Ernest Capendu
Marcof-le-malouin
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DEUXIÈME PARTIE. L’ABBAYE DE PLOGASTEL.

I L’ABBAYE DE PLOGASTEL

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DEUXIÈME PARTIE.

L’ABBAYE DE PLOGASTEL.

I

L’ABBAYE DE PLOGASTEL

L’abbaye de Plogastel, située à quelques lieues des côtes, dans la partie sud-ouest du département du Finistère, était depuis longtemps le siége d’une communauté religieuse, ouverte aux jeunes filles nobles de la province. Les pauvres nonnes, peu soucieuses des affaires du dehors, vivaient en paix dans leurs étroites cellules, lorsque l’Assemblée constituante d’abord, et l’Assemblée législative ensuite, jugèrent à propos de désorganiser les couvents et d’exiger surtout ce fameux serment à la constitution, qui devait faire tant de mal dans ses effets, et qui était si peu utile dans sa cause. L’abbesse du couvent de Plogastel refusa fort nettement de reconnaître d’autre souveraineté que celle du roi, et ne voulut, en aucune sorte, se soumettre à celle de la nation. Comme on le pense, cet état de rébellion ouverte ne pouvait durer. Les autorités du département délibérèrent, décrétèrent et ordonnèrent. En conséquence de ces délibérations, décrets et ordonnances, les nonnes furent expulsées de l’abbaye, le couvent fermé, et la propriété du clergé mise en vente. Aucun acquéreur ne se présenta. L’abbaye resta donc déserte. Le comte de Fougueray, en apprenant par hasard tous ces détails, résolut d’aller visiter l’abbaye de Plogastel. L’ayant trouvée fort à son goût et lui présentant tous les avantages de la retraite isolée qu’il cherchait, il se rendit chez le maire, fit valoir les lettres de ses amis de Paris, et toutes étant de chauds patriotes, il obtint facilement l’autorisation d’habiter temporairement le couvent désert. D’anciens souterrains, conduisant dans la campagne, offraient des moyens de fuite inconnus aux paysans eux-mêmes. Le comte choisit l’aile du bâtiment qu’habitait jadis l’abbesse et qui était encore fort bien décorée. En quelques heures il eut tout fait préparer, et ainsi que nous l’avons vu, il s’y était installé pendant l’absence du chevalier.

 

En arrivant dans la cour, les deux hommes mirent pied à terre. Le chevalier enleva Yvonne qui criait et se débattait, et l’emporta dans l’intérieur du couvent, tandis que Jasmin prenait soin des chevaux. Le comte jeta autour de lui un coup d’œil satisfait et suivit son compagnon.

 

– Corpo di Bacco ! dit-il tout à coup en patois napolitain et avec un accent de mauvaise humeur très-marqué. Au diable les amoureux et leurs donzelles !… Celle-ci me fend les oreilles avec ses criailleries. Sang du Christ ! pourquoi lui as-tu enlevé son bâillon ?

 

– Elle étouffait, répondit le chevalier.

 

– À d’autres ! Tu donnes dans toutes ces simagrées ? Voyons, tourne à droite, maintenant ; là, nous voici dans l’ancienne cellule de l’abbesse. Il y a de bons verrous extérieurs, tu peux déposer la Bretonne ici.

 

Le chevalier assit Yvonne sur un magnifique fauteuil brodé au petit point. Mais la jeune fille, s’échappant de ses bras et poussant des cris inarticulés, se précipita vers la porte. Le comte la retint par le poignet.

 

– Holà ! ma mignonnedit-il, on ne nous quitte pas ainsi ! C’est que, par ma foi ! elle est charmante cette tourterelle effarouchée, continua-t-il en regardant attentivement la pauvre enfant.

 

– Que faire pour la calmer ? demanda le chevalier.

 

– Rien, mon cher ; une déclaration d’amour ne serait pas de mise. La fenêtre est grillée, sortons et enfermons-la ! nous reviendrons, ou, pour mieux dire, tu reviendras plus tard. D’ici là, nous consulterons Hermosa, et tu sais qu’elle est femme de bon conseil.

 

– Soit, répondit le chevalier ; maintenant que la petite est ici, je ne crains plus qu’elle m’échappe, et j’ai, pour la revoir, tout le temps nécessaire. D’ailleurs, j’aime autant éviter les larmes.

