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Le mois de septembre était venu, et bien que le temps fût détestable, le jeune duc de Champdoce, accompagné de son fidèle Jean, était allé s’établir à Maisons, où se trouvait son écurie de courses.
Son prétexte était qu’il tenait à surveiller en personne l’entraînement de six ou huit chevaux engagés pour les courses d’automne, et dont un, qui lui coûtait 30,000 francs, avait quelques chances de gagner un grand prix.
La vérité est qu’ayant eu une discussion avec Mme de Mussidan, il voulait essayer de la réduire par l’absence, ayant ouï dire au cercle que l’absence est pareille au vent qui attise les incendies et éteint les flammes légères.
Il y avait deux jours déjà que Norbert était à Maisons, et il s’inquiétait de n’avoir pas de nouvelles de Mme de Mussidan, quand un soir, comme il surveillait le dernier repas de ses chevaux, on le prévint qu’un homme était à la porte des écuries, qui demandait à lui parler.
Il s’y rendit et trouva un pauvre vieux, bien connu dans le pays, qui vivait à moitié d’aumônes moitié du prix de quelques commissions.
– Que me veux-tu ? interrogea M. de Champdoce.
Le bonhomme sortit à demi de sa poche une lettre qu’il montra en clignant de l’œil d’un air qui prétendait être fin.
– C’est pour vous, cela, bourgeois, fit-il.
– C’est que, bourgeois, on m’a recommandé d’attendre que vous soyez seul pour…
– Enfin, puisque vous le voulez absolument…
Dans la pensée de Norbert, cette lettre ne pouvait venir que de Mme Diane.
Les recommandations faites au commissionnaire décelaient les craintes d’une personne qui a de fortes raisons pour se cacher. Peut-être était-elle à Maisons, à cent pas de lui, à lui…
Il jeta vivement un louis au bonhomme et courut se placer sous un des réverbères de l’écurie.
Mais l’adresse n’était pas de l’écriture délicate et aristocratique de la comtesse de Mussidan.
Les caractères lourds, empâtés, tremblés, trahissaient une main de femme peu habituée à manier la plume, une main de cuisinière.
Même il y avait une faute grossière, horrible : Champdoce était écrit avec deux s au lieu d’un c à la fin.
– Qui diable ! peut m’envoyer cela ? pensa Norbert.
Il brisa le cachet, cependant.
Le papier de la lettre était grossier comme l’enveloppe, graissé par places, et timbré, à l’angle gauche, de l’éternel et énigmatique Bath. L’écriture était odieuse, les fautes d’orthographe fourmillaient.
« Cela me fait bien de la peine d’être obligée de vous apprendre la vérité, mais c’est plus fort que moi, il faut que je soulage ma conscience. Je ne peux pas supporter davantage qu’une femme soit assez sans cœur et sans honneur pour tromper un homme comme vous.
« C’est pour vous dire que votre femme vous trahit et se moque de vous avec un autre.
« Vous pouvez me croire, car je suis une honnête fille, moi, et il vous est facile de vous assurer que je ne mens pas.
« Cachez-vous, ce soir même, dans un endroit d’où on découvre bien la petite porte de votre jardin, et entre dix heures et demie et onze heures, pour sûr, vous verrez entrer le bien aimé. Il y a longtemps qu’on lui a donné une clé.
« L’heure du rendez-vous est bien choisie, il n’y aura pas un domestique à l’hôtel.
« Mais je vous en prie, monsieur le duc, ne faites pas de bruit pour si peu de chose, je ne voudrais pas faire de tort à votre femme…
« Celle qui se dit, etc., etc. »
Il ne fallut à Norbert qu’un coup d’œil pour lire entièrement cette lâche et infâme dénonciation anonyme.
Un flot de sang lui monta à la tête, et il poussa un cri, un rugissement plutôt, tel que tous les gens de l’écurie se précipitèrent vers lui.
– L’homme !… leur cria-t-il, où est l’homme ?
– Quel homme ?
– Celui qui vient à l’instant de m’apporter cette… cette lettre. Qu’on coure après lui, qu’on le cherche, qu’on le trouve, qu’on l’amène !… Vite, bien vite, allez !…
Moins d’une minute après, le bonhomme apparaissait, se débattant entre deux palefreniers qui le traînaient fort brutalement.
