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Le mariage de Norbert avec Mlle de Puymandour ne pouvait avoir même un rayon de cette lune de miel fugitive qui luit pour deux êtres étrangers rapprochés par le hasard, et brusquement unis par des convenances de famille.
Chacun d’eux en voulait cruellement à l’autre de sa propre faiblesse, et si, pour Norbert, Marie était toujours une femme imposée par une volonté despotique, elle ne pouvait, elle, lui pardonner de l’avoir épousée.
Lorsqu’aux formules de la loi lues par le maire, ils répondaient : Oui ! il y avait déjà entre eux un abîme de glace. Chaque jour le creusa davantage.
Et personne pour les rapprocher. Personne pour amortir les chocs continuels de deux caractères également fiers et exaspérés.
Le comte de Puymandour les avait comme abandonnés.
Dès le lendemain de l’établissement de sa fille, – c’était son expression, – il n’avait plus songé qu’à en tirer parti, au profit de sa vanité. Courir le pays aux armes de Champdoce, visiter vingt personnes par jour pour avoir l’occasion de dire vingt fois « madame la duchesse ma fille » lui semblait un bonheur sublime.
Lorsque Norbert, le lendemain de la mort de son père annonça qu’il partait pour Paris, M. de Puymandour approuva de toutes ses forces sa résolution. Il lui paraissait que restant seul au pays, il y remplacerait en quelque sorte le vieux duc, et sans doute pour mieux recueillir sa succession d’autorité et d’esprit, il annonça qu’il s’établirait à Champdoce, et en effet, il s’y installa.
C’est lorsqu’elle fut arrivée à Paris, que la jeune duchesse se jugea véritablement et avec trop de raison, hélas !… la plus infortunée des femmes.
Champdoce, c’était presque la maison paternelle ; ses yeux se reposaient sur des paysages connus, on venait la visiter ; si elle sortait, elle rencontrait des figures amies.
Ici, tout lui semblait étranger, ennemi.
Lorsqu’elle se trouva dans cet immense hôtel de la rue de Varennes, elle se crut perdue.
Pourtant, elle devait avoir là cette vie quasi royale que son père lui dépeignait comme une suprême jouissance ici-bas.
Le feu duc de Champdoce, si économe lorsqu’il s’agissait de lui ou de Norbert, redevenait le grand seigneur généreux et prodigue jusqu’à la folie dès qu’il croyait travailler pour ses descendants.
Cet hôtel, préparé pour ses petits-fils, était un miracle de luxe grandiose.
Tout y était somptueux, magnifique et rare, depuis les tentures jusqu’aux plus menus objets, depuis les services armoriés et l’argenterie massive jusqu’aux tableaux et aux statues qui décoraient la grande galerie.
Et le duc avait toujours si amoureusement soigné cet hôtel que tout y était disposé comme si, d’un instant à l’autre, on eût attendu le maître.
Norbert et sa femme arrivant, purent croire qu’ils rentraient chez eux après une courte absence, tant chaque chose était à sa place.
Les trois vieux valets qui avaient la garde et le soin de l’hôtel, leur dirent que leur chambre était prête et que le dîner allait être servi.
Cependant Norbert, livré à lui-même, eût été très embarrassé. Mais il avait un conseiller, le fidèle Jean, qui gardait les traditions de la bonne époque, et qui eut bientôt établi le service sur le plus grand pied.
À Paris on trouve tout à acheter, tout, même le temps. En moins de quinze jours Jean peupla les cuisines, les offices et les antichambres de valets bien dressés ; il encombra les remises d’équipages et emplit les écuries de chevaux de prix.
Mais pour la jeune duchesse de Champdoce, ce mouvement, ce train princier n’animaient pas l’hôtel. Il restait pour elle vide et morne. Les valets lui faisaient l’effet d’ombres se mouvant dans un crépuscule funèbre.
Elle trouvait les appartements trop vastes, les plafonds trop hauts, les tentures lugubres, les tableaux affectueusement tristes, tous les meubles trop grands et trop lourds.
