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Jean-Léon Le Prevost
Lettres

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  • Lettres 1301 - 1400 (1868 - 1869)
    • 1357 à M. de Varax
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1357 à M. de Varax

La notice nécrologique du frère Girard par M. Faÿ. Exhortation à la patience: savoir temporiser et supporter tout ce qui n'est pas intolérable. "Il faut pardonner énormément à l'humanité; sauvegardez par-dessus tout la paix et la charité".

 

Vaugirard, 22 novembre 1868

            Mon bien cher ami et fils en N.S.,

            Je crois vous faire plaisir, ainsi qu'à nos ff. d'Amiens, en vous envoyant une copie faite par les persévérants, sur ma demande, d'une lettre que M. Faÿ a écrite à nos ff. de Rome pour leur communiquer quelques détails sur la mort édifiante de notre cher f. Girard; elle n'était pas destinée à une autre fin, mais elle m'a paru bonne à être conservée comme souvenir du frère que nous ne reverrons qu'au Ciel.

            M. Lantiez m'a dit vos peines relativement au service de la cuisine et concernant les cours du soir; je conçois les ennuis que vous pouvez avoir et j'y prends part; j'attends la lettre que doit nous écrire, dites-vous, M. Caille pour examiner à fond ce que la situation peut demander; jusque là, je vous exhorte à ne pas prendre les choses trop à cœur et à patienter; avec un homme dont les intentions sont si droites qu'elles le sont en M. Caille, on a bien à espérer qu'il reconnaîtra son erreur, si l'on temporise un peu; et pour les personnes de service elles-mêmes, elles ont leurs mauvaises lunes, lesquelles étant passées permettent qu'on ait à tirer bon parti de qualités momentanément obscurcies par le caractère et la mauvaise humeur. A Vaugirard et à Chaville, nous en sommes là. Souvent nous souffrons tout ce qui n'est pas intolérable; en général, il faut prendre ainsi l'humanité et lui pardonner énormément. Il y a des bornes assurément à la patience, je m'en rapporte à votre sagesse et à votre charité pour les poser. Gardez, à travers ces petits démêlés, une constante estime et une fraternelle affection pour M. Caille; il mérite certainement l'une et l'autre; sauvegardez aussi par dessus tout la paix et la charité; sans elles, nous n'irions pas loin dans le bien.

            Il me semble, sans en avoir certitude, que le moment d'envoyer les 200f pour la petite pension affectée par nous à l'œuvre d'Amiens est arrivé; je vais en faire l'envoi; je ne me souviens plus quand a été fait le dernier versement; n'est-ce pas à la fin de septembre? Ce serait alors fin décembre que j'aurais à faire l'envoi; dites-moi ce qui en est.

            Adieu, mon bien cher enfant en N. S., assurez tous nos frères de mes biens affectueux sentiments. Je pense que la visite de M. Lantiez les a tous encouragés et qu'il a répondu à leurs demandes, s'ils en avaient à faire. M. Gérold a pu être considéré comme novice ou le pourra dès que le moment vous semblera venu.

            Votre ami et Père                                                         Le Prevost

 

            Demain lundi, fête de M. Myionnet; vous prierez tous pour lui, il le mérite si bien.

 

Copie de la lettre de M. Faÿ aux Frères de Rome sur la mort de M. Girard

 

Chaville, 2 novembre 1868

            Mes bien chers frères,

            Je vous dois à tous quelques détails sur la mort édifiante de notre excellent ami M. Girard, votre prédécesseur et collaborateur dans l'Œuvre du Cercle Français des Zouaves Pontificaux.

            Atteint à Rome du mal qui devait l'emporter, il est venu mourir à Chaville, au milieu de nous, sa première famille, et nous le regardons comme une victime offerte par la Communauté pour la plus sainte des causes. Malgré la douleur profonde de cette séparation, bénissons le Seigneur, fiat! Est-il rien de meilleur pour nous tous que sa sainte et toujours aimable volonté?

            Depuis son retour à Chaville, malgré le traitement homéopathique dans lequel il avait mis toute sa confiance, M. Girard entrevoyait à peine le terme de son indisposition; aucun mieux réel et durable ne se déclarait dans son état de faiblesse; il suivait le plus qu'il pouvait les principaux exercices du Noviciat, et nous étions édifiés, comme il y a huit mois, de son exactitude et de sa grande modestie. Dimanche, 18 octobre, il assistait pour la dernière fois à la messe, mais il dut ce jourgarder la chambre, et il fut si faible, à partir de ce moment, que l'on crut nécessaire de faire coucher un frère dans son voisinage. Je vous dirai qu'il occupait la chambre qui est au-dessus de la cuisine de l'ancien bâtiment et dont les fenêtres donnent sur la cour du Noviciat. Lorsque le lundi matin, à mon retour de Paris, je revis ce bon frère dans une impuissance presque complète de mouvement, j'eus dès lors quelques doutes sur sa guérison. A peine pouvait-il porter la cuiller à sa bouche. Il fallait le faire manger comme un tout petit enfant et il dut forcément, pour les moindres services, réclamer le secours de notre bon M. Xavier Walter, novice récemment arrivé et qui, pendant la maladie de M. Girard, exerça, sous la direction de M. Audrin, les fonctions d'infirmier et de garde-malade. M. Jules Ginet se rendit à Paris pour y consulter le Docteur Jousset. Il en rapporta, avec la prescription médicale, la nouvelle que l'état du malade était très grave. M. Girard payait tous les bons soins qu'on essayait de lui rendre par l'exemple d'une patience admirable; jamais de plaintes. Comptant sur la charité de ses frères, il disait simplement ce qu'il croyait lui être bon et utile, puis il s'excusait, craignant de paraître exigeant et difficile.

