Guido Verona (alias Guido da Verona)
Mimi Bluette

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E passò quei giorni ricinta nel suo dolore come in una fredda collana di pietre scintillanti.

Mimi Bluette!... Un nome, nient'altro che un nome; anzi un piccolo fiore da mettere sui cappelli di paglia, nei mesi d'estate.

Parigi l'aveva buttata in alto come il vertice luminoso d'una fontana, ed ora che la sua lievità non poteva più essere trasparente, con un'estrema vertigine del suo chiarore Parigi la ricoricava.

Nella Danza del Sole, sul tappeto rosso come il Guébli, voleva calpestare con magnificenza il suo cuore morto. Davanti alla Città che l'aveva stupendamente innalzata, voleva passare, splendere, come rifulge dopo la tempesta il miracolo dell'arcobaleno. Gridare a quei milioni di uomini respiranti nella felice aria della vita: "Io che danzo ancora su questa musica del mio delirio, seminuda perchè mandai profumo, io sono Mimi Bluette!..." Gridare con la musica estrema dei suoi movimenti allucinati: "Città Raggiante!... Città Vertiginosa come il Guébli... Città barbara, dove il sole non tramonta mai!... guardami ancora una volta! Questo è il profumo di carne che a te mandarono i miei fiordalisi. Passai nella tua primavera come la musica d'un raggio di sole; fui, con tutto il mio corpo, la bellezza che ti è necessaria, o Parigi etera dei secoli!... Sono venuta per le tue strade folli un giorno della mia giovinezza, e nessuno mi guardava. Ero giovine come la primavera, e nessuno mi guardava. Io non sapevo nemmeno che l'arcobaleno avesse un colore il quale si chiama la Gloria, - e tu me l'hai data. Mi hai detto: "Va nel mio giardino, piccola fiamma, e scégliti un fiore." Ho scelto i fiori del sole nei campi, questi azzurri fiordalisi, di cui mi feci una ghirlanda perchè andavano bene con me. Io non avevo altro che i miei capelli biondi e le mia caviglie leggere; tu mi hai sollevata come una piuma nelle tue bufere di sole... Guarda! Ora danzerò per sempre la danza del mio cuore morto, calpesterò, sovra un tappeto rosso come il Guébli, su la morta erba del mio giardino, i fiordalisi di Mimi Bluette..."

 

- Suis-je ou ne suis-je pas en présence de la divine Bluette? - disse per celia l'ottimo Sanderini. Era, come sempre, agghindato nella marsina e dondolava con una specie di sonno la sua vecchia testa d'avvoltoio domestico.

- Eh bien, mon vieux Sanderini! Ça va toujours cette gonzesse que nos littérateurs appellent l'existence? Oui? ça va toujours? Tant mieux! Voilà des siècles que je ne revoyais pas votre bonne tête! Comme ça fait plaisir tout de même de se dire bonjour entre copains!

- Et moi je vous dis, madame Bluette, que nous étions tous bien tristes chaque fois que nous entendions prononcer votre nom. On se regardait dans les yeux, la Grande et moi, sans rien dire; puis la Grande m'envovait une injure, car c'est sa façon à elle d'avoir du chagrin. Pensez donc si j'ai bondi, hier soir, quand M. Jack est venu me dire que vous étiez , et que "Mimi Bliouette était necessaire interview74 de vous, mister Sanderini..."

- Ah, ce brave garçon! Il n'est pas ce qu'on appelle un polyglotte, et pourtant je l'aime bien, mon vieux Sanderini; je l'aime comme un frère.

- Hier soir il était rayonnant. Il a fait le tour des tables, et il prenait tout le monde par les poignets: "Savez - vous? Mimi Bliouette va danser! Mimi Bliouette in the Sun Dance! Yes: dans la Dance du Soleil!..." Oh, qu'il en était aux anges, le pauvre petit!

- Et bien, oui, nous allons voir une fois de plus si ça colle, mon vieux Sanderini!

