Ernest Capendu
Le Marquis de Loc-Ronan
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XVIII MAÎTRE NICOUD

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XVIII

MAÎTRE NICOUD

Lorsque, sur l’ordre de Brutus, maître Nicoud avait quitté son auberge, il s’était rapidement dirigé vers la demeure de Carrier afin d’accomplir la mission dont il était chargé. Il devait, lui avait dit le sans-culotte, prévenir le citoyen Fougueray que des amis l’attendaient au cabaret du quai de la Loire. Nicoud atteignit promptement Richebourg et trouva, devant la maison du proconsul, les sentinelles ordinaires qui l’empêchèrent de passer. Il demanda le chef du poste. Celui-ci le renvoya à Pinard, qui avait la haute main sur la garde de la maison de Carrier. Pinard était précisément dans la cour de la maison. Nicoud l’aborda et lui demanda la permission de parler au citoyen Fougueray.

 

– De quelle part viens-tu ? répondit le sans-culotte.

 

– De la part du citoyen Brutus.

 

– Où est-il, le citoyen Brutus ?

 

– Chez moi.

 

– À l’auberge du quai ?

 

– Oui, citoyen.

 

– Il est seul ?

 

– Oh ! non ; il est avec des amis.

 

– Lesquels ?

 

– Des membres de la compagnie d’abord, et puis trois autres que je ne connais pas.

 

– Qu’est-ce que c’est que ces trois-là ?

 

– Je n’en sais rien ; mais ils ont l’air de bons patriotes.

 

– Et tu dis qu’ils demandent le citoyen Fougueray ?

 

– C’est-à-dire que j’ai compris, en entendant un bout de leur conversation, que c’était l’un de ceux dont je vous parle, qui désirait voir le citoyen, et que Brutus, pour lui faire plaisir, m’avait ordonné de venir le chercher.

 

Pinard réfléchit quelques instants. On sait qu’il avait intérêt à connaître les démarches de Diégo. Aussi trouva-t-il dans cette affaire quelque chose de singulier et de mystérieux qu’il se promit d’éclaircir. À quel propos Brutus envoyait-il chercher le citoyen Fougueray ? Cette démarche cachait-elle quelque chose que Diégo ne voulait pas qu’il sût ? Or, si Diégo ne voulait pas qu’il sût, il était évident que lui, Pinard, avait intérêt à savoir. Donc, en vertu de ce syllogisme parfaitement logique, il pensa à éclaircir la situation.

 

– C’est bien ! répondit-il brusquement à Nicoud. Je préviendrai le citoyen Fougeray moi-même.

 

– Alors, je vais retourner dire à Brutus que sa commission est faite ?

 

– Non pas !… Tu vas entrer au poste et y attendre mon retour ; surtout, fais en sorte que je t’y retrouve, sinon je te fais chercher par mes hommes et je t’envoie au dépôt.

 

– Sois tranquille, citoyen Pinard, je ne bougerai pas ! répondit Nicoud. C’est là tout ce que tu as à m’ordonner ?

 

– Oui.

 

Quelques minutes après, Pinard, après avoir donné des ordres concernant le service de la nuit, se dirigeait seul vers les quais de la Loire, et maître Nicoud, obéissant avec un empressement digne d’éloges au séide du proconsul, s’incarcérait lui-même dans le poste des vrais sans-culottes.

 

– Je veux voir par moi-même, se disait Pinard, et si Fougueray avait eu l’intention de me jouer, il le payerait cher ! Je le ferais noyer demain soir. Mais non, continua-t-il après un silence pendant lequel il réfléchit profondément ; mais non, si Fougueray avait eu l’intention de me tromper, il est trop fin pour se servir de cet imbécile de Brutus. Cela ne peut être ! Ne serait-ce pas plutôt un piège tendu par d’autres au courant comme lui des affaires du marquis, et qui voudraient profiter des circonstances en détruisant notre combinaison ? Cela est plus probable, et si cela est, c’est à moi à veiller ! En voyant ceux qui accompagnent Brutus, je saurai bien reconnaître à qui nous avons affaire.

 

L’ancien berger de Penmarckh marchait rapidement malgré l’obscurité. Les rues étaient désertes, car onze heures du soir venaient de sonner, et les malheureux habitants de Nantes se renfermaient avec soin chez eux, priant le ciel que la nuit entière se passât sans recevoir la visite des sans-culottes de la compagnie Marat. Pinard atteignit le quai et suivit la rive du fleuve.