 

– Ah ! tu es un homme sensible, toi, Raphaël ! Les pleurs d’une jolie femme t’ont toujours attendritémoin notre dernière aventure dans les gorges de Tarente. Vois, pourtant, si je t’avais écouté et que nous eussions épargné cette petite Française, où en serions-nous aujourdhui ? Tu porterais encore la veste déguenillée du lazzarone Raphaël, et peut-être même, ajouta-t-il en baissant la voix, bien qu’il parlât toujours italien, et peut-être même ramerions-nous à bord de quelque tartane de Sa Majesté le roi de Naples.

 

Le chevalier frissonna involontairement en entendant ces paroles si étranges ; puis jetant un coup d’œil sur Yvonne qui était agenouillée et priait avec ferveur :

 

– Viens ! dit-il.

 

Les deux hommes sortirent et poussèrent les verrous extérieurs. Ils traversèrent un long corridor et pénétrèrent dans une sorte d’antichambre ornée de torchères d’argent massif. Trois portes différentes s’ouvraient sur cette pièce. Le comte souleva familièrement une portière en s’effaçant pour livrer passage au chevalier.

 

– Entre, mio caro ! fit-il railleusement. Hermosa se plaint de ne pas t’avoir vu depuis vingt-quatre heures !

 

La nouvelle pièce sur le seuil de laquelle se trouvaient Diégo et Raphaël (car désormais nous ne leur donnerons plus que ces noms qui sont véritablement les leurs), cette nouvelle pièce, disons-nous, servait évidemment d’oratoire à l’abbesse de Plogastel. Elle avait encore conservé une partie de ses somptuosités. Une tenture en soie de couleur violette, toute parsemée d’étoiles d’argent, tapissait les murailles. Des vitraux admirablement peints ornaient les fenêtres ogivales. Deux tableaux de sainteté, chefs-dœuvre des grands maîtres italiens, étaient appendus aux murs.

 

On comprenait, en voyant toutes ces choses, que les religieuses, ne pouvant croire à une expulsion violente, n’avaient pris aucune précaution, et que les gendarmes les avaient surprises et arrachées au luxe des cloîtres (si luxueux alors), sans qu’elles eussent le temps de sauver les débris. Les bandes noires n’étaient pas alors suffisamment organisées, de sorte que les richesses laissées sans gardiens avaient cependant été respectées.

 

Dans le fond de la pièce, étendue mollement dans une vaste bergère, on apercevait une femme qui, vue à distance, produisait cette impression que cause la souveraine beauté. En se rapprochant même, on voyait que cette femme, quoiqu’elle eût depuis longtemps dépassé les limites de la première jeunesse, pouvait soutenir encore un examen attentif. De magnifiques cheveux noirs, que la poudre n’avait jamais touchés en dépit de la mode. Un nez romain, d’une finesse et d’un dessin irréprochables. Une bouche mignonne, aux lèvres rouges. Des yeux de Sicilienne, surmontés de sourcils mauresques. Le teint était brun et mat comme celui des femmes du Midi, qui ne craignent pas de braver les rayons de flamme de leur soleil.

 

Mais, en examinant avec plus d’attention, on apercevait aux tempes quelques rides habilement dissimulées. Les plis de la bouche étaient un peu fanés. Les contours du visage avaient perdu de leur fraîcheur et s’étaient arrêtés. Néanmoins, si l’on veut bien joindre à l’ensemble, un cou remarquable de forme, une taille bien prise, une poitrine fort belle, une main d’enfant et un pied patricien, on conviendra que, telle qu’elle était encore, cette femme pouvait passer pour une créature fort séduisante. Seulement, on demeurait émerveillé en songeant à ce qu’elle avait être à vingt ans.

 

Au moment où les deux hommes pénétraient dans l’oratoire, Hermosa avait auprès d’elle un jeune garçon de dix à onze ans, blond et rose comme une fille, et qui semblait fort gravement occupé à tirer les longues oreilles d’un magnifique épagneul couché aux pieds de la dame. De temps en temps le chien poussait un petit cri de douleur et secouait sa tête intelligente, puis il se prêtait de bonne grâce à la continuation de ce jeu qui devait souverainement lui déplaire, mais qui charmait l’enfant.