- En douteriez-vous par hasard?

- Non, je n'en doute guère... Seulement j'ai été bien éprouvée depuis quelques mois, et, si les pieds restent agiles, des fois le cœur ne l'est plus.

- Voyons! Quelle blague!

- A la fin je me suis dit: "Sacrée Bluette, si c'est vrai que tu es née danseuse, il faut bien que tu recommences!"

- Voilà qui est bien pensé, madame Bluette. C'est ce que je dis toujours, moi, quand je vois des figures mornes: "Faut pas s'en faire!... Faut pas s'en faire!..." A la fin des fins, madame Bluette, qui est-ce qui vous en dira merci?

- En effet, Sanderini...

- Et alors, à quoi bon? Faut pas s'en faire! Le sac est déjà75 très lourd à porter, sans qu'on y ajoute soi-même des pierres. Et puis, un beau jour, quand vous aurez le cœur libre et que vous ferez, comme une benne ménagère, la révision76 de votre compte de semaine, en voyant tout ce qu'il y a eu de cassé, de fripé, de perdu, sans le moindre bénéfice, vous n'aurez qu'une chose à vous dire, ma pauvre Bluette: "Dieu, que j'étais aveugle! que j'étais aveugle!" Vous m'excusez, n'est-ce pas, si je vous parle avec tant de franchise?

- Je vous écoute sans protester, cher Sanderini. Vous êtes un homme d'expérience, et rien ne m'empêche de croire que vous avez positivement raison...

- Mais, en tout cas, je ne suis point venu pour vous faire de la morale. Un Sanderini moraliste, un Sanderini cautériseur d'âmes, voilà un métier pour lequel je ne me connais point d'aptitudes! J'en fais bien d'autres, si vous voulez, et je m'en tire d'une façon décente, quoiqu'on me tienne pour un larron des plus fieffés... Mais pour vous, madame Bluette, pour vous je n'ai que de bons sentiments, et moi, qui suis pourtant un égoïste, je saurais tout de même sacrifier mon bien-être personnel pour le plaisir de vous rendre service.

- Mon Dieu, oui, Sanderini, il y a de braves gens! Il y a de braves gens, surtout parmi ceux qui n'ont pas à chaque instant leur âme au bout des lèvres et vous la collent sur vos blessures comme du taffetas...

- A la bonne heure, ma toute belle! Vous commencez à apprendre la vie.

- Peut-être, mon vieux Sanderini... Ce qu'il y a de sûr c'est que je me sens moi-même... - oh, la phrase vous paraîtra bien drôle! - je me sens moi-même en rupture avec la société... Ces gens comme il faut, croyez-vous? ils m'horripilent!

- Et moi!... Fichtre! si seulement on me laissait faire!... Dans tout homme résigné il y a toujours le sans-culotte qui roupille. Un jour vient il s'éveille77 et veut ameuter les carrefours pour pendre les aristos à la lanterne.

- C'est possible. En tout cas le mien aurait plutôt envie de se pendre lui même...

- Et c'est triste. Il ne faut jamais envoyer son cœur à la guillotine. Vous avez le tort, ma toute belle, d'avoir lu des poëtes. Moi, les poëtes, je les laisse aux rafalés!

- Les rafalés, vous dites? Ah, le beau terme! Et comme il me va, Sanderini! Car je ne suis désormais qu'une pauvre femme rafalée... Oui, je ne m'en cache guère: j'ai eu du chagrin, je suis éreintée, j'ai besoin, vraiment besoin, de trouver autour de moi un appui quelconque... Eh bien, ma foi, ce n'est pas aux gros bonnets, aux philanthropes, aux gens de bonne conduite, qu'il me prendrait jamais la faiblesse d'avouer ma peine! Pour ceux-là je vais danser ma Danse Rouge; devant ceux-là je vais paraître implacablement heureuse, ayant toujours aux lèvres mon sourire d'autrefois... Mais c'est ici, dans les coulisses, les feux de la rampe ne m'embrasent pas d'une lueur artificielle, c'est ici, Mimi Bluette redevient la pauvre fille de jadis, que je puis vous dire, Sanderini, combien mon âme est triste, et combien je me sens vide, morne, solitaire, hantée par la frayeur de mes nuits blanches...

