IntraText Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText | Recherche |
Rien qu’à voir dans la rue le sieur Verminet, on reconnaît l’homme important, le capitaliste, l’heureux tripotier d’affaires prospères.
Il marche en se dandinant, des épaules aussi bien que des jambes, le front haut, la bouche souriante et dédaigneuse, regardant les magasins de l’air d’un millionnaire qui a de quoi tout acheter, et lorgnant les femmes d’un œil impertinent.
André n’eut aucune peine à le suivre, bien que tout neuf à ce métier de « fileur, » plus difficile qu’on ne soupçonne, et qui, à l’exemple de tous les métiers, a ses théories invariables, ses règles reconnues, ses calculs tout faits, sa pratique, en un mot, qui le simplifie singulièrement.
Le temps était beau, l’air tiède, l’honorable directeur de la Société d’escompte mutuel en profita pour choisir le chemin le plus long, en homme qui, après une journée bien remplie, la conscience tranquille, s’accorde une honnête récréation.
Au lieu de prendre la rue Neuve-des-Petits-Champs, il gagna les boulevards, qu’il longea doucement, flânant, savourant son cigare, distribuant des saluts de droite et de gauche, et échangeant des poignées de main.
Et André, qui marchait derrière à quinze pas, ne perdant pas son homme de vue, s’étonnait de la quantité de gens que connaissait ce surprenant financier, et aussi de l’accueil que tout le monde lui faisait.
– Ah ça !… pensait-il un peu déconcerté, me serais-je trompé ?… On voit mal et peu juste, quand on regarde à travers le prisme de la passion… Ce Verminet ne serait-il pas ce que j’imagine ?… Aurais-je pris pour des indices concluants des chimères de mon imagination !…
André, le laborieux artiste, uniquement occupé de son avenir et de son art, n’avait aucune idée de cette large fraction de la société parisienne qui, en fait de honte et d’infamie, ne reconnaît que celle de n’avoir pas d’argent, à soi ou aux autres, gagné ou volé…
Monde à part, où le mépris n’existe pas, où tout homme, tant qu’il est bien mis et a vingt-cinq louis en poche, a droit aux égards des autres, quoi qu’il ait fait, quoi qu’il fasse, quoi qu’il doive faire…
Cependant, Verminet ayant atteint le boulevard Poissonnière, jeta son cigare et changea brusquement d’allures.
C’est du pas le plus rapide qu’il suivit successivement la rue Poissonnière et la rue du Petit-Carreau.
Enfin, arrivé presque à l’extrémité de la rue Montorgueil, non loin de Halles, il tourna court, entra sous une vaste porte cochère, et bientôt disparut.
Où allait-il ?… André n’eut pas la peine de conjecturer ; deux écriteaux qui resplendissaient de chaque côté de la porte étaient là pour le lui apprendre.
Verminet venait d’entrer chez B. Mascarot, et ce Mascarot était tout simplement un agent de placement pour domestiques et employés des deux sexes et autres.
L’humilité de la profession déconcerta singulièrement André. Il avait compté sur une découverte plus brillante, plus significative surtout.
N’importe, il résolut d’attendre Verminet, et pour se donner une contenance, il traversa la rue, et sans perdre de vue la porte du placeur, il parut s’absorber dans la contemplation de trois ouvriers mécaniciens qui posaient des volets à glissement aux boutiques d’une maison neuve.
Heureusement la faction d’André dura peu.
Il n’y avait guère qu’un quart d’heure qu’il faisait le guet, lorsque dans la cour de la maison du placeur il vit paraître Verminet.
Deux hommes l’accompagnaient. L’un, grand, maigre, portant des lunettes de couleur ; l’autre, gras, fleuri, souriant, qui avait la tournure et les façons de la meilleure compagnie.
Bientôt, ils s’avancèrent jusqu’à la rue, et debout sur le bord du trottoir ils continuaient de s’entretenir avec une certaine animation.
Certes, André eût donné la moitié des vingt mille francs qu’il avait en poche pour entendre quelque chose de leur conversation, et il manœuvrait pour se rapprocher, quand non loin de lui éclatèrent deux coups de sifflet si violents qu’ils dominèrent le bruit de la circulation.