 

– Oh ! pensait-il, si Fougueray réussit, dans huit jours j’aurai quitté la France et je serai riche à mon tour. Mon but sera atteint ! Je remuerai de l’or et je commanderai en maître. Où irai-je ? Bah ! que m’importe. Je changerai encore de nom, et comme j’aurai la fortune, je serai bien reçu partout. Oui ! oui ! Fougueray réussira ! Quant à Yvonne, demain matin je l’enverrai au Bouffay, et le soir elle sera déportée verticalement ; cela lui apprendra à faire la bégueule avec un ami de Carrier ! Elle a eu de la chance que le temps m’ait manqué depuis quarante-huit heures pour m’occuper d’elle !

 

Pinard en était là de ses réflexions et de ses projets lorsqu’il s’arrêta court dans sa marche. Il lui semblait entendre un bruit de voix arriver jusqu’à lui. Il écouta attentivement. Des cris retentirent plus distinctement à son oreille ; ces cris partaient d’une maison située à quelque distance et complètement séparée des autres.

 

– C’est dans l’auberge de Nicoud, murmura-t-il ; que s’y passe-t-il donc ?

 

Alors il approcha avec précaution, mais en écoutant toujours. Bientôt le vacarme cessa et tout rentra dans le silence. Pinard arrivait au moment même où la lutte entre les chouans et les sans-culottes venait de se terminer.

 

La salle du cabaret dans laquelle s’était passée la scène sanglante était située au rez-de-chaussée de la maison. Trois larges fenêtres l’éclairaient sur une vaste cour dans laquelle stationnaient autrefois les équipages des grands seigneurs et des financiers que recevait Graslin, et que maître Nicoud avait transformée en une sorte de jardin à l’usage de ses clients qui trouvaient là, durant l’été, l’air et la fraîcheur sous une succession de berceaux verdoyants. Ces fenêtres percées à hauteur d’appui, étaient garnies de barreaux de fer que le cabaretier avait fait poser par mesure de précaution, la porte de la cour ayant été enlevée et l’accès en étant par conséquent toujours ouvert. À la gauche de ces trois fenêtres se trouvait la porte conduisant dans l’intérieur de l’habitation, porte étroite, basse, mystérieuse, comme il convenait à une petite maison ; cette porte ouvrait sur un premier vestibule, étroit également et communiquant lui-même avec la sallemaître Nicoud avait placé son comptoir. Cette salle, était l’ancien grand vestibule, en forme de rotonde, au pied de l’escalier conduisant aux étages supérieurs. La rampe de cet escalier avait été commandée par le fermier général à un artiste de l’époque, qui l’avait exécutée en cuivre ciselé recouvert ensuite d’une épaisse dorure. Nicoud avait gratté la dorure, fait fondre le cuivre et remplacé le tout par une rampe en bois de chêne soutenue par d’épais pilastres.

 

La maison était fort petite et n’avait qu’une pièce de profondeur, de sorte que la salle où se trouvaient Marcof et Boishardy était éclairée, non seulement sur l’ancienne cour, mais encore sur le jardin planté par Graslin d’arbres précieux, et, par son successeur, de légumes, plus utiles à la consommation qu’agréables à la vue. Trois autres fenêtres donc ouvraient sur le derrière de la maison. Comme un petit mur de clôture séparait la cour du jardin, Nicoud n’avait pas cru devoir prendre à l’égard de ces fenêtres les précautions qu’il avait prises pour les premières, et elles étaient vierges de la plus mince barre de fer.

 

Lorsque Brutus et ses compagnons étaient arrivés à l’auberge, l’heure était déjà avancée ; aussi maître Nicoud avait-il fermé déjà les contrevents des fenêtres ouvertes sur la façade, et aucun des survenants n’avait songé à les relever. Pinard, après s’être approché doucement, essaya donc, mais en vain de faire pénétrer son regard dans la salle. Un faible rayon de lumière glissant entre les contrevents, lui indiquait seul que la pièce était habitée, mais il ne pouvait distinguer ce qui se passait à l’intérieur. Il écouta de nouveau et n’entendit aucun bruit.