- Mais non! mais non! Il faut chasser tout cela! Il faut venir souper chez la Grande Rouquine, lever son verre plus haut que le front, et puis rire, rire!... ne rentrer qu'a l'aube, légèrement78 grise, l'âme gonflée comme une voile dans la vapeur du Champagne... Que diable! Est-ce possible que ce Paris, l'on soigne des rois neurasthéniques, ne parvienne pas à vous guérir, vous, qui êtes une créature de joie79?

- J'ai été amoureuse comme une folle, mon pauvre. Sanderini...

- Quoi donc? Il y en a bien d'autres qui ont été amoureuses comme des folles! Presque toutes l'ont été. C'est-à-dire qu'elles ont cru l'être, ce qui revient au même. Et avec ça? Faut pas croire que ce soit la fin du monde. Petit à petit, jour par jour, comme c'est venu, ça80 passe. Eh, oui! Ne hochez pas la tête... Il en est de cela comme des robes à paniers... ça passe!

- J'ai été amoureuse81 comme une folle... je le suis, je le serai, comme une folle...

- Bien sûr, bien sûr! Vous conjuguez à merveille... Mais c'est toujours de la conjugaison, ma divine!... Pas autre chose que de la grammaire du sentiment. Allez plus loin: vous tomberez dans le crépuscule de l'imparfait, vous vous éloignerez dans l'ombre du prétérit indéfini... Croyez-moi: la conjugaison des verbes n'a d'autre raison d'être que l'inconstance du cœur humain. Sans cela vous pourriez toujours dire: "J'aime" - et ce serait vrai pour toute la vie.

- Sanderini, savez-vous qu'il est mort à la Légion Etrangère?

- Oui, je le sais.

- Comment le savez-vous?

- Qu'importe, puisque je le sais?

- Mais... les détails?

- Oui, les détails aussi. Nous savons qu'il est mort en brave, criblé de blessures, sur le drapeau ennemi. D'ailleurs, il n'y avait qu'à voir sa tête pour être sûr qu'il marcherait tout droit. Moi, voyez vous, j'ai toujours dit au nez des moqueurs: "Oui, elle l'aime, c'est bien dommage... Pourtant je suis sûr que ce type-là n'est pas un gangréné comme vous." Et la Grande qui se rebiffait: "Mouche-toi, vieille chandelle! T'a-t-il fait cadeau d'une épingle de cravate, que tu en parles comme de ton cousin?" Bref, laissons tout ça, ma divine. Quand on a eu un malheur... eh bien, c'est dur, je le sais... Mais, tout de même, on l'accepte, on le plie en quatre comme un joli mouchoir de soie, on l'enferme dans la petite boîte secrète que chacun porte en son cœur, et puis on lui dit, à cette gueuse, oui, exactement ce que vous avez dit: "Chienne de vie, drôlesse à quatr'pattes, c'est très dur, c'est très très lourd, mais il faut bien que je recommence!..." Pas vrai?

- Sanderini, je vous ai fait venir parce que je sais que vous êtes un homme à rendre de menus services...

- C'est mon devoir.

- Et parce que je sais que vous êtes un homme adroit, subtil, point bavard, point farouche...

- On le dit.

- Que vous savez devenir indispensable aux moments graves... indispensable et discret...

- Disons: comme une faiseuse d'anges.

- Ou bien... comme un marchand de paradis!

- Ah, tiens, j'y suis! J'y suis, ma divine. C'est de l'oubli chimique, de l'ivresse au milligramme82[** qu'il vous faut...