Elle vivait sous l’impression continuelle d’une terreur vague, indéfinissable, le cœur serré d’une inexprimable angoisse, tressaillant au moindre bruit.
Et personne à qui confier ses peines…
Ses anciennes amies de Paris… Norbert lui avait défendu de les voir : il ne les jugeait pas assez nobles. Ils étaient en grand deuil… Norbert avait déclaré qu’ils ne feraient de visites que l’année suivante.
Elle restait donc seule, abandonnée.
Comment le souvenir de Georges Croisenois ne lui serait-il pas revenu ?
Si son père l’eût voulu, pourtant, elle eût été la femme de Georges, et, à cette heure, ils seraient bien loin, ensemble, ils cacheraient leur bonheur dans quelque contrée bénie, en Italie, à Florence, à Naples. Il l’aimait, celui-là, tandis que Norbert…
Norbert menait alors une de ces existences insensées qui annoncent comme un parti pris de ruine et de suicide.
Présenté dès son arrivée au cercle de… par son oncle, le chevalier de Septvair, il fut reçu avec acclamation. On le considérait comme une conquête.
Il portait un des noms historiques de France, la renommée triplait sa fortune si considérable ; il fut entouré, recherché, fêté, choyé. Il ne savait auquel entendre, tant il eut bientôt d’amis intimes, de complaisants, de flatteurs et de simples parasites.
Sentant quels succès lui défendait l’infériorité de son éducation, il rechercha les triomphes faciles, ceux qu’assure l’argent dépensé, les abus des forces physiques, les excentricités bruyantes, le mépris affecté de toutes les conventions sociales.
Ne pouvant prétendre à devenir le plus élégant et le plus spirituel, il voulut au moins se distinguer par sa brutalité et son cynisme.
Il jetait l’or par les fenêtres pour installer une écurie de courses, il eut l’art d’accrocher deux ou trois duels qui furent heureux, il se montrait partout en compagnie de filles perdues.
Ses journées se passaient à monter à cheval et à faire des armes. La nuit, il soupait et jouait. Sa femme ne le voyait plus. Quand il rentrait à l’hôtel, c’était à l’aube, les jambes flageolantes et la langue pâteuse, ayant le plus souvent perdu des sommes considérables.
Jean, ce gardien fidèle de l’honneur de la maison de Champdoce, gémissait, non de voir son maître courir à la ruine, mais de le savoir toujours entouré d’équivoques compagnons de débauche.
– Et le nom ! monsieur, disait-il quelquefois, le nom !
– Eh ! que m’importe, pourvu que je vive vite et que je meure bientôt !…
La vérité est que cette vie tourbillonnante attirait Norbert comme l’abîme le malheureux qui se penche au-dessus. S’abandonnant au vertige, il ne luttait plus, il ne pensait plus.
Une seule pensée émergeait de l’ombre, celle de Diane. Celle-là, quoi qu’il fît, il ne pouvait l’anéantir. Au milieu même des brouillards de l’ivresse, l’image de cette femme tant aimée se détachait lumineuse, comme une lampe dans la nuit…
Il y avait plus de six mois que cette existence sans frein durait, quand, par une belle après-midi du mois de février, au moment où il descendait à cheval la grande avenue des Champs-Élysées, Norbert aperçut une femme qui lui adressait, de la tête, un salut amical.
Elle était dans une magnifique calèche découverte, malgré le froid, enveloppée jusqu’au menton dans de précieuses fourrures.
Norbert pensa que c’était quelqu’une des demoiselles de théâtre qu’il connaissait, et par désœuvrement il poussa son cheval vers la voiture.
Arrivé à dix pas, il faillit tomber, tant sa surprise fut grande. Il venait de reconnaître Diane, Mme de Mussidan.
Il continua d’avancer cependant, et comme la voiture venait de s’arrêter, il rangea son cheval entre la portière et la contre-allée.
La jeune femme ne semblait guère moins agitée que lui, et pendant un instant ils gardèrent le silence, échangeant des regards enflammés, oppressés comme s’ils eussent pressenti quelle destinée était suspendue au-dessus de leur tête.