Ces coups de sifflet étaient si bizarrement modulés, qu’ils frappèrent André. Et il ne fut pas le seul à être frappé. Il vit fort distinctement le grand monsieur à lunettes qui parlait à Verminet, tressaillir et regarder vivement autour de lui.
Mais le jeune peintre n’attacha aucune importance à cette particularité, et il avançait toujours, dissimulé par un flot de passants, quand les trois interlocuteurs brusquement se séparèrent.
L’homme aux lunettes entra dans la maison ; Verminet et l’homme aux manières distinguées s’éloignèrent dans la direction des halles.
André eut dix secondes d’hésitation. Que faire ? Devait-il tâcher de savoir qui étaient ces deux inconnus ?… Il apercevait sous la porte du placeur un marchand de marrons qui pourrait peut-être lui donner des renseignements.
– Non, se dit-il, ce marchand sera toujours là, tandis que je ne saurais où rejoindre Verminet et son compagnon.
Il s’élança donc sur leurs traces.
Ils ne le conduisirent pas loin. Ils traversèrent l’obscur passage de la Reine-de-Hongrie, tournèrent à droite dans la rue Montmartre et entèrent dans une maison de belle apparence.
Mais comment savoir qui ils allaient visiter ?… Le plus naïf fileur n’eût pas été embarrassé, André l’était extrêmement lorsque, s’étant approché, il distingua au fond du vestibule, sur une plaque de marbre, ces mots : Bureaux au premier.
– Eh !… pensa-t-il, c’est ici que demeure le banquier… Martin-Rigal.
Il entra à son tour, questionna la concierge : il ne s’était pas trompé.
– Décidément, se dit-il, j’ai de la chance, et si mon petit marchand peut m’apprendre qui sont ces deux inconnus, j’aurai fait une bonne campagne. Pourvu qu’il ne soit pas parti…
Non seulement il ne s’était pas éloigné, mais il y avait deux marchands pour un, près du réchaud, deux jeunes drôles en blouse, la casquette sur l’oreille, qui discutaient avec tant d’animation, qu’ils ne remarquèrent pas André quand il vint se placer tout près d’eux.
Ces messieurs débattaient un marché.
– C’est assez me lanterner comme cela, disait l’un. J’ai dit mon dernier mot à ton père. Vous voulez ma place et mon réchaud… c’est deux cent cinquante francs.
– Le vieux ne donnera pas plus de deux cents francs.
– Alors, il peut se fouiller !… deux cents francs, une place de cent sous par jour !… il n’est pas chien ! Et j’ai fait des journées de plus de dix francs, foi de Toto-Chupin.
Toto-Chupin !… le nom plut à André, et c’est à celui qui le portait qu’il s’adressa.
– Mon ami, lui demanda-t-il, vous étiez là, tout à l’heure ; avez-vous vu descendre de cette maison, et causer un instant sur la porte trois messieurs ?…
Le jeune drôle commença par toiser de l’air le plus insolent ce questionneur qui osait l’interrompre, puis, d’un ton brutal :
– Qu’est-ce que cela peut vous faire, à vous ? dit-il… Passez donc votre chemin.
André n’avait pas étudié les gens de bourse, mais il avait observé et d’un peu plus près qu’il n’eût voulu, jadis, cette engeance parisienne dont Toto-Chupin était un agréable spécimen ; il en connaissait la langue et les mœurs…
– Réponds toujours, insista-t-il, ça ne t’écorchera pas la bouche.
– Eh bien !… oui, je les ai vus…, après !…
– Après ?… il y a que je voudrais bien savoir leurs noms, les connaitrais-tu par hasard ?…
Toto-Chupin avait soulevé sa casquette pour se gratter la tête, ce qui est sa façon de stimuler son intelligence, et tout en ébouriffant ses vilains cheveux jaunâtres il guignait André, l’examinant curieusement, le soupesant, pour ainsi dire, l’évaluant…
– Et si je les connaissais, ces hommes, répondit-il enfin, si je vous disais leurs noms !… Que me donneriez-vous ?
