47  à M. Maillard

S'inquiète de la santé d'Edouard Guépin. Il veut savoir si V. Pavie est vraiment heureux et être au courant de ce que fait et lit son jeune ami Maillard.

17 septembre 1835

Cher ami,

Depuis bien longtemps je n'ai point de nouvelles de notre ami Edouard: je lui ai écrit bien des fois sans qu'il lui ait été possible, ainsi que je le pensais bien d'avance, de me faire aucune réponse; mais, en dernier lieu, je le priais de recourir à vous et, par votre intermédiaire de me tenir au courant de sa situation et de tout ce qui peut l'intéresser. Je ne reçois rien non plus de ce côté. Ce silence m'inquiéterait si je n'avais d'ailleurs l'assurance que vous m'informeriez de vous-même, cher ami, de tout incident nouveau dans la position de notre cher malade; j'espère donc que son état se soutient, mais à défaut de changement notable et décisif je ne laisserais pas d'apprendre avec un grand intérêt quelques détails sur sa vie ordinaire et la disposition de son esprit. Mes lettres se ressentaient de mon absolue ignorance à cet égard, ne sachant sur quel ton lui parler, je me suis tenu dans une entière insignifiance. Tirez-moi de peine, cher Adrien, dites-moi ce que j'aurai à faire pour distraire un peu notre ami et lui complaire; je le ferai sans retard.

Edouard n'est pas le seul dont j'aimerais avoir des nouvelles; Victor, que devient-il? C'est à peine s'il faut le demander, il est heureux, mais toutefois de sa nature notre âme est si inquiète qu'elle veut, même en plein repos, être encore rassurée; dites-moi donc, très cher enfant, qu'il est heureux, bien heureux, autant que nous le voulions, autant qu'il faut pour nous faire envie sur ce point, comme sur tant d'autres.

Vous, enfin, cher ami, que j'ai gardé pour le dernier, dites-moi, oh! dites-moi bien avec cette confiance si gentille et à moi si douce, tout ce que vous êtes à cette heure, corps et âme, amour et pensée; j'ai sur tout cela des droits d'ami, presque de père; vous m'en devez compte, enfant, contez-moi bien au long tout ce qui vous occupe et vous plaît, vos loisirs, vos heures choisies, votre vie enfin, pour que je me mire en cela comme dans un rêve et retrouve dans ces effusions quelque trace confuse de mon passé. Ce que j'aurai en retour pour vous, cher ami, hélas! je ne saurais le dire! une tendre sympathie et beaucoup d'affection, c'est tout ce qui me reste; vous en prendrez, cher ami, tant qu'il faudra et jusqu'à compte quitte; jamais je ne dirai: c'est trop.

Vous êtes-vous souvenu, cher Adrien, de quelques livres que vous deviez lire en mémoire de moi: de Maistre (soirées)⁷², Lamennais, ou mieux si vous vous y sentez inspiré. J'y tiens fort, si ce n'est fait, hâtez-vous, cher ami, afin que nous ayons un sujet d'entretien de plus à votre retour. J'eusse tant aimé, mon Dieu! que la belle et grande voie où d'autres n'entrent qu'en détour, s'ouvrît droite devant vous! Mille et mille n'ont presque pas le choix; quand vingt ans sonnent pour eux, pauvres égarés, ils sont déjà si loin; le passé les précipite et les pousse; mais vous, votre choix est libre encore; oh! ami, je ne vous souhaite qu'une chose, c'est de bien regarder avant de choisir.

Adieu, cher enfant, pardonnez-moi ce petit bout d'oreille qui se montre, quoique j'en aie; adieu, aimez-moi, écrivez-moi, puis revenez bientôt. Embrassez Victor, Théodore, Edouard, Léon, tous nos amis, Godard, Cosnier, Nerbonne et d'autres encore, le plus possible. J'aime là-bas chez vous beaucoup d'amis.

Votre dévoué de cœur

Le Prevost