- Oui, mon ami: de la morphine...

- Aïe!

- Car, je vous l'avoue franchement, Sanderini; tous les soirs j'ai envie de me tuer.

- Hum!

- C'est donc pour m'aider à revivre.

- J'entends.

- C'est pour que je puisse rentrer vers l'aube, l'âme gonflée comme une voile... Ne m'en donnerez-vous pas?

- J'hésite.

- Pourquoi donc? Vous en donnez bien à...

- Chut! Ne disons pas à qui j'en donne. Le cas est très différent.

- Sanderini, soyez gentil...

- Très différent, vous dis-je.

- En quoi?

- Vous allez rire. Ces femmes, voyez vous, ça m'est à peu près égal qu'elles s'adonnent aux stupéfiants, aux aphrodisiaques délétères, qu'elle prennent de la coco, de la morphine, ou qu'elles s'éthérisent à leur gré... Moi, ça me rapporte; et qu'elles soient plus ou moins vannées, plus ou moins détraquées, pour Notre Dame de Pantruche il n'y aura rien de perdu! Mais, lorsqu'il s'agit de Mimi Bluette, voyons, ce n'est plus la même chose!...

- Préférez-vous, Sanderini, que j'aille m'acheter mon coin de terre dans un petit cimetière de banlieue? Je le ferai sans doute, ce soir peut-être, ou le premier jour que j'aurai la force de vaincre ce petit frisson... Car là-bas, dans le Gharb, c'est plus facile qu'ici. Je sais bien pourquoi ils se font tuer... L'air est tellement rouge! Mais ici, quand on est sur le point de faire ce petit geste, c'est une sensation de froid qui vous arrête... Et puis on a toujours envie de ne pas s'enlaidir... Voyons, Sanderini, vous reviendrez ce soir, demain peut-être; vous m'apporterez ma vie dans un petit flacon très limpide...

- Fichtre! Mais c'est que ça fait terriblement mal ces saloperies-là!

- Qu'importe? Ça ne fera jamais si mal que d'être morte... Et puis, si vous refusez, mon brave Sanderini, qui est-ce qui m'empêchera d'en prendre ailleurs?

- Tant pis! Je n'aurai pas à me dire que c'est "ma drogue".

- Mais elle me guérira, et vous n'aurez pas non plus ma reconnaissance.

- Vous guérirez du noir, sans doute, mais non pas de la morphine.

- Croyez-vous?

- Hélas, ma divine, c'est pire que l'alcool, pire que le jeu, que l'amour, que le crime... Rien ne vous sauvera d'elle, quand vous en aurez pris le vice.

- C'est peut-être bien ce qu'il me faut, Sanderini!...

- Horrible!

- Et puis, vous ne savez pas qu'une petite femme comme moi peut avoir une volonté surprenante. J'en guérirai, quand elle ne me sera plus nécessaire. Ma parole d'honneur, Sanderini: j'en guérirai.

- On le dit, Madame Bluette, on le dit...

- Je vous en donnerai deux fois, trois fois le prix habituel...

- Taisez-vous, de grâce! Je sais vendre, oui, mais pas à vous.

- Sanderini, votre main... Promettez!

- Mais pourquoi donc, ma Bluette? Voyez: je vous dis "ma Bluette", comme si vous étiez ma fille...

- Ça m'est égal. Je vais écrire un mot à Frédéric de la Rue Blanche... J'en aurai ce soir même. Elle sera peut-être mauvaise, et, en plus, on me débinera.

- Pour sûr.

- Donc, Sanderini? Vous seriez le premier homme qui ait refusé quelque chose à Mimi Bluette... A Mimi Bluette!... Voyons, Sanderini! Vous ne dites plus rien?... Vous vous taisez?... Parfait! Alors c'est entendu. Pour ce soir, ou pour demain... et silence!

 

Una mattina Parigi si destò, azzurra e traboccante di fiordalisi, come un raccolto nei mesi d'estate, quando il grano ha da essere mietuto.

