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S’il suffit, pour être heureux, d’avoir gîte paisible, bon estomac et vivres assurés, celui-ci vraiment est un heureux, mieux que le célèbre rat qui s’était retiré dans un fromage de Hollande. L’ermite du fabuliste avait conservé quelques relations avec le monde, source d’ennuis. Un jour, des députés du peuple rat s’en vinrent lui demander une aumône légère. Le reclus écouta leurs doléances d’une oreille mal disposée : il dit ne pouvoir les assister, promit des prières, et sans plus ferma la porte.
Si dur qu’il fût à la disette des autres, cette visite d’affamés dut quelque peu lui troubler la digestion ; l’histoire ne le dit pas, mais il est permis de le croire. L’ermite du naturaliste n’a pas ces désagréments. Sa demeure est un logis inviolable, un coffre d’une seule pièce, sans porte ni guichet où puisse frapper l’importun en détresse. Là dedans, quiétude parfaite ; rien n’y arrive des bruits, des soucis du dehors. Excellent gîte, ni trop chaud, ni trop froid, tranquille, fermé à tous. Table excellente aussi, et somptueuse. Que faut-il davantage ? Le béat se fait gros et gras.
Chacun le connaît. Qui de nous, cassant une noisette entre ses bonnes molaires d’adolescent, n’a mordu sur quelque chose d’amer, de glutineux ? Pouah ! c’est le ver des noisettes. Surmontons notre répugnance et voyons la bête de près. Elle en vaut la peine.
C’est un ver replet, grassouillet, fléchi en arc, sans pattes et d’un blanc laiteux, sauf la tête, coiffée de corne jaunâtre. Extrait de sa loge et déposé sur la table, cela remue, se recourbe et frétille sans parvenir à se déplacer. La locomotion lui est refusée. Qu’en ferait-il dans son étroite niche ? C’est, du reste, un trait commun à la tribu des Charançons, tous passionnés sédentaires en leur âge de larve. Tel est l’ermite dont l’histoire va suivre, le reclus à croupe rondelette et luisante, le ver du Balanin des noisettes (Balaninus nucum, Lin.).
L’amande de la noisette est son gâteau, pièce copieuse dont il dédaigne habituellement les reliefs, tant les vivres excèdent les limites de l’embonpoint. Il y a là largement, pour un seul, de quoi mener douce vie trois à quatre semaines ; mais ce serait disette avec deux convives. Aussi les provisions sont-elles scrupuleusement rationnées : à chaque noisette son ver, pas davantage.
Bien rarement il m’est arrivé d’en rencontrer deux. Le tard venu, fils de quelque mère mal renseignée, s’était attablé à côté de l’autre sans grand profit. Le gâteau touchait à sa fin ; et puis l’intrus, tout faible encore, semblait avoir été mal accueilli du vigoureux propriétaire, jaloux de son bien. Cela se voyait : le malingre surnuméraire était destiné à périr. Non plus que le rat du fromage, le Charançon ne connaît l’assistance entre pareils. Chacun pour soi : c’est la loi bestiale, féroce, même dans une coquille de noisette.
La demeure est bastion de continuité parfaite, sans joint, sans fissure par où pourrait se glisser un envahisseur. Le noyer compose la coque de son fruit avec deux valves assemblées, laissant entre elles une ligne de moindre résistance ; le noisetier construit ses tonnelets avec une douve unique, qui se recourbe en voûte partout de force égale. Comment le ver du Balanin a-t-il trouvé accès dans cette forteresse ?
À la surface, aussi lisse que marbre poli, le regard ne discerne rien qui puisse expliquer l’entrée d’un exploiteur venu du dehors. On conçoit la surprise et les naïves imaginations de ceux qui, les premiers, remarquèrent le singulier contenu de la noisette intacte, sans ouverture aucune. Le ver dodu qui vivait là dedans ne pouvait être un étranger. Il était donc né du fruit même, sous l’influence d’une mauvaise lune. C’était un fils de la pourriture couvée par un brouillard.
