Voyage de MLP. à Rome. MLP. sollicite "quelques
lignes de sa main" pour donner du poids au document
qu'il emporte avec lui et qui est destiné à obtenir la première approbation
de l'Institut par le Saint-Siège.
Vaugirard, 15
février 1869
Monseigneur,
J'ai reçu presque en même temps votre bonne et paternelle lettre et un
exemplaire de votre mandement au sujet du Concile convoqué pour le 8 décembre
1869.
J'ai lu à nos ff. du Conseil la lettre, ainsi que je le fais d'ordinaire, afin
que tous ensemble nous profitions de vos avis et observations qui ont été, dès
nos petits commencements, notre lumière et notre appui. Pour le mandement, il
intéressait toute la famille sans distinction, il est donc lu au réfectoire et
laissé aussi sous la main de chacun.
Je me prépare en ce moment à faire un voyage bien long pour ma faiblesse mais
dans lequel, je l'espère, la grâce du Seigneur me soutiendra. Ceux de nos ff.
qui sont à Rome les gardiens des deux Cercles militaires français me pressent
vivement de leur faire visite, ayant besoin de quelques directions sur quelques
points concernant leur conduite, soit dans cette œuvre, soit pour leurs
habitudes propres; le Conseil de notre Communauté a jugé qu'il y aurait utilité
réelle à cette excursion, et qu'il était à propos qu'elle fût effectuée par
moi.
J'en profiterai pour donner au St-Siège quelque connaissance
première de notre petite Congrégation. Nos Constitutions, plusieurs fois mises
sous vos yeux, Monseigneur, et en dernier lieu un peu revues par le r. p.
Cotel, Jésuite qui s'est tout spécialement occupé des Règles des Communautés,
ont été par nous communiquées à l'un de MM. les Vicaires généraux de Paris,
lequel en a entretenu Mgr l'Archevêque. J'ai pu dès lors demander
moi-même, dans une visite faite à ce Prélat, son agrément pour porter à Rome
cet acte qui constituerait régulièrement notre société religieuse. Mgr
Darboy a parfaitement accueilli la requête, a donné son agrément à mon voyage
et veut bien aussi me donner quelques mots de recommandation pour Rome.
On m'assure que le suffrage d'un seul Prélat ne suffirait pas pour nous obtenir
quelque signe approbatif du St-Siège et qu'il serait essentiel
d'avoir aussi l'avis favorable de ceux de Mgrs les Evêques dans les
diocèses desquels nous avons quelqu'établissement ou poste à desservir. Cette
vue va tout à fait à nos sentiments car nous ne nous croirions pas assez
protégés si nous ne l'étions par vous, Monseigneur, qui avez été visiblement
l'Ange que le Seigneur a chargé de nous conduire et de nous assister dans notre
voie. J'ose donc attendre de votre bonté paternelle que vous daignerez
m'accorder quelques lignes de votre main afin qu'elles me donnent crédit à Rome
et m'y préparent un accueil encourageant.
J'écris aussi à Nosseigneurs d'Amiens et de Metz dans les diocèses desquels
nous avons des œuvres à desservir. Le Souverain Pontife a déjà quelque petit
indice de notre existence, à l'occasion des Cercles dont on lui a parlé
plusieurs fois. Dernièrement, il a daigné donner quelques paroles de regret à l'un
de nos ff. qui lui avait été présenté et qui ayant contracté dans son emploi à
Rome une dysenterie dangereuse, est revenu mourir ici près de nous.
Je sais la prédilection que l'Auguste Chef de l'Eglise a témoigné pour votre personne,
Monseigneur, en mainte circonstance, et j'ai la confiance que votre suffrage
serait pour nous un puissant appui.
Je serai, je pense, accompagné par l'un de nos prêtres, M. de Varax, qui a déjà
vu Rome et qui pourra me guider dans mes mouvements.
