105  à M. Pavie

Leur amitié s'entretient par la correspondance. MLP. ne peut guère se déplacer. Nouvelles de Th. Pavie et de Gavard. Nostalgie des rencontres d'autrefois.

Paris, 28 octobre 1843

Cher ami,

Adrien, qui repart pour votre ville d'Angers, veut bien se charger de ces deux lignes que je vous fais en hâte, afin de ne pas perdre cette bonne occasion. Vous aurez ainsi de mes nouvelles et ma lettre sollicitera de vous une réponse qui me sera bien précieuse, cher ami. Car, depuis longtemps vous ne m'avez rien dit; après un si grand silence, il me semble qu'il ne faut l'interrompre que pour un cas important et l'on attend toujours. Je vous en prie, cher Victor, n'attendez pas du tout; les choses les plus simples seront d'un haut intérêt pour moi si elles vous touchent et m'entretiennent de vous et de votre cher entourage. J'ai gardé sur ma table votre dernière lettre, parce qu'elle contient les noms de vos trois petits enfants avec quelques mots de détail sur chacun. Quand ma mémoire fait défaut, j'y recours et retrouve la petite généalogie. Cela me charme, cher ami, et me représente ces trois petits anges avec leur mère et vous; j'en fais un tableau délicieux et j'ai soin de m'y ménager à moi aussi, dans un coin, quelque place.

Il me semble qu'à la fin, des moments favorables viendront où je pourrai m'échapper moins difficilement et vous aller voir un peu à loisir. Jusqu'ici rien n'y paraît, car je suis tellement enchaîné et ma bonne mère elle-même m'appelle chaque année, sans que je puisse accourir comme mon cœur le voudrait. En attendant, vous qui avez le pied plus leste, moins d'entraves aussi, venez, cher Victor. On vous espère, me dit-on, pour janvier. Ce sera un beau commencement d'année et je me réjouirai bien, dans ce temps, d'embrasser, de serrer fort et cordialement un frère tendrement aimé.

Je n'ai point revu Théodore depuis son retour; les occasions de rapprochement manquent entre nous. Mais, je me sens la même affection pour lui, sans en rien laisser, ni au temps, ni au chemin. Je compte sur lui aussi et je me tiens ainsi le cœur en état. J'en pourrais dire autant pour notre bon et toujours bon Gavard. Je l'aperçois, plutôt que je ne le vois; nous nous serrons la main à en crier sous les arcades de Rivoli, parfois même nous traversons ensemble les Tuileries, mais les belles promenades d'autrefois, taillées en plein dans de longues journées, elles ne reviennent plus, il n'en reste qu'un bon souvenir.

Cher ami, parlez-moi de tout cela avec un peu de regret. J'aime à penser que vous les repassez aussi dans votre mémoire et que vos vieux amis de ce temps-là vous manquent comme à nous quelquefois.

Faites mille tendresses respectueuses à votre bon père, des affections bien dévouées à votre chère amie et quelques caresses aux petits. Tout cela pour moi qui aime ce cher monde de tout mon cœur.

Votre frère et ami

Le Prevost

P.S. Sans oublier les S^t Vincent.