"Mimi Bluette - La Danse du Soleil!..." Sui muri della immensa Capitale brillava come una bionda frivolità il suo limpido sorriso. Dappertutto ella camminava, co' piedi nudi, sul rosso tappeto che inazzurrava la giuncatura de' suoi fiordalisi. Dietro la sua carne trasparente, dietro i suoi capelli disciolti, si alzava, come la vampa del Gharb, un vortice di fiamme. La Città Stupenda per l'ultima volta s'impadroniva della sua bellezza; l'anima dionisiaca di Parigi per l'ultima volta splendeva nel miracolo della sua danzatrice. Lungo le strade, per ogni quadrivio, nei sobborghi, lungo i moli della Senna, tra un colore di fiamma e di giardino riappariva Mimi Bluette.

I milioni d'uomini racchiusi nell'anfiteatro dell'immensa Capitale guardavano con un senso d'amicizia e di piacere il sorriso della divina Bluette.

Non tutti sarebbero andati a vederla, ma tutti ricevevan da quel nome un senso di leggera e trasparente poesia. Era per tutti una cosa loro, un nome che aveva danzato le più belle danze di Parigi, una musica lieve in quell'enorme tumulto, - anzi un piccolo fiore da mettere sui cappelli di paglia, nei mesi d'estate.

- "Mimi Bluette - La Danse du Soleil..."

C'era stato un ballo, propagatosi ai quattro angoli della terra, che si chiamava My Blu; c'era stata una maniera d'esser belle che si chiamava la maniera di Mimi Bluette; c'era stato un fiore dell'anno, coltivato nelle vetrine fosforescenti e venduto a mazzi dalle fioraie de la Madeleine, che si chiamava "bleuet"; c'era stata la pelliccia, la stoffa, la piuma, il quadro, il libro, lo scandalo, che si chiamavano Mimi Bluette: ossia83 la musica e la bellezza di questa danzatrice non erano state altro che una bellezza ed una musica della trionfale Parigi.

Le sue candide braccia nude si erano strette come un profumato capestro intorno al collo cattolicissimo di un giovine Re; avevano distratta con pazienza la noia siberiana di un folle Granduca; si erano infine avviluppate con delirio all'ombra di un tragico avventuriero... Parigi non ha mai domandato altro alle creature di sogno e di leggenda che l'anima di questa Città dionisiaca inghirlanda su gli altari della sua folle paganità, per la gioia di vederle splendere.

"Mimi Bluette - La Danse du Soleil..."

Ora tornava dal Gharb vertiginoso, dai bivacchi dell'ergastolo camminante; portava sul nudo suo corpo l'ombra d'una gloriosa bandiera.

 

- Cher Monsieur Bollot, ne bougez pas de votre fauteuil! Je viens pour une futilité... Vous allez rire.

- Oh, ma fille! Est-ce vous? Tiens! Je m'étais assoupi depuis cinq minutes, je suppose. Hélas!... avec l'âge on devient roupilleur. Mais, sont-elles mes lunettes à présent?

- Les voilà vos lunettes. Elles ont glissé dans votre gilet. L'ampleur de votre cravate les a sauvées d'une chute.

- Ah, cette fripouille de clerc! - Eh, bas!... Justin! Mauvaise graine! Est-ce que je ne t'ai pas donné l'ordre de frapper dans tes mains quand tu vois que je m'endors? - Ah, ma chère fille!... comme c'est désespérant d'avoir affaire aux poëtes!... Car vous devez savoir que mons clerc Justin se croit un émule de Mr Alfred de Musset!... Je n'ai qu'à fermer l'œil, et le voilà qu'il profite de mon somme pour composer des sonnets d'amour, qu'il envoie à des drôlesses!

- Je ne crois pas qu'il ait tort, ce jeune monsieur. Car moi aussi84 j'aimerais mieux être poëte que d'avoir à recopier vos actes, rébarbatifs et grincheux comme les roquets des vieilles rentières!