– Dix sous.
Le mauvais drôle gonfla tant qu’il put une de ses joues, et appliqua dessus un bruyant coup de poing, ce qui est l’expression superlative de son ironie et de son dédain.
– Prenez garde de casser vos bretelles ! s’écria-t-il, avec un inexprimable accent. Dix sous !… Oh ! là ! là !… Voulez-vous que je vous les prête ?
André haussa tranquillement les épaules.
– Pensais-tu donc, fit-il, que j’allais t’offrir vingt mille livres de rentes ?…
À sa grande surprise, Toto éclata de rire.
– Gagné !… dit-il. J’avais parié avec moi que vous n’étiez pas un cocodès, j’ai gagné !… Je me dois un canon…
– Et à quoi reconnais-tu cela ?…
– Tiens !… Un cocodès m’aurait offert cent sous ; j’aurais demandé vingt francs, il en aurait aboulé dix, autant de francs que vous de sous.
Le peintre ne put dissimuler un sourire.
– Tandis que vous, poursuivit Toto, on ne vous fait pas voir le tour…
Il s’interrompit, et la contraction de ses lèvres et de son front trahissait l’effort de sa pensée.
Maître Toto-Chupin était fort perplexe. Ces noms, il les savait ; devait-il les dire ? Son flair exercé reconnaissait un ennemi. Ce n’est point aux marchands de marrons que les gens bien intentionnés s’adressent pour obtenir des renseignements. Parler, c’était, selon toute probabilité, causer quelque préjudice à B. Mascarot ou aux siens, à Beaumarchef ou au doux Tantaine.
C’est là ce qui décida Chupin.
– Bast !… fit-il, je vais vous les dire ces noms !… Gardez vos dix sous… Je vous les dirai à l’œil, parce que vous me plaisez, foi de Toto. Le grand sec, c’est le patron, le papa Mascarot, quoi !… L’autre, le gros père, c’est son ami, le docteur Hortebize. Quant au troisième… attendez donc que je cherche…
– Oh !… celui-là, je le connais, il s’appelle Verminet.
– Vous y êtes !…
André était tellement enchanté de Chupin, qu’il tira de sa poche et jeta sur le couvercle du fourneau une pièce de cinq francs, en disant :
– Tiens !… voilà pour ta peine.
C’est avec une grimace et un geste de singe que le garnement ramassa la pièce.
Il allait ajouter quelque plaisanterie, quand après un coup d’œil jeté dans la rue, tout à coup sa physionomie prit une expression sérieuse et même inquiète, et il arrêta sur le jeune peintre un regard singulier.
– Qu’y a-t-il ? demanda André, qui surprit ce regard.
– Rien, répondit Toto, oh !… rien du tout. Seulement, tenez, vous avez l’air bon enfant, vous, et pas fier… Eh bien !… moi, à votre place, je me méfierais.
– Dame !… je ne sais pas, moi !… C’est une idée que j’ai, comme cela, qu’on voudrait vous faire chanter… Mais en voilà assez, pas vrai !…
Il tourna le dos, sur ces derniers mots prononcés d’un ton rogue, et reprit avec son acheteur la discussion du marché.
Le jeune peintre avait grand peine à cacher son profond ébahissement.
Il comprenait bien que cet affreux drôle devait savoir quantité de choses qui lui seraient prodigieusement utiles, mais il comprenait aussi que pour le moment il était résolu à se taire, et que ce serait folie que d’essayer seulement de lui tirer un mot.
Il pensa que mieux valait en rester là pour le moment et revenir le lendemain. N’était-il pas certain de toujours retrouver le jeune drôle, alors même qu’il faudrait le faire rechercher par son successeur ?
D’ailleurs, l’heure de son rendez-vous avec M. de Breulh approchait.
– Au revoir, Toto-Chupin, dit-il, à une autre fois.
Un fiacre vide passait, André y monta, ordonnant au cocher de le conduire au rond point des Champs-Élysées.
