Paris,
le 16 janvier 1910.
Monsieur
le Directeur,
Permettez-moi
de rectifier une véritable injustice littéraire commise dans le Mercure du 16
décembre dernier. J’allais dire qu’une revue libre, cultivée, renseignée comme
la vôtre, aurait dû être la dernière à commettre une telle injustice, mais je
ne le dirai pas, car M. de Gérando en est seul responsable.
Dans
sa dernière lettre hongroise, M. de Gérando bafoue d’une manière intolérable le
jeune mouvement littéraire hongrois, auquel il associe mon nom.
Ce
n’est point parce qu’il me cite d’une manière élogieuse que je puis laisser
passer ses inexactitudes.
A
quelles instigations M. de Gérando a-t-il obéi? c’est ce que je ne chercherai
pas ici. Je tiens simplement à rétablir la vérité objective, indiscutable, de
notre mouvement:
La
revue Nyugat (Occident) est la première revue littéraire et critique de la
jeune Hongrie. Son but est de séparer nettement la littérature de la politique
et de la «politicaillerie» qui chez nous ont eu trop de tendance à se confondre
pour le plus grand malheur de la Poésie et des Lettres. Si on les avait laissés
faire, les politiciens auraient dénaturé tout mouvement d’art.
Quant
à la personnalité de M. de Gérando, à qui j e ne veux pas chercher une vaine
querelle, ce n’est un secret pour personne que son opinion est toujours le
reflet de la Budapesti Hírlap.
Je
veux continuer à croire que cette feuille péche par ignorance simplement en
nous représentant comme soumis à l’unfluence germanique alors que nous
cherchons à favoriser l’épanouissement et l’affirmation de tous les talents
libres, vrais et individuels, fussent-ils les plus disparates.
Nous
germanophiles! Nous le sommes si peu que je vis à Paris, et que pour ainsi dire
j’ai publié en Hongrie les premières traductions de Baudelaire, Verlaine, etc.
Et
M. de Hatvany, qu’accuse également M. de Gérando dans sa lettre hongroise?
Comme homme, il est généreux, comme écrivain, plein de talent, et sa pièce la
Vierge, quoi qu’elle soit au point de vue technique théâtral imparfaite, est
pleine de courage, de force et de beauté.
C’est
ainsi que les vérités de M. de Gérando se présentent.
Veuillez
croire, monsieur le Directeur et cher confrère, etc.
Mercure de France,
1910. február 1.
Endre Ady
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