- Très bien, très bien! Venez me débaucher mon clerc à present! Déjà85 il spécule sur mon encre, sur mes plumes, sur mon buvard et sur la cire à cacheter; deux fois par mois, régulièrement, il souffre d'une envie de ne rien faire qu'il appelle cholérine; il fleurit sa boutonnière et fume dans mon corridor. J'avais une bonne de 36 ans: il a fallu que j'en prenne une de 59... A présent il ne manque plus que vous, Madame Bluette, pour approuver sa fainéantise! Mais venons à nos affaires. Y a-t-il86 du nouveau depuis la semaine dernière? Avez-vous per hasard l'intention de me réclamer quelques centaines de mille pour faire un plus long voyage?

- Ne vous alarmez pas si vite, père Bollot! J'ai fini mon tourisme. Et d'ailleurs vous savez qu'à présent je danse!...

- Oui, je vous ai vue partout en image. On ne rencontre que Mimi Bluette en se promenant dans Paris. Ça m'a fait grand plaisir! Vous allez donc m'apporter la forte somme. J'en ai grand besoin pour boucher les trous d'Afrique.

- Oui, père Bollot; le contrat est des plus avantageux. Pourvu que je puisse danser jusqu'à la fin...

- C'est-à~dire?

- Mais, rien du tout, père Bollot! Je veux dire tout simplement: Pourvu que ma santé reste bonne... pourvu que le soleil de là-bas ne m'ait pas affaiblie... Car, vous savez, il brûle!...

- Très bien, très bien, ma fille! Donc, voyons: vous aviez quelque chose à me dire...

- Renvoyez votre clerc, père Bollot. Ce n'est rien de grave, mais j'aime autant être seule avec vous.

- Eh, là-bas, dis donc, Justin!... - Le voyez-vous ce polisson? Il fait la sourde oreille. - Prends ton travail, Justin, et va-t'en dans ma chambre à coucher. Mais gare à toi si tu me fais une tache d'encre sur mon tapis!

- Non, père Bollot. Pour ce soir nous allons le congédier. Pas vrai, monsieur Justin, qu'il vous faudrait une bonne heure de promenade pour confier aux Tuileries les rimes de vos sonnets?

- Pour sûr que oui, Madame!

- Mais comment? Le congédier à l'heure qu'il est? Quatre heures à peine... Jamais de la vie!

- Je vous en prie, père Bollot. Quand on a un clerc qui est poëte... Faites-le pour moi; qu'il s'en aille.

- Oui, qu'il s'en aille au diable, s'il le peut! Le voilà en vacances un jour de semaine! Toujours quelqu'un qui le protège, ce Zéphyr du papier timbré! Dis donc merci à Madame, et décampe.

- Merci, Madame.

- Bon. Et ne vadrouille pas ce soir. Demain matin, à huit heures précises! Si tu es en retard, je te mets à l'amende.

- Bien, Monsieur. Bonsoir, Monsieur.

- Bonsoir. - Heureusement que vous n'êtes pas venue à deux heures, ma fille!

- Qu'importe? Lui il sera heureux, au moins...

- Vous ne l'êtes donc pas, vous?

- Je vais l'être, père Bollot! Je le deviens chaque jour un peu plus... Vous savez, ce n'est pas si simple de guérir!

- Entendu. Mais c'est toujours la raison qui doit l'emporter. Les âmes claires et honnêtes comme la votre ont toujours la force de vaincre un cauchemar.

- Oui, père. Laissons ce sujet; il m'attriste. Je peux faire maintenant des choses que je croyais impossibles: danser, par exemple. Mais je suis encore trop faible pour parler de ma douleur. Tout cela passera, tout cela s'évanouira... j'en suis sûre.

- Bien dit, ma fille. C'est ainsi que parlent les âmes fortes. Venons au fait; je vous écoute.

