Conseils
de patience et de piété. Attitude envers le personnel domestique. Condoléances.
Chaville, 29 mai 1872
Madame la Marquise,
Votre long silence ne me laissait pas sans inquiétude; j'avais demandé
plusieurs fois de vos nouvelles à votre cher oncle, je pressentais que vous
n'étiez pas exempte d'épreuves, bien que vous fussiez délivrée de plusieurs
sollicitudes. La vie est donc ainsi faite qu'après une peine vient une autre
peine. Hélas! oui, notre existence ici-bas est tissée de luttes et de tristesses.
Je prends bien part assurément aux divers ennuis que vous retrouvez à la
campagne comme à la ville, et je prie Dieu de vous accorder quelque relâche
dans sa miséricorde; je le prie
surtout d'accroître ses grâces de lumière, de force et de constance pour que
vous puisiez en Lui tout le secours dont vous avez besoin. Je ne vois guère, en
effet, que de ce côté un remède sûr et efficace aux difficultés multipliées
qu'il vous faut subir journellement, soit pour le bien de vos chers enfants
qu'en mère chrétienne vous voulez voir grandir en perfection, soit pour le
repos de votre bonne mère que vous désirez entourer de respect et de confiance,
soit enfin du côté des gens de votre maison que l'esprit du siècle gâte et rend
si peu chrétiens et si peu maniables. Tout cet ensemble constitue une grande
tâche et, à certains égards, une lourde tâche. Il n'est que Dieu qui ait pu
dire avec vérité: Venez à moi, vous tous qui êtes chargés et qui êtes las, je
vous soulagerai, je referai vos forces. C'est donc vers Lui, chère Madame,
qu'il faut vous tourner fidèlement; Il vous donnera, avec la patience, le
conseil, la persistance, en un mot ce secours divin qu'Il tient en réserve pour
tous nos besoins comme pour toutes nos misères; hors de Lui, tous les secours
sont inefficaces ou insuffisants. J'ose donc vous inviter à ne vous relâcher
dans aucun de vos pieux exercices, quoi qu'il puisse parfois vous en coûter
quelques sacrifices, à communier souvent, à vous garantir de l'esprit du monde
qui vous envahit partout et qui est aujourd'hui plus subtil, plus absorbant que
jamais. En ce qui concerne la conduite de vos gens, je sais que vous joignez la
fermeté à la bonté, que vous veillez non seulement à leur bien-être, mais
surtout à leur foi et à leurs mœurs; il faut vous résigner, en outre, à
beaucoup endurer de leur part car, presque sans exception, leur classe tout
entière est en dehors de sa voie; on dit que beaucoup de maîtres y ont
grandement contribué; il est encore pourtant de bons et de fidèles serviteurs;
comme les maîtres éclairés et chrétiens sont déjà dans votre maison, j'espère
que de dignes serviteurs se trouveront enfin pour vous; j'avoue qu'ils sont
rares, mais on peut améliorer quelques-uns de ceux qui ne sont pas absolument
incorrigibles et en former aussi quelques-uns pris aux bonnes sources dans des
familles chrétiennes ou dans quelques Congrégations qui ont des associations de
servantes chrétiennes. A Paris, rue Duguay-Trouin, les Petites Sœurs Servantes
de Marie ont une association de plus de mille servantes restées chrétiennes,
qu'elles surveillent, placent, reçoivent durant leurs chômages et soignent chez
elles dans leurs maladies; elles leur font suivre aussi, à certains temps, des
retraites spéciales.
J'ai la confiance que l'acte d'autorité effectué à l'égard du cocher insolent
et désobéissant sera d'un bon effet pour les autres.
Je ne m'excuse pas de la liberté avec laquelle je vous écris, Madame la Marquise; vous m'avez
demandé mon sentiment et mes avis, je les exprime franchement et en simplicité
chrétienne; je crois pouvoir présumer qu'ils seront pris en bonne part.
Je pensais bien que la mort de votre chère tante, Madame la Comtesse de Caulaincourt,
vous serait une grande peine, et parce qu'elle manquera à toute la famille, et
surtout parce qu'elle laisse un grand vide pour mon excellent ami, M. de
Caulaincourt; j'ai eu la consolation de me trouver près de lui dans cette
douloureuse épreuve et un de nos prêtres [M. Trousseau] a accompagné au Jardin
les restes de celle que Dieu a rappelée à lui. Votre cher oncle a été bien
navré, mais aussi bien résigné chrétiennement; Dieu lui a inspiré la pensée de
faire une retraite dès son retour en Normandie; j'espère qu'il aura trouvé un
grand apaisement. Je lui ai écrit ces jours-ci, j'attends de ses nouvelles.
Je fais des vœux pour
le rétablissement de Madame de St Maur. Dieu bénira les soins que
vous lui rendez et Il vous en récompensera par le bonheur de vos enfants; Il
donnera aussi à vous-même et à votre bonne mère le calme et la tranquillité que
vos santés réclament. En ce moment, toutes les intentions de mes Sts
Sacrifices, sauf une seule, sont chaque semaine consacrées à votre famille, par
moi si respectée, trois pour votre chère tante, trois autres pour votre propre
maison.
Je serai heureux si je peux ainsi vous témoigner tous mes sentiments de respect
et de dévouement en N.S.
Le Prevost
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