68  à M. Levassor

MLP. réconforte son ami dans l'épreuve qui touche sa famille. Exhortation à l'espérance. "Dieu n'efface que pour écrire et ne reprend que pour donner encore plus." Communion des saints.

Paris, 10 mars 1837

Mon bien cher ami,

J'apprends par notre ami Emile Courbe, qu'un grand sujet d'inquiétude et de peine est donné à votre famille, qu'une perte douloureuse vous menace et que les soins et les vœux de vos amis vous sont désirables. Je veux être des plus empressés et vous témoigner sans nul retard la vive et tendre sympathie que je me sens pour cette nouvelle affliction. Peut-être n'est-ce encore qu'un avertissement, un appel envoyé par la divine miséricorde pour se concilier décidément un cœur qui, sans cela, languirait encore longtemps dans sa

triste incertitude; vous le savez, mon cher ami, ce moyen est familier à notre Père Céleste, il frappe, et bien fort parfois, l'homme est renversé et se croit perdu, mais dès qu'il crie grâce la main du Seigneur le relève, lui accorde des jours et conduit à perfection l'œuvre de sa conversion.

Je me plais à penser que telle est en ce moment l'épreuve subie par votre bon père, et que la consolation de le posséder vous sera encore laissée; mais s'il en était autrement, je garderai néanmoins vive et ferme confiance; le bon M. Lecomte vous a promis que votre sacrifice serait bénédiction pour votre maison; c'était au nom de Dieu qu'il parlait Dieu ne le démentira point; quelque chose qui advienne, la grâce du salut me semble acquise à votre bon père, et, s'il plaisait au Maître d'abréger les temps, j'ose espérer de son amour infini qu'il n'y aurait point préjudice pour l'âme de son serviteur, il accumulerait les grâces, il les verserait à mains pleines, et, dans un instant peut-être, ferait l'œuvre de beaucoup d'années. Tâchez, mon cher ami, de mettre profondément en votre cœur cette espérance; outre qu'elle vous consolera à tout événement, elle sera, si j'ose le dire, une obligation de plus pour notre bon Maître d'y donner satisfaction; il ne voudrait point, pour la détruire, déchirer une âme si confiante en sa bonté, il vous fera selon que vous aurez cru, et votre foi exercera violence sur sa volonté divine. En repassant dans mon souvenir ce que je sais de votre famille, je me dis que ce n'est point sans des vues de miséricorde que le Seigneur l'a frappée déjà douloureusement; votre pauvre père n'a-t-il pas déjà pleuré deux de ses fils qui lui ont été pris, l'un pour le ciel, l'autre pour la maison de Dieu? n'est-il pas aussi languissant, privé de santé, de repos, de joie, depuis bien des années! Il y aura pour cela compensation dans les justices éternelles, Dieu n'efface que pour écrire et ne reprend aussi que pour donner encore plus. Prions néanmoins, ainsi que vous le demandez, mon cher ami, prions instamment; nos prières, quoique imparfaites et misérables, doivent avoir poids dans sa balance, heureux si nous contribuons à l'entraîner vers la miséricorde. Un jour aussi cela nous sera rendu; d'autres, à leur tour, demanderont grâce pour nous; car, c'est ainsi que tout se lie et s'enchaîne dans la sainte communion des âmes!

Je serai fort empressé d'apprendre la suite de l'épreuve où vous êtes engagé en ce moment, vous et ceux qui vous sont chers; tâchez de m'en tenir informé, si quelque loisir vous reste; disposez d'ailleurs de moi pour tout ce que vous croiriez devoir entreprendre devant Dieu. Je coopérerai, selon ma faiblesse, à vos prières et à vos œuvres afin d'être vraiment, comme je me plais à me dire

Votre frère en J.C.

Le Prevost