- Mais... vous allez rire... Mon Dieu comme vous allez rire, père Bollot!

- Pourvu qu'il n'y ait pas d'argent à débourser87, ni à déplacer, ni à jeter par la fenêtre, je vais rire sans doute. Car vos idées, ma fille, ne sont jamais que de l'espèce orageuse ou de l'espèce comique.

- Eh bien, pour comique, elle est comique, celle-là!...

- Voyons: je hume ma prise et je vais rire en éternuant. C'est le meilleur des rires.

- Mais il faut d'abord que je vous raconte quelque chose... Oui, l'Afrique m'a88 donné des idées un peu rouges... pour ne pas dire noires... Elle m'a fait songer à des choses89, qui, auparavant, étaient loin de mon âme comme les rafales du Gharb. L'Afrique est un pays... N'êtes-vous jamais allé en Afrique, père Bollot?

- Heureusement non, ma fille.

- Bien; l'Afrique est un pays qui laisse une couleur de rouille aux bords de l'âme, un frisson de vieillesse90 dans la chaleur du sang. Après être revenue de là-bas je me dis souvent, par exemple, qu'une femme jeune et forte peut très bien devenir malade...

- Chaque Parisienne peut se dire la même chose.

- Oui, sans doute. Mais je me dis souvent qu'une femme jeune et forte peut très bien, d'un jour à l'autre, devenir tellement malade... attraper, que sais-je? une maladie infectieuse, avoir un accident d'auto... en somme qu'elle peut très bien mourir...

- Oh, alors... ma fille!... Vous avez dit que vous alliez me faire rire...

- Oui, attendez. Ce n'est qu'un préambule. Vous rirez tout à l'heure. Donc, après ces réflexions plutôt91 lugubres, j'ai trouvé naturel de me faire une verte réprimande: "Toi, Bluette, tu es d'une imprévoyance extrême92! Tu possèdes une belle fortune, une très belle fortune, et jamais tu n'as songé à établir ce que tu voudrais qu'on en fasse, si, par un hasard quelconque..." Bref: je suis venue, père Bollot, pour vous dicter mon testament.

- Mais que diable me chantez-vous , ma fille! Votre testament? A votre âge? Par le beau temps qu'il fait? Dois-je en entendre des bêtises?

- Si, si, père Bollot! Riez-en tant qu'il vous plaira, mais c'est une idée que je ramène d'Afrique, et je suis très fidèle, vous le savez bien, aux idées qui me viennent de là-bas.

- Je ne dis rien, ma fille. Si vous tenez absolument à faire votre testament, je croirai qu'une mauvaise mouche vous a piquée, et nous allons nous y mettre un de ce jours. Rien ne presse.

- Au contraire...

- Mais comment?

- Oui, vous avez raison: rien ne presse. Rien ne presse, en effet... Mais je veux tout de même que ce soit fait au plus vite.

- Ah, ma chérie, c'est un genre de gaîté à laquelle je ne m'attendais pas du tout. Tiens! Vous me faites penser au mien... qui est beaucoup plus nécessaire, quoique très simple.

- Le mien aussi est très simple. Je l'ai écrit au courant de la plume, sur du papier à lettres, hier soir, puisque je ne pouvais pas m'endormir...

- Mais, voyons, ma fille!... Je deviens de plus en plus inquiet su l'état de votre raison.

- Du tout, père Bollot. Ce n'est que du gribouillage. Vous allez me dire comment il faut s'y prendre pour en faire un véritable testament. Vous êtes bien homme d'affaires, après tout! N'est-ce pas dans vos mains qu'on dépose cette littérature-là?

- Moi, je refuse:

- Par simple méchanceté alors? Mais je suis très têtue; plus têtue qu'une bourrique, père Bollot! Voilà des jours et des semaines que cette idée me hante. Ce sera pour moi une mascotte que ce testament. J'en aurai le cœur libéré, comme après un vœu accompli, et je ne penserai plus qu'à vivre.