Fidèle, conservateur des vieilles croyances, le paysan d’aujourd’hui met toujours les noisettes véreuses et autres fruits gâtés par l’insecte sur le compte de la lune et d’un mauvais air qui passe. Et cela durera ainsi indéfiniment, tant que l’école rurale ne donnera place d’honneur à la gaie, à la vivifiante étude des champs.
À ces âneries substituons le réel. Le ver est certainement un étranger, un envahisseur ; et s’il est entré, c’est qu’il a trouvé quelque part un passage. Ce défilé, qui échappe au premier examen, cherchons-le en nous aidant d’une loupe.
La recherche n’est pas longue. La base de la noisette s’étale en une large dépression pâle et rugueuse où la cupule se rattachait. Sur les confins de cette aire, un peu en dehors, brunit un point subtil. Voilà l’entrée du château fort, voilà le mot de l’énigme.
Sans autre informé, le reste suit, très clairement interprété au moyen des données fournies par le Balanin éléphant. Le Curculionide des noisettes est, lui aussi, porteur d’un vilebrequin buccal, toujours démesuré de longueur, mais cette fois un peu courbe.
En imagination, je vois très bien l’insecte qui, à l’exemple de son congénère des glands, se presse sur le trépied du bout des élytres et des tarses postérieurs ; il prend une pose digne d’être portraiturée par un crayon ami des extravagances ; il implante d’aplomb sa mécanique ; patiemment il vire, revire.
C’est dur, très dur, car le fruit est choisi voisin de sa maturité, afin de fournir au ver nourriture plus savoureuse et plus abondante ; c’est épais et résistant, beaucoup plus que la peau d’un gland. Si l’autre met une demi-journée à forer son défilé, quelles ne doivent pas être la lenteur et l’opiniâtre patience de celui-ci ! Peut-être son pal est-il de trempe spéciale. Nous savons amorcer nos forets de façon à user le granit ; lui de même, sans doute, donne à sa lardoire tailloir triplement durci.
Lente ou rapide, la tarière descend à la base de la noisette, où se trouvent tissus plus tendres, plus riches en laitage ; elle plonge obliquement, fait trajet assez long afin de préparer au ver colonne de semoule, propice à la première éducation. Sondeurs de noisettes et sondeurs de glands ont mêmes délicats préparatifs en vue de la famille.
Vient enfin la mise en place de l’œuf, tout au fond du puits. Ici se répète l’originale méthode déjà connue. Avec un rostre d’arrière, équivalant en longueur à celui d’avant et tenu dans les secrets du ventre jusqu’au moment de s’en servir, la pondeuse introduit son œuf à la base de l’amande.
Ces soins de nourricerie, je ne les vois qu’en esprit, mais de façon très claire, renseigné que je suis par l’examen de la noisette devenue berceau, et surtout par la méthode du Balanin des glands. Je désirerais mieux toutefois, je voudrais assister au travail, ambition de peu d’espérance.
Dans ma région, en effet, le noisetier est rare, et son exploiteur attitré fait à peu près défaut. Essayons tout de même avec les six noisetiers que j’ai plantés autrefois dans l’enclos. Il s’agit tout d’abord de les peupler en conséquence.
Un vallon du Gard, moins brûlé que les collines sérignanaises, me vaut quelques couples de l’insecte. Ils m’arrivent par la poste en fin avril, alors que la noisette, toute pâle encore, tendre et comprimée, commence à émerger de son enveloppe cupulaire. L’amande n’est pas formée, de bien s’en faut ; il y en a l’ébauche, l’espoir.
Dans la matinée, par un temps superbe, je dépose les étrangers sur le feuillage de mes noisetiers. Le voyage ne les a pas trop éprouvés. Ils sont magnifiques en leur modeste costume roux. Aussitôt libres, ils ouvrent à demi les élytres, déploient les ailes, les referment, les étalent encore sans prendre l’essor. Ce sont simples exercices d’assouplissement, favorables au réveil des forces après longue incarcération. J’augure bien de ces liesses au soleil : mes colons ne déserteront pas.
