46  à M. Levassor

Excuses pour avoir trop insisté sur l'avenir de son ami. Nouvelles des pauvres dont s'occupait M. Levassor. Vocations du Séminaire d'Issy-les-Moulineaux. La fête de la Société de St-Vt-de-P., le 19 juillet, a été une belle réussite.

18 août 1835

Mon cher ami,

Vous paraissez bien décidé, mon cher ami, à ne point donner de vos nouvelles, cependant il me serait bien doux d'en recevoir. Je crains que l'ardeur, peut-être indiscrète, de mes instances au sujet de votre avenir, ne vous ait, pour plus de sûreté, fait prendre ce rôle silencieux à mon égard; mais, cher ami, un simple avertissement de votre part eût suffi pour me donner plus de réserve, et la présente, en particulier, vous prouvera que je puis, quelque intérêt que m'inspire cette question, m'abstenir entièrement de l'aborder.

Je pense que ce point réglé, vous ne serez pas fâché d'entendre un peu parler de tous ceux que vous laissez ici et dont vous gardez, j'espère, encore quelque souvenir. Je puis vous tenir au courant, car, depuis peu, j'ai vu à peu près tout votre monde. M^me Courbe, qu'un coup de soleil avait, vous savez, rendu assez sérieusement malade, est pleinement rétablie. Dimanche j'y ai passé la soirée, j'y conduisais un jeune homme fraîchement débarqué et qu'on désire maintenir en ses bons principes. J'ai pensé qu'il n'était pas pour cela de plus sûr moyen que de le faire ami de notre bon Emile. On fêtait ce jour là M^meCourbe (Marie) toute la famille était réunie à table; ces excellentes gens ne nous ont pas trouvés de trop et nous ont accueillis de leur mieux, la soirée a été fort joyeuse, et mon Lyonnais est sorti enchanté. J'ai promis de rappeler à votre souvenir toute cette bonne famille qui vous aime, mon cher ami, d'une façon bien rare et bien digne d'envie. Une nouvelle: notre ami Marziou est ici depuis quelques jours, il vient faire ses emplettes pour son mariage qui a lieu dans quinze jours. Pauvre enfant! et vraiment à le voir fatigué, maigri, changé, je ne puis m'empêcher de croire qu'il a raison de bien remplir sa vie, car elle ne semble guère promettre longue durée. Il avait peur de moi; le cher ami me savait donc bien mal; je l'ai embrassé avec toute l'effusion possible et l'ai vite rassuré.

Connaissiez-vous, mon ami, M. l'abbé Dombrée, vous m'en aviez du moins entendu parler souvent: à vingt-huit ans à peine il vient de nous quitter. Le jour de l'Assomption, nous étions tous à St-Sulpice autour de son cercueil. M. l'abbé Didon, saint prêtre vous savez, suivait à pas lent le convoi, l'abbé Dombrée était son condisciple: ils se reverront bientôt, il ne paraît pas possible que cela tarde même jusqu'à l'automne. C'était, je vous l'assure, un triste spectacle, mais Dieu parlait aussi dans tout cela, et plus d'un dans la foule, enviait le sort de ces deux prêtres, du premier surtout qui possède au lieu d'espérer.

M. Cherruel ajourne son projet de Séminaire, M. Roger n'a pas vu sans joie l'époque des vacances lui ouvrir les portes des beaux jardins d'Issy. Il en est sorti si vite, si vite que je crains presque du retard pour sa rentrée. Ainsi donc débâcle de tous côtés, heureusement il reste toujours à Dieu des paysans, des pêcheurs, ceux là n'ayant à quitter que leurs filets se détachent plus aisément; je commence à comprendre ce mystère. Ce n'est pas en temps mauvais seulement, comme ceux dont nous sortons, que le Seigneur recrute là sa milice, mais toujours. Oh! mon Dieu, vous l'avez dit: bienheureux les pauvres. M^me Meslin va bien, nous nous occupons de lui faire obtenir les 5f des 74 ans; je ne sais encore si nous aurons succès. M^mes Delatre et Dorne passablement aussi.

Nous avons eu une fête admirable le jour de la fête patronale de notre petite Société. L'archevêque officiait, 4 Evêques l'entouraient, l'Evêque de Moulpen a prêché. Le soir réunion des frères chez M. Bailly et joie complète. A l'église comme à la soirée, nous étions plus de 100. Cela a dignement clos l'année.

Mon pauvre ami Edouard Guépin se trouve encore en ce monde!

Adieu, cher ami, écrivez-moi et croyez toujours à l'affection toute fraternelle de votre dévoué

Le Prevost