- C'est une affaire, nom d'une pipe, dans laquelle je ne vois pas du tout clair!

- Mais il n'y a, dedans, père Bollot, ni du clair ni du sombre. C'est un testament; une feuille de papier à lettres... Vous ne me forcerez pas tout de même à aller chez quelqu'un d'autre! Et puis, voyez comme c'est simple, clair, net...

 

"Moi, Mimi Bluette, - de mon nom Cecilia Malespano - je lègue toute ma fortune, composée de..." - vous allez mettre de quoi, avec exactitude93, parce que je ne le sais pas en détail - "... je lègue toute ma fortune aux soldats de la Légion Etrangère, pour que leur vie soit moins dure, et pour qu'il y ait quelqu'un qui pleure lorsque le désert les tue, Monsieur le Ministre de la Guerre aura la complaisance d'étudier comment et de quelle façon mon désir peut être le mieux accompli.

"Si j'allais mourir avant vous, quoique plus jeune, vous seriez, père Bollot, mon exécuteur testamentaire, et vous aurez jusqu'à la fin de vos jours la gestion rémunérée94 de ma fortune. Dès à présent j'accorde ma pleine confiance à celui que vous désignerez comme votre successeur.

"Tant que ma mère sera vivante, "l'œuvre pour la Légion Etrangère" devra lui servir un tiers de mes rentes, plus une somme de deux cent mille francs, mobilier, tapis, lingerie et tout ce qui se trouve dans mon immeuble des Champs Elysées.

"Je fais cadeau à Linette Messanges, ma fidèle femme de chambre et amie, d'une somme de cinquante mille francs, pour qu'elle épouse un homme honorable. Je lui permets de choisir parmi mes robes celles qui ne sont pas trop riches pour elle; je veux qu'elle reçoive aussi un de mes réticules en platine, et je lui souhaite d'être toujours douce et gentille comme elle l'a été jusqu'ici.

"Vous donnerez à mon danseur, Jack Morrison, le plus beau brillant de mes bagues, mon grand portrait par La Gandara et une longue mèche de mes cheveux. Qu'il me pardonne, ce brave Jack, s'il m'a été impossible de faire son bonheur.

"De mon vivant j'ai été danseuse; mon nom était Mimi Bluette; j'aimais les belles robes, les danses et les fleurs; j'ai vu le soleil de la tourmente africaine, et c'est là-bas que mon cœur a péri.

"N'importe quand, n'importe que je meure, vous me ferez dormir au seuil de cette Ville que j'aime, et je veux qu'on m'enterre en danseuse, au joli cimetière de Boulogne, dans un petit jardin.

"Depuis l'Eglise jusqu'au cimetière, un tzigane, - peut-être Limka - suivra mon cercueil en jouant le My Blu.

"Au printemps les bluets vont fleurir la douce terre qui me couvre...

"Il n'y aura de grave sur ma pierre qu'un simple nom: celui dont je signe, toute heureuse...

 

Mimi Bluette"

 

 





74              Nell'originale "interwiew". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



75              Nell'originale "dejà". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



76              Nell'originale "revision". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



77              Nell'originale "s'èveille". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



78              Nell'originale "legèrement". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



79              Nell'originale "joje". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



80              Nell'originale "ço". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



81              Nell'originale "amoreuse". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



82              Nell'originale "miligramme"]. [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



83              Nell'originale "osisa". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



84              Nell'originale "ausi". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



85              Nell'originale "Déja". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



86              Nell'originale "Ya-t-il". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



87              Nell'originale "dèbourser". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



88              Nell'originale "m'à". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



89              Nell'originale "choces". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



90              Nell'originale "viellesse". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



91              Nell'originale "plutot". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



92              Nell'originale "extrème". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



93              Nell'originale "exctitude". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



94              Nell'originale "rémunerée". [Nota per l'edizione elettronica Manuzio]



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