79  à M. Pavie

Il se réjouit de la future naissance chez les Pavie. L'enfant, don de Dieu. MLP n'a pas eu ce bonheur familial. Acceptation de ce sacrifice. Il cherche du travail pour ses petits orphelins.

Paris, 12 novembre 1838

Mon bien cher Victor,

Vous serez père; j'en ai béni Dieu du plus profond de mon âme. Oui, Dieu devait à sa divine bonté de ne point laisser votre bonheur imparfait. Il se devait d'ajouter une dernière faveur à toutes celles qu'il vous a déjà faites, afin que vous ne puissiez dire que de tous les dons que sa main de père peut verser, il vous en ait manqué un seul. Maison, foyer, famille, cercle nombreux d'amis, santé, riche aisance, dons d'esprit, dons du cœur et par dessous tout, don de la foi, joie de connaître l'auteur de tant de biens, de l'aimer d'un cordial amour, de lui rapporter tout, de lui faire hommage de tout, oui de tout, de vous-même et plus que vous-même, de votre bien aimée femme et de l'enfant qu'elle a conçu. Oh! oui, vous serez heureux, mon très cher Victor, et Dieu est immensément bon, et je veux que vous et moi nous l'aimions à cause de tout cela encore davantage. Voyez aussi quelle grâce tout aimable il a mis en son procédé envers vous. Il vous a laissé souhaiter pour un temps cette faveur pour qu'elle fut mieux appréciée, mieux demandée aussi par vous. Il vous a ainsi procuré le bonheur de prier, de prier ensemble et avec larmes, d'obtenir enfin par des vœux, des pèlerinages, de saintes promesses faites à vous deux devant lui, votre Père, devant la Vierge sainte, votre Mère, d'obtenir par tout cela ce que vous étiez venu à considérer comme le plus grand bien du monde. Autrement, cet enfant naissant naturellement, vous l'eussiez pris comme votre œuvre. Mais Dieu vous a permis de voir que c'était Lui qui donnait la vie et non pas vous, et il grave aussi profondément dans votre esprit cette sainte vérité que cet enfant lui appartient, que du jour de sa naissance, il doit être consacré et offert non seulement comme votre premier-né, mais encore comme l'enfant Dieu-donné, fruit des entrailles de la divine miséricorde.

Je n'ai pas, mon très cher Victor, l'intention, croyez-le bien, de vous rappeler tout cela; mon cœur me dit que tout cela était dans le vôtre, et j'abonde en ce sens par cette tendre et intime sympathie qui me fait entrer en vous, comme vous entrez en moi. Ainsi votre joie, je vous le dis, est ici bien comprise, bien partagée. Je goûte par ma vive affection le bonheur qu'il n'a pas plu à Dieu de me donner directement. C'est une sorte d'adoption pour l'enfant qui naîtra: Rachel, dans l'ancienne loi, était tenue comme mère des enfants nés d'une femme de son choix; qu'il en soit ainsi entre nous. J'aurai par là une prospérité et ma stérilité sera consolée. J'ai admiré, du reste, votre délicate bonté, qui vous fait presque me demander pardon d'un bonheur qui accroît encore votre supériorité sur moi. Soyez en paix, cher ami, mon âme n'a pas été un seul instant troublée, ma joie a été sans mélange, sans retour intéressé sur moi-même. Quand le Seigneur exige un sacrifice, il aide aussi à le consommer; il m'a donné la force d'aimer et d'adorer sa sainte volonté.

Je n'ai point encore vu Théodore, sans doute il n'est point encore ici; je l'attends avec double impatience, et pour lui que j'aime cordialement et parce qu'il m'apportera de vos nouvelles à tous. Jusque là adieu, mon bien cher ami, mille affections bien dévoués à votre chère amie, à votre père et à tous, Adrien en particulier.

Votre ami et frère

Le Prevost

Je vous remercie de votre zèle à placer les lithographies pour nos petites orphelins. Je ne sais si on vous a dit qu'une partie d'entre eux sont occupés à fondre des caractères dans l'imprimerie de M. Bailly: ils manquent quelquefois de travail, c'est un chagrin pour nous. Je désirerais donc que vous prissiez, si cela se peut, sans préjudice d'aucun arrangement, vos caractères à cette fonderie; si cela vous semble praticable, dites-le. Je vous ferais parvenir le spécimen de tous les caractères que nous pourrions vous fournir. Je n'ai pas besoin de dire que ces enfants ne sont que les aides d'habiles ouvriers et que les produits ont toute la perfection qu'on peut souhaiter.