Cependant les noisettes de jour en jour se gonflent, deviennent pour les enfants affriolante tentation. Elles sont à la portée des plus petits, si heureux de s’en bourrer les poches et de les gruger après en les cassant entre deux pierres. Recommandation expresse est faite de ne pas y toucher. Pour cette année, en faveur des Charançons dont je désire connaître l’histoire, les joies de la récolte seront supprimées.
Quelles idées telle défense peut-elle faire germer en ces naïfs ? S’ils étaient d’âge à me comprendre, je leur dirais : « Mes amis, gardez-vous de la grande ensorceleuse, la science. Si jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, quelqu’un d’entre vous se laissait séduire, qu’il se tienne pour averti : en échange des petits secrets qu’elle nous livre, elle exige de nous des sacrifices autrement sérieux qu’une poignée de noisettes. »
La défense est comprise ; les fruits tentateurs sont à peu près respectés. De mon côté, assidûment je les visite. Soins inutiles : je ne parviens pas à surprendre un Balanin en travail persévérant de forage. Tout au plus, au déclin du soleil, m’arrive-t-il d’en voir un qui, hautement guindé, essaye d’implanter sa mécanique. Le peu que je constate ne m’apprend rien de nouveau ; le Balanin des glands me l’a déjà montré.
C’est du reste brève tentative. L’insecte est en recherches et n’a pas encore trouvé ce qui lui convient. Peut-être le troueur de noisettes opère-t-il de nuit.
Sous un autre rapport, je suis mieux avantagé. Quelques noisettes, des premières peuplées, sont en réserve dans mon cabinet et soumises à de fréquentes visites. Mon assiduité me vaut un succès.
Au commencement d’août, deux larves quittent leur coffre sous mes yeux. Longtemps, sans doute, de la pointe des mandibules, patient ciseau, elles ont buriné la dure paroi. Le trou de sortie s’achève lorsque je m’aperçois de la prochaine évasion. Une fine poussière tombe on guise de copeaux.
La lucarne de libération ne se confond pas avec le fin pertuis de l’entrée. Peut-être, tant que dure le travail, convient-il de ne pas obstruer ce soupirail par où se fait l’aération de la demeure. Cette lucarne est située à la base du fruit, tout près de l’aire rugueuse par où la noisette adhère à sa cupule. En cette région, où s’élaborent, jusqu’à parfaite maturité, des matériaux naissants, la densité est un peu moindre qu’ailleurs. Le point à perforer est donc excellemment choisi : là se rencontrera la moindre résistance.
Sans auscultation préalable, sans coups de sonde explorateurs, le reclus connaît le point faible de sa prison. Rudement il y travaille, confiant dans le succès. Où le premier coup de pic est donné, les autres suivent, sans se perdre en essais. La constance est la force des faibles.
C’est fait : le jour pénètre dans le coffre. La fenêtre s’ouvre, ronde, un peu évasée à l’intérieur et soigneusement polie dans tout le pourtour de son embrasure. A disparu sous le polissoir de la dent toute aspérité qui pourrait troubler tantôt la difficile sortie. Les trous de nos filières en acier ont à peine précision plus rigoureuse.
Le terme de filière vient ici bien à propos : la larve se libère, en effet, par une opération de tréfilage. Semblable au fil de laiton qui passe en s’amoindrissant à travers un orifice trop étroit pour son diamètre, elle franchit la lucarne de la coque en s’atténuant. Le fil métallique est violemment tiré par les pinces de l’ouvrier ou par les rotations de la machine ; il conserve après le calibre réduit que l’opération lui a donné. Le ver connaît autre méthode : il s’étire de lui-même par ses propres efforts ; et, tout aussitôt le défilé franchi, il revient à sa grosseur naturelle. Ces différences écartées, la similitude est frappante.
