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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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1570 à Mme la Marquise de HoudetotA propos du service militaire de son fils. Nouvelles de la guerre: copie d'une lettre envoyée du camp militaire de Châlons par un membre du Cercle de Grenelle.
Je vous remercie beaucoup de me tenir au courant de ce qui concerne votre cher fils, et vos dispositions propres, et l'état de votre bonne mère; en ce temps d'agitation et d'inquiétude, on a besoin de ne pas perdre de vue tous ceux qu'on respecte et qu'on aime. Il sera bien difficile, en effet, que votre cher Richard évite un départ temporaire, car les lois qui appellent tous ceux qui sont valides se pressent et se succèdent, de plus en plus envahissantes. Je crois que si, à raison de sa jeunesse et du besoin qu'il aurait d'achever la grande entreprise de ses études, on peut le soustraire au service en ce moment, ce sera le plus sage. Si on n'y peut réussir, la volonté de Dieu étant manifeste et rien n'ayant été négligé pour éloigner cette épreuve, vous accepterez avec soumission et confiance, Madame, les dispositions de la Sagesse divine, espérant qu'elle saura tirer quelque grand bien de ce qui serait si dur pour votre cœur de mère. Nous avons, de notre côté, bien des difficultés; 28 ou 30 de nos MM. laïcs vont nous être retirés des œuvres pour le service militaire, toutes nos maisons vont être en grande souffrance; Dieu daignera se souvenir qu'elles lui appartiennent, comme tout ce qui est entre nos mains. Je veille à ce que la Ste Messe soit offerte chaque jour à vos intentions par quelqu'un de nos prêtres. C'est le plus puissant moyen de l'ordre spirituel; ayons confiance, Dieu nous entendra. Un des jeunes membres du Cercle de notre maison de Grenelle, simple ouvrier ou contremaître, mais fort chrétien et intelligent, écrivait ces jours derniers à son camarade une lettre du Camp de Châlons, où il est comme garde mobile. Cette lettre est si simple et si naïve, elle donne si bien la notion du camp et de la vie qu'on y mène, que je crois bien faire de vous en envoyer une copie. Un de nos prêtres qui arrive du camp, où il est allé visiter un de ses jeunes gens qui fait partie des recrues, a été tristement impressionné des dispositions morales de la généralité des hommes qui sont rassemblés là. Il y a, auprès du camp, une jolie église, mais, même le dimanche, on y voit à peine quelques militaires; à une heure de marche du camp, il y a une autre église dans un village isolé, les bons militaires y vont volontiers, loin des yeux malveillants. Veuillez agréer, Madame la Marquise, et partager avec Madame d'Hurbal et votre cher fils, tous mes sentiments de respect et de dévouement en N.S. Le Prevost
Je suis encore à me demander si je ne rêve pas et s'il est bien vrai que, depuis huit jours, je suis séparé de tous ceux que j'aime; famille, amis, habitudes, tout a disparu pour moi et, pour partage, j'ai la compagnie de gens qui, sous aucun aspect, ne me sont sympathiques. Je couche sous une tente, à l'injure du vent et de la pluie et en rapports continuels avec une dizaine d'individus plus ou moins convenables! Quelle belle invention que la poste! Elle seule me permet de communiquer avec ceux que j'ai laissés en partant pour la gloire. Les témoignages d'affection ne me manquent pas. Ils m'arrivent de ma famille chérie, de mes amis intimes et, ce matin, j'ai reçu une longue lettre de notre ami à tous, de l'excellent M. Edouard [Lainé]. Sur une des feuilles, j'ai lu avec un plaisir inexprimable les noms de plusieurs de mes bien-aimés amis du Cercle. Merci mille fois de penser à ce pauvre mobile qui, loin de tout, loin de son cher Cercle de N.D. de Grâce, n'oublie personne. Je ne vous dirai pas, mes chers amis, que je m'ennuie beaucoup, je pense que vous n'en doutez pas. Les premiers jours ont été rudes, je vous l'assure, mais j'ai écrit tout cela à notre cher Président, et je sais qu'il vous a donné de mes nouvelles; je vous dirai néanmoins que, pour un jeune homme habitué à vivre dans sa famille, rien ne peut-être plus pénible que