoute dans l’eau, la murexide, dérivé de l’acide urique, est d’un superbe carmin. Devenue solide par la cristallisation, elle rivalise de richesse avec le vert doré des Cantharides. La fuchsine, d’un usage si répandu, est un vulgaire exemple de pareilles propriétés.
Tout semble donc affirmer qu’une même substance, dérivée des excrétions urinaires, donne, suivant le mode de groupement de ses ultimes particules, le rouge métallique du Phanée, ainsi que l’incolore, le rouge mat et le noir du Scarabée. Elle devient noire à la face dorsale du Géotrupe stercoraire et du Géotrupe hypocrite ; et, par un brusque revirement, elle se transforme en améthyste sous le ventre du premier, en pyrite cuivreuse sous le ventre du second. Elle met du bronze doré sur le dos de la Cétoine floricole, et du pourpre métallique en dessous. Suivant l’insecte, suivant la région du corps, elle reste sombre composé, ou bien elle s’allume de reflets comme les métaux n’en possèdent pas d’aussi vifs et d’aussi variés.
La lumière semble étrangère au développement de ces splendeurs ; elle ne les accélère ni ne les retarde. L’insolation directe étant fatale par son excès de chaleur aux délicatesses de la nymphose, j’ai tamisé les rayons solaires avec un écran d’eau maintenu entre des lames de verre, et à la vive lumière ainsi modérée de température j’ai exposé journellement, pendant toute la durée de l’évolution chromatique, des Scarabées, des Géotrupes, des Cétoines. J’avais pour termes de comparaison des témoins tenus les uns dans la lumière diffuse, les autres dans l’obscurité. Mes essais n’ont rien amené d’appréciable. L’évolution des couleurs s’est faite au soleil comme dans l’obscurité, ni plus vite ni plus lentement, et sans modification dans les teintes.
Ce résultat négatif était facile à prévoir. Le Bupreste sortant des profondeurs du tronc où il a passé sa vie larvaire ; le Géotrupe, le Phanée quittant le terrier natal, ont, dès qu’ils paraissent à l’air libre, leur parure finale, que n’enrichiront pas les rayons du soleil. L’insecte ne réclame pas le concours de la lumière pour sa chimie colorante, pas même la Cigale, qui rompt son fourreau larvaire et passe du vert tendre au brun aussi bien dans les ténèbres de mes appareils qu’en pleine insolation suivant les règles.
La chromatique de l’insecte ayant pour base les déchets urinaires pourrait bien se retrouver chez divers animaux d’ordre supérieur. On en connaît du moins un exemple. Le pigment d’un petit lézard américain se convertit en acide urique par l’action prolongée de l’acide chlorhydrique bouillant2. Ce cas-là ne saurait être isolé, et il est à croire que la classe reptilienne badigeonne sa robe avec des produits analogues.
Du reptile à l’oiseau, il n’y a pas loin. Alors les irisations du ramier, les ocelles du paon, l’aigue-marine du martin-pêcheur, le carmin du flamant, les richesses inouïes de certains plumages exotiques, se rattacheraient de près ou de loin aux excrétions urinaires ? Pourquoi pas ? La nature, sublime économe, se comptait à ces énormes antithèses qui déroutent nos conceptions sur la valeur des choses. D’une triviale parcelle de charbon elle fait un diamant ; de cette même argile que le potier façonne en écuelle pour la pâtée des chats, elle fait un rubis ; des abjects décombres de l’organisme elle fait les magnificences de l’insecte et de l’oiseau. Merveilles métalliques du Bupreste et du Carabe ; somptuosités de la Chrysomèle et du Bousier ; améthyste, rubis, saphir, émeraude, topaze de l’Oiseau-Mouche et du Colibri ; splendeurs qui épuiseriez le langage du joaillier lapidaire, qu’êtes-vous en réalité ? – Réponse : un peu d’urine.