     Il me dit plus d'une fois qu'il ne demandait pas au Bon Dieu sa guérison, que cela ne le regardait pas; une seule pensée l'occupait: que sa maladie pût servir à sa sanctification et au bien des œuvres. Néanmoins, jusqu'à la veille de sa mort, il conservait l'espoir de guérir et raisonnait sur son mal à la façon de certains malades avancés. Nous lui procurâmes des persévérants pour lui faire quelques lectures plusieurs fois le jour,et, comme la faiblesse ne lui permettait plus de choisir lui-même les traits détachés que renfermait un certain recueil, il craignait que ses jeunes lecteurs ne tombassent sur une histoire tant soit peu scabreuse. Sa charité n'était pas moins grande que sa délicatesse; il demanda que chacun de ses lecteurs apportât un livre particulier, pour qu'ils ne s'ennuyassent pas en ne lisant que des fragments sans suite du même ouvrage. L'état du malade était assez inquiétant pour nous faire recourir à une prière plus pressante, nous ne pouvions nous faire à la pensée que le Bon Dieu voulût nous enlever un si excellent frère; donc, ce même mardi soir, nous écrivîmes à tous les frères de Paris et de la Province, les invitant à commencer une neuvaine aux Sts Cœurs de Jésus et de Marie. Un messager partit pour recommander ce cher malade aux prières de nos petits Orphelins de Vaugirard; il fut décidé qu'au Noviciat nous réciterions chacun le chapelet tout entier pendant neuf jours, et qu'un jeûne facultatif serait proposé aux novices pour mercredi, vendredi et samedi. Tout fut accepté et exécuté. Nous avions pleine confiance, mais le Seigneur nous a exaucés en nous imposant un douloureux sacrifice. Je dis néanmoins exaucés car, lorsque le Bon Dieu change ainsi l'objet de prières ferventes, c'est qu'Il a des desseins secrets de bonté et de miséricorde. Adorons! Le mercredi 21, notre Père Supérieur revenait d'Angers à Chaville; comme chapelain de N.D. de la Salette, il mêla un peu d'eau de la Salette dans la potion de notre ami Girard qui l'accepta très volontiers; mais le Ciel voulait que tout ceci ne fût qu'un exercice de foi de la part du malade et de la nôtre. Le jeudi soir, le Père Supérieur retournait à Vaugirard, après avoir assuré au malade les prières de tous les frères. Le vendredi matin, M. Tulasne, si charitable comme vous le savez, eut un long entretien avec M. Girard qui lui fit, en présence de M. Audrin, sa confession générale. Quelques légers remèdes furent indiqués, mais, au sortir de sa visite, le médecin déclara que c'était fini et que le mal ferait de rapides progrès. Nous comptions le faire communier à minuit, mais vers le soir, voyant qu'il baissait toujours, nous pensâmes qu'il était temps de l'éclairer doucement, mais dans la vérité, sur sa situation réelle; jusque-là, il paraissait l'ignorer. Donc, vers les cinq heures, après en avoir conféré avec Notre-Seigneur, j'abordai la grande question et lui proposai, en frère et en ami, de recevoir au plus tôt le Saint Viatique et l'Extrême-Onction, avec le concours des prières et l'assistance de toute la Communauté. C'était bien lui dire que le Bon Dieu lui demandait le dernier sacrifice; il le comprit et, sans le moindre sentiment de trouble ni de crainte, ni même de tristesse, il reçut la nouvelle d'une mort plus que probable. S'abandonnant entièrement à ce que nous voudrions faire de lui, il accepta toutes les dispositions de la Providence à son égard. Sept mois auparavant, un vendredi, fête des cinq plaies de Notre-Seigneur, quand M. Hello vint au Noviciat lui annoncer qu'il devait partir pour Rome, il reçut cet ordre sans s'émouvoir et partit. Tel il fut à l'annonce de sa fin prochaine. Ce n'est pas qu'il ne sentît ce que son sacrifice avait de pénible; vous savez combien il aimait la Communauté, comme il désirait d'être prêtre, comme il eût été heureux de retourner à Rome, quel était son zèle pour les œuvres auxquelles il avait voué toute sa vie; sa famille le chérissait, et toutes ses espérances qu'un cœur si généreux et si dévoué avait conçues pour la gloire de Dieu et le salut des âmes! Tels étaient les objets qui se présentaient à sa pensée. Je compris, à son langage, qu'il avait conscience du grand sacrifice que le Bon Dieu lui demandait; mais quelle résignation! Chers amis, quelle noble tranquillité! Quelle confiance en Dieu surtout! Il craignait d'en avoir trop. Quel abandon de tout lui-même à Dieu! "Je suis inutile; ah! que sommes-nous, sinon des serviteurs inutiles! Néanmoins, ma confiance est sans bornes: In te, Domine, speravi, non confundar in aeternum." Voilà ce qu'il disait et j'avais, moi seul, le bonheur de l'entendre. N'est-ce pas là vraiment la récompense que le Bon Dieu accorde à ceux qui ont tout quitté pour Lui, que ce calme inaltérable et cette confiance illimitée en face de la mort! Puissions-nous, comme lui, nous dévouer pour nos frères et mériter d'avoir les mêmes sentiments à notre dernière heure! Il se confessa et, comme je pressais un peu, de peur de le fatiguer, il modéra mon empressement, pour avoir le temps de tout bien faire; mais il craignait que sa faiblesse ne mît obstacle à la ferveur de son acte de contrition. Vers les six heures, il reçut la visite de Notre-Seigneur, accompagné des Novices et des Persévérants.