la vie du Camp. Mais, pour nous chrétiens, quelles ressources n'avons-nous pas? On peut prier partout, même sous une tente (qui est, à mon avis, ce qui ressemble le plus à l'enfer). Je le fais du mieux qu'il m'est possible, et je vous assure que mes compagnons ne s'en doutent guère!... Dimanche, j'ai eu le bonheur de pouvoir assister à la Ste Messe à Mourmelon (d'où je vous écris); c'est à 25 minutes de l'endroit où je campe. J'y vais presque tous les jours, car on ne trouve rien au camp. A la messe, trois mobiles, deux ou trois militaires et un officier supérieur, qui a édifié l'assistance en s'approchant de la Ste Table. L'église de Mourmelon est belle comme style, mais la dévotion n'est pas le fort de la population. Les rues sont pleines de soldats et de mobiles, les restaurants débordent, les cafés, très nombreux, sont archi pleins, mais la maison de Dieu est vide!...Demain soir, si j'étais à Grenelle, je passerais une bonne heure en adoration dans notre petite chapelle. J'espère que, si je n'y suis pas, mes confrères de l'adoration n'oublieront pas l'absent et qu'ils prieront de tout leur cœur pour celui qui serait si heureux d'être avec eux à cette sainte veillée, si salutaire pour nos âmes. J'espérais recevoir prochainement la visite de mes amis, les mobiles du Cercle, mais il a été jugé prudent de ne pas les adjoindre à ceux qui sont déjà ici, et ils vont aller où....Dieu sait! ... On parle de St Maur (les veinards!), de St Omer (où je voudrais bien aller à cause de ma famille), de Lunéville (pas chic). Voulez-vous avoir une idée de ce qu'est le Camp de Châlons et de la vie que nous y menons? Voici: le camp a 80 Km de circon-férence (je n'ai guère envie d'en faire le tour). Cette immense étendue est divisée en plaines immenses pour les manœuvres (les plus petites sont grandes comme le Champ de Mars). Il y a le quartier impérial, où loge le Maréchal Canrobert, qui nous a passés en revue il y a 3 ou 4 jours; puis des buttes pour l'exercice du canon, des cibles, des campements pour 80 ou 100.000 hommes, des parcs d'artillerie et mille autres choses que je n'ai pas vues. Oh! il y a aussi un temple protestant (rien pour les catholiques). J'oubliais l'hôpital, les ambulances. Je n'en finirais pas. Du reste, je n'ai presque rien vu encore, tout cela est éloigné. A 4h.1/2 du matin, un coup de canon donne le signal du réveil, qu'on joue en musique pour la troupe (il y a encore 30.000, on dit même 50.000 hommes campés ici et qui attendent l'ordre de départ). A 6h., nous allons à l'appel, puis à l'exercice pendant 2 ou 3 heures; ensuite, nous mangeons la soupe, puis, si l'on n'est de garde ou de corvée, on est libre jusqu'à midi; on va à l'appel, puis où l'on veut (si on n'est de service). Il faut être rentré à 9h., mais plus de la moitié ne le sont qu'à 11 et plus tard encore. Presque toute la journée, les soldats exécutent de grandes manœuvres. Les musiques jouent et, pour moi, ce n'est pas la partie la moins intéressante. Hier, j'ai assisté, avec une foule considérable, à des expériences de mitrailleuses. Nous étions tenus à distance très très respectueuse. Les officiers de tous corps étaient seuls près des machines de mort dont nous n'apercevions que vaguement les formes. La détonation est formidable. A la première décharge, plus de la moitié des spectateurs s'étaient couchés à plat ventre. On a tiré à 2.000 et à 2.500 m. et il paraît que le résultat obtenu est étonnant. Tout cela n'est pas gai... Si, après cette guerre, on pouvait arriver à un désarmement général, mais... Pardon d'être si bavard, je ne veux pas vous fatiguer à m'écouter plus longtemps. Amitiés et remerciements à tous; je ne nomme personne, dans la crainte d'oublier quelqu'un. Je me recommande de nouveau aux bonnes prières du Cercle et, en attendant que je revienne recevoir mes cotisations, je vous serre à tous la main. Votre ami tout dévoué A. Gobrecht
Mes respects à M. l'abbé Baumert, M. Piquet, Caron et tous ceux que j'oublie. Le tumulte m'empêche d'écrire un peu proprement. Excusez fautes, ratures, etc... Camp de Châlons, vendredi 5 août 1870
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