– Mais je ne l’ai pas volé !… criait-il, on me l’a donné !… Je suis prêt à le rendre !
Il parlait du louis que lui avait jeté Norbert. L’énormité de la somme avait inquiété sa probité. Il avait bien pensé qu’il y avait eu erreur, mais, comme il n’était pas sûr…
– Lâchez-le, dit-il aux palefreniers.
Et s’adressant au vieux, il reprit :
– Toi, garde ce que je t’ai donné, c’est bien à toi, mais tâche de me répondre. Qui t’a remis cette lettre ?
– Je ne sais pas, mon bon monsieur, répondit le pauvre diable encore tremblant.
– Est-ce un homme ou une femme ?
– Un homme.
– Et tu ne le connais pas, bien vrai ?
Le bonhomme leva la main comme un témoin devant le tribunal.
– Je ne l’avais jamais tant vu, répondit-il, que cette pipe que je tiens m’empoisonne si je mens. Il est descendu d’un fiacre, arrêté près du pont, sur le chemin du bord de l’eau. Je passais, il est venu à moi, et il m’a dit : “Tu vois bien cette lettre ? Je vais te la confier. Quand sept heures et demie sonneront, pas une minute plus tôt, tu la porteras à M. le duc de Champdoce, dont la maison est sur le chemin de la forêt.” J’ai répondu : “Je sais bien.” Là-dessus, il m’a mis la lettre et cent sous dans la main ; il est remonté en voiture, et fouette cocher !…
– Quelle heure était-il à ce moment ?
Norbert eut un geste de découragement. Il avait eu un instant la vague espérance de rejoindre le fiacre sur la grande route.
– Et comment était cet homme ? fit-il.
– Dame !… mon bon monsieur, il avait l’air d’un bourgeois. Il avait une grosse chaîne de montre en or, à son gilet. Pour ce qui est du signalement, c’est un grand individu, c’est-à-dire pas trop petit, ni jeune ni vieux.
– Assez !… tu peux te retirer, merci !…
En ce moment, la colère de Norbert, et elle était des plus violentes, ne s’adressait qu’à l’auteur de cette vile lettre anonyme.
Il ne pouvait croire, il ne croyait pas à une trahison de la duchesse : il ne l’aimait pas, il la haïssait même ; mais il l’estimait.
– Ma femme, se disait-il, est une honnête femme, et c’est quelque fille de service qui pense se venger ainsi d’une réprimande.
Cependant il se remit à lire cette lettre odieuse ; il lui semblait que ce méchant style n’était pas naturel, mais laborieusement cherché. Puis il découvrait des dissonances. La partie relative aux indications ne ressemblait en rien au reste. La dernière phrase : “Ne faites pas de bruit pour si peu de chose,” avait une intention railleuse marquée.
– Est-ce bien celle qui a tenu la plume, se demandait-il, qui a pensé cette phrase ?
Une autre chose l’intriguait : l’allusion à l’absence des domestiques. Il fit appeler Jean.
– Est-il vrai, lui demanda-t-il, que l’hôtel soit seul aujourd’hui ?
– Il le sera du moins ce soir et une partie de la nuit.
– Et pourquoi ?
– Monsieur le duc ne se le rappelle pas ? Le second cocher se marie, tous les gens sont invités au bal, monsieur a lui-même donné l’autorisation…
– C’est juste ! Cependant, si la duchesse a besoin de quelque chose ?
– Madame a été assez bonne pour dire qu’elle ne voulait priver personne du bal, que du moment où le concierge de l’hôtel et sa femme restaient, cela suffisait…
– C’est bien !…
Après les premières minutes d’emportement, Norbert affectait un grand calme et la sérénité railleuse d’un homme mis hors de soi par une chose qu’il reconnaît ensuite n’en valoir pas la peine.
Mais cette attitude mentait. Le doute avait traversé son esprit, douloureux comme une de ces crampes aiguës qui tout à coup sillonnent les chairs.
Et on ne discute ni ne raisonne le soupçon : Il est ou il n’est pas.