 

– Tableau de famille ! s’écria le comte. D’honneur ! je sentirais mes yeux humides de larmes si j’avais l’estomac moins affamé !

 

– Fi ! Diégo, répondit Hermosa en se levant ; vous parlez comme un paysan !

 

– C’est que je me sens un véritable appétit de manant, chère amie.

 

– On va servir, répondit Hermosa.

 

Puis, se tournant vers le chevalier :

 

– Bonjour, Raphaël, dit-elle en lui tendant la main.

 

– Bonjour, petite sœur.

 

– Que m’a-t-on dit ? que vous étiez en expédition amoureuse ?

 

– Par ma foi ! on ne vous a pas menti.

 

– Et vous avez réussi ?

 

– Comme toujours.

 

– Fat !

 

– Corbleu ! interrompit le comte avec impatience, vous vous ferez vos confidences plus tard. Pour Dieu ! mettons-nous à table !…

 

– Cher Diégo, répondit Hermosa en souriant, depuis que vous avoisinez la cinquantaine, vous devenez d’un matérialisme dont rien n’approche ! Cela est véritablement désolant.

 

– Il est bien convenu que depuis que je n’ai plus trente ans et que je possède une taille largement arrondie, j’ai hérité de tous les défauts qui vous sont le plus antipathiques. Je l’admets ; mais, corps du Christ ! si je consens à être affublé de tous ces vices que vous me donnez si généreusement, je veux au moins en avoir les bénéfices ! Encore une fois, je meurs de faim !

 

– Et vous, chevalier ? demanda Hermosa.

 

– Lui ! interrompit le comte, il est trop amoureux pour être assujetti aux besoins de l’estomac.

 

– Et vous ne l’êtes pas, vous ?

 

– Quoi ?

 

– Amoureux !

 

– Amoureux ? Ce serait joli, à mon âge.

 

Hermosa haussa les épaules et sortit. Cinq minutes après, Jasmin dressait un couvert dans un angle de la pièce, et après avoir encombré la table de mets abondants, il se disposa à servir ses maîtres.

 

– Maintenant, dit Hermosa, pendant que Diégo entre en conversation réglée avec ce pâté de perdrix, racontez-moi, chevalier, votre expédition de cette nuit.

 

– Avec d’autant plus de plaisir, chère sœur, que j’ai grand besoin de votre aide et de vos conseils, répondit Raphaël.

 

– Vraiment ?

 

– Oui ; la jeune fille se révolte.

 

– Bah ! Ces cris que j’ai entendus étaient donc les siens ?

 

– Précisément.

 

– Eh bien ! il faut avant tout commencer par la calmer, Cette petite doit être nerveuse

 

– J’y pensais, fit le comte sans perdre une bouchée.

 

– Mangez, cher, et laissez-nous causer, dit Hermosa.

 

*

* *

 

Dès que Diégo et Raphaël eurent quitté la cellule dans laquelle ils avaient conduit Yvonne, la jeune fille se redressa vivement. Ses yeux rougis se séchèrent. Une résolution soudaine et hardie se refléta sur son joli visage. Elle fit lentement le tour de la pièce. Elle s’assura d’abord que la porte était verrouillée au dehors ; puis elle alla droit à la fenêtre et essaya de l’ouvrir ; mais elle ne put en venir à bout. Cette fenêtre était grillée.

 

– Où m’ont-ils conduite ? Que me veulent-ils ? murmura la pauvre enfant en demeurant immobile, le front appuyé sur la vitre. Qu’est-il arrivé à Fouesnan depuis mon absence ? Que doit penser mon pauvre père ? Et ces deux hommes que j’ai cru voir sur la route des Pierres-Noires !… Il m’a semblé reconnaître Jahoua et Keinec. Mon Dieu ! mon Dieu !… que s’est-il passé ?

 

Et le désespoir s’emparant de nouveau de son cœur, Yvonne éclata en sanglots.

 

– Oh ! reprit-elle au bout de quelques instants, si je ne m’étais pas évanouie, j’aurais pu voir ; je saurais où ils m’ont amenée ! Où suis-je, Seigneur ? où suis-je ?