Nos Constitutions n'ayant, depuis qu'elles ont été mises sous vos yeux, subi
que quelques modifications de détail ou de forme, il me semble superflu de vous
les transmettre de nouveau; je joins seulement ici une feuille autographiée qui
précède nos Règles et qui rend un compte sommaire de notre état présent.
Veuillez agréer, Monseigneur, les nouvelles assurances de mon profond respect
et du filial dévouement avec lequel je suis
Votre humble serviteur et fils en N.S.
Le Prevost prêtre
Origine
de la Congrégation
La
Congrégation des Frères de Saint-Vincent de Paul a
commencé en l'année 1845 par quelques hommes, simples laïques, qu'un vif
attrait pour les œuvres de zèle et de miséricorde avait rapprochés, et qu'une
même pensée avait frappés simultanément, savoir: que ces formes diverses
empruntées de nos jours par la charité pour attirer les âmes (institutions
populaires, patronages, cercles, conférences, réunions pieuses, etc.) semblent
bien réellement selon les vues de la Divine Sagesse, mais que manquant généralement
d'agents libres et dégagés pour les soutenir, elles languiraient bientôt
impuissantes si Dieu ne suscitait des âmes dégagées de tout lien terrestre qui
s'appliquassent uniquement à les développer et à les affermir. Cette
conviction, fortifiée en eux par la prière et par des méditations longtemps
répétées auprès des reliques du grand apôtre de la Charité, St
Vincent de Paul, les détermina à s'ouvrir au Pontife qui gouvernait alors le
diocèse de Paris, Mgr Affre, de vénérable mémoire.
Ce prélat les accueillit avec bonté, déclara que leur pensée était bien de
Dieu, et les autorisa à se réunir pour en commencer l'exécution, offrant à
cette fin de leur donner asile dans la Maison des Carmes, où l'Ecole Supérieure
Ecclésiastique n'occupait encore qu'un petit emplacement. Profondément touchés
de cet encouragement mais se défiant de leurs moyens et de leur petit nombre,
ils préférèrent prendre leur demeure dans une humble maison de Patronage
d'apprentis louée récemment au quartier St-Germain par la Société de St-Vincent
de Paul.
Dès ces premiers moments, au principe même de leur existence, ils avaient reçu
de Dieu une précieuse bénédiction par les mains de Mgr Angebault,
Evêque d'Angers, doyen des Prélats de France, lequel étant l'évêque diocésain
et le directeur spirituel de l'un des premiers membres de l'Institut naissant
avait été le conseiller naturel, osons dire le premier Père de la petite
Famille. Son appui, sa haute expérience, ses condescendances les plus aimables
l'ont dirigée, ont assuré sa marche sans nulle interruption jusqu'à ce jour.
Ce vénérable Pontife ne dédaigna pas de venir à Paris pour consacrer la
première pierre de la fondation. Il obtint de M. le Supérieur général de St-Lazare
que la châsse de saint Vincent fût découverte; il offrit le saint sacrifice et
communia les premiers Frères de St-Vincent de Paul. Ils étaient
trois seulement: l'un d'eux, prêtre aujourd'hui, est resté depuis lors chef de
la famille, les deux autres sont à la tête des deux plus anciennes maisons
d'œuvres fondées par la
Congrégation.
Dans le cours de cette année, les trois nouveaux religieux, reconnaissant que
leur résidence au sein d'une œuvre active attirant un concours constant
d'enfants et de personnes de tout état, ne leur laisserait aucune liberté pour
les exercices pieux, se retirèrent dans une petite maison qu'on leur offrit
providentiellement à Grenelle, près Paris. Là, sans abandonner leur œuvre à
laquelle ils venaient vaquer chaque jour, ils purent le matin et le soir
s'initier au recueillement et à la régularité dont ils sentaient impérieusement
le besoin.
Après que deux membres nouveaux se furent joints à eux, Mgr Sibour,
successeur de Mgr Affre, les autorisa à établir chez eux une
chapelle et, faveur inappréciable, à y conserver le T. St Sacrement.
