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Jean-Léon Le Prevost Lettres IntraText CT - Lecture du Texte |
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71 à M. PavieEffusions de son cœur. Nouvelles de sa mère, et de sa sœur dont le mariage est un échec. MLP. dresse un bilan de son propre mariage: depuis trois ans, malgré une estime réciproque, "c'est une marche pénible". Dieu toujours présent dans l'épreuve.
Que votre amitié, mon cher Victor, est généreuse et fidèle, qu'elle fait honte à ma négligence et à ma lâcheté. Vous aviez trop bien présumé de moi; non, Théodore n'emportait rien pour vous que l'humble confession d'une torpeur stupide dont on ne peut rien arracher. Il y avait, avec, pourtant, force tendresses et affections, car j'aime quand même, dormant ou éveillé, mais c'était tout. Point de reproches, ils seraient retombés sur son nez, point d'excuses, je n'étais pas en droit de pardonner. Vous, mon aimé ami, dont la fécondité ne se lasse point et dont le cœur n'a point de repos en ses effusions, vous prenez l'initiative, vous me parlez le premier de cette douce joie qu'il m'a fallu retrouver pour quelques instants, aux rayons de votre chaleureuse affection. Vous me parlez des bénignes influences d'une affection plus suave encore peut-être, de la douce intervention de votre femme, blanche clarté de nuit après les splendeurs du jour. Que cela est bien à vous, ami, de provoquer mon âme et d'y remuer ces tendres souvenirs, je m'en sens tout rafraîchi, c'est une rosée sur l'herbe aride, béni en soyez-vous. Il est vrai, cher ami, que cette douce âme, devenue moitié de votre âme, m'a naïvement et fortement entraîné. J'allais à elle par pente et attrait, sans nulle réflexion ni pensée, comme autrefois je m'étais laissé aller à vous; c'était floraison nouvelle de notre vieille affection. Je vois cela en cette heure, mais je n'avais garde d'y penser alors, et je me sens tout surpris d'impression si naïve, vieux que je suis déjà et si accoutumé aux analyses. Dites-lui, cher ami, que mon cœur est tendrement reconnaissant du bien qu'il a reçu; que par là, nous demeurons attachés, elle, pour m'avoir été si aimable, moi pour l'avoir dignement aimée! Théodore vous a dit, à cette heure sans doute, qu'au jour où il me vit un bouquet en main, c'était double fête pour moi; le matin, je suivais le père qui est aux cieux; le soir j'allais retrouver la mère qu'il m'a laissée sur la terre. Je l'ai revue, mon ami, meilleure encore et plus sainte; ces trois ans l'ont bien grandie et, c'est merveille divine vraiment, qu'en pays si mauvais, si dépourvu de toute ressource pour la culture des âmes, la sienne, par richesse propre du fonds, par soins directs de la grâce, ait ainsi cru dans le bien et mûrisse pour les greniers du Seigneur; d'elle-même, elle me conduisait chez ses pauvres pour lesquels elle travaille aujourd'hui presque uniquement, puis, quand le matin, revenant de la messe avec elle, elle s'appuyait sur moi, elle pressait mon bras, me disant: "Oh! que nous nous entendons bien!" Elle a 73 ans, elle marche bien encore, mais un appui lui plaît. Je lui en servais. Qu'il me serait doux qu'il en fût ainsi jusqu'à la fin! Mais non, nous voilà séparés. Elle est bien loin, et serai-je là quand Dieu la reprendra? Oh! que ne m'est-il donné plutôt, pour comble de tous mes vœux, dès aujourd'hui de courir à l'avance, là-haut, à l'ombre de la sainte demeure, l'attendre, ami, et quelques autres encore. Voilà de bonne et douces pensées, mais ne croyez pas qu'il m'ait été donné de m'y livrer en paix là-bas. C'étaient là fleurs croissant sur le fumier de grandes afflictions! Ma pauvre sœur plie sous un fardeau de peines toujours plus accablant, sans qu'aucun allégement semble possible par voie conciliante et paisible; dix ans de ménage n'ont pu faire encore de sa vie et de celle de son mari une seule vie, et humainement, la fusion semble impraticable, à cause des éléments vraiment dissociables de l'une des deux parties, quelque explosion peut s'attendre d'heure en heure. Je n'ai donc point eu de repos là-bas, pas un jour d'épanouissement. J'ai rapporté le cœur triste et fermé que j'avais au départ, avec inquiétude de plus de ce côté. Union, paix, charité, indulgence tendre et miséricordieuse, vertus absentes autour de moi, où donc cela se trouve-t-il? chez vous, je l'espère, cher ami, car, avec les mots, Dieu nous donne ici-bas aussi quelque peu des choses. Pourquoi me presser encore, ami, pour n'avoir que des redites? Les trois ans qui viennent de passer n'ont été qu'une suite d'amertumes, de froissements douloureux, et parfois d'angoisses désespérées; tout cela, j'y compte fermement, a été mesuré pour la vie meilleure; mais le temps y a été pleinement sacrifié. J'ai lutté autant que cela était en moi, par affection et douceur, par volonté et empire, mais tout cela, dans la proportion insuffisante de mes forces, demeurait inférieur à la position. Je me flatte qu'à l'heure qu'il est une phase est accomplie de cette marche pénible. Tout semble inoffensif et, en un certain point, bienveillant entre nous. Qui sait ce que ménage l'avenir? Dieu est là, d'ailleurs, après nous avoir bien convaincus de notre impuissance, peut-être interviendra-t-il? ou plutôt, il n'a jamais cessé d'intervenir. Je l'ai senti dans les plus mauvais jours, comme soutien et consolation, ou bien comme aiguillon et frein, me pourchassant à l'œuvre, malgré mes plaintes et mes cris; sans lui, je n'eusse point été jusqu'ici; avec lui, je poursuivrai, ignorant des moyens qui me restent cachés, mais confiant dans la fin. C'est une merveille qu'en pareil naufrage quelque chose ait échappé. L'estime mutuelle a surnagé pourtant. Priez ardemment, mon cher frère, qu'avec ce mince appui, la charité revienne aussi sur l'eau. Adieu, mille affections aux vôtres qui sont miens aussi, à votre femme bien-aimée surtout, puis le père et votre frère Théodore. Adrien à qui je veux écrire et à qui je le dois bien et les autres aussi. Je verrai Gavard, mais il est fortement prévenu; je ne crois pas qu'il y ait faute volontaire de ma part; j'y ferai de mon mieux. Adieu. Le Prevost
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