Le trou de sortie a très exactement l’ampleur de la tête, qui, rigide, casquée de corne, ne se prête pas à la déformation. Où le crâne a passé, il faut que le corps passe, si obèse qu’il soit. Lorsque la libération est terminée, c’est vive surprise de voir quel volumineux cylindre, quel ver corpulent a trouvé passage dans l’exigu pertuis. Si l’on n’avait été témoin de l’exode, on ne soupçonnerait jamais pareil exploit de gymnastique.
L’orifice, disons-nous, est travaillé sur l’exact diamètre de la tête. Or, cette tête inflexible, pour laquelle seule l’ampleur du trou a été calculée, représente au plus le tiers de la largeur du corps. Comment le triple trouve-t-il passage dans le simple ?
Voici la tête dehors, sans difficulté aucune : la porte est faite sur son patron. Suit le col, un peu plus ample : une minime contraction le dégage. C’est le tour de la poitrine, c’est le tour de la dodue bedaine. Maintenant la manœuvre est des plus ardues. L’animal est dépourvu de pattes. Il n’a rien, ni crocs, ni cils raides qui puissent lui fournir appui. C’est un flasque boudin qui, de lui-même, doit franchir le détroit, si disproportionné.
Ce qui se passe à l’intérieur de la noisette m’échappe, dérobé par l’opacité de la coque ; ce que je vois à l’extérieur est fort simple et me renseigne sur l’invisible. D’arrière en avant le sang de l’animal afflue ; les humeurs de l’organisation se déplacent et s’accumulent dans la partie déjà émergée, qui se gonfle, devient hydropique jusqu’à prendre de cinq à six fois le diamètre de la tête.
Sur la margelle du puits ainsi se forme un gros bourrelet, un ceinturon d’énergie qui, par sa dilatation et son propre ressort, extrait petit à petit les anneaux suivants, diminués à mesure de volume au moyen de l’émigration de leur contenu fluide.
C’est lent et très laborieux. L’animal, dans sa partie libre, se courbe, se redresse, oscille. Ainsi faisons-nous osciller un clou pour l’extraire de son alvéole. Les mandibules bâillent largement, se referment, bâillent encore sans intention de saisir. Ce sont les ahan ! dont l’exténué accompagne ses efforts, de même que le bûcheron accompagne ses coups de cognée.
Ahan ! fait le ver, et le boudin monte d’un cran. Pendant que le bourrelet extracteur se gonfle et tend ses muscles, il va de soi que la partie encore dans la coque se tarit de ses humeurs jusqu’aux limites du possible, en les faisant affluer dans la partie libre. Ainsi est rendu possible l’engagement dans la filière.
Encore un coup de levier du ceinturon gonflé ; encore un bâillement, ahan ! Ça y est. Le ver glisse sur la coque et se laisse choir.
Une des noisettes qui viennent de me montrer ce spectacle avait été cueillie sur sa branche quelques heures avant. Le ver serait donc tombé à terre du haut du noisetier. Toute proportion gardée, pour nous semblable chute serait horrible écrasement ; pour lui, si plastique, si souple d’échine, c’est événement de rien. Peu lui importe de faire sa culbute dans le monde du sommet de l’arbuste, ou de déménager paisiblement un peu plus tard, lorsque la noisette gît à terre, détachée par la maturité.
Sans retard, aussitôt libre, il explore le sol dans un étroit rayon, cherche un point de fouille aisée, le trouve, pioche de la mâchoire, manœuvre de la croupe et s’enterre. À une profondeur médiocre, une niche ronde est pratiquée par le refoulement des matériaux poudreux. Là se passera la mauvaise saison, là s’attendra la résurrection du printemps.
Si la présomption me venait de conseiller le Balanin, mieux versé que pas un dans ses affaires de Curculionide, je lui dirais : « Quitter maintenant la noisette est une sottise. Plus tard, quand reviendra le festival d’avril et que les noisetiers feront succéder aux pendeloques des chatons les pistils roses des fruits naissants, à la bonne heure ; mais aujourd’hui, en ce temps d’incendie solaire qui impose le chômage aux plus vaillants, à quoi bon abandonner une demeure où l’on est si bien, pour dormir toute la morte saison de l’été ?
