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ÉPILOGUE MADEMOISELLE DE FOUGUERAY III LE MARIAGE | «» |
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À l’aube naissante du jour, Julie et Marie-Augustine vinrent frapper à la porte d’Yvonne. Les deux femmes voulaient parer de leurs mains la jeune fille. Chacune lui apportait un souvenir d’amitié et un témoignage d’affection : Yvonne souriante, la pauvre enfant avait séché ses larmes, Yvonne écoutait avec une respectueuse reconnaissance les douces paroles murmurées à son oreille.
Julie surtout, la sainte créature qui, mieux que personne, comprenait l’abnégation de soi-même, Julie, qui avait deviné depuis longtemps ce qui se passait dans le cœur de la jeune fille, lui prodiguait les mots les plus affectueux. À sept heures et demie Yvonne était prête.
Le mariage devait avoir lieu à huit. Yvonne voulut aller saluer le marquis. Les trois femmes croyaient Keinec et Marcof auprès de Philippe. Elles n’y trouvèrent que Jahoua qui, paré de ses plus beaux habits, devait servir de témoin à la jeune fille.
– Keinec n’est-il donc pas ici ? demanda Julie avec étonnement.
– Non, répondit Philippe ; il se prépare sans doute. Il aura passé la nuit à bord du Jean-Louis, et Marcof va nous le ramener.
– Nous allons sans doute voir les embarcations du lougre, ajouta Jahoua en s’approchant de la fenêtre qu’il ouvrit.
Le fermier poussa un cri étouffé. Puis il passa la main sur ses yeux et regarda encore.
– Qu’est-ce donc ? s’écria Julie effrayée en accourant près de lui.
– Le Jean-Louis n’est plus au mouillage !
– Impossible ! s’écria Philippe en s’élançant à son tour.
– Mon Dieu ! qu’est-ce que cela veut dire ? murmura Yvonne en pâlissant.
– La rade est nue ! fit le marquis avec stupeur.
En ce moment on ouvrit la porte du salon et un domestique entra.
– Que voulez-vous ? demanda Philippe en voyant le valet s’avancer vers lui.
– C’est une lettre, monseigneur, que le commandant m’a dit de vous remettre.
– Marcof ?
– Oui, monseigneur.
– Et quand vous a-t-il donné cette lettre ?
– Pourquoi ne pas me l’avoir remise plus tôt ?
– Parce que le commandant m’avait ordonné expressément de ne la remettre à monseigneur qu’au moment de la célébration du mariage, et huit heures viennent seulement de sonner.
Philippe prit la lettre, fit un signe, et le valet sortit.
Tous attendaient avec anxiété.
Le marquis brisa le cachet d’une main tremblante.
Puis sa physionomie si noble s’illumina ; et tendant le papier à Julie :
– Lisez, dit-il, je me sens trop ému.
Julie parcourut la lettre ; et faisant un doux geste de la main :
« Cher frère, lut-elle, au moment où tu recevras ces lignes, le Jean-Louis sera en plein détroit. Il met le cap sur la France. Keinec est à bord. Le brave gars a voulu jusqu’à la fin se sacrifier au bonheur de celle qu’il aime.
« Sa volonté expresse est qu’Yvonne épouse Jahoua ce matin même. Il l’ordonne au nom de son propre bonheur. Keinec a voulu se tuer cette nuit.
« Maintenant il est calme ; et ce calme vient de la certitude où il est que sa volonté sera accomplie. Je lui en ai engagé ma parole. Que Jahoua et Yvonne obéissent et ne l’oublient pas. Pour moi, mon frère, je vais où tu sais : servir mon pays, et combattre les ennemis de la France.
« À bientôt, si j’en crois mes pressentiments secrets. Soyez heureux tous ; et quand le vent mugira, quand la tempête grondera, priez quelquefois pour les marins. Au revoir, frère ; au revoir à tous ceux que j’aime.
« MARCOF. »
Julie s’arrêta. Des larmes étaient dans tous les yeux. Yvonne sanglotait et n’osait pas regarder Jahoua. Philippe s’avança lentement vers eux.
– Enfants, leur dit-il d’une voix grave ; enfants, vous avez entendu ? Vous n’avez pas le droit de refuser. Keinec l’ordonne… Le prêtre vous attend au pied des autels, venez ; et nous prierons le Seigneur pour qu’il envoie l’oubli à l’un, le bonheur aux autres, le calme et le repos à tous.
À neuf heures, les cloches de la chapelle sonnaient à toutes volées pendant la bénédiction nuptiale.
Yvonne et Jahoua, courbés religieusement devant l’autel, échangeaient leur foi en présence du marquis, de Julie, de mademoiselle de Fougueray et du vieux Jocelyn.
À l’instant où le prêtre officiant élevait, en s’agenouillant, le divin calice, un navire doublait la pointe de Tarifa et longeait les côtes du Maroc.
Ce navire naviguait sous le pavillon de la vieille monarchie française : c’était le lougre le Jean-Louis.
Deux hommes, à l’arrière, laissaient errer leurs regards sur l’azur de la mer.
– Keinec, disait l’un, jadis je t’avais proposé de devenir mon second ; aujourd’hui tu me le demandes, la moitié de ce que j’ai t’appartient. Tu as perdu ta fiancée, mais tu as retrouvé un père. Viens dans mes bras, enfant, et sois fort, car ton cœur est grand ! Le passé porte le voile des veuves, l’avenir celui des vierges. Derrière nous les souvenirs, devant nous l’immensité de l’espérance. La main de Dieu sait mettre un baume sur chaque blessure ! Espère et regarde en avant !
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