            Cette cérémonie fut très édifiante; le malade répondit à toutes les prières, communia, reçut l'extrême onction et eut tout le temps de goûter les paroles de la Sainte liturgie que nous prononcions à dessein avec une certaine lenteur; l'état du malade le permettait, et même celui-ci désirait que rien ne fût omis.

            Le soir, il m'appela pour me demander s'il ne pouvait ajouter quelque chose à son sacrifice, et il me dit qu'il offrait à Dieu, non seulement sa vie s'Il la lui demandait, mais de plus son bon plaisir, la continuation de cet état d'anéantissement et de complète impuissance dans lequel il se trouvait. "J'ai compris, mon bien cher frère, lui dis-je alors, voilà votre pensée: J'offre à Dieu ma vie, s'Il la demande; je lui offre mes services, s'Il lui plaît de me rendre la santé; je lui offre enfin mon état d'impuissance, s'Il désire qu'il continue." "C'est cela, me dit-il."

            Chers amis, que désirer de plus parfait?

            Admirable conformité à la volonté du Bon Maître, voilà le vrai, le bon et fidèle serviteur.

     La nuit du vendredi au samedi, je voulus rester auprès de l'ami Girard avec M. Xavier. Je récitai l'office de St Raphaël, où il n'est parlé que de guérisons, et j'espérais toujours jusqu'au dernier moment. Cette nuit, il eut deux ou trois instants de délire; le matin, à 4h 1/2, heure du lever de la Communauté, il me demanda comment faire pour s'éveiller d'une manière aimable; je lui dis alors: "Benedicamus Domino", et il répondit: "Deo gratias". Un peu plus tard, je lui demandai s'il voulait entendre la prière du matin; il le voulut bien, et je la récitai avec M. Audrin qui avait succédé à M. Xavier. Le bon frère répondit aux litanies et à la dizaine de chapelet, presque comme il l'eût fait en bonne santé. M. Audrin proposa de lui réciter les dernières prières. Je le fis en français et le malade fit signe ensuite qu'il avait tout suivi. La victime était prête, notre ami portait son crucifix et ses scapulaires; je pris congé du bon frère en lui disant que j'allais dire la Ste Messe à son intention; je ne devais plus le revoir.

            Du reste, à partir de ce moment, il ne répondit plus à aucune question; je le recommandai aux prières avant le St Sacrifice, et nous le mîmes sous la protection de St Raphaël dont c'était la fête. Nous ajoutâmes son invocation aux invocations d'usage. M. Xavier demeura auprès du malade pendant la messe; il entendit quelques paroles sans suite, puis celles-ci:" Ah! qu'elle est belle la Ste Vierge! et l'Enfant-Jésus! " Etait-ce le délire ou une grâce que le Bon Dieu lui accordait? Vers 9h.3/4, comme j'étais en classe avec les Persévérants, M. Xavier vint m'annoncer les derniers moments; j'accourus, mais comme j'arrivais, M. Audrin, demeuré auprès de lui, venait de recevoir les derniers soupirs de notre excellent f. Girard; un léger mouvement de la lèvre inférieure m'indiqua que tout était terminé. Ainsi donc, sans aucune agonie, il avait rendu doucement son âme à Dieu, un samedi, jour de la Ste Vierge,en la fête du glorieux archange St Raphaël! Ne convenait-il pas que le Directeur de votre Œuvre entrât dans la bienheureuse éternité sous les auspices de St Michel et de St Raphaël? Encore une fois, mes bien chers Frères, bénissons le Seigneur en tout ce qui nous arrive; j'ai la confiance que, si nous travaillons sérieusement à devenir des Saints, nous verrons, après l'épreuve, abonder les consolations et les fruits dans la Communauté et dans les œuvres.

 

 




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