« Où trouver meilleur gîte que la boîte de la noisette lorsque viendront les pluies de l’automne et les frimas de l’hiver ? En quelle solitude plus tranquille pourrait se faire le délicat travail de la transformation ?
« Le sous-sol est d’ailleurs plein de dangers. C’est humide et froid ; par ses rugosités, c’est d’un contact pénible à une peau fine comme la tienne. Là couve un redoutable ennemi, un cryptogame qui s’implante sur toute larve enfouie. Dans mes bocaux d’éducation, j’ai grand’peine à défendre les enterrées. Tôt ou tard, contre la paroi de verre s’élèvent des houppes blanches, des fusées cotonneuses dont la base enlace et tarit un pauvre ver devenu granule de plâtre : c’est le mycélium d’une Sphériacée à qui est dévolu, comme champ d’exploitation, le corps des insectes en travail de nymphose sous terre. Dans la noisette, cellule hygiénique, affranchie des germes ravageurs, rien de pareil n’est à redouter. Pourquoi la quitter ? »
À ces raisons, le Balanin répond par un refus. Il déménage, et il n’a pas tort. Sur le sol, où gît la noisette, est tout d’abord à craindre le mulot, grand thésauriseur de noyaux. En son tas de pierrailles, il amasse tout ce que lui valent ses rondes nocturnes ; puis à loisir, d’une dent patiente, il perce la coque d’un petit trou par où s’extrait l’amande.
La noisette rencontrée est la bienvenue : c’est un morceau de haut goût. Vidée par le Charançon, elle n’est que plus précieuse : au lieu de son contenu habituel, elle renferme le ver du Balanin, grasse andouillette qui fait heureuse diversion au régime des farineux. Crainte du mulot, on descend donc sous terre.
Un motif plus grave encore conseille le départ. Il ferait bon dormir, c’est vrai, dans l’inexpugnable donjon de la noisette ; mais il convient aussi de songer à la libération de l’insecte futur. La larve du Capricorne, oubliant la prudence, quitte l’intérieur du chêne et vient à la surface s’exposer aux recherches du pic ; elle émigre vers le périlleux afin de préparer une voie de sortie par où émergera le haut encorné, non apte lui-même à se frayer un chemin.
Semblable précaution est nécessaire au ver du Curculionide. Alors qu’il est dans sa pleine vigueur de mâchoires, sans attendre la somnolence pendant laquelle les graisses amassées se fondront en une organisation nouvelle, il perce le coffre d’où l’adulte serait incapable de sortir par ses propres moyens ; il sort, s’enfonce en terre. L’avenir est sagement prévu ; de l’hypogée actuelle, l’adulte pourra sans encombre remonter au grand jour. S’il prenait dans la noisette sa forme définitive, le Balanin, disons-nous, serait incapable de se libérer lui-même. Cependant, de sa percerette, il parvient très bien à forer la coque lorsqu’il s’agit d’établir l’œuf. En quoi serait-il empêché de faire en sens inverse ce qu’il sait opérer de dehors en dedans ? Un peu de réflexion montre l’énorme difficulté.
Pour mettre l’œuf en place, un subtil canalicule, du calibre du vilebrequin, suffit. Pour donner passage au rigide Charançon adulte, il faudrait une baie relativement énorme. La matière à percer est très dure, à tel point que la larve, avec les puissantes gouges de ses mandibules, ne fore que juste de quoi laisser passer la tête. Le reste de l’animal doit suivre par d’exténuants efforts.
Comment, avec son délicat fleuret, l’insecte parviendrait-il à s’ouvrir porte suffisante, lorsque le ver, bien mieux outillé, peine tant à se pratiquer médiocre hublot ? Au moyen de perforations rangées en ligne circulaire, ne pourrait-il faire sauter une rondelle de l’ampleur voulue ? À la rigueur, c’est possible, avec dépense prodigieuse de patience, qualité dont l’insecte ne manque guère.