– Pourquoi, se disait Norbert, pourquoi ma femme ne me trahirait-elle pas ? Je la crois vertueuse et attachée à ses devoirs, mais tous les maris trompés croient à la vertu et à l’honnêteté de leur femme, cela va de soi.
Pourquoi ne profiterait-il pas de l’avis, d’où qu’il vînt ? Pourquoi n’irait-il pas se cacher là où on disait ?
– Non, pensait-il ensuite, non, je ne descendrai pas à cet excès de bassesse. Je serais aussi vil que la misérable qui m’adresse cette infâme dénonciation, si j’acceptais ce rôle d’espion qu’elle me propose.
Il s’arrêta, il venait de s’apercevoir que tous ses gens l’observaient avec une ardente curiosité.
– Allez donc à vos occupations !… leur cria-t-il d’un ton terrible, éteignez les lanternes et fermez les fenêtres.
Son parti, alors, était décidément pris.
Il tira sa montre, il était huit heures.
– Je n’ai que le temps de courir à Paris, pensa-t-il.
Il gagna en hâte la maison, et appela Jean.
Avec cet homme, dévoué corps et âme à la maison de Champdoce, encore plus qu’à lui Norbert, dissimuler était inutile.
– Jean, lui dit-il d’une voix brève, il faut que j’aille à Paris, ce soir, à l’instant !
Le bonhomme hocha tristement la tête.
– À cause de cette lettre ? fit-il respectueusement.
– Oui !
– On aura écrit des infamies sur madame la duchesse.
Norbert eut un geste presque menaçant.
– Comment sais-tu cela ?
– Hélas !… il n’était que trop aisé de le deviner, et après les questions que m’a adressées monsieur le duc, le doute n’était plus possible.
– Alors, vite, mes habits et qu’on attelle… La voiture m’attendra devant la porte du cercle et j’irai, moi, à pied.
Jean osa interrompre son maître.
– Cela ne peut être ainsi, prononça-t-il. Les gens doivent avoir eu le même soupçon que moi, Dieu sait ce qu’ils diraient, s’ils voyaient monsieur s’éloigner ! Si monsieur persiste, il doit se rendre à Paris, et en revenir sans que personne s’en doute ; pour les gens, il n’aura pas quitté Maisons.
– Peut-être as-tu raison, mais comment s’y prendre ?
– Je me charge de faire sortir secrètement un des chevaux de la petite écurie. Justement Romulus, qui est un de nos meilleurs coureurs s’y trouve. Je vais le seller et le conduire de l’autre côté du pont où monsieur viendra nous rejoindre. J’attendrai ensuite le retour de monsieur le duc dans quelque cabaret.
– Soit, mais fais vite, alors, mes minutes sont comptées.
Jean sortit rapidement, et Norbert l’entendit, dans l’escalier, crier à un domestique :
– Qu’on apprête quelques mets froids, monsieur le duc soupera.
Norbert, lui, entra dans sa chambre à coucher pour passer un pardessus et des bottes, et en même temps il glissa dans sa poche un revolver dont il avait renouvelé les cartouches.
Il alla ensuite ouvrir la porte de l’escalier de service, s’assura qu’il était désert, descendit et sortit avec la certitude ne n’avoir pas été vu.
La nuit était noire : il tombait une petite pluie fine, dense, glaciale, qui épaississait encore les ténèbres, et qui avait détrempé les chemins.
Le vieux domestique était déjà au rendez-vous avec le cheval, Norbert n’eut qu’à monter en selle.
– On ne m’a pas aperçu, fit Jean.
– Moi non plus.
– Alors, tout va bien. Je vais rentrer et faire le service comme si monsieur le duc était dans sa chambre et soupait. Même, je mangerai, pour qu’on ne devine pas la supercherie.
Le vieillard poussa un profond soupir.
– Monsieur le duc a-t-il bien le cœur de rire !… fit-il d’un ton de reproche. Enfin !… dans trois heures je serai dans le cabaret que voici, à gauche. Quand monsieur reviendra, il n’aura qu’à frapper deux coups au volet du pommeau de sa cravache, je sortirai aussitôt.
– Entendu.