Enfin Norbert comprit qu’il fallait dire quelque chose, quoi que ce fût, mais parler ; déjà les domestiques l’examinaient d’un œil curieux.
– Vous à Paris, madame !… balbutia-t-il.
– Depuis longtemps ?
– Il y aura mardi deux mois que mon mari et moi sommes installés.
Elle appuya sur ces mots : Mon mari.
– Deux mois !…
– Ni plus ni moins, et c’est à peine si j’y puis croire, tant les jours ont passé vite.
Un sourire étrange passa dans ses yeux et elle ajouta :
– Mais donnez-moi donc des nouvelles de Mme la duchesse de Champdoce ; se plaît-elle à Paris ?
Norbert eut un geste furibond.
– La duchesse, fit-il d’une voix sourde, la duchesse…
Mme de Mussidan l’interrompit. Elle avait dégagé une de ses mains des fourrures, elle la lui tendit, en disant d’un ton moitié tendre, moitié railleur :
– J’espère que nous sommes toujours amis…, bons amis. Allons, au revoir…
Le cocher, comme si le mot : « Au revoir, » eût été un signal, toucha, et la calèche partit au grand trot de ses beaux carrossiers.
Norbert n’avait pas pris la main que lui tendait la jeune femme ; il était bien trop abasourdi.
Mais il ne lui fallut pas dix secondes pour se remettre. Enlevant brusquement son cheval, il le fit volter sur place, et, lui enfonçant les éperons dans le ventre, il le lança vers l’Arc-de-Triomphe.
– Ah ! s’écriait-il, avec l’accent de la rage la plus vive, je l’aime encore ! Je ne puis aimer qu’elle ! je n’ai jamais aimé, je n’aimerai jamais qu’elle !…
Ainsi songeait Norbert, tout en poussant, contre toute prudence, son cheval au milieu des voitures qui sillonnaient l’avenue, cherchant des yeux la calèche de Mme de Mussidan. Il fallait qu’elle eût quitté les Champs-Élysées par une allée latérale, car il ne l’apercevait pas.
– Mais je retrouverai Diane, murmurait-il, je la chercherai, je la reverrai, je le veux ; elle ne m’a pas oublié, sa voix me l’a dit…
À ce moment, une pensée de salut traversa son esprit.
– Une femme comme elle, se dit-il, ne peut pardonner franchement certaines offenses ; quand elle paraît revenir, on a tout à craindre.
Malheureusement il ne s’arrêta pas à cette réflexion. Il avait tout oublié, et les pires infortunes ne lui avaient rien appris.
Et le soir même, il courait à son cercle, pensant qu’il y trouverai infailliblement quelqu’un pour lui apprendre la demeure de Mme de Mussidan.
Personne encore n’était arrivé au cercle ; personne, sauf le baron Dusourd. C’était un gros homme curieux et bavard, sachant tout, se mêlant de tout, qui ne manquait pas d’esprit, capable de faire battre des montagnes, personnage problématique comme sa baronnie, fort riche d’ailleurs, et qu’on avait surnommé « La Gazette. »
C’est au baron que Norbert s’adressa, et dès les premiers mots il éclata de rire.
– Encore un !… fit-il. Comment, vous aussi, mon cher duc, vous voici amoureux de la divine vicomtesse !
Norbert devint cramoisi. Il n’avait pu encore se déshabituer de rougir.
– Oh ! il n’y a pas de honte à cela, dit gravement le gros homme. Vous ne seriez pas le premier à qui Mme de Mussidan mettrait la cervelle à l’envers. Vous seriez, à ma connaissance, le… le combien seriez-vous ? Mettons le cinquième.
– Le cinquième !…
– Juste !… faut-il vous énumérer les victimes ? D’abord, Mussidan ; il a épousé, lui. Puis, le plus jeune des Sairmeuse, puis Clairin, puis Georges de Croisenois… Vous le voyez, elle mène son char à quatre ; vous, on vous mettra en arbalète…
Impatienté, Norbert tourna le dos au baron qui ne s’en offensa pas, habitué qu’il était à ces procédés. Même le gros homme riait dans ses favoris, de la malice qu’il avait eu de ne pas répondre…
C’était une leçon pour Norbert ; il résolut de s’en remettre au hasard, et le hasard ne lui fit pas défaut. Le hasard est toujours exact, quand on s’engage dans une entreprise funeste, et qu’il pourrait la faire manquer.