 

Puis à ces crises successives qui, depuis plusieurs heures, brisaient l’organisation délicate de la pauvre enfant, succéda une prostration complète. À demi ployée sur elle-même, Yvonne demeura accroupie sur le fauteuil, sans pensée et sans vue. Des visions fantastiques, forgées par son imagination en délire, dansaient autour d’elle et lui faisaient oublier sa situation présente. Le sang montait avec violence au cerveau. Les artères de ses tempes battaient à se rompre. Son visage s’empourprait. Ses yeux s’injectaient de sang. Enfin ses extrémités se glacèrent, et elle se laissa glisser sans force et sans mouvement sur le sol. Puis, par une réaction subite, le sang reflua tout à coup vers le cœur. Alors une crise de nerfs, crise épouvantable, s’empara de son corps brisé. Elle roula sur les dalles de la cellule, se meurtrissant les bras, frappant sa tête contre les meubles, et poussant des cris déchirants. La porte s’ouvrit, et Hermosa entra suivie du chevalier. Ils s’empressèrent de relever Yvonne.

 

– Faites dresser un lit dans cette pièce, dit Hermosa à Raphaël qui s’empressa de faire exécuter l’ordre par Jasmin.

 

Dès que le lit fut prêt, Hermosa, demeurée seule avec la jeune fille, la déshabilla complètement et la coucha. Yvonne était plus calme ; mais une fièvre ardente et un délire affreux s’étaient emparés d’elle. Hermosa envoya chercher le comte.

 

– Vous êtes un peu médecin, Diégo, lui dit-elle dès qu’il parut. Voyez donc ce qu’a cette enfant, et ce que nous devons faire…

 

Le comte s’approcha du lit, prit le bras de la malade, et après avoir réfléchi quelques minutes :

 

– Raphaël a fait une sottise qui ne lui profitera guère, répondit-il froidement.

 

– Pourquoi ?

 

– Parce que la petite est atteinte d’une fièvre cérébrale, que nous n’avons aucun médicament ici pour la soigner, et qu’avant quarante-huit heures elle sera morte.

 

– Yvonne sera morte ? s’écria Raphaël qui venait d’entrer.

 

– Tu as entendu ? Eh bien, j’ai dit la vérité !

 

– Et ne peux-tu rien, Diégo ?

 

– Je vais la saigner ; mais mon opinion est arrêtée : mauvaise affaire, cher ami, mauvaise affaire ; c’est une centaine de louis que tu as jeté à la mer.

 

Et le comte, prenant une petite trousse de voyage qu’il portait toujours sur lui, en tira une lancette et ouvrit la veine de la jeune fille, qui ne parut pas avoir conscience de cette opération.

 

*

* *

 

Le comte de Fougueray, en venant habiter l’abbaye déserte de Plogastel, avait choisi pour corps-de-logis l’aile où étaient situés les appartements de l’ancienne abbesse. Ce couvent, l’un des plus considérables de la Bretagne, renfermait jadis plus de quatre cents religieuses. Simple chapelle aux premières années de la Bretagne chrétienne, il s’était peu à peu transformé en imposante abbaye. Aussi les divers bâtiments qui le composaient avaient-ils chacun le cachet d’une époque différente. Le style gothique surtout y dominait et découpait sur la façade du centre ses plus riches dessins et ses plus merveilleuses dentelles.

 

Placé jadis sous la protection toute spéciale des ducs de Bretagne, qui avaient vu plusieurs des filles de leur sang princier quitter le monde pour se retirer au fond de cette magnifique abbaye, le cloître, l’un des plus riches de la province, avait acquis une réputation méritée de sainteté et d’honneur. Comme dans les chapitres nobles de l’Allemagne, il fallait faire ses preuves pour voir les portes du couvent s’ouvrir devant la vierge qui désertait la famille pour se fiancer au Christ. Aussi est-il facile de se figurer l’élégance et le caractère solennel de ces bâtiments spacieux, aérés, adossés à un splendide jardin dont eût, à bon droit, été jaloux plus d’un parc seigneurial.

