Diplôme d'études juridiques de son jeune ami. Exhortation
à mener une vie droite et chrétienne, ainsi qu'à faire
fructifier les dons qu'il a reçus.
1er
août 1836
La difficulté assez grande pour moi, très cher ami, de
quitter mon bureau afin de remplir votre petite commission, a retardé plus que
je ne l'aurais voulu ma réponse: je suis en mesure maintenant et j'accours.
Votre diplôme n'est plus au Ministère où je suis allé le chercher, on m'a
renvoyé à la Faculté
qui n'a pas jugé suffisante l'autorisation que vous m'aviez envoyée. Une
procuration semblable serait bonne, mais en prenant soin de faire légaliser
votre signature par le Maire d'Angers. Vous aviserez donc aux moyens de satisfaire
Dame Faculté.
Vous savez bien, cher Adrien, si j'eusse aimé vous garder
ici; j'avais quelquefois du remords d'insister trop sur cette douce idée qui
pouvait n'être pas dans les vues de votre famille, et pourtant, cédant à
l'entraînement, j'arrangeai avec vous tout un avenir bien loin d'Angers, auprès
de nous et sous mes yeux de père et d'ami. Que voulez-vous, le vent l'emporte;
quoique bien jeune, beaucoup de rêves déjà ont passé ainsi pour vous, bien
d'autres encore passeront; le mieux peut-être serait de n'en plus faire, mais
vous n'en êtes pas là, cher enfant, et vous pleurerez souvent encore vos douces
chimères envolées.
Tout bien calculé, si vous devez être avoué, mieux vaut
Angers pour vous y préparer que Paris. Ici vous eussiez assurément pris cette
carrière en dégoût; vos yeux s'ouvrant de plus en plus vous eussent montré les
graves difficultés d'une voie si généralement mal hantée: chez vous cela doit
être moins mauvais; avec une ferme volonté, on y peut, je le crois, garder
encore honneur, délicatesse, conscience, et concilier tout cela avec un
bénéfice raisonnable et de légitimes prétentions. On ne saurait rester dans les
nues, force nous est de prendre pied; si c'est en place nette, pays et lieux
n'importent guère. Malgré ma tendre affection pour vous, je tiendrai comme
secondaires ces accidents si divers, si l'essentiel, si l'unique nécessaire, la
droiture, la sainte honnêteté de votre cœur peuvent demeurer saines et sauves.
Ces conseils de morale sans principe et sans but me vont
bien mal, cher ami, je suis bien gauche à les articuler. J'aimerais vous parler
un langage plus vrai et plus haut, mais l'entendriez-vous, ne vous lasserait-il
pas, ne viendrait-il pas à contre temps? Combien de fois cette crainte m'a
retenu ici, quand voyant en vous mille facultés nobles et précieuses, je disais
en moi-même: tous ces trésors pourtant, on les pourrait assurer pour l'avenir!
Dieu qui les a faites ne demande pour les accroître et les grandir qu'un seul
regard de confiance et d'amour; ce regard, Il le sollicite et l'attend; oh! ne
lui sera-t-il donc pas donné! Qu'une parole religieuse et croyante m'eût réjoui
le cœur alors, si vous l'eussiez laissée tomber, cher ami, mais enfant, vous
n'y songiez pas, l'heure passait et je partais.
Vous voilà loin maintenant, vous devenez homme, vous
aurez la volonté plus ferme et moins flexible, le cœur moins tendre,
l'inspiration moins facile, cela fait bien des raisons d'inquiétude et de doute
sur vous; et cependant, cher enfant, j'espère toujours: toute votre vie est
libre encore; nul engagement avec le mal, nul tiraillement du passé ne
compromet votre avenir; il est encore à vous, bien à vous; mais l'heure du
choix est venue, les premiers pas que vous ferez peuvent être décisifs; oh! que
n'ai-je assez d'ardeur et de puissance pour vous bien dire tout ce que cet
instant a de solennel et d'immense pour vous! Un guide sûr, éclairant pour vous
le monde, vous y tracerait les deux routes, vous dirait les peines, tourments
et ennuis de l'une, la paix, la sûreté, la grande fin de l'autre, entraînerait
votre volonté, vous pousserait bon gré mal gré dans la vraie voie, et vous
forcerait à y marcher: je n'ai, moi, ni force, ni mission pour cela, je n'ai
que mes vœux les plus tendres, mes prières les plus ferventes; vous les aurez,
cher ami, je vous en assure: puissent-ils, comme un souffle heureux, tourner
vos voiles au meilleur avenir. De ce côté encore, est votre seul refuge pour
garder votre poésie si chère, votre amour de l'art, vos études les plus aimées;
à Angers surtout, loin du foyer qui ranime et soutient tout, vous aurez bien
vite épuisé vos ressources, le monde du beau se fermera pour vous; si Victor a
gardé sa haute vue, sa noble et généreuse pensée, c'est à la foi qu'il le doit;
interrogez-le, il vous le dira; sans elle, son esprit comme son cœur fussent
devenus arides, la foi même en ce sens, la foi seule l'a sauvé. Mettez donc en
cet abri les précieux dons de votre âme; ailleurs, tout est perdu, tout se
garde par là.
Adieu, cher enfant, l'automne m'alourdit, cette lettre
vous en fera foi, mais laissez la forme, prenez seulement le fond,
c'est-à-dire, ma tendre et vive sollicitude pour vous, avec mes plus affectueux
sentiments.
Embrassez Victor, je lui dois une lettre, et
Théodore et Cosnier, Beauchesne. Souvenir à notre cher Emile.
Le Prevost
|