Le lendemain même, aux Champs-Élysées, Norbert rencontra Mme de Mussidan, et il la rencontra pareillement tous les jours qui suivirent.
À chaque rencontre, ils avaient échangé quelques mots, et au commencement de la semaine suivante, après bien des hésitations, Diane finissait par promettre à Norbert que le lendemain, à trois heures, elle ferait arrêter sa calèche près du bois, qu’elle descendrait comme pour marcher un peu, et qu’elle lui accorderait une entrevue.
Mme de Mussidan avait dit : À trois heures…
Bien avant deux heures, Norbert était au rendez-vous, bouillant d’impatience, torturé par l’incertitude.
Il se demandait : Est-ce bien moi qui attend ici, comme autrefois au sentier de Bivron ?
Que d’événements, cependant ; que de changements survenus !…
Ce n’était pas Diane qui allait venir. Ce serait la comtesse de Mussidan, la femme d’un autre.
Ce n’était pas le caprice d’un père qui les séparait à cette heure, c’était le devoir, la loi, la société.
Pourquoi, se disait-il dans sa folle exaltation, Diane et lui ne s’affranchiraient-ils pas de vains préjugés ? Pourquoi ne quitteraient-ils pas, elle son mari, lui sa femme ?…
Depuis une heure, Norbert avait consulté sa montre soixante fois au moins.
– Si elle allait ne pas venir !…
Comme il disait cela, il vit une voiture s’arrêter et une femme en descendre.
C’était elle.
Rapidement, elle gagna les arbres, et franchit un espace vide, sans s’inquiéter des ronces, pour arriver plus vite à la petite allée.
Norbert s’inclinait, mais elle, sans mot dire, lui prit le bras et l’entraîna plus avant dans le bois.
Il avait beaucoup plu les jours précédents, et l’allée où avait attendu Norbert était fort boueuse. Mais cela n’arrêta pas Mme de Mussidan.
– Marchons ! disait-elle d’une voix brève, marchons, on peut nous apercevoir de la route… J’ai pris toutes mes précautions, ma voiture et mes gens m’attendent à une des portes de Saint-Philippe-du-Roule, mais je puis avoir été épiée, suivie… Marchons !…
– Vous n’aviez pas ces frayeurs, autrefois !
– J’étais ma maîtresse, alors. Ma réputation était toute ma fortune, mais elle m’appartenait, j’avais le droit de la risquer ; en la perdant, je ne faisais tort qu’à moi seule… En me mariant, j’ai reçu en dépôt l’honneur de l’homme qui me donnait son nom. Je saurai le garder intact.
– Dites que vous ne m’aimez plus.
Elle s’arrêta brusquement, écrasa Norbert d’un de ces regards glacés dont elle avait le secret, et lentement répondit :
– Vous avez perdu la mémoire, monsieur le duc, moi je me rappelle une lettre…
D’un geste suppliant, Norbert l’interrompit.
– Grâce !… balbutia-t-il, ayez pitié !… Vous me plaindriez si vous connaissiez l’horreur du châtiment !… J’étais devenu fou, aveugle, stupide… Jamais je ne vous ai aimée comme à cette heure…
Un sourire glissa sur les lèvres de Mme de Mussidan. Norbert ne lui apprenait rien, mais elle voulait, il lui fallait ce mot : la certitude.
– Hélas ! murmura-t-elle, que puis-je vous répondre ? un mot terrible et fatal : trop tard !…
– Diane !…
Il essaya de prendre la main de la jeune femme, elle se rejeta en arrière.