De cet instant seulement ils se crurent sûrs de l'avenir et se regardèrent
comme fondés. Ils le furent doublement, car alors fut envoyé de Dieu le premier
prêtre de la Communauté.
Dès l'année 1851, l'Institut
fut assez nombreux pour qu'on pût prendre à Paris une vaste maison et y établir
un Orphelinat où furent admis, moyennant de très modiques pensions, de jeunes
garçons de la classe ouvrière, privés de leur père ou de leur mère. Cet
établissement, fort agrandi depuis, a été transféré dans un local acquis à
Vaugirard par la
Congrégation, et qui forme aujourd'hui la Maison-Mère.
Vers ce temps, Mgr Sibour, proprio motu, désigna M. Dedoue,
Vicaire général et son secrétaire particulier, comme conseiller et protecteur
de la famille pour le diocèse. Ce prêtre vénérable vint durant deux ou trois
années encourager de temps à autre les œuvres de la petite Congrégation,
l'éclairant de ses conseils, présidant parfois ses solennités particulièrement
celles où se prononçaient les vœux. Depuis, ayant été appelé à un canonicat et
ayant, pour cause de santé, cessé de participer à l'administration diocésaine,
il mit fin à ses visites. Aucun successeur ne lui fut donné près de l'Institut,
le Conseil de l'Archevêché ayant jugé, selon l'apparence, la Congrégation
désormais assez constituée pour suivre fermement sa voie. Mais les rapports
entre l'administration diocésaine et la Congrégation n'ont jamais cessé d'être ceux de la
plus paternelle bienveillance d'une part, et de la plus sincère déférence de
l'autre. Son Em. le Cardinal Morlot tout particulièrement s'est montré pour la
famille un bienfaiteur insigne. A diverses reprises, il donna l'approbation la
plus cordiale à la
Congrégation et à ses œuvres; de ses deniers, il concourut
pour des sommes considérables à l'édification d'une chapelle
dépendant d'une des maisons de l'Institut et, en maintes circonstances encore,
lui prodigua les témoignages de son affectueux et généreux intérêt. Soutenue
par cette haute bienveillance continuée par son digne successeur, Mgr
Darboy, la Congrégation
a pu successivement se trouver à la tête, dans la circonscription de Paris, de
sept établissements charitables, dont quatre lui appartenant sont sous sa
direction immédiate, et les autres sont desservis par elle. La maison du
Noviciat est sise à Chaville (Seine-et-Oise) sous les yeux de Mgr de
Versailles.
En province, la
Congrégation dessert deux établissements dans le diocèse de
son premier protecteur, Mgr l'Evêque d'Angers. Elle possède en
outre, toujours avec l'agrément des Prélats, deux établissements à Amiens et un
à Metz; enfin, dernière et précieuse bénédiction de Dieu, ses Frères sont les
gardiens des deux Cercles militaires français à Rome.
Le personnel de la
Congrégation, dans ses deux éléments ecclésiastique et
laïque, s'est accru successivement, en mesure un peu stricte il est vrai, mais
telle néanmoins qu'elle satisfait rigoureusement à ses charges. Elle compte 12
prêtres, 2 autres vont être ordonnés cette année; de plus, elle a 7
séminaristes à divers degrés des Ordres et 10 Scolastiques; les Frères laïques
sont au nombre de 65. Mais combien un si petit troupeau reste imperceptible
dans l'immense champ des œuvres. Les principales villes de France et même
d'autres pays, sentant l'utilité de ce moyen d'action, suscitent de toutes
parts des institutions de zèle et demandent à grands cris des agents pour les
soutenir. Les bras ne suffisent pas à la tâche; daigne le Maître de la moisson
envoyer pour la recueillir, de nombreux et vaillants ouvriers.
Les Constitutions et la Règle
de la Congrégation,
établies successivement et à mesure que la grâce et l'expérience éclairaient
ceux qui la conduisent, forment présentement un ensemble assez complet. On
prend donc la confiance de les soumettre au Saint Siège Apostolique afin
qu'elles soient examinées et, s'il y a lieu, approuvées par lui.
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