Vie de famille. Les devoirs d'état
avant tout. Conversions à obtenir.
Chaville,
le 3 août 1873
Madame la
Marquise,
Je ne pense pas que ce soit par ma faute si ma réponse à votre avant-dernière lettre
vous est parvenue bien tardivement; une multitude de circonstances se sont
jetées à la traverse. Quoi qu'il en soit, je réponds qu'il était bien loin de
moi de rester indifférent à ces faits que vous vouliez bien me communiquer; ils
avaient en eux-mêmes trop d'intérêt pour ne pas attirer toute mon attention.
J'ai béni de loin la chère petite Thérèse, dont j'ignorais encore le nom; j'ai
prié Dieu de lui faire une bonne part en ce monde et de la mettre parmi les
âmes favorisées de ses précieuses prédilections. Les détails de naissance me
semblent d'heureux augure. La divine Providence veillait évidemment sur elle,
et l'ange gardien l'assistait à son arrivée en ce monde; aussi, tout ne
s'est-il pas merveilleusement passé! Puisse la divine intervention la suivre
aussi dans toute sa voie, elle n'aura rien à envier aux créatures les mieux
partagées!
Je savais déjà, au moment où votre dernière missive m'en disait la gravité, la
maladie inquiétante de Madame de St Maur; la nature et le caractère
du mal ne semblent guère promettre une guérison véritable; mais elle est aimée,
entourée d'âmes pieuses qui obtiendront pour elle, ou une amélioration dans son
état, ou ce repos bien plus désirable où les souffrances et les peines ne
peuvent plus nous atteindre. Je joins de tout mon cœur mes instances aux vôtres
et à celles de Madame votre mère pour que Dieu, selon sa sagesse et sa
miséricorde, console elle et les siens.
Combien je suis contristé de ne pouvoir me rendre à vos si aimables instances
pour une visite à St Laurent! Mais comment faire? Je suis retenu ici
par des devoirs réels; les interrompre sans une absolue et évidente nécessité
me semblerait mal faire; si quelque besoin d'ordre majeur pour vous ou les
vôtres, spirituellement surtout, réclamait cette démarche, je n'hésiterais pas,
la volonté de Dieu semblerait manifeste; mais, dans les conditions présentes,
il n'y aurait qu'une joie pour moi et à peine une légère et courte consolation
pour vous, Madame, qui avez l'indulgence d'envisager ainsi les choses. Demeurer
dans mes obligations d'état, n'est-ce pas ce que demande la raison? Je suis
bien assuré que votre sentiment ne sera guère autre que le mien.
Je prends une vive part à vos préoccupations touchant l'état d'âme de vos chers
oncles [Général d'Hurbal, frère de son père; M. de Bailleul, frère de sa
belle-mère] de celui de Vendôme surtout, que j'ai vu, qui me semble d'un esprit
si élevé, si bien fait pour se nourrir de la vérité et des biens réels de la
vie spirituelle. Mais j'ai bonne confiance que les faits qui se sont passés
durant votre séjour près de lui auront laissé en lui une vive impression; il se
rapprochera plus souvent de son Curé, capable, pa-raît-il, de le comprendre et
de traiter avec lui. Voilà de bons indices et de réelles espérances; prions
constamment, offrons quelques petits sacrifices et bonnes œuvres, le Cœur du
Seigneur se laissera gagner. Je serai, en tout cela pour une faible et indigne
part, heureux, Madame, de vous témoigner ainsi mes sentiments de profonde
sympathie et de bien respectueux dévouement. Je prie aussi Madame votre mère
d'en accepter avec vous l'assurance et d'agréer, toujours en commun, l'hommage
de mon inaltérable attachement en N.S.
Votre humble et dévoué serviteur
Le Prevost
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