– Oh ! pas ainsi, monsieur le duc, dit-elle d’un air véritablement égaré, ne m’appelez pas ainsi… Vous n’en avez pas le droit… C’est assez d’avoir perdu la jeune fille, ne déshonorez pas la jeune femme !… Il faut m’oublier, entendez-vous ?… C’est pour vous dire cela que je suis venue. L’autre jour, en vous apercevant, je n’ai pas été maîtresse de mon premier mouvement ; ce cœur que vous avez possédé tout entier s’élançait vers vous, et je vous ai fait signe… Ne cherchez pas à vous prévaloir de ma faiblesse… Je vous ai dit : « Nous sommes amis… » J’étais folle. Nous ne pouvons même pas être amis, nous devons devenir l’un pour l’autre… des étrangers.
Les paroles du baron, au cercle, sonnaient encore aux oreilles de Norbert.
– Vous êtes moins sévère pour M. de Sairmeuse, fit-il amèrement, pour M. Georges de Croisenois, pour…
– Que prétendez-vous dire ! interrompit-elle d’un ton hautain. Ces messieurs sont les amis de mon mari. Tandis que vous…
Elle lui prit les poignets qu’elle serra comme en un étau, entre ses mains délicates, et penchant son visage vers celui de Norbert, jusqu’à le toucher presque :
– Vous oubliez encore, poursuivit-elle, qu’à Bivron on affirmait que j’étais votre maîtresse !… Croyez-vous que la calomnie n’a pas su pénétrer jusqu’à mon mari !… Un jour qu’on prononçait votre nom devant lui, j’ai vu le soupçon et la haine dans ses yeux… Grand Dieu !… s’il se doutait, quand je rentrerai, que votre main vient de toucher la mienne, il me chasserait comme une misérable… Est-ce que la porte de notre maison ne vous est pas à tout jamais fermée ?…
– Ah !… je suis bien malheureux !…
– Trouvez-vous donc mon sort digne d’envie !… Mais à quoi bon gémir ! On ne change pas sa destinée. Soyez homme… et s’il vous reste quelque affection… pour moi, prouvez-le-moi en ne cherchant jamais à me revoir.
Norbert était désespéré, il la conjurait de rester encore, il s’attachait à elle…
– Ah !… s’écria-t-elle, ne m’ôtez pas mon courage !…
Et, se dégageant vivement, elle regagna sa voiture qui partit au galop.
Elle s’éloignait, mais elle venait de verser dans le cœur de Norbert un poison plus subtil que celui qu’elle destinait au duc de Champdoce.
C’est qu’elle le connaissait, comme le virtuose de génie l’instrument dont il tire des sons merveilleux ; elle savait quelles cordes vibraient en lui, et comment il fallait les attaquer. Elle était certaine qu’avant un mois il serait à ses pieds, qu’elle reprendrait sur lui un empire plus absolu que jamais, et qu’il l’aiderait à exécuter contre lui-même l’abominable projet qu’elle avait conçu.
Et rien ne devait la gêner, car elle était libre, quoi qu’elle eût dit, libre comme l’air.
Ses calculs, d’ailleurs, étaient justes.
Après l’avoir suivie comme son ombre, mais à distance, pendant quinze jours, Norbert s’enhardit jusqu’à l’aborder aux Champs-Élysées. Elle se fâcha, mais non assez pour qu’il ne reparût plus. Il reparut… Elle pleura… N’importe, il revint encore.
Sa défense parut héroïque à Norbert, et cependant, peu à peu, elle faiblit ; il devint plus pressant ; elle lui accorda une entrevue, puis deux…
Mais quelles entrevues !… Elles avaient lieu à l’église, quelquefois, ou dans un musée, ou au bois… et c’est à peine s’il avait le temps de lui serrer furtivement la main.
Et cependant, il n’osait se plaindre, tant était terrible le tableau qu’elle lui faisait des dangers qu’elle bravait pour lui.
Enfin, après des hésitations, des larmes, toutes sortes de réticences, elle finit par lui avouer qu’elle avait trouvé un moyen de rendre leurs rendez-vous plus fréquents, plus longs, presque sans péril… c’était, mais elle n’osait le dire… c’était sans doute bien mal… c’était… qu’elle devint l’amie de la duchesse de Champdoce !…
Cette fois, Norbert reconnut qu’elle était un ange, et il fut décidé que dès le lendemain il la présenterait à sa femme.