 

Alors il pensa à tourner la maison et à pénétrer dans le petit jardin situé au fond. Déjà il atteignait l’angle du mur lorsqu’un nouveau bruit le fit retourner subitement, Pinard s’accroupit dans l’ombre. L’infâme satellite de Carrier était brave et ne redoutait pas le danger. Il attendit tranquillement. La porte de la maison s’ouvrit, et un homme parut sur le seuil. Cet homme était Keinec, lequel allait accomplir l’ordre dont venait de le charger Marcof. Keinec referma la porte sur lui et prit sa course dans la direction du Bouffay. Il frôla Pinard sans le voir.

 

En ce moment la lune, se dégageant d’un nuage, resplendit subitement, et éclaira le jeune homme. Pinard porta vivement la main à ses lèvres pour étouffer un cri.

 

– Keinec ! murmura-t-il.

 

Mais Keinec était déjà loin. Le sans-culotte se redressa d’un bond.

 

– Qu’est-ce que cela veut dire ? pensa-t-il. Keinec dans la même maison que Brutus ! Oh ! il faut absolument que je sache la vérité. Keinec à Nantes ! Saurait-il donc que j’y suis moi-même, et qu’Yvonne

 

Pinard s’arrêta.

 

– Non, reprit-il vivement ; impossible ! Il n’aurait pas eu la patience d’attendre. Il ne sait rien. Mais que vient-il faire ?

 

Et le sans-culotte se prit de nouveau à réfléchir profondément. Tout à coup il se frappa le front.

 

– C’est cela ! dit-il en lui-même, Keinec est un chouan. Keinec fait partie de la bande de ce damné Boishardy ; s’il vient à Nantes c’est qu’il s’agit d’un complot royaliste ! Voyons maintenant ce qui se passe dans l’intérieur de l’auberge, et pourquoi Fougueray se trouve mêlé à tout ceci.

 

Sur ce, Pinard tourna la maison, et franchissant le petit mur de clôture dont nous avons parlé, il sauta dans le jardin converti en verger. Une fois dans ce verger, et assuré que tout était entièrement désert autour de lui, il se glissa le long du bâtiment, et gagna les fenêtres placées sur ce côté de la maison. Ces fenêtres, à la hauteur desquelles il atteignit facilement, car le terrain du jardin se trouvait plus élevé que celui de la cour, avaient leurs contrevents ouverts. Seulement, une épaisse couche de poussière qui faisait rideau, empêchait tout d’abord de distinguer nettement l’intérieur. Pinard s’approcha davantage.

 

Certain de ne pas être vu, il colla son visage aux carreaux inférieurs de l’une des croisées, et regarda attentivement. La première chose qu’il vit fut le cadavre de Brutus placé en pleine lumière, en face de ses regards qui tombaient d’aplomb sur le corps ensanglanté. Pinard reconnut aussitôt son compagnon ; mais ne manifesta aucune surprise.

 

Puis, près de ce cadavre, il distingua deux hommes assis ; l’un lui tournait le dos et masquait le visage de l’autre. Autour de ces hommes, et gisant sur le parquet maculé de sang on apercevait les corps inanimés des membres de la compagnie Marat. Pinard tressaillit en voyant ce massacre des siens ; mais il continua stoïquement à porter toute son attention sur ceux qui occupaient principalement ses regards.

 

Au bout de quelques minutes, l’homme qui lui dérobait les traits de son compagnon fit un mouvement brusque et se leva en se retournant. Le sans-culotte put alors entrevoir le visage des deux individus enfermés avec les cadavres.

 

Sans doute reconnut-il les deux hommes d’un seul coup d’œil, car il fit un pas en arrière si vivement que son pied glissa et qu’il tomba à la renverse. Se relevant comme poussé par un ressort, il traversa le verger, s’élança sur le mur, et se dirigea d’une course furieuse vers l’intérieur de la ville.

 

– Marcof et Boishardy à Nantes ! murmurait-il. Oh ! quelle prise ! Coûte que coûte, il faut m’en emparer ; si ces hommes voyaient demain luire le soleil, étant encore libres, Fougueray et moi serions perdus ! Plus de doute, ils savent tout ; mais ils n’auront pas le temps d’agir.

