Demandes
de nouvelles de son entourage. Chronique des derniers événements.
Vaugirard,
11 septembre 1870
Madame la Marquise,
Le facteur m'ayant dit que la poste allait, d'un jour à l'autre interrompre son
service, je profite du dernier moment où elle reste libre pour m'informer de
votre situation et de celle de tout ce qui vous est cher, particulièrement
votre bien-aimée mère et votre cher fils.
Je n'ose espérer que vous soyez tranquille, car qui est en repos en ce moment?
J'entendais dire hier que l'ennemi voulait faire du Havre et de Rouen une sorte
d'entrepôt pour les substances qu'il veut recueillir en dépouillant les villes
et les provinces et, après avoir ravagé les environs de Paris, le prendre par
la famine. Que cette haine acharnée des hommes les uns contre les autres est
cruelle et s'éloigne de l'esprit chrétien! Mais il paraît que ce grand fléau,
prévu par la Sagesse
divine et permis par Elle, est ramené plus tard à des fins miséricordieuses où
le bien est tiré du mal; puisse le jour où cette vérité se manifestera pour
nous ne guère tarder à paraître!
Ici, on est dans l'attente de l'imminente invasion des ennemis autour de Paris.
J'ai dû envoyer à Tournay deux de nos prêtres [Faÿ et Baumert] avec quelque
reste de nos étudiants, 12 en tout. On les a accueillis provisoirement au
séminaire, je ne sais pour combien de temps ni à quelles conditions. Si M. de
Caulaincourt était à Lille, je le prierais de les recommander à ses amis de
Tournay, non pour leurs besoins propres, mais pour les mettre à même de se
rendre un peu utiles.
Nous avons dû abandonner notre Maison de Chaville qui ne sera point garantie
contre les incursions. Ici, on prend le grand bâtiment de notre orphelinat de
Vaugirard pour loger des troupes. Je ne sais si on nous laissera la partie où
nous nous sommes réfugiés, vers la chapelle; nous n'avons plus que 30 enfants
qui n'ont pas été repris par leurs protecteurs.
Vous ne me savez pas mauvais gré, Madame la Marquise, d'entrer dans ces détails; vous
accordez à nous et à nos œuvres un intérêt tout aimable qui me permet de vous
dire en quel état nous sommes; pour l'avenir, nous ne saurions le prévoir, même
jusqu'au lendemain.
Veuillez partager
avec votre cher entourage tous les sentiments de respect et d'attachement
dévoué de
Votre très humble serviteur et ami en N.S.
Le Prevost
P. S. Pardonnez-moi d'omettre, par
prudence, votre titre sur l'enveloppe de cette lettre.
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