Anatole France
Le puits de Sainte Claire
Lecture du Texte

VII L’humaine tragédie

IV Le pain sur la pierre

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IV

Le pain sur la pierre

 

Parce que le bon saint François avait dit à ses fils : « Allez, et mendiez votre pain de porte en porte », Fra Giovanni fut, un jour, envoyé dans une certaine ville. Ayant franchi le châtelet, il alla par les rues mendier son pain de porte en porte, selon la règle, pour l’amour de Dieu.

 

Mais les gens de cette ville étaient plus avares que les Lucquois et plus durs que les Pérugins. Les boulangers et les tanneurs qui jouaient aux dés devant leur boutique repoussèrent avec de dures paroles le pauvre de Jésus-Christ. Et les jeunes femmes, tenant leur nouveau-né dans leurs bras, détournaient la tête. Et comme le bon frère, qui se réjouissait dans l’opprobre, souriait aux refus et aux injures :

 

« Il se moque, disaient les habitants de la ville. C’est un insensé, ou plutôt un fainéant et un ivrogne. Il a bu trop de vin. Ce serait pécher que de lui donner seulement une mie du pain de notre huche. »

 

Et le bon frère leur répondait :

 

« Vous avez raison, mes amis ; je ne mérite point de vous faire pitié, et je ne suis pas digne de partager la nourriture de vos chiens et de vos cochons. »

 

Les enfants qui, dans ce moment, sortaient de l’école, entendirent ces propos ; ils poursuivirent le saint homme en criant :

 

« Au fou ! au fou ! »

 

Et ils lui jetèrent de la boue et des pierres.

 

Et Fra Giovanni s’en alla dans la campagne. La ville était assise au penchant d’une colline, et elle était entourée de vignes et d’oliviers.

 

Il descendit par un chemin creux et, voyant à ses côtés les grappes mûres de la vigne qui pendaient aux branches des ormeaux, il étendit le bras, et bénit les raisins. Il bénit aussi les oliviers et les mûriers et tout le blé de la plaine. Cependant il avait faim et soif ; et il se délectait dans la soif et la faim.

 

Au bout d’un chemin, il vit un bois de lauriers. C’était la coutume des frères mendiants d’aller prier dans les bois, parmi les pauvres animaux à qui les hommes cruels font la chasse. C’est pourquoi Fra Giovanni entra dans le bois et chemina sur le bord d’un ruisseau clair et chantant. Et il vit une pierre plate au bord de ce ruisseau.

 

À ce moment, un jeune homme d’une beauté merveilleuse, vêtu d’une robe blanche, posa un pain sur la pierre et s’en alla.

 

Et Fra Giovanni, s’étant agenouillé, pria, disant :

 

« Que vous êtes bon, mon Dieu, de faire servir votre pauvre par la main d’un de vos anges ! Ô pauvreté bénie ! Ô très magnifique et très riche pauvreté ! »

 

Et il mangea le pain de l’ange et but l’eau de la fontaine. Et il fut fortifié dans son corps et dans son âme. Et une main invisible écrivit sur les murs de la ville : « Malheur aux riches ! »

 


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