 

Pinard atteignit bientôt la place où se dressait la guillotine. De joyeuses clameurs, entremêlées de chansons, de jurons énergiques et de mots d’un cynisme éhonté retentissaient dans une maison voisine. Cette maison était le cabaret à l’enseigne du « Rasoir national, » cabaretKeinec avait conduit les chevaux. Pinard, connaissant cette auberge pour le lieu des réunions ordinaires des sans-culottes de la compagnie Marat, frappa rudement à la porte qui s’ouvrit presque aussitôt.

 

Pinard pénétra dans une salle fumeuse, mal éclairée par un quinquet en fer battu, et dont l’atmosphère nauséabonde soulevait le cœur de dégoût. L’ami de Carrier fut reçu avec des acclamations frénétiques. Une vingtaine d’hommes étaient là, les uns attablés et buvant, les autres debout et vociférant.

 

– Vive Pinard ! hurla la bande.

 

– Merci, mes Romains ! répondit le lieutenant de la compagnie Marat ; mais il n’est pas temps de boire et de chanter. Les aristocrates font des leurs. Brutus et vos amis ont été égorgés ce soir. Il faut les venger !

 

– Brutus a été égorgé ! s’écria un sans-culotte.

 

– Par qui ? demandèrent sept ou huit voix.

 

– Par des brigands de chouans qui ont pénétré dans la ville, et ont souillé par leur infâme présence la terre de la liberté.

 

– Les chouans sont à Nantes ! s’écria-t-on de toutes parts avec stupéfaction.

 

– Oui ! répondit Pinard.

 

– Sont-ils nombreux ?

 

– Où sont-ils ?

 

– Quand les as-tu vus ?

 

Et les questions, les interpellations se croisèrent dans un tumulte effroyable.

 

– Je les ai vus il n’y a pas une heure ! dit l’ami du proconsul en s’efforçant de dominer le bruit assourdissant qui se faisait dans la salle. Ils sont à l’auberge du quai de la Loire, chez Nicoud, et je ne crois pas qu’ils soient nombreux, car je n’en ai compté que trois ; mais peut-être les autres se cachaient-ils dans la maison.

 

– Et ce sont ceux-là qui ont assassiné Brutus et nos amis ?

 

– Je vous répète que mes yeux ont contemplé leurs cadavres ; les brigands causaient tranquillement assis auprès d’eux.

 

À cette nouvelle assurance, la colère et la rage des sans-culottes ne connurent plus de bornes.

 

– À mort les chouans ! s’écria-t-on.

 

– À la Loire les aristocrates !

 

– Vengeons nos frères !

 

– Mort aux aristocrates !

 

Et vingt autres exclamations menaçantes partirent de tous les coins de la salle. Les sans-culottes, entourant Pinard et se pressant autour de lui, sollicitaient de nouveaux détails en brandissant leurs sabres et leurs piques avec des gestes furibonds. La scène était tellement animée, qu’aucun des assistants ne remarqua que par l’entre-bâillement de la porte du fond venait d’entrer un nouveau venu qui, en apercevant Pinard, se recula vivement, et prêta une oreille attentive à tout ce qui allait se dire. Cet homme était Keinec.

 

Le chouan, après avoir bridé les chevaux, se disposait à gagner la rue, lorsque la voix de Pinard était arrivée jusqu’à lui. Keinec s’était d’abord arrêté comme s’il eût été cloué sur le sol par une force invincible ; puis il s’était rapproché, et, ainsi que nous venons de le dire, il s’était hasardé jusqu’à pénétrer dans la salle. En reconnaissant Carfor, qu’il entendait nommer Pinard, il comprit que le secret de sa présence et de celle de ses chefs dans la ville était connu du terrible ami du proconsul.