Le cheval piaffait d’impatience et se tourmentait. Norbert serra légèrement les genoux, lui rendit la main, il partit comme un trait.
Jean avait bien choisi. Romulus était ce fameux cheval qui, l’année suivante, vendu au marquis de Septvair, gagna le grand prix à Epsom.
Il allait, le long de la route boueuse, se développant, s’allongeant, le cou tendu, d’un galop régulier et précis, le souffle toujours égal.
Et l’imagination de Norbert, surexcité déjà par les émotions de la soirée, par les apprêts de ce départ furtif, s’exaltait et se montait. Il pressait les flancs de son cheval, et exigeait toute sa vitesse.
Cependant, lorsqu’il arriva aux premières maisons du faubourg, ses défiances de paysan s’éveillèrent.
Si c’était une méchante farce qu’on lu faisait ! Si cette lettre lui avait été adressée par quelques-uns de ses amis du cercle ! Ils guetteraient certainement le résultat ; ils le laisseraient se morfondre pendant deux heures ; puis, tout à coup, ils apparaîtraient, ravis de le surprendre dans la situation la plus ridicule.
Que d’éclats de rire, ensuite, quelles gorges chaudes !… Vous êtes jaloux, duc ? Il croyait les entendre.
Cette crainte le rendit prudent. Au lieu de traverser Paris, il suivit au grand trot les boulevards extérieurs et longea les quais jusqu’à l’esplanade des Invalides.
Arrivé là, une difficulté se présenta qu’il n’avait pas prévue, non plus que Jean. Que faire de son cheval ?
Les boutiques des marchands de vin étaient encore ouvertes, il pouvait entrer chez l’un d’eux, il y rencontrerait un homme de bonne volonté.
Mais, la supposition d’une plaisanterie absurde étant admise, n’était-ce pas donner l’éveil aux mystificateurs ?
Il se demandait si mieux ne valait pas attacher Romulus à un arbre, quand, de l’autre côté de la chaussée, il vit passer un soldat qui sans doute regagnait sa caserne. Il poussa son cheval vers lui en l’appelant.
– Vous plairait-il, mon ami, lui dit-il, de me rendre un grand service, et de gagner vingt francs du même coup ?
– Tout de même, s’il ne faut rien faire contre le service.
– Il s’agirait simplement de tenir mon cheval et de le faire marcher pour qu’il ne prenne pas froid, pendant que j’irai à deux pas d’ici rendre une visite…
– Oh ! Si c’est ainsi, pied à terre !… j’en suis, j’ai la permission de la nuit.
Norbert descendit, et, après être bien convenu avec le soldat de l’endroit où il le retrouverait, il s’éloigna rapidement.
Pour plus de sûreté, redoutant toujours une mystification, il remonta l’esplanade des Invalides, suivit la rue de Babylone, et enfin gagna la rue Barbet-de-Jouy, où donnait la porte des jardins de l’hôtel de Champdoce.
Presque en face se trouvait une porte cochère. Norbert se blottit dans un des angles et attendit. Il était alors dix heures moins cinq minutes.
Ce n’est pas sans précautions préalables que Norbert avait choisi cette cachette.
Par deux fois il avait exploré d’un bout à l’autre la rue Barbet-de-Jouy, qui est fort courte, et s’était assuré qu’elle était absolument déserte.
La supposition d’une mystification se trouvait ainsi à peu près écartée.
Restait à s’assurer si la dénonciation était calomnieuse. Il décida dans son esprit qu’il attendrait jusqu’à la minuit, et que si à cette heure personne n’était venu, il reconnaîtrait l’innocence de la duchesse et se retirerait.
De son poste, Norbert distinguait la petite porte de ses jardins, et, par une éclaircie, il découvrait une partie de l’immense façade de son hôtel.
Trois fenêtres seulement, au premier étage, étaient éclairées d’une lueur pâle, chétive, mystérieuse. Ces trois fenêtres, il les reconnaissait bien, étaient celles de la chambre à coucher de la duchesse. Que faisait-elle à cette heure ? Elle était seule, comme tous les soirs, et sans doute, assise au coin du feu, elle pleurait.
– Et ce serait là, pensait-il, une femme qui attend son amant !… Non, ce n’est pas possible, et, si je reste ici plus longtemps, je perds toute estime de moi-même.
Insensiblement, il en était venu à réfléchir à sa conduite envers sa femme.
Que n’avait-elle pas à lui reprocher ? Il l’avait épousée malgré lui, la haïssant, en adorant une autre, et il ne lui avait que trop laissé voir l’état de son cœur.
Dès le lendemain de son mariage, il l’avait abandonnée. Et si, depuis quelques mois, il lui accordait quelques semblants d’affection, elle les devait, la malheureuse, au caprice de l’autre, qui lui donnait cela comme une aumône.
Qu’un homme entrât maintenant chez lui, qu’avait-il à dire ?
La loi lui réservait toujours ses droits ; sa conscience ne lui en accordait certainement aucun.
Il se tenait alors serré contre le mur, immobile comme la pierre même ; il s’engourdissait, il lui semblait que sa vie et sa pensée se figeaient.
Depuis combien de temps était-il là ? Depuis une heure ou depuis dix ? il l’ignorait absolument. Il voulut consulter sa montre ; en vain, il faisait si noir qu’il ne voyait même pas dans sa main. Une demie sonna aux Invalides ; quelle demie ?
Il songeait sérieusement à se retirer, lorsqu’il crut entendre un léger bruit à l’extrémité de la rue. Il prêta l’oreille, avançant la tête pour mieux écouter.
Il avait encore les sens parfaits du paysan, de l’homme qui a vécu seul aux champs, et il était difficile qu’il se trompât. C’était bien le pas d’un homme qu’il entendait.
Mais ce pas n’était point net et décidé comme celui d’un homme qui va où il a le droit d’aller, qui rentre chez lui, par exemple. Il était timide, ce pas, indécis et comme furtif. Norbert croyait deviner l’homme qui frémit en songeant qu’il est peut-être suivi, et qui hésite, qui sonde le terrain, qui à chaque enjambée regarde de tous côtés.
Était-ce donc celui qu’il était venu attendre à tout hasard ?
Bientôt il distingua comme une ombre qui glissait le long de la muraille, de l’autre côté de la rue. Arrivée en face de la petite porte du jardin, l’ombre s’arrêta.
Il y eut un temps d’arrêt. Puis, il lui parut que l’ombre faisait quelques mouvements, il entendit un choc qu’il n’expliqua pas, et tout disparut.
Mais le bruit sec d’un pêne retombant sur sa gâche lui apprit que la porte avait été ouverte et refermée.
Un homme venait d’entrer, l’incertitude n’était pas possible, et cependant Norbert voulait douter encore.
Il est de ces faits si inouïs, si invraisemblables, qu’on ne peut se résoudre à les accepter, qu’ils ne peuvent entrer dans l’esprit, qu’on accuserait presque ses sens d’erreur.
Si c’était un voleur ?… pensait-il. Mais un voleur aurait des complices.
Pourquoi cet homme ne viendrait-il pas pour quelque femme de chambre ?… Mais tous les gens étaient absents, tous…
Cependant, il ne perdait pas de vue les fenêtres de la chambre de sa femme.
Au bout d’une minute, elles s’éclairèrent plus vivement. On venait soit de relever l’abat-jour de la lampe, soit d’allumer une bougie…
C’est une bougie qu’on venait d’allumer, car presque aussitôt il en vit la clarté aux fenêtres du palier, puis à celles du grand escalier.
Il fallait bien se rendre à l’évidence, cette fois !… C’était un amant qui venait d’entrer ; la duchesse l’attendait, il avait dû faire un signal convenu, et la duchesse allait au-devant de lui…
Norbert n’avait plus froid, maintenant, sa tête brûlait, son sang bouillait dans ses veines, le brouillard glacé lui semblait les vapeurs d’un brasier…
Comment punir les misérables qui outrageaient son honneur, quel châtiment trouver proportionné au crime ?…
Tout à coup, il poussa un cri… Une idée infernale venait d’éclairer son esprit, et il l’acceptait comme une inspiration divine.
Il courut à la petite porte, et forçant la serrure à l’aide de la crosse de son revolver, il se précipita dans le jardin.