Difficultés de la communauté de Rome. Etre plus
circonspect dans les relations avec les soldats; éviter les divertissements de mauvais goûts. Directives pour
l'établissement d'une Commission. Action morale et spirituelle à mener.
Chaville, 23
septembre 1869
Mon bien cher enfant en N.S.,
Je prends bien part aux tribulations qui vous adviennent en ce moment, mais
rappelons-nous cette parole du Divin Seigneur: Bienheureux ceux qui souffrent
persécution pour la justice. Mettons au pied de la croix nos petites épreuves
et demandons humblement à Dieu la grâce pour les bien porter.
Je n'ai point encore vu le Capitaine Prévost ni le Colonel, je ne sais s'ils
m'honoreront de leur visite. Quelque rumeur m'était déjà venue concernant les
reproches qu'on vous fait, notamment le voyage à Ferentino et quelques détails
d'une fête militaire. J'avais réduit d'avance à une juste mesure la portée de
ces accusations et j'avais pensé que, s'il y a eu de votre part quelque défaut
de prudence, un peu de charité et de bienveillance eût suffi pour expliquer et
couvrir l'imperfection, s'il y en a eu quelqu'une. Ici encore, il faut, en
toute humilité, accepter les blâmes de ceux qui ont été les premiers à vous
tendre des pièges et leur garder néanmoins les sentiments que veut la charité.
Pour tirer profit de cette épreuve, vous devrez, d'une part, être plus
circonspect dans vos rapports avec les militaires, quels qu'ils soient,
particulièrement dans les détachements; éviter de manger avec eux, si vous le
pouvez; sinon, vous garder de ces expansions quelquefois excessives que vous
croyez propres à établir la cordialité et qui, vous le voyez, engendrent les
critiques et le mépris.
D'une autre part, il faut veiller plus que jamais sur le choix des pièces et
chants dans vos fêtes; éviter non seulement les choses mauvaises, mais même les
grosses plaisanteries ou charges de mauvais goût. Je vous recommande de nouveau
cette réserve ainsi qu'à M. Emile [Beauvais]; je crois que, l'un et l'autre,
vous n'êtes pas assez difficiles sous ce rapport.
Je pense bien qu'il sera question ici d'une Commission à établir pour vos
Cercles. En principe, je ne la repousserais pas; il serait assez naturel que le
Comité, les aumôniers et l'armée, intéressés au succès des Cercles qu'ils ont
fondés et qu'ils soutiennent (le Comité surtout) en surveillent les opérations.
Mais il faudrait:
1° - que ce Comité fût composé de gens
sages et bien-veillants, je suppose, par exemple, M. Descemet, M. Louis
[Klingenhofen], redevenu calme et charitable, un officier désigné par le
Colonel et un Président grave et bien impartial .
2° - que ce Comité prévît les
dispositions générales, réglât, en ensemble, la marche des Cercles, contrôlât
les dépenses, mais laissât la conduite et l'administration ordinaire à vous qui
en êtes chargés, sans entraver votre action par des interventions tracassières
qui rendraient vos mouvements embarrassés ou impossibles. Peut-on espérer que
les choses seront conduites en cette voie? L'avenir nous le dira; attendons et
prions. Dieu, je l'espère, sera avec nous.
Pour la chambre de l'aumônier, il me paraît presque impossible, surtout avec
les dispositions que montre M. Louis, qu'il pût demeurer dans la maison sans
vous causer des gênes et des contrariétés incessantes; avec quelque réflexion
sérieuse, il serait le premier à le reconnaître; il ne saurait pas s'abstenir
de se mêler des choses qui regardent votre administration et, de votre côté,
vous ne pouvez admettre qu'on entrave à tout propos vos mouvements. Qu'il ait
un lieu convenable pour confesser, rien de mieux, mais je crois qu'il ne doit
pas demeurer dans la maison; si on vous contraignait à le souffrir, il faudrait
établir expressément qu'il ne se mêlera en quoi que ce soit de l'administration
intérieure; même avec cette réserve, il est fort à craindre que vous ne fussiez
bientôt contraints de quitter la place, parce que la convention ne serait pas
bien gardée.
Je vous envoie ci-joint une lettre que M. Maignen écrit à M. Emile au sujet de
l'affaire Gennetier. Nous désirons l'un et l'autre qu'elle s'arrange en
conciliation et nous espérons qu'il en sera ainsi. Dites de ma part à M.
Gennetier que je n'ai reçu qu'hier la lettre qu'il m'a écrite, étant à Amiens
ces jours derniers; dites-lui aussi que M. Maignen vient d'écrire à M. Keller
pour avoir la décision du Comité qui, seul, peut ici se prononcer; dès que nous
aurons sa réponse, nous vous l'enverrons sans nul retard.
M. Emile semble incliner à se charger de l'administration d'un restaurant; j'y
répugnerais extrêmement, voyant en cet arrangement une source de désagréments
et une surcharge pour des soins purement matériels que d'autres que nous
peuvent prendre; vous verrez ce que les circonstances demanderont absolument;
c'est toujours pour moi un regret de voir notre action s'éloigner du moral et
du spirituel pour s'absorber dans les détails matériels; nous ne devons prendre
de ces derniers que la part indispensable au succès de l'œuvre spirituelle.
Je garde la note des affaires que vous me rappelez; je vais parler des 600f en timbres.
J'autorise la toute petite réfection demandée, quand parfois vous en sentez, le
soir, un véritable besoin. Si vous pouvez, sans abuser de l'obligeance de vos
amis, nous envoyer la Correspondance
de Rome, nous tâcherons d'en faire un bon usage.426 On est, ici,
consterné de l'espèce d'apostasie du P. Hyacinthe.427
Adieu, mon bien cher enfant, assurez nos ff. de ma tendre affection et
partagez-la fraternellement avec eux.
Votre ami et Père en N.S.
Le Prevost
P. S. Le paquet contenant votre lettre et la note de M. Jouin, etc. a été
décacheté, je ne sais par qui; le cachet était brisé et l'enveloppe déchirée
quand on nous l'a apportée, avec une déclaration de la poste déclarant qu'elle
était arrivée ainsi.
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