 

Keinec pouvait fuir sur-le-champ ; mais, avec cette indifférence du danger qui faisait le fond de son caractère, il voulut entendre jusqu’au bout l’espèce de conciliabule qui se formait. Seulement la prudence lui avait fait rouvrir la porte de la salle, et il écoutait en dehors tenant à la main les brides des chevaux, et prêt à fuir par la grande porte de derrière, la seule qui, donnant accès aux voitures et aux chevaux, demeurait ouverte toute la nuit. Pinard était monté sur une table et haranguait les patriotes. Pinard avait compris que, pour mieux entraîner les sans-culottes et s’en faire suivre, il lui fallait donner quelques explications. D’ailleurs les discours étaient à l’ordre du jour à cette époque : on en faisait partout et pour tout, à toute heure et à tous propos, et le lieutenant de Carrier eût risqué de se dépopulariser aux yeux de ses amis en manquant une si belle occasion de lancer une allocution patriotique. Puis, d’une part, le berger terroriste ignorait le nombre des chouans à attaquer ; il ne pouvait supposer, malgré la témérité des trois royalistes, qu’ils se fussent hasardés seuls et sans secours dans la ville, et il s’imaginait que la maison du quai de la Loire était remplie de soldats blancs. D’un autre côté, il connaissait la valeur passablement négative de ces valets de la guillotine qui l’entouraient, et qui, les premiers à l’assassinat et au pillage, avaient grand soin de ne pas quitter les murs de Nantes, dans l’enceinte desquels ils ne couraient aucun danger, laissant aller au feu de l’ennemi les vrais soldats de la République. Il s’agissait donc de chauffer à blanc le patriotisme des sans-culottes, et de faire passer dans leur cœur le désir de la vengeance et la ferme volonté d’exprimer ce désir autrement que par des cris et des vociférations. En conséquence, Pinard s’était élancé sur une table, et, dominant l’assemblée, avait commencé ce que l’on nommait une « carmagnole de Barrère » ; c’est-à-dire une improvisation fulminante, patriotique et splendidement colorée.

 

Sans prononcer les noms des deux chefs royalistes, car il voulait se réserver l’aubaine de les apprendre lui-même à Carrier et de toucher la prime promise par le proconsul, il fit, en style de circonstance, un tel tableau de la honte qui allait rejaillir sur la compagnie Marat tout entière, si elle ne vengeait pas son honneur outragé par la mort de sept de ses enfants, que les auditeurs, transportés de rage et de fureur, l’interrompirent par des rugissements d’indignation ; menaces de mort, promesses de tortures, serments de vengeance, de meurtre et de carnage, partaient de tous côtés en une seule et même explosion. Tous, d’un même mouvement, se précipitèrent sur leurs armes. En un clin d’œil les satellites de Carrier furent prêts à marcher, les uns armés de piques et de pistolets, les autres de sabres et de fusils de munition. Bref, il fut décidé sur l’heure qu’une expédition nocturne allait avoir lieu contre les brigands royalistes, sous le commandement du citoyen Pinard, qui se réservait ainsi non seulement le mérite de l’initiative, mais encore celui d’avoir mené à bonne fin une affaire aussi importante.

 

D’une part, Pinard allait satisfaire sa haine contre Marcof et Keinec ; de l’autre, il allait d’un seul coup s’élever au-dessus des Grandmaison et des Chaux, de ceux enfin qui contre-balançaient son influence auprès du proconsul. La capture des chefs royalistes le faisait le second dans Nantes. Aussi son œil fauve lançait-il des éclairs de joie féroce, et, voulant terminer par une péroraison digne de son brillant exorde :

 

– Sans-culottes ! s’écria-t-il, braves patriotes épurés, montrez une fois encore que vous êtes la force de la République et que vous seuls êtes la véritable barrière entre la nation et les gueux qui veulent la perdre ! À vous l’honneur de laver avec le sang des brigands la tache qu’ils ont osé faire au sol républicain en le foulant sous leurs pieds indignes ! À vous la gloire d’écraser ces serpents qui se sont glissés dans notre sein ! Sans-culottes ! la patrie est en danger ! Aux armes et vive la nation !

 

– Vive la nation ! hurla l’auditoire.

 

– En avant ! répondit Pinard qui comprit que l’exaltation avait atteint son apogée.

 

Ils sortirent en masse confuse du cabaret. Arrivés sur la place, Pinard les fit mettre en rangs et prit la tête en recommandant le plus grand silence. Les sans-culottes, y compris leur chef, étaient au nombre de vingt-quatre ; c’était juste huit hommes que chacun des royalistes allait avoir à combattre, en supposant que Keinec pût arriver à temps pour prêter à ses chefs le secours de son bras. La troupe prit le chemin qu’avaient parcouru Brutus et ses compagnons, et se dirigea en bon ordre vers le cabaret isolé.

 


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