 

L’aile opposée à celle occupée par Diégo et les siens s’étendait vers le nord. Autrefois consacrée aux religieuses, elle ne contenait que des cellules étroites et sombres ; c’est ce qui l’avait fait dédaigner par le comte. Seulement, celui-ci ignorait qu’au-dessous des étages des cellules s’élevant sur le sol, existait un second étage souterrain d’autres cellules plus étroites encore, et naturellement plus sombres que les premières. Rien, extérieurement, ne pouvait indiquer l’existence de ces sortes de caves organisées en habitation. Il fallait faire jouer un ressort habilement caché dans la muraille, pour découvrir la porte donnant sur l’escalier qui y conduisait. Du côté des souterrains, souterrains que le comte avait entièrement parcourus, aucun indice ne laissait soupçonner ces cachettes impénétrables. Le couvent de Plogastel, construit au moyen-âge par des moines et des gentilshommes entrés en religion, offrait le type complet de ces établissements mystérieux, où la partie des bâtisses s’élevant au soleil n’était pas toujours la plus importante. Ainsi, passages secrets, impasses, souterrains, prisons, oubliettes, s’y trouvaient à profusion et semblaient défier la curiosité.

 

Dans cet étage de cellules construites sous le sol, dans l’une de ces pièces obscures et étroites qui reçoivent toute leur lumière d’un petit soupirail artistement dissimulé au dehors par des arabesques sculptées dans le mur, se trouvait une belle jeune femme de trente à trente-cinq ans, aux yeux bleus et doux, aux blonds cheveux à demi cachés par une coiffe blanche. Cette femme portait l’ancien costume des nonnes de l’abbaye : la robe de laine blanche, la coiffure de toile blanche et la ceinture violette. Sous ce vêtement d’une simplicité extrême, la religieuse était belle, de cette beauté que les peintres s’accordent à prêter aux anges.

 

Agenouillée devant sa modeste couche surmontée d’un Christ en ivoire, elle priait dévotement en tenant entre ses mains un chapelet surchargé de médailles d’or et d’argent. À peine terminait-elle ses oraisons, qu’un coup frappé discrètement à la petite porte la fit tressaillir.

 

– Entrez ! dit-elle en se relevant.

 

La porte s’ouvrit, et un homme de haute taille, enveloppé dans un ample manteau, entra doucement.

 

– Bonjour, mon ami, fit la religieuse en tendant à l’étranger une main sur laquelle celui-ci posa ses lèvres avec un mélange de respect profond et d’amour brûlant.

 

– Bonjour, chère Julie, répondit l’inconnu. Comment avez-vous passé la nuit ?

 

– Bien, je vous remercie ; et vous ?

 

– Parfaitement.

 

– Vous vous accoutumez un peu à cette existence étrange que vous vous êtes faite ?

 

– Je m’accoutumerai à tout pour avoir le bonheur de vous voir, vous le savez bien.

 

– Chut ! Philippe. N’oubliez pas l’habit que je porte !

 

– Hélas ! Julie, cet habit fait mon plus cruel remords !

 

– Ne parlez pas ainsi ! Dites-moi plutôt si vous avez eu soin de fermer la porte des souterrains.

 

– Sans doute. Pourquoi cette demande ?…

 

– C’est que depuis hier nous avons de nouveaux habitants dans l’abbaye.

 

– Qui donc ?

 

– Je l’ignore.

 

– Je le saurai, Julie.

 

– N’allez pas commettre d’imprudence, Philippe !…

 

– Oh ! ne craignez rien, ce n’est que la curiosité qui me pousse ; car ici nous sommes en sûreté, et nous pouvons braver tous les regards extérieurs.

 

– Où est Jocelyn ? demanda la religieuse après un court silence.

 

– Me voici, madame, répondit notre ancienne connaissance, le vieux serviteur du marquis de Loc-Ronan en paraissant sur le seuil de la cellule.

 

– Avez-vous apporté des provisions, mon ami ?

 

– Oui, madame la marquise.

 

– Dis : « Sœur Julie, » mon bon Jocelyn, interrompit l’inconnu. Madame ne veut plus être nommée autrement.

 

– Oui, monseigneur ! répondit Jocelyn.

 

L’étranger alors écarta son manteau et le jeta sur une chaise. Cet homme était le marquis de Loc-Ronan.

 


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