Mais ici longueur de temps ne suffit pas : à l’intérieur de la noisette, l’outil perforateur est de manœuvre absolument impraticable. Il est si long que, pour l’implanter au point de forage, le Balanin est obligé de se dresser debout quand il travaille au dehors. Faute de large, sous la voûte surbaissée de la coque, cette position et les virements alternatifs ne sont plus possibles.
Si patient qu’il soit et si bien outillé qu’on le suppose au bout de son fleuret, l’insecte périrait dans le coffre, empêché de faire usage de son vilebrequin par l’étroitesse du logis. Il succomberait victime de sa trop longue mécanique, excellente quand il faut loger l’œuf, mais très encombrante si l’incarcéré devait travailler lui-même à sa libération.
Avec un rostre non exagéré, un simple poinçon court et robuste, il est à croire que le Balanin, encore à l’état de larve, n’abandonnerait pas la noisette malgré le péril du mulot. C’est un délicieux laboratoire pour la refonte de la métamorphose. La coque, il est vrai, est à la surface du sol, sans abri, exposée à la bise. Mais qu’importe le froid pourvu que l’on soit au sec ? L’insecte redoute peu les gelées. Il ne dort que mieux son doux sommeil quand à la torpeur du renouvellement de l’être s’ajoute la torpeur d’une basse température.
J’en suis persuadé : porteur d’une vrille moins encombrante, le Balanin ne déménagerait pas, aussitôt consommée l’amande de sa noisette. Ma conviction a pour base les mœurs d’autres Curculionides, en particulier du Gymnetron thapsicola, Germ., exploiteur des capsules d’un bouillon-blanc, le Verbascum thapsus, Lin., hôte habituel des terres cultivées. Comme logis, ces canules sont, sous un moindre volume, à peu près l’équivalent de la noisette.
Elles sont disposées en robustes coques, formées de deux pièces étroitement assemblées, sans communication aucune avec le dehors. Un Charançon, humble de taille, modeste de costume, en prend possession en mai et juin et y loge sa larve, qui ronge le placenta du fruit, chargé de semences non mûres.
En août, la plante est desséchée, roussie par le soleil, mais toujours dressée et surmontée de son compact fuseau de capsules. Ouvrons quelques-unes de ces coques, presque aussi solides qu’un noyau de cerise. Le Charançon s’y trouve à l’état adulte. Ouvrons-les en hiver : le Gymnetron n’est pas sorti. Ouvrons-les une dernière fois en avril : le petit Curculionide est toujours dans sa demeure.
Cependant, dans le voisinage, de nouveaux bouillons-blancs ont poussé ; ils fleurissent ; leurs coques atteignent convenable degré de maturité : c’est le moment de partir et d’aller établir sa famille. Seulement alors le solitaire démolit son ermitage, sa capsule, qui l’a si bien protégé jusqu’ici.
Et comment cela ? – C’est tout simple. Son rostre est un bref poinçon, de manœuvre par conséquent aisée, même dans l’exiguïté d’une cellule. La coque est d’ailleurs de médiocre résistance. C’est une enveloppe de parchemin très sec plutôt qu’une paroi de bois dur. Le reclus enfonce son pic courtement emmanché ; il perce, il cogne et fait crouler en plâtras la muraille. Maintenant, vivent les joies du soleil ! vivent les fleurs jaunes, à étamines hérissées de poils violets !
En raison de l’outillage, là de longueur exagérée sous un plafond trop bas, ici de brève dimension conforme à l’espace disponible dans le logis, ne sont-ils pas bien inspirés l’un et l’autre, le premier en quittant la noisette prématurément, alors que les fortes cisailles du ver le permettent, le second en persistant les trois quarts de l’année dans la sécurité de sa coque, pour n’en sortir qu’au moment des noces sur la plante amie ? Ainsi se révèle, jusque chez les moindres, l’impeccable logique des instincts.