Le
père Baumert s'est rendu à Metz. Gravité de la situation à Paris. Annonce de la
mort du père Planchat; son éloge : "nul parmi
nous n'a porté plus loin le zèle et le dévouement pour les pauvres et les ouvriers..."
Chaville,
2 juin 1871
Mon bien cher ami et fils en N.S.,
J'apprends avec plaisir, par votre lettre du 30 mai, l'arrivée près de vous de
notre cher f. M. Baumert. Je pense qu'il vous prêtera un utile appui et vous
rendra un peu moins lourde la charge de vos œuvres. Retenu ici et ne
communiquant que difficilement avec nos ff. de Paris, je n'ai pu encore me
rendre un compte exact de notre situation, après les désastres que nous venons
de traverser, ni voir bien précisément quels arrangements nous aurons à prendre
pour tirer parti du personnel qui nous reste. Je ne puis donc encore rien
régler que provisoirement; bientôt cette incertitude va cesser; demain, nous
assure-t-on, les communications seront rouvertes avec Paris. Quoiqu'il en soit,
je désire sincèrement que vous soyez assisté, aussitôt qu'il se pourra, par la
présence habituelle d'un prêtre qui vous soit adjoint. Soyez sûr que le Conseil
tiendra compte de cette nécessité.
La lettre de M. Baumert ne contenait absolument rien que les termes de
bienveillance et de soumission sur tout ce qu'on voudra arranger relativement à
ses emplois. J'espère qu'il prendra bien toutes les observations que vous lui
pourrez faire sur sa tenue et sa manière d'agir.
Notre cher M. Lebrun m'écrit qu'il est
guéri et en état de reprendre ses travaux. Désirez-vous qu'il vous revienne? Ou
bien, suffisamment aidé par MM. Baumert et Emes, pourriez-vous vous passer de
ses services? Nous l'emploierions très utilement, un certain nombre de vides
s'étant fait dans notre personnel laïque. Je vous prie de me répondre sans
retard à ce sujet. Peut-être serait-il utile que M. Baumert écrivît un mot à M.
Emes pour presser son arrivée; je ne suis pas bien sûr qu'il soit à Greffrath,
ni que ma dernière lettre lui soit parvenue; il pourrait être à Cologne, je ne
sais pas au juste à quelle adresse.
La douleur que nous craignions nous atteint définitivement; notre cher abbé
Planchat a été fusillé en même temps que Mgr l'Archevêque de Paris,[Mgr
Darboy] avec un nombre notable de religieux et de prêtres [55], le mercredi 24
mai. D'autres exécutions ont eu lieu les jours suivants, non moins
regrettables.
Nos ff. de Paris sont parvenus à retrouver son corps qui avait été jeté, avec ses
compagnons de martyre, dans une fosse commune au Père Lachaise; ils l'ont
enseveli et mis dans une bière que M. le Curé de Vaugirard a reçue dans un des
caveaux de son église,
en attendant que nous puissions le ramener à Chaville. Il
nous importait de garder ces précieuses dépouilles, nul n'a porté, parmi nous,
plus loin le zèle et le dévouement pour les pauvres et les ouvriers, nul n'a
pratiqué plus généreusement les vertus religieuses, nul enfin n'a professé un
si tendre attachement pour notre petite famille. Il fallait donc qu'il restât
au milieu de nous après sa mort, c'était là le lieu choisi pour son repos.
Chacun de nous célèbre trois messes à son intention; je vous prie, ainsi que
notre cher abbé Baumert, d'acquitter envers lui ce devoir de sainte fraternité.
Mais en priant, ayons confiance; il semble bien qu'une vie si cordialement
donnée à Dieu trouvera grâce devant lui et que cette chère âme, arrivée dans la
paix, obtiendra pour ses frères, restés dans le travail et la lutte, de grandes
assistances de la grâce.
Assurez tous nos ff., nos chers convalescents surtout, M. Nominé, M. Allard, de
tous nos sentiments de sympathie et de tendre affection, et croyez vous-même,
mon bien cher ami, à tous mes sentiments les plus dévoués en N.S.
Le Prevost
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