S’il ne donnait pas l’adresse du café où il devait se rencontrer avec M. de Breulh-Faverlay, c’est que, selon le conseil de Toto, il se défiait. Oui, il se défiait extrêmement.
Il se souvenait de ces deux coups de sifflet singuliers qui avaient fait tressaillir Mascarot et décidé la rupture de la conférence… Il se rappelait que c’était après un coup d’œil dans la rue que Toto-Chupin, devenu subitement soucieux, l’avait engagé à se défier.
– Morbleu ! s’écria-t-il, soudainement illuminé par le souvenir d’une histoire qu’il avait entendue conter autrefois, je comprends : on me suit…
La secousse qu’il ressentait de cette découverte si extraordinaire était trop violente pour qu’il songeât, sur le moment, à en tirer les déductions logiques et les dernières conséquences.
– Je chercherai plus tard, se dit-il, et je trouverai. L’important, pour le moment, est de dérouter les poursuites.
Il abaissa une des glaces du devant de la voiture, et tira le cocher par son manteau pour appeler son attention.
Quand cet homme se fut retourné et penché vers lui :
– Écoutez-moi attentivement, lui dit-il, et sans arrêter.
– D’abord, je vais vous payer votre course cinq francs, et d’avance. Les voici, prenez-les, ce sera autant de fait.
– Mais, bourgeois…
– Maintenant, mon brave, au lieu de remonter les Champs-Élysées, ce qui est le chemin pour me conduire où je vous ai dit, vous allez me faire le plaisir de prendre par la rue Royale et le faubourg Saint-Honoré. Vous marcherez le plus vite possible jusqu’à la rue de Matignon, dans laquelle vous tournerez… seulement, en tournant cette rue, retenez vos chevaux pendant une demi-minute, vous repartirez ensuite à fond de train… Et une fois aux Champs-Élysées, vous irez où vous voudrez, je ne serai plus dans la voiture.
Le cocher eut un petit sifflement qui voulait être malicieux.
– Connu !… fit-il. Vous êtes « filé » et vous voulez faire perdre votre piste.
– Il y a quelque chose comme cela.
– Alors, bourgeois, attention au commandement : ne sautez qu’après le tournant, parce que je tournerai court. Et surtout, ne sautez pas du côté du trottoir… La chaussée est moins dangereuse, si on manque son coup.
Ce cocher intelligent, était adroit aussi.
Arrivé à la rue de Matignon, il prit si bien ses mesures qu’André put sauter sans se faire le moindre mal et eut le temps de se précipiter dans l’allée obscure d’une maison, avant que personne eût tourné la rue.
Comme cela, pensait-il, je vais bien voir si je suis « filé », et par qui.
Mais c’est vainement que le jeune peintre, embusqué derrière la porte de l’allée, l’œil et l’oreille au guet, attendit.
Après cinq minutes qui lui semblèrent éternelles, rien encore n’avait paru, ni voiture, ni piéton, justifiant ses présomptions.
Me serais-je effrayé à tort ? pensait-il. Non, ce n’est pas supposable, le hasard n’a pas de telles coïncidences.
La nuit venait, plus d’un quart d’heure s’était écoulé, André se décida, non sans un violent dépit, à abandonner son poste pour rejoindre M. de Breulh.
Car avec toutes ces idées, pensait-il, je suis sûr que je me fais attendre.
Il avait, en cela, grandement raison.
En approchant de ce petit café des Champs-Élysées, choisi pour les rendez-vous, il reconnut, stationnant le long de la contre-allée, le coupé de M. de Breulh-Faverlay, et un peu plus loin le gentilhomme qui faisait les cent pas en fumant un cigare.
Au même moment, M. de Breulh, de son côté, l’aperçut.
– Arrivez donc, paresseux ! lui cria-t-il en s’avançant rapidement, la main tendue. Savez-vous que voici vingt bonnes minutes que vous me condamnez au pied de grue.
Le jeune peintre voulut s’excuser, mais le gentilhomme l’arrêta.
– Parbleu !… fit-il du ton le plus amical, je devine bien qu’il a fallu pour vous retenir quelque motif très grave. Seulement, vous l’avouerai-je, mon cher ami, je commençais à n’être plus fort rassuré.
– Vous étiez inquiet, monsieur ?
– Pour vous…, oui. Rappelez-vous donc mes recommandations de l’autre soir. M. Henri de Croisenois est un insigne gredin…
André se taisait, M. de Breulh lui prit familièrement le bras.
– Promenons-nous, fit-il, cela vaut mieux que d’aller nous attabler dans le café.
– Je veux vous dire, poursuivit le gentilhomme, que je crois ce misérable marquis capable de tout… Ah ! vous aviez deviné du premier coup. On lui voit en perspective un héritage très considérable, celui de son frère Georges, il en parle sans cesse… Ce n’est qu’un leurre à créanciers. Il y a longtemps qu’il en a mangé le fonds et le tréfonds, de cet héritage… Un homme ainsi acculé est terriblement dangereux !…
– Ah !… je ne le crains pas.
– Mais moi je craignais pour vous, ami André… Ce qui me rassurait pourtant, c’est que le misérable ne vous connaît pas.
Le jeune peintre hocha la tête.
– Non seulement le misérable me connaît, répondit-il, mais il doit soupçonner mes desseins.
M. de Breulh, sur ces mots, s’arrêta court.
– Impossible !… fit-il.
– Cependant, aujourd’hui, toute la journée, j’ai été suivi. Je n’en ai pas la preuve matérielle, mais j’en mettrais la main au feu… Jugez-en.
Et sans attendre une réponse, André raconta brièvement, mais de la façon la plus claire, tous les incidents de sa journée.
Lorsqu’il eut terminé :
– Vous avez raison, approuva M. de Breulh d’une voix grave, vous êtes sur la piste des ignobles scélérats qui prétendent exploiter le comte et la comtesse de Mussidan, mais ils le savent et leurs précautions sont prises. Oui, vous avez été suivi, n’en doutez pas, et désormais vous ne ferez plus un pas sans être environné d’espions. À cette heure même, je suis sûr qu’il y a ici près, une paire d’yeux qui nous observent…
Il regardait autour de lui, en parlant ainsi ; mais il faisait déjà sombre, il ne vit rien.
– Pour ce soir, du moins, reprit-il, riant tout bas de l’idée qui lui venait, nous fausserons compagnie à vos observateurs, et, si nous dînons ensemble, ils ne sauront certes pas où… Venez vite…
Sur le siège du coupé, le cocher dormait. M. de Breulh l’éveilla et lui donna ses ordres à voix basse.
– Vous allez voir, dit-il ensuite à son compagnon, en prenant place près de lui dans la voiture.
À la foudroyante rapidité du cheval, lancé dans la direction de l’avenue de l’Impératrice, André ne pouvait pas ne pas comprendre.
– Que pensez-vous de l’expédient ? disait gaiement M. de Breulh. Nous allons nous promener de ce train pendant une heure, et nous reviendrons par l’avenue de Saint-Ouen et la rue de Clichy. Au coin de la chaussée d’Antin on nous arrête, nous descendons lestement et nous sommes libres… Ceux qui nous suivraient auraient de bonnes jambes.
Tout se passa bien ainsi. Seulement, au moment où M. de Breulh sautait rapidement à terre, il vit comme une ombre se détacher de la caisse de la voiture, s’enfuir et se perdre dans la foule du boulevard.
– Morbleu !… il y avait un homme là ! s’écria-t-il. J’ai cru dépister l’espion, je l’ai simplement promené.
Et aussitôt, voulant en avoir le cœur net, il retira ses gants et alla palper successivement l’essieu et les ressorts du coupé.
– Plus de doute, dit-il à André ; touchez, le fer est encore chaud ; le gredin avait les jambes passées ici, et se tenait là.
Le jeune peintre ne répondit pas, mais sa déconvenue de tantôt lui fut expliquée. Pendant qu’il se précipitait dans l’allée, l’homme qui le suivait était emporté par le fiacre.
Cette aventure attrista le dîner, et dès dix heures André demanda la permission